Formule les observations suivantes :
Sur le contexte juridique :
Depuis qu'une ordonnance du 6 juin 2005 a transposé en droit interne la directive 2003/98/CE du Parlement européen et du Conseil du 17 novembre 2003 concernant la réutilisation des informations du secteur public, « les informations figurant dans des documents produits ou reçus par les administrations [...], quel que soit le support, peuvent être utilisées par toute personne qui le souhaite à d'autres fins que celles de la mission de service public pour les besoins de laquelle les documents ont été produits ou reçus ». Ces dispositions, qui ouvrent la porte à la réutilisation commerciale des données publiques, figurent aujourd'hui au chapitre II de la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 portant diverses mesures d'améliorations des relations entre les administrations et le public, couramment appelée loi CADA. C'est d'ailleurs la Commission d'accès aux documents administratifs, autorité administrative indépendante, qui est chargée, à l'article 20 de cette loi, « de veiller à l'application du chapitre II relatif à la réutilisation des informations publiques » et qui « émet des avis lorsqu'elle est saisie par une personne à qui est opposée une décision défavorable en matière de réutilisation d'informations publiques ».
Ce texte comporte néanmoins plusieurs exceptions qui sont au cœur des difficultés posées par la question de la réutilisation des archives publiques contenant des données personnelles.
En premier lieu, ne constituent des informations publiques ouvertes à la réutilisation que celles dont la communication constitue un droit au sens de la loi CADA.
En deuxième lieu, l'article 13 de la loi CADA rappelle que « la réutilisation d'informations publiques contenant des données à caractère personnel est subordonnée au respect des dispositions de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés ».
En troisième lieu, l'article 20 de la loi CADA rappelle que la réutilisation doit se faire dans les conditions prévues par le titre Ier du livre II du code du patrimoine, c'est-à-dire notamment dans le respect des délais de communication des archives publiques. Or ces délais ont été très sensiblement réduits par la loi n° 2008-696 du 15 juillet 2008, en particulier en ce qui concerne les documents comportant des informations protégées par un secret. Concernant notamment les documents relatifs aux affaires portées devant les juridictions, le délai de communicabilité a été réduit de 100 à 75 ans, la même réduction de 100 à 75 ans est intervenue pour les registres de naissance et de mariage de l'état civil, y compris pour les mentions marginales portées à ces actes, et notamment les naturalisations, les changements de sexe ou encore les annulations de mariage. Ce délai de 75 ans s'applique également pour les documents dont la communication porte atteinte au secret en matière de statistiques lorsque sont en cause des données collectées au moyen de questionnaires ayant trait aux faits et comportements d'ordre privé, et notamment les questionnaires de recensement. Enfin, le délai est désormais de 25 ans à compter de la date du décès de l'intéressé pour les documents dont la communication porte atteinte au secret médical et de 50 ans à compter de la date du document ou du document le plus récent inclus dans le dossier pour les documents dont la communication porte atteinte à la protection de la vie privée, ou les documents qui portent une appréciation ou un jugement de valeur sur une personne physique, nommément désignée ou facilement identifiable, ou qui font apparaître le comportement d'une personne dans des conditions susceptibles de lui porter préjudice.
Enfin, et c'est la principale difficulté, l'article 11 de la loi CADA dispose que « par exception au présent chapitre, les conditions dans lesquelles les informations peuvent être réutilisées sont fixées, le cas échéant, par les administrations mentionnées aux a et b du présent article lorsqu'elles figurent dans des documents produits ou reçus par :
a) Des établissements et institutions d'enseignement et de recherche ;
b) Des établissements, organismes ou services culturels ».
Saisie par une société privée, qui souhaitait diffuser sur son site internet de recherches généalogiques divers documents d'archives de recensement et d'état civil et à laquelle diverses décisions défavorables en matière de réutilisation d'archives publiques avaient été opposées, la CADA a rendu un avis longuement argumenté le 13 septembre 2010.
Il résulte de cet avis :
1. Que la CADA se reconnaît compétente pour apprécier la légalité de décisions défavorables en matière de réutilisation, même lorsqu'il s'agit de décisions émanant des services culturels mentionnés à l'article 11, au nombre desquels elle range les services d'archives ;
2. Que, pour se prononcer sur cette légalité, elle prend en compte non seulement les dispositions de sa propre loi, mais aussi celles du code du patrimoine et de la loi « informatique et libertés » ;
3. Que, dans leur pouvoir d'élaborer des règles propres en matière de réutilisation, les services d'archives ne disposent pas d'un pouvoir discrétionnaire et ne peuvent fonder un refus de réutilisation que soit sur une disposition législative ou réglementaire en vigueur, soit sur un motif d'intérêt général suffisant et proportionné à la sensibilité des données en cause et à la nature de l'usage envisagé. En ce qui concerne la première hypothèse, la CADA se prononce sur l'interprétation des dispositions de la loi CNIL qui seraient, à ses yeux, de nature à justifier un refus de réutilisation. Elle prend soin, néanmoins, de rappeler qu'elle ne se prononce que sous réserve de l'interprétation que la CNIL pourrait être appelée à adopter ultérieurement.
La CNIL a, quant à elle, été saisie de nombreuses demandes de conseil tant de la part de services d'archives que d'associations ou de sociétés privées, et notamment spécialisées dans la recherche généalogique, à propos de la réutilisation et de la diffusion sur internet des documents d'archives publiques, qui concernent non seulement les registres d'état civil et les questionnaires de recensement, mais aussi les registres d'écrou des prisons, des fichiers d'hospitalisation et des fichiers de recensement de certaines catégories de populations (prostituées, proxénètes, étrangers...). Elle a aussi été alertée par de nombreux élus, eux-mêmes interrogés par les services locaux auxquels incombe la conservation d'archives.
Ainsi, la réduction des délais de communication des archives publiques, associée à la demande croissante de diffusion de ces données sur internet, pose la question de l'encadrement de ces réutilisations au regard de la loi du 6 janvier 1978 modifiée en août 2004.
Compte tenu de la sensibilité des archives concernées et du mode de diffusion prévu, la commission estime nécessaire de préciser, par la présente recommandation, les conditions dans lesquelles de tels documents peuvent être réutilisés et ce sans préjudice de l'appréciation souveraine des tribunaux, d'une éventuelle intervention du législateur et de la révision envisagée de la directive de 2003 pour laquelle une consultation publique est en cours.
Sur le champ d'application et l'objet de la recommandation :
Les documents d'archives publiques comportent des données à caractère personnel au sens de l'article 2 de la loi du 6 janvier 1978 modifiée dès lors qu'ils sont relatifs à des personnes physiques potentiellement encore vivantes (avec l'allongement de la vie humaine, actuellement jusqu'à 120 ans). Tel peut être le cas des données figurant sur certains documents d'état civil et de recensement, librement communicables puisque le code du patrimoine, dans sa rédaction résultant de la loi de 2008, réduit à 75 ans à compter de la date du document le délai à partir duquel la communication des registres de naissance et de mariage de l'état civil ou encore des questionnaires de recensement est de plein droit et où donc la réutilisation est théoriquement possible.
En outre et ainsi que la CNIL l'a déjà souligné à plusieurs reprises, les documents d'archives comportent parfois des données qui concernent des personnes certes décédées mais dont la connaissance par des tiers peut avoir de redoutables conséquences sur la vie privée de personnes vivantes. Il en est ainsi notamment des informations relatives aux acquisitions ou pertes de la nationalité française, aux condamnations pénales ou encore de données relatives à la santé.
La Cour de cassation (première chambre civile) dans un arrêt récent du 1er juillet 2010 a d'ailleurs admis la possibilité pour les proches d'une personne décédée « [de] s'opposer à la reproduction de son image après son décès, dès lors qu'ils en éprouvent un préjudice personnel en raison d'une atteinte à la mémoire ou au respect dû au mort ».
Par ailleurs, la loi du 6 janvier 1978, modifiée en août 2004, considère comme traitement toute opération ou ensemble d'opérations portant sur de telles données, quel que soit le procédé utilisé, et notamment la collecte, l'enregistrement, l'organisation, la conservation, l'adaptation ou la modification, l'extraction, la consultation, l'utilisation, la communication par transmission, diffusion ou toute autre forme de disposition, le rapprochement ou l'interconnexion ainsi que le verrouillage, l'effacement ou la destruction.
Enfin, la réutilisation s'entend comme toute utilisation à d'autres fins que celles de la mission de service public pour les besoins de laquelle les documents ont été produits ou reçus.
En conséquence et comme le rappelle l'article 13 de la loi CADA, la réutilisation des archives publiques, dès lors que celles-ci comportent de telles données et donne lieu à un traitement, est soumise à la loi du 6 janvier 1978, modifiée en août 2004. Il est donc de la responsabilité des réutilisateurs de respecter les dispositions de cette loi.
Consciente des difficultés d'interprétation que soulève l'application combinée de la loi « informatique et libertés », de la loi « CADA » et du code du patrimoine, et soucieuse d'assurer un juste équilibre entre l'intérêt public que présente la valorisation des données publiques et la protection de la vie privée des personnes concernées, la commission estime nécessaire, par la présente recommandation, de définir les conditions dans lesquelles de telles réutilisations peuvent être réalisées.
Cette recommandation s'applique à toute réutilisation de documents d'archives contenant des données à caractère personnel à d'autres fins que des fins historiques, statistiques ou scientifiques, et notamment aux projets de constitution de bases de données commerciales et à la réalisation d'index nominatifs de recherche contenant des fichiers d'archives publiques diffusés sur internet. Cette recommandation concerne tant les réutilisations de documents d'archives effectuées par des personnes de droit public que celles effectuées par des personnes de droit privé.
Or, conformément au troisième alinéa de l'article 36 de la loi du 6 janvier 1978 modifiée, de telles réutilisations sont soumises soit à l'accord exprès de la personne concernée, soit à autorisation ou avis préalable de la commission.
La commission constate que, s'agissant des données relatives à des personnes dont la date de naissance est de moins de 120 ans révolus, le recueil de l'accord exprès des personnes apparaît difficile compte tenu de l'ancienneté des documents en cause et donc de la difficulté de retrouver les personnes concernées lorsqu'elles sont en très grand nombre. Il en est de même des ayants droit des personnes concernées.
En conséquence et à défaut de rendre ces données anonymes ou de procéder à leur masquage, il appartient à la commission d'autoriser ou non les réutilisations envisagées et de préciser les garanties qu'elle estime indispensables pour autoriser ces dernières.
Pour ce faire, la commission appréciera si, conformément à l'article 7 (5°), la réutilisation envisagée présente un intérêt légitime au regard des intérêts et droits fondamentaux des personnes vivantes et des ayants droit.
Recommande :
I. ― Cas dans lesquels la réutilisation, à des fins commerciales,
de données personnelles contenues dans des documents d'archives est à exclure
La réutilisation de données dites sensibles au sens de l'article 8 :
L'article 8 de la loi « informatique et libertés » interdit, sauf exceptions, de collecter ou de traiter des données à caractère personnel qui font apparaître, directement ou indirectement, les origines raciales ou ethniques, les opinions politiques, philosophiques ou religieuses ou l'appartenance syndicale des personnes, ou qui sont relatives à la santé ou à la vie sexuelle de celles-ci.
En outre, le troisième alinéa de l'article 36 restreint les cas de réutilisation de ces données aux seules fins de recherche médicale ou d'intérêt public et sous réserve de l'autorisation de la CNIL.
Dans ces conditions, la commission estime que la réutilisation de telles données, à toutes autres fins et notamment commerciales, est interdite, y compris lorsqu'elles concernent des personnes décédées, dès lors que leur divulgation serait de nature à porter préjudice aux ayants droit de ces personnes.
En conséquence, même si des documents d'archives publiques comportant de telles données sont communicables au titre de la loi CADA et du code du patrimoine, ils doivent être rendus anonymes ou occultés de ces données avant toute réutilisation, l'efficacité de ce masquage devant pouvoir être vérifiée par la CNIL.
La réutilisation de données relatives aux infractions, condamnations et mesures de sûreté au sens de l'article 9 :
L'article 9 de la loi limite très strictement la liste des personnes privées susceptibles de procéder à des traitements relatifs aux infractions, condamnations et mesures de sûreté ainsi que les finalités pour lesquelles ils peuvent être mis en œuvre. Il en résulte que toute autre utilisation de ces données par d'autres personnes à d'autres fins, notamment commerciales, est interdite.
Dès lors, et comme pour les données sensibles, les documents d'archives publiques comportant de telles données doivent être rendus anonymes ou occultés de ces données avant toute réutilisation, l'efficacité de ce masquage devant pouvoir être vérifiée par la CNIL.
La réutilisation des mentions apposées en marge des actes de l'état civil :
Certaines mentions marginales, et notamment la reconnaissance d'un enfant naturel, l'adoption ou encore la révocation d'adoption, la francisation des nom et/ou prénom après acquisition de la nationalité française, le changement de sexe ainsi que la mention « mort en déportation », sont de nature à porter atteinte à la vie privée, y compris lorsqu'elles concernent des personnes décédées, dès lors que leur divulgation serait de nature à porter préjudice aux ayants droit de ces personnes.
En conséquence, même si de telles données sont communicables au titre de la loi CADA et de la loi sur les archives, elles doivent être rendues anonymes ou occultées avant toute réutilisation des actes de l'état civil, l'efficacité de ce masquage devant pouvoir être vérifiée par la CNIL.
II. ― Précautions dont doit s'accompagner la réutilisation des données
personnelles dans les cas où elle est possible sans occultation
Sur l'information et le respect des droits des personnes concernées :
En ce qui concerne les personnes vivantes :
En application de l'article 32 (III) de la loi « informatique et libertés », l'obligation d'information individuelle ne s'applique pas en cas de réutilisation des données à des fins historiques, scientifiques ou statistiques. Cette obligation ne s'impose pas non plus lorsqu'elle se révèle impossible ou exige des efforts disproportionnés par rapport à l'intérêt de la démarche.
La commission recommande cependant qu'une information générale, claire et complète soit réalisée lors de la mise en œuvre de traitements de données à partir de documents d'archives publiques susceptibles de concerner des personnes vivantes, et en particulier en cas de diffusion en ligne de telles données. Cette information devrait notamment porter sur la finalité de la réutilisation, les catégories de données, les destinataires des données ainsi que sur les modalités d'exercice du droit d'opposition, d'accès, de rectification et de suppression.
Compte tenu des risques d'atteinte à la vie privée susceptibles de résulter de la réutilisation et de la diffusion de documents d'archives publiques comportant des données personnelles ainsi que de la nécessité de protéger l'intérêt et les droits fondamentaux des personnes concernées, la commission reconnaît à toute personne vivante dont des données figureraient sur des traitements résultant de la réutilisation de documents d'archives publiques le droit d'en obtenir la suppression sans condition.
La commission se réserve également le droit d'apprécier si, au regard de la réutilisation envisagée, des garanties complémentaires doivent être prévues.
En ce qui concerne les ayants droit :
Même si les exigences d'information résultant de l'article 32 de la loi et le droit d'opposition résultant de l'article 38 ne peuvent s'appliquer de façon générale pour les ayants droit des personnes décédées, l'article 40 permet aux héritiers de la personne décédée d'exiger une actualisation des données. Cette exigence comme la possibilité qui leur est offerte de préserver la mémoire de ces personnes et de protéger leur vie privée conduisent à recommander aux responsables de traitements de prévoir une information générale en ce sens et de faire droit aux demandes justifiées de suppression qui leur seraient présentées.
La commission estime que de telles mesures d'information sont indispensables en cas de diffusion en ligne de documents d'archives comportant des données personnelles.
Sur l'indexation et les mesures de sécurité :
L'indexation consiste à répertorier dans un document les données significatives (nom, prénom, date, lieu de naissance...) afin de permettre d'effectuer des recherches de façon simple et rapide dans ces documents. Une indexation sans aucune restriction permettrait donc de recouper et d'extraire des informations de façon très simple, augmentant par là même les possibilités de diffusion et d'exploitation de ces informations. Il apparaît donc nécessaire que les responsables de traitement apportent des limites aux mécanismes d'indexation.
Ces limites pourraient consister notamment à rendre impossible l'indexation par les moteurs de recherche des données relatives aux personnes nées depuis moins de 120 ans. Ces mesures devraient faire l'objet de vérifications par la CNIL. La condition que l'accès aux bases de données ou aux moteurs de recherche soit restreint ne peut constituer, par principe, une garantie suffisante.
Toutes précautions utiles devront également être prises pour préserver la sécurité et la confidentialité des données communiquées et pour empêcher qu'elles soient déformées, endommagées ou que des tiers non autorisés puissent en prendre connaissance. Ces précautions doivent pouvoir être vérifiées par la CNIL, tant lors de son examen à l'occasion des formalités préalables que lors des contrôles qu'elle ne manquera pas d'exercer.
En cas de recours à un prestataire de service, le responsable du traitement doit imposer au prestataire, par voie contractuelle, de n'utiliser les données qu'aux fins prévues, de s'assurer de leur confidentialité et de procéder à la destruction ou à la restitution de tous les supports manuels ou informatisés de données à caractère personnel au terme de sa prestation.
Sur les formalités à accomplir auprès de la CNIL :
Les traitements d'archives publiques comportant des données personnelles sont soumis à l'accomplissement de formalités préalables, et notamment à autorisation ou avis préalable de la commission, conformément au troisième alinéa de l'article 36 de la loi du 6 janvier 1978 modifiée.
En outre, en application des articles 68 et 69 de la loi précitée, sont également soumis à autorisation de la CNIL les transferts de données, par exemple dans le cadre d'une sous-traitance, vers des pays hors Union européenne qui n'assurent pas un degré suffisant de protection de la vie privée et des libertés et droits fondamentaux à l'égard du traitement dont ces données font l'objet dans ce pays.
Enfin, la commission rappelle que toute interconnexion entre des archives publiques et des fichiers est soumise à autorisation de sa part en application de l'article 25 (5°) de la loi du 6 janvier 1978 modifiée.
La présente délibération sera publiée au Journal officiel de la République française.
Fait le 9 décembre 2010.