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Article AUTONOME (Décision n° 2011-1294 du 9 novembre 2011 relative à un différend opposant les sociétés France Télévisions et Numericable)

Article AUTONOME (Décision n° 2011-1294 du 9 novembre 2011 relative à un différend opposant les sociétés France Télévisions et Numericable)



I. ― Sur la fin de non-recevoir soulevée par la société Paris Première
lors de l'audience du 14 octobre 2011


La société Paris Première a fait valoir, lors de l'audience du 14 octobre 2011, que la demande de règlement de différend, telle qu'elle résulte du courrier de la société France Télévisions du 25 juillet 2011 enregistré le 27 juillet 2011, serait irrecevable comme constitutive d'une demande nouvelle, en tant que la société France Télévisions n'y solliciterait plus l'attribution du numéro 5.
Il résulte de l'instruction que, dans son courrier du 25 juillet 2011, la société France Télévisions persiste à soutenir que le service France 5 devrait figurer au numéro 5 dans l'univers DVB-C du distributeur et à conclure, ainsi qu'elle l'a fait dans sa demande initiale de règlement du différend l'opposant à la société Numericable, à ce qu'il soit enjoint à cette dernière d'établir un plan de services assurant une numérotation du service France 5 conforme aux principes énoncés par la loi du 30 septembre 1986.
En tout état de cause, le courrier du 25 juillet 2011 par lequel la société France Télévisions informait le Conseil supérieur de l'audiovisuel de l'échec des négociations menées à la suite d'une première audience qui s'est tenue le 6 décembre 2010 ne constituait nullement une nouvelle demande de règlement d'un différend l'opposant à la société Numericable.
En effet, par décret du 24 janvier 2011, trois nouveaux membres ont été nommés au Conseil supérieur de l'audiovisuel, conformément aux dispositions de l'article 4 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986. Eu égard aux règles de quorum fixées par ce même article, il appartenait nécessairement au conseil d'organiser une nouvelle audience pour l'examen de la demande de règlement de différend dont il était saisi, dès lors qu'il n'y avait à cette date pas été statué eu égard à l'engagement de négociations entre les parties.
Par suite, la fin de non-recevoir soulevée par la société Paris Première doit être écartée.


II. ― Sur la fin de non-recevoir soulevée par la société Numericable


La société Numericable fait valoir que la demande de la société France Télévisions enregistrée par le Conseil supérieur de l'audiovisuel le 14 mai 2010 et tendant au règlement du différend dont s'agit ne comporterait qu'une argumentation lacunaire et serait par suite irrecevable.
Mais tant cette demande que ses compléments enregistrés le 4 juin et le 1er juillet 2010 comportent l'exposé de faits et de moyens ainsi que l'énoncé de conclusions qui la rendent recevable.
Dès lors, la fin de non-recevoir soulevée par la société Numericable doit être écartée.


III. ― Sur le fond du différend


a) Sur l'atteinte aux exigences de service public :
La société France Télévisions soutient que la « relégation » du service France 5 au numéro 13 porte atteinte à ses missions de service public, en méconnaissance des dispositions des articles 34 et 17-1 de la loi du 30 septembre 1986 et de la délibération n° 2007-167 du 24 juillet 2007.
Aux termes de l'article 34 de la loi du 30 septembre 1986 : « Le Conseil peut [...] s'opposer soit à l'exploitation d'une offre de services, soit à une modification de la composition de cette offre, [...] s'il estime qu'elle porte atteinte aux missions de service public assignées par l'article 43-11 aux sociétés nationales de programme et à la chaîne Arte, notamment par la numérotation attribuée au service dans l'offre commerciale ».
Cependant, dans le cadre de la procédure de règlement du différend l'opposant à la société Numericable dont la société France Télévisions a saisi le Conseil supérieur de l'audiovisuel, il ne saurait être utilement soutenu que la numérotation adoptée par la société Numericable méconnaîtrait ces dispositions, qui ont trait à une procédure distincte de celle qui est prévue à l'article 17-1 de la loi du 30 septembre 1986.
Aux termes de l'article 17-1 de la loi du 30 septembre 1986 : « Le Conseil supérieur de l'audiovisuel peut être saisi par un éditeur ou par un distributeur de services [...] de tout différend relatif à la distribution d'un service de radio ou de télévision, y compris aux conditions techniques et financières de mise à disposition du public de ce service, lorsque ce différend est susceptible de porter atteinte [...] aux exigences de service public [...] ».
Enfin, aux termes de la délibération du 24 juillet 2007 : « Le distributeur doit assurer à ces chaînes une exposition qui leur permette de remplir leurs missions de service public dans la thématique à laquelle elles appartiennent ».
Cependant, et contrairement à ce que soutient la société France Télévisions, les missions de service public du service France 5 ne sont pas compromises du seul fait de l'attribution d'un autre numéro que le 5. En effet, et ainsi que le relève la société Paris Première, l'exposition du service France 5 demeure privilégiée, puisqu'elle se trouve au numéro 13 d'un plan de services comportant plus de 250 chaînes et services, et n'apparaît pas incohérente, du fait de la proximité du service France 5 avec le service France 4 et du regroupement des chaînes publiques généralistes dans les quatorze premiers numéros.
En outre, le service France 5 bénéficie d'une double exposition, dans la thématique « généraliste national », d'une part, et dans le « bloc TNT », d'autre part.
Enfin, contrairement à ce que soutient la société France Télévisions, aucune disposition n'impose que les missions de service public du service France 5 impliquent une numérotation commune à l'ensemble des distributeurs de services.
Par suite, la société France Télévisions n'établit pas l'atteinte alléguée aux exigences de service public entourant la diffusion du service France 5, non plus que la compromission supposée de la réalisation des missions de service public qui lui sont assignées par le législateur.
Aussi, le Conseil supérieur de l'audiovisuel considère que ce moyen doit être écarté.
b) Sur le moyen tiré de la contrariété de la numérotation avec la dénomination du service :
La société France Télévisions soutient que le numéro 5 fait partie intégrante de la dénomination usuelle du service France 5. Elle souligne que l'introduction du chiffre 5 dans la dénomination de la chaîne a été consacrée par le législateur, qui a intégré dans la loi du 30 septembre 1986 la dénomination La Cinquième le 1er août 2000 avant de lui substituer la dénomination France 5 en 2004.
Toutefois, le Conseil supérieur de l'audiovisuel considère que ces dispositions législatives n'ont ni pour objet ni pour effet d'octroyer à France 5 le droit de se voir affecter le numéro 5 par tous les distributeurs de télévision payante. Ce moyen ne peut donc qu'être écarté.
c) Sur le moyen tiré de la discrimination par rapport aux autres chaînes de la TNT gratuite relevant de la thématique « généraliste national » :
La société France Télévisions soutient que la circonstance qu'elle ne soit pas placée sur son numéro logique, contrairement aux autres chaînes « historiques » et aux « nouvelles » chaînes de la TNT qui sont placées dans le bloc « généraliste national », serait discriminatoire.
Le principe d'égalité, assorti du principe de non-discrimination de la numérotation posé à l'article 3-1 de la loi du 30 septembre 1986, permet une différence de traitement à la condition qu'elle soit fondée sur une différence objective de situation en rapport avec l'objectif poursuivi par la mesure.
Pour se prévaloir d'une identité de situation avec les autres chaînes dites « historiques » et avec les chaînes gratuites de la TNT, la société France Télévisions se borne à soutenir que le service France 5 est une chaîne « historique » et une chaîne de la TNT gratuite.
Or, quelles que soient les similitudes existant entre ces chaînes quant à leur audience ou aux obligations légales pesant sur elles, la circonstance que, par l'effet de l'organisation par thématiques, certaines seulement se voient attribuer un numéro identique à leur numéro logique ne caractérise pas, par elle-même, une discrimination prohibée par les dispositions de l'article 3-1 de la loi du 30 septembre 1986.
En outre, eu égard à la liberté dont disposent les distributeurs n'utilisant pas des fréquences assignées par le Conseil supérieur de l'audiovisuel pour organiser leurs plans de services, c'est au regard des critères définis par le distributeur que l'identité de situation doit être caractérisée.
Par suite, si, du fait de l'application des critères définis par le distributeur, certaines chaînes ont retrouvé leur numéro logique, indépendamment de la circonstance qu'il s'agisse, en l'espèce, des autres chaînes « historiques » et d'autres chaînes gratuites de la TNT, l'attribution au service France 5 d'un autre numéro que le 5 ne caractérise pas en tant que telle, et contrairement à ce que soutient la société France Télévisions, une discrimination au regard de la numérotation accordée à ces chaînes, non plus qu'un obstacle à la préservation d'une concurrence loyale entre elles.
En conséquence, le moyen doit être écarté.
d) Sur les critères d'ordonnancement des chaînes et les mérites respectifs des services France 5 et Paris Première pour figurer sur le numéro 5 :
La requérante déduit de son positionnement que le sous-critère du financement aurait été déterminant alors que, selon elle, il aurait été illégalement appliqué au service France 5.
Aux termes du C du III de la délibération du 24 juillet 2007 :
« Pour garantir le caractère homogène, équitable et non discriminatoire de la numérotation, le distributeur doit communiquer les principes d'ordonnancement des services au sein d'une thématique. Il est tenu de se fonder sur certains critères d'ordonnancement objectifs et vérifiables, par exemple :
― l'antériorité d'occupation du numéro ;
― l'audience ;
― le numéro logique attribué par le conseil à l'éditeur pour la diffusion en TNT ;
― la langue : ainsi un distributeur serait fondé à attribuer à des chaînes en langue française ou dans une des langues régionales les premiers numéros d'une thématique ;
― la notoriété, par exemple sur le fondement d'études d'opinion ;
― l'ordre alphabétique ;
― le résultat d'un tirage au sort ;
― la catégorie de public visée ;
― le bassin de diffusion. »
Les critères mentionnés par ces dispositions ne sont proposés qu'à titre indicatif. Par suite, les circonstances que le sous-critère du financement ne soit pas prévu par la délibération et ne soit mis en œuvre par aucun autre distributeur sont sans incidence sur sa régularité.
En outre, le fait que le Conseil supérieur de l'audiovisuel ait, le 14 mai 2010, en application de l'article 34 de la loi du 30 septembre 1986, émis des réserves sur sa transparence ne suffit pas par lui-même à établir son irrégularité, le conseil ayant dans un second temps décidé, le 15 juin 2010, de ne pas s'opposer au plan de services de la société Numericable, sous réserve de l'examen de la situation du service France 5 dans le cadre du présent règlement de différend.
La société France Télévisions soutient également que le « financement » ne saurait prévaloir sur les critères prévus par la délibération du 24 juillet 2007, qui seuls permettraient d'assurer un traitement équitable, transparent et non discriminatoire pour les chaînes historiques. Mais, alors que la liste des critères mentionnés par ladite délibération n'a pas un caractère limitatif, la requérante n'établit pas en quoi seuls les critères qu'elle mentionne devraient s'appliquer aux chaînes dites « historiques ». En tout état de cause, les principes d'homogénéité, de non-discrimination et d'équité impliquent une absence de traitement différencié entre les chaînes « historiques » et les autres chaînes du plan de services.
En outre, si la société France Télévisions soutient que le sous-critère du financement apparaîtrait, par nature, inéquitable et discriminatoire, en ce qu'il ferait dépendre l'exposition des chaînes de leur seule contribution à la stratégie commerciale du distributeur, un tel critère n'est pas, en tant que tel, discriminatoire dans la mesure où il s'applique à l'ensemble des éditeurs repris dans le plan de services du distributeur. Il n'est pas non plus inéquitable, dans la mesure où la participation à une opération de financement demeure facultative et compte tenu de l'édition du service France 5 par le groupe France Télévisions qui dispose de moyens financiers importants.
Contrairement à ce que soutient la requérante, il n'y a donc pas d'obstacle de principe à l'applicabilité d'un tel critère à des chaînes du service public, dès lors que celles-ci ont été effectivement reprises dans l'offre et que l'application du critère n'a pas, en l'espèce, porté atteinte à leur mission de service public.
Si la société France Télévisions soutient encore que le sous-critère du financement serait incompatible avec le principe d'homogénéité de la numérotation, cet argument n'est pas assorti des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé. A supposer que la requérante entende soutenir que l'application du sous-critère envisagé aboutirait nécessairement à une numérotation non homogène car il ne serait pas applicable aux chaînes historiques et aux chaînes du service public, cet argument ne pourrait qu'être écarté dès lors qu'il n'y a pas d'obstacle de principe à l'applicabilité d'un tel critère à des chaînes du service public.
La société France Télévisions soutient par ailleurs que le sous-critère du financement ne serait pas « vérifiable » au sens de la délibération du 24 juillet 2007, les éditeurs ne disposant d'aucune information sur les conditions de sa mise en œuvre.
Cependant, elle ne produit aucun élément établissant qu'elle aurait demandé quelque précision que ce soit à la société Numericable.
En outre, dès lors que la société Paris Première a communiqué au Conseil supérieur de l'audiovisuel, lors de l'audience, le montant qu'elle s'est proposée de verser au titre du sous-critère du financement, la requérante, qui reconnaît ne pas avoir proposé d'opération au titre de ce sous-critère et qui n'établit pas avoir proposé à la société Numericable de services associés, n'est pas fondée à soutenir que ce sous-critère ne serait pas vérifiable.
La société France Télévisions soutient enfin que l'audience et la notoriété du service France 5 n'auraient pas été prises en compte. Dans le cas contraire, c'est ce service qui aurait dû obtenir selon elle le numéro 5, car son audience et sa notoriété seraient bien supérieures à celles de Paris Première.
Il est cependant constant que la société France Télévisions n'a, contrairement à la société Paris Première, formulé aucune proposition de contribution financière à la société Numéricable au titre du sous-critère du financement. Dès lors, s'il résulte des pièces du dossier que l'audience et la notoriété du service France 5 sont supérieures à celles du service Paris Première, ce dernier a toutefois pu obtenir une note supérieure à celle qui a été obtenue par le service France 5 du fait de l'importance de sa contribution financière. Par suite, la seule circonstance que l'audience et la notoriété du service France 5 sont supérieures à celles du service Paris Première n'est pas de nature à établir que ces éléments n'auraient pas été pris en considération par la société Numéricable lors du choix de l'attribution du numéro 5.


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En conséquence de tout ce qui précède, le Conseil supérieur de l'audiovisuel,
Après en avoir délibéré le 9 novembre 2011 hors la présence du rapporteur,
Décide :