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Article AUTONOME (Décision n° 2011-641 DC du 8 décembre 2011)

Article AUTONOME (Décision n° 2011-641 DC du 8 décembre 2011)



LOI RELATIVE À LA RÉPARTITION DES CONTENTIEUX ET À L'ALLÈGEMENT DE CERTAINES PROCÉDURES JURIDICTIONNELLES
Le Conseil constitutionnel a été saisi, dans les conditions prévues à l'article 61, deuxième alinéa, de la Constitution, de la loi relative à la répartition des contentieux et à l'allègement de certaines procédures juridictionnelles, le 22 novembre 2011, par M. François REBSAMEN, Mmes Jacqueline ALQUIER, Michèle ANDRÉ, MM. Maurice ANTISTE, Alain ANZIANI, David ASSOULINE, Bertrand AUBAN, Dominique BAILLY, Mme Delphine BATAILLE, MM. Claude BÉRIT-DÉBAT, Jacques BERTHOU, Mmes Maryvonne BLONDIN, Nicole BONNEFOY, MM. Yannick BOTREL, Didier BOULAUD, Martial BOURQUIN, Mme Bernadette BOURZAI, M. Michel BOUTANT, Mme Nicole BRICQ, MM. Jean-Pierre CAFFET, Pierre CAMANI, Jean-Louis CARRÈRE, Mme Françoise CARTRON, MM. Luc CARVOUNAS, Bernard CAZEAU, Yves CHASTAN, Mme Hélène CONWAY MOURET, MM. Roland COURTEAU, Yves DAUDIGNY, Marc DAUNIS, Michel DELEBARRE, Mme Christiane DEMONTÈS, MM. Claude DILAIN, Claude DOMEIZEL, Mmes Odette DURIEZ, Josette DURRIEU, MM. Vincent EBLÉ, Philippe ESNOL, Alain FAUCONNIER, Jean-Luc FICHET, Jean-Claude FRÉCON, Mmes Catherine GÉNISSON, Samia GHALI, Dominique GILLOT, MM. Jean-Pierre GODEFROY, Jean-Noël GUÉRINI, Didier GUILLAUME, Claude HAUT, Edmond HERVÉ, Mme Odette HERVIAUX, MM. Philippe KALTENBACH, Ronan KERDRAON, Mmes Bariza KHIARI, Virginie KLÈS, MM. Yves KRATTINGER, Georges LABAZÉE, Serge LARCHER, Mme Françoise LAURENT-PERRIGOT, MM. Jacky LE MENN, Alain LE VERN, Jean-Yves LECONTE, Mmes Claudine LEPAGE, Marie-Noëlle LIENEMANN, MM. Jacques-Bernard MAGNER, François MARC, Rachel MAZUIR, Mmes Michelle MEUNIER, Danielle MICHEL, MM. Jean-Pierre MICHEL, Gérard MIQUEL, Jean-Jacques MIRASSOU, Alain NÉRI, Mme Renée NICOUX, MM. Jean-Marc PASTOR, Georges PATIENT, François PATRIAT, Roland POVINELLI, Mme Gisèle PRINTZ, MM. Daniel RAOUL, Daniel REINER, Thierry REPENTIN, Alain RICHARD, Yves ROME, Mmes Laurence ROSSIGNOL, Patricia SCHILLINGER, MM. Jean-Pierre SUEUR, Simon SUTOUR, Mme Catherine TASCA, MM. Jean-Marc TODESCHINI, Michel VERGOZ, Richard YUNG, Jacques MÉZARD, Pierre-Yves COLLOMBAT, Robert TROPEANO, Jean-Pierre PLANCADE, Jean-Claude REQUIER, Yvon COLLIN, Mme Anne-Marie ESCOFFIER, MM. François FORTASSIN, Jean-Michel BAYLET, Mme Françoise LABORDE, M. Raymond VALL, Mmes Nicole BORVO COHEN-SEAT, Eliane ASSASSI, Marie-France BEAUFILS, MM. Michel BILLOUT, Eric BOCQUET, Mmes Laurence COHEN, Cécile CUKIERMAN, Annie DAVID, Michelle DEMESSINE, Evelyne DIDIER, MM. Christian FAVIER, Guy FISCHER, Thierry FOUCAUD, Mme Brigitte GONTHIER-MAURIN, MM. Robert HUE, Gérard LE CAM, Mme Isabelle PASQUET, M. Michel LE SCOUARNEC, Mme Mireille SCHURCH, MM. Paul VERGÈS et Dominique WATRIN, sénateurs.
Le Conseil constitutionnel,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu le code civil ;
Vu le code de commerce ;
Vu le code des juridictions financières ;
Vu le code de procédure pénale ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, ensemble la décision du Conseil constitutionnel n° 2004-492 DC du 2 mars 2004 ;
Vu les observations du Gouvernement en réponse à la saisine ainsi que ses observations complémentaires produites à la demande du Conseil constitutionnel, enregistrées le 30 novembre 2011 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant que les requérants défèrent au Conseil constitutionnel la loi relative à la répartition des contentieux et à l'allégement de certaines procédures juridictionnelles ; qu'ils estiment que les dispositions des articles 38 à 46 n'ont pas leur place dans cette loi et qu'en tout état de cause les articles 39 et 46 sont contraires à l'article 15 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ; qu'ils contestent également la conformité à la Constitution de l'article 27 de la loi ;
Sur les articles 38 à 46 de la loi :
En ce qui concerne la place des articles 38 à 46 dans la loi déférée :
2. Considérant qu'aux termes de la seconde phrase du premier alinéa de l'article 45 de la Constitution : « Sans préjudice de l'application des articles 40 et 41, tout amendement est recevable en première lecture dès lors qu'il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis » ;
3. Considérant que le projet de loi comportait vingt-sept articles lors de son dépôt sur le bureau du Sénat, première assemblée saisie ; que les dispositions de ses chapitres Ier, III, IV et VII sont relatives à l'organisation et à la spécialisation de certaines juridictions ; que celles de son chapitre V portent transfert et répartition de compétences entre juridictions ; que celles de ses chapitres II, VI et VIII modifient diverses procédures juridictionnelles ; que son chapitre IX procède, « en matière militaire », à des aménagements de compétences juridictionnelles ainsi qu'à des modifications de procédure et apporte des précisions sur le régime de certaines sanctions ; que son chapitre X, d'une part, habilite le Gouvernement à actualiser par ordonnance les dispositions législatives relatives au droit pénal et disciplinaire de la marine marchande, et notamment celles relatives aux tribunaux maritimes commerciaux, et, d'autre part, fixe les conditions d'entrée en vigueur de la loi ;
4. Considérant que les articles 38 à 46 ont été introduits à l'Assemblée nationale en première lecture ; qu'ils portent diverses dispositions relatives à l'organisation et aux compétences des juridictions financières, ainsi qu'aux procédures applicables devant elles ; qu'ainsi, ils présentent un lien avec le projet de loi initial ; qu'ils ont été adoptés selon une procédure conforme à la Constitution ;
En ce qui concerne les articles 39 et 46 :
5. Considérant que l'article 39 de la loi déférée, qui donne une nouvelle rédaction de l'article L. 211-2 du code des juridictions financières, a pour objet d'étendre le champ des organismes soumis au régime de l'apurement administratif de leurs comptes ; qu'en particulier, l'apurement administratif est étendu, à compter de 2013, aux comptes des communes dont la population est comprise entre 3 500 et 5 000 habitants ou dont le montant des recettes ordinaires figurant au dernier compte administratif est inférieur à un million d'euros pour l'exercice 2012 et trois millions d'euros pour les exercices ultérieurs ; que la même procédure est étendue aux comptes des établissements publics de coopération intercommunale dont la population est comprise entre 3 500 et 5 000 habitants pour l'exercice 2012 et 10 000 habitants pour les exercices ultérieurs et dont le montant des recettes ordinaires est inférieur à deux millions d'euros pour l'exercice 2012 et cinq millions pour les exercices ultérieurs ;
6. Considérant que l'article 46 de la loi déférée donne une nouvelle rédaction de l'article L. 212-1 du même code ; que le premier alinéa de cet article limite à vingt le nombre des chambres régionales des comptes et renvoie à un décret en Conseil d'Etat le soin de fixer leur siège et leur ressort ;
7. Considérant que, selon les requérants, le relèvement des seuils permettant l'apurement administratif des comptes et la diminution du nombre de chambres régionales des comptes aboutiront à une atténuation significative du contrôle de celles-ci sur les comptes publics des collectivités territoriales et des organes qui en émanent ; que les citoyens seraient ainsi privés de leur droit fondamental de demander des comptes aux agents publics en méconnaissance de l'article 15 de la Déclaration de 1789 ; qu'en outre le législateur serait resté en deçà de sa compétence en renvoyant au Gouvernement le soin de fixer le nombre minimal de chambres régionales des comptes ;
8. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 15 de la Déclaration de 1789 : « La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration » ; qu'en transférant, des chambres régionales des comptes aux autorités administratives de l'Etat, la compétence pour l'apurement de certains comptes publics, le législateur n'a pas méconnu cette disposition ;
9. Considérant, en second lieu, que, si l'article 34 de la Constitution réserve au législateur le soin de fixer « les règles concernant la création de nouveaux ordres de juridiction », la détermination du nombre, du siège et du ressort de chacune des juridictions créées dans le cadre des principes définis par la loi est de la compétence réglementaire ; que, par suite, en renvoyant au décret le soin de déterminer le nombre de chambres régionales des comptes, le législateur n'a pas méconnu l'étendue de sa compétence ;
10. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les articles 39 et 46 de la loi déférée sont conformes à la Constitution ;
Sur l'article 27 de la loi :
11. Considérant que l'article 27 de la loi déférée apporte deux modifications à la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité ; que, d'une part, le 1° de cet article permet le recours à cette procédure à l'issue d'une instruction préparatoire ; qu'à cette fin, il insère, dans le code de procédure pénale, un article 180-1 dont le premier alinéa dispose : « Si le juge d'instruction estime que les faits constituent un délit, que la personne mise en examen reconnaît les faits et qu'elle accepte la qualification pénale retenue, il peut, à la demande ou avec l'accord du procureur de la République, du mis en examen et de la partie civile, prononcer par ordonnance le renvoi de l'affaire au procureur de la République aux fins de mise en œuvre d'une comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité conformément à la section 8 du chapitre Ier du titre II du livre II » ; que, d'autre part, le 2° de l'article 27, qui modifie l'article 495-7 du même code, étend la possibilité de recourir à la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité à « tous les délits, à l'exception de ceux mentionnés à l'article 495-16 et des délits d'atteintes volontaires et involontaires à l'intégrité des personnes et d'agressions sexuelles prévus aux articles 222-9 à 222-31-2 du code pénal lorsqu'ils sont punis d'une peine d'emprisonnement d'une durée supérieure à cinq ans » ;
12. Considérant que, selon les requérants, en étendant la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité à tous les délits quelle que soit la peine encourue, alors que cette procédure ne peut conduire à une peine d'emprisonnement supérieure à un an, les dispositions de l'article 27 instituent une procédure manifestement inappropriée au but poursuivi ; qu'en outre, cette extension et la possibilité de recourir à cette procédure à l'issue d'une instruction méconnaîtraient tant la compétence de l'autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, que l'exigence de publicité des débats ; qu'en particulier, elles porteraient atteinte à « l'intérêt de la société à connaître non seulement des peines prononcées mais aussi des circonstances qui ont conduit à ce prononcé » ;
13. Considérant qu'aux termes de l'article 34 de la Constitution : « La loi fixe les règles concernant... la procédure pénale » ; qu'il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine qui lui est réservé par la Constitution, d'adopter, pour la réalisation ou la conciliation d'objectifs de nature constitutionnelle, des modalités nouvelles dont il lui appartient d'apprécier l'opportunité, dès lors que, dans l'exercice de ce pouvoir, il ne prive pas de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel ;
14. Considérant, d'une part, qu'il résulte de la combinaison des articles 6, 8, 9 et 16 de la Déclaration de 1789 que le jugement d'une affaire pénale pouvant conduire à une privation de liberté doit, sauf circonstances particulières nécessitant le huis clos, faire l'objet d'une audience publique ; que, d'autre part, l'article 66 de la Constitution confie à l'autorité judiciaire la protection de la liberté individuelle ;
15. Considérant que la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité a été introduite dans le code de procédure pénale par l'article 137 de la loi du 9 mars 2004 susvisée ; qu'elle constitue une procédure particulière de jugement de certains délits ; qu'elle est mise en œuvre par le procureur de la République, d'office ou à la demande de l'intéressé ou de son avocat, lorsque la personne reconnaît les faits qui lui sont reprochés ; que, lorsque cette personne accepte, en présence de son avocat, les peines que le procureur de la République lui propose d'exécuter, le président du tribunal de grande instance ou le juge délégué par lui est saisi d'une requête en homologation de ces peines ; que la personne est alors présentée devant ce magistrat, qui, après l'avoir entendue, ainsi que son avocat, et après avoir vérifié la réalité des faits et leur qualification juridique, se prononce sur la requête en homologation ;
16. Considérant que, comme le Conseil constitutionnel l'a jugé au considérant 107 de sa décision du 2 mars 2004 susvisée, si la peine est proposée par le parquet et acceptée par l'intéressé, seul le président du tribunal de grande instance peut homologuer cette proposition ; qu'il lui appartient à cet effet de vérifier la qualification juridique des faits et de s'interroger sur la justification de la peine au regard des circonstances de l'infraction et de la personnalité de son auteur ; qu'il peut refuser l'homologation s'il estime que la nature des faits, la personnalité de l'intéressé, la situation de la victime ou les intérêts de la société justifient une audience correctionnelle ordinaire ; qu'il ressort de l'économie générale des dispositions du code de procédure pénale relatives à la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité que le président du tribunal de grande instance peut également refuser d'homologuer la peine proposée si les déclarations de la victime apportent un éclairage nouveau sur les conditions dans lesquelles l'infraction a été commise ou sur la personnalité de son auteur ; que, sous cette réserve, le Conseil constitutionnel a déclaré que la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité ne porte pas atteinte au principe de séparation des autorités chargées de l'action publique et des autorités de jugement ;
17. Considérant que, sous la même réserve, les dispositions contestées, qui étendent le recours à la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité sans modifier les articles 495-8 et suivants du code de procédure pénale relatifs à cette procédure, ne méconnaissent pas l'article 66 de la Constitution ;
18. Considérant qu'il ressort du second alinéa de l'article 495-9 du code de procédure pénale que la procédure d'homologation « se déroule en audience publique » ; qu'il appartient au président du tribunal de grande instance ou au juge du siège délégué par lui de veiller à l'effectivité de cette garantie ; que, par suite, le grief tiré de la méconnaissance du principe de publicité des débats manque en fait ;
19. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que, sous la réserve énoncée au considérant 16, les dispositions de l'article 27 de la loi déférée sont conformes à la Constitution ;
Sur la place d'autres dispositions dans la loi déférée :
20. Considérant que l'article 17 de la loi déférée, qui modifie l'article 58 du code civil, supprime la référence à l'acte de naissance provisoire en cas d'accouchement secret ; que l'article 18, qui modifie l'article 74 du même code, assouplit les règles relatives à la détermination de la mairie compétente pour célébrer un mariage ;
21. Considérant que l'article 37, qui modifie l'article 2 de la loi du 29 juin 1971 susvisée, impose la motivation des refus d'inscription initiale d'un expert judiciaire sur une liste de cour d'appel et sur la liste nationale ;
22. Considérant que l'article 54, qui insère dans le code de commerce un article L. 233-17-1, exempte certaines sociétés commerciales de l'obligation d'établir des comptes consolidés ;
23. Considérant que l'article 57, qui modifie les articles 28-1 et 28-2 du code de procédure pénale, porte sur les prérogatives et obligations de certains agents des douanes et des services fiscaux ;
24. Considérant que l'article 71 habilite le Gouvernement à refondre le code de la consommation par voie d'ordonnances ;
25. Considérant que ces dispositions, insérées en première lecture, ne présentent pas de lien avec les dispositions du projet de loi initial ; qu'elles ont donc été adoptées selon une procédure contraire à la Constitution ; que, dès lors, les articles 17, 18, 37, 54, 57 et 71 doivent être déclarés contraires à cette dernière ;
26. Considérant qu'il n'y a lieu, pour le Conseil constitutionnel, de soulever d'office aucune autre question de conformité à la Constitution,
Décide :