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Article AUTONOME (Décision du 22 octobre 2010 du comité de règlement des différends et des sanctions sur le différend qui oppose la société Direct Energie à la société Electricité Réseau Distribution France relatif au contrat GRD-F)

Article AUTONOME (Décision du 22 octobre 2010 du comité de règlement des différends et des sanctions sur le différend qui oppose la société Direct Energie à la société Electricité Réseau Distribution France relatif au contrat GRD-F)



Vu les observations en défense, enregistrées le 12 août 2010, présentées par la société Electricité Réseau Distribution France (ERDF), société anonyme, immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Nanterre sous le numéro B 444 608 442, dont le siège social est situé 102, terrasse Boieldieu, tour Winterthur, 92085 Paris La Défense Cedex, prise en la personne de son représentant légal dûment habilité, et ayant pour avocats Me Emmanuel Guillaume et Me Ludovic Coudray, cabinet Baker & McKenzie SCP, 1, rue Paul-Baudry, 75008 Paris.
ERDF estime que Direct Energie est « particulièrement mal venue à présenter le contrat GRD-F comme lui ayant été "imposé” alors qu'elle l'a signé de son plein gré et en toute connaissance de cause ».
ERDF soutient, à titre principal, que les demandes de Direct Energie sont irrecevables en ce qu'elles conduiraient le comité de règlement des différends et des sanctions à modifier les stipulations d'un contrat conclu et en cours d'exécution entre les parties qui ne soulèvent pas de difficultés d'interprétation.
A titre subsidiaire, elle soutient qu'il n'y a pas de discrimination et d'« équivalence de situation » entre le contrat CARD et le contrat GRD-F. Elle estime que si le comité de règlement des différends et des sanctions a rappelé dans sa décision du 7 avril 2008 que le client final qui décide de souscrire un contrat unique ne doit pas être placé dans une situation moins favorable que celui qui choisit de conclure deux contrats distincts, l'un portant sur la fourniture, l'autre sur la distribution d'électricité, en revanche, le comité n'a pas consacré de principe « d'équivalence des situations juridiques » au bénéfice des fournisseurs d'électricité. Elle soutient également que dans la mesure où les clients finals et les fournisseurs ne sont pas dans la même situation, ERDF n'est pas tenue d'offrir à ces deux catégories de cocontractants un traitement identique.
ERDF rappelle que les tarifs d'utilisation des réseaux publics de transport et de distribution d'électricité (TURPE) prennent désormais en compte le transfert vers le fournisseur dans le cadre du contrat unique d'une partie des coûts de gestion initialement supportés par le gestionnaire de réseaux et qu'il en résulte une composante annuelle de gestion moins élevée lorsque le client opte pour le contrat unique. Elle en déduit que les dispositions de l'article 7.1 du contrat GRD-F qui prévoit que le fournisseur assume le risque financier de non-paiement de l'intégralité de la facture sont parfaitement justifiées.
ERDF soutient également que, dans le cadre du contrat GRD-F, elle ne dispose que d'un seul débiteur, le fournisseur et que, dans ces conditions, elle ne peut réclamer au client en contrat unique le paiement du TURPE.
Elle estime que le dispositif contractuel du contrat GRD-F est parfaitement conforme aux textes applicables et aux recommandations exprimées par la CRE dans ses communications du 24 décembre 2003 et du 10 janvier 2006.
ERDF soutient qu'en l'absence de dispositions légales contraires le contrat GRD-F peut organiser, « de façon pratique », la procédure de suspension en cas d'impayés et aménager des clauses restrictives. Elle rappelle qu'en cas de faute ou de négligence d'ERDF dans la réalisation de la prestation de suspension, le fournisseur n'est pas tenu de régler la part correspondante de la facture d'utilisation des réseaux et que le dispositif contractuel ainsi établi « un juste équilibre entre le fournisseur et ERDF ». Elle estime que l'insertion d'une référence à la force majeure dans un contrat CARD serait dénuée de tout objet.
S'agissant du mode de paiement des factures imposé aux fournisseurs, ERDF soutient que dans la mesure où les textes applicables n'imposent pas de modalités de paiement spécifiques, les dispositions contractuelles du contrat GRD-F peuvent bien évidemment définir ces modalités et prévoir que le règlement des factures s'effectuera par prélèvement bancaire.
Concernant l'exigence d'une garantie bancaire à première demande, ERDF observe que la loi ne prévoit ni n'interdit l'exigence d'une garantie de paiement et que, dans le cadre de ses relations contractuelles, elle n'a fait qu'appliquer les recommandations de la CRE exprimées dans sa communication du 24 décembre 2003. Elle ajoute que l'utilisation de ce type de garantie est fréquente dans le domaine de l'énergie et cite, à cet effet, l'article 14 du contrat d'acheminement gaz proposé par la société GrDF.
ERDF demande, en conséquence, au comité de règlement des différends et des sanctions de :
― « à titre principal, déclarer irrecevables les demandes de la société Direct Energie » ;
― « à titre subsidiaire, rejeter les demandes de la société Direct Energie comme non fondées ».


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Vu le mémoire en réplique du 15 septembre 2010 par lequel la société Direct Energie soutient que la signature du contrat GRD-F par Direct Energie et ERDF ne rend pas pour autant irrecevable sa demande dès lors qu'elle estime que l'existence d'un différend lié à l'accès au réseau ne peut être sérieusement contestée. Direct Energie affirme notamment que telle avait été la position de la CRE dans une décision du 6 février 2003 opposant la SNET à RTE.
Direct Energie conteste par ailleurs l'analyse d'ERDF selon laquelle les cahiers des charges de concession seraient sans incidence sur les relations entre le gestionnaire de réseaux de distribution et un fournisseur. Direct Energie en veut pour preuve le visa desdits cahiers des charges par le contrat GRD-F, et affirme qu'ERDF ne saurait prétendre disposer de plus de droits que ceux qui lui ont été accordés par les collectivités concédantes.
Direct Energie conteste l'analyse faite par ERDF de la décision du comité en date du 7 avril 2008. Selon Direct Energie, ERDF ne peut sous-déléguer ses obligations de service public, ce qui, combiné au principe de non-discrimination des utilisateurs, conduit à énoncer un principe d'équivalence des situations, empêchant ERDF d'aménager librement les conditions dans lesquelles il donne accès au réseau.
Direct Energie soutient en outre que le fait pour un fournisseur d'intervenir dans le cadre d'un contrat unique ou d'un contrat CARD n'est pas une différence objective de nature à fonder une différence de traitement. Elle considère qu'ERDF traite Direct Energie dans le cadre du contrat GRD-F différemment des clients finals qui bénéficient d'un contrat CARD et qu'ERDF traite différemment les clients finals, selon le choix contractuel qu'ils opèrent. Enfin, Direct Energie considère être traitée différemment du fournisseur EDF du fait de l'existence d'un protocole non public liant ERDF et EDF.
Direct Energie affirme que le I de l'article 28 de la loi du 10 février 2000 impose à la CRE d'appliquer la réglementation sectorielle dans des conditions qui n'entravent pas le développement d'offres alternatives sur le marché. En l'espèce, Direct Energie estime que les stipulations du contrat GRD-F constituent un aménagement aux obligations réglementaires d'ERDF entravant le développement de la concurrence.
Direct Energie conteste l'analyse d'ERDF selon laquelle la différence de composante de gestion prendrait en compte le transfert de la gestion des clients sur les fournisseurs. Elle affirme, d'une part, que la composante de gestion ne fait pas référence aux impayés, d'autre part, ne pas être en situation de répercuter la différence de composante de gestion au client final, car l'article L. 121-92 du code de la consommation dispose que « le fournisseur ne peut facturer au consommateur d'autres frais que ceux que le gestionnaire de réseau lui a imputés au titre d'une prestation ». Enfin, Direct Energie affirme qu'un éventuel transfert de la gestion des clients sur les fournisseurs serait contraire aux missions de la CRE, en ce qu'il constituerait une entrave à la concurrence pour les fournisseurs alternatifs, dans la mesure où ils supporteraient ce transfert contrairement à la situation relative aux tarifs réglementés de vente.
Direct Energie conteste en outre le fait d'être débiteur du TURPE car cela serait contraire à l'article 3 du décret n° 2001-365. Direct Energie estime par ailleurs que les communications de la CRE ne lient pas le comité, et ce d'autant plus que celles-ci n'auraient eu comme vocation que de préconiser des solutions dont l'efficacité devait être testée.
Concernant la procédure de suspension pour impayés, Direct Energie soutient que l'absence d'interdiction spécifique n'implique pas pour autant que ERDF puisse faire varier comme il l'entend ses obligations. Direct Energie affirme, d'une part, que l'opposition physique du client ne remplit pas les critères de la force majeure en ce qu'elle n'est ni irrésistible ni imprévisible, d'autre part, Direct Energie conteste que le mécanisme établit par l'article 5.5 du contrat GRD-F constitue un juste équilibre entre le fournisseur et ERDF.
Concernant le mode de paiement des factures, Direct Energie soutient à nouveau que l'absence d'interdiction spécifique n'implique pas pour autant que ERDF puisse faire varier comme il l'entend ses obligations. Direct Energie affirme en outre que le prélèvement automatique du TURPE sur le compte du fournisseur contrevient à l'article 3 du décret n° 2001-365. Elle soutient également que la méthode de prélèvement automatique ne peut conduire à une application correcte de l'article 5 du même décret, en ce qu'ERDF ne peut déterminer unilatéralement le montant à prélever dans la mesure où il est dans l'incapacité de connaître les montants effectivement versés au fournisseur par les clients finals au titre de l'accès au réseau. Enfin, Direct Energie conteste qu'il s'agisse d'un usage commercial communément admis.
Concernant l'exigence d'une garantie bancaire à première demande, Direct Energie soutient à nouveau que l'absence d'interdiction spécifique n'implique pas pour autant que ERDF puisse faire varier comme il l'entend ses obligations. Direct Energie affirme en outre que, combinée aux stipulations du contrat GRD-F en matière d'impayés, cette exigence conduit à obliger le fournisseur à garantir à ERDF de manière absolue le paiement des sommes dues par le client final. Direct Energie soutient qu'un tel mécanisme est contraire au double mécanisme de représentation que le comité de règlement des différends et de sanctions a considéré comme mis en place par le schéma contractuel issu du contrat GRD-F. Direct Energie prétend enfin qu'une telle exigence n'est pas proportionnée aux risques encourus par ERDF et ne constitue pas une pratique communément admise, mais plutôt une entrave au développement de la concurrence, dans la mesure où elle pourrait conduire à l'éviction d'un fournisseur du marché.


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Vu les observations du 7 octobre 2010 par lesquelles ERDF persiste dans ses précédentes conclusions.
ERDF soutient n'avoir procédé à aucun « aménagement à sa guise du contrat GRD-F » et prétend que la politique commerciale de recouvrement d'une entreprise conditionne directement son taux d'impayés.
Elle rappelle que les clauses du contrat CARD et du contrat GRD-F peuvent différer dès lors que les clients finals sont traités de manière identique.
Elle ajoute que les prises de positions de la CRE sur le sujet des impayés ont été répétées et expressément reprises dans son rapport annuel d'activité 2004.
Elle rappelle que toute modification du dispositif actuellement applicable, notamment via des évolutions du contrat GRD-F, ne saurait donc être effectuée sans une modification préalable du TURPE.
Elle observe que l'article 5 du décret n° 2001-365 du 26 avril 2001 qui dispose que « le fournisseur reverse au gestionnaire de réseau les sommes qu'il a perçues au titre de l'utilisation de ce réseau » est insérée dans un paragraphe spécifiquement consacré aux tarifs réglementés de vente et ne traite à aucun moment des impayés. Elle en déduit qu'on ne peut se référer à ce texte ambigu pour trancher la question de la prise en charge du risque des impayés. Elle soutient que le IV bis de l'article 22 de la loi du 7 décembre 2006 confirme que le fournisseur est tenu d'assurer les paiements des sommes dues au titre des tarifs d'utilisation des réseaux, sans qu'il y ait lieu de faire une quelconque distinction entre les sommes effectivement payées par les consommateurs finals et les sommes impayées.
S'agissant de la procédure de suspension pour impayés, ERDF rappelle qu'en cas d'opposition physique du client elle ne pourrait procéder à la suspension de l'accès au réseau public qu'avec le concours de la force publique et sur autorisation du juge et que la lourdeur d'un tel procédé ne parait pas réaliste.
Concernant le mode de paiement, ERDF rappelle que l'utilisation du prélèvement automatique n'est pas inhabituelle entre commerçants et observe que Direct Eneregie l'impose dans certains cas à ses clients.
Concernant la garantie bancaire, ERDF rappelle qu'elle estime que cette garantie est strictement proportionnée puisque son montant est fixé en fonction du chiffre d'affaires de référence du fournisseur.


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Vu la loi n° 2000-108 du 10 février 2000 modifiée relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité, notamment son article 38 ;
Vu le décret n° 2000-894 du 11 septembre 2000 modifié relatif aux procédures applicables devant la Commission de régulation de l'énergie ;
Vu le décret n° 2001-365 du 26 avril 2001 relatif aux tarifs d'utilisation des réseaux publics de transport et de distribution d'électricité ;
Vu le décret n° 2008-780 du 13 août 2008 relatif à la procédure applicable en cas d'impayés des factures d'électricité, de gaz, de chaleur et d'eau ;
Vu la proposition de la Commission de régulation de l'énergie du 26 février 2009 relative aux tarifs d'utilisation des réseaux publics de transport et de distribution d'électricité ;
Vu la décision du 5 juin 2009 du ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi et du ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de l'aménagement du territoire relative aux tarifs d'utilisation des réseaux publics de transport et de distribution d'électricité ;
Vu la décision du 20 février 2009 relative au règlement intérieur du comité de règlement des différends et des sanctions de la Commission de régulation de l'énergie ;
Vu la décision du 21 juillet 2010 du président du comité de règlement des différends et des sanctions de la Commission de régulation de l'énergie relative à la désignation d'un rapporteur et d'un rapporteur adjoint pour l'instruction de la demande de règlement de différend enregistrée sous le numéro 05-38-10 ;
Vu la décision du 13 septembre 2010 du comité de règlement des différends et des sanctions de la Commission de régulation de l'énergie relative à la prorogation du délai d'instruction de la demande de règlement de différend introduite par la société Direct Energie.


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Les parties ayant été régulièrement convoquées à la séance publique du comité de règlement des différends et des sanctions, qui s'est tenue le 22 octobre 2010, en présence de :
M. Pierre-François Racine, président du comité de règlement des différends et des sanctions, Mme Dominique Guirimand, Mme Sylvie Mandel et M. Roland Peylet, membres du comité de règlement des différends et des sanctions ;
Mme Christine Le Bihan-Graf, directeur général ;
M. Mathieu Cacciali, rapporteur et M. Blaise Rapior, rapporteur adjoint ;
Les représentants de la société Direct Energie, assistés de Me Olivier Fréget et Me Marie Potel-Saville ;
Les représentants de la société ERDF, assistés de Me Emmanuel Guillaume,
Après avoir entendu :
― le rapport de M. Mathieu Cacciali, présentant les moyens et les conclusions des parties ;
― les observations de Me Olivier Fréget, pour la société Direct Energie ; la société Direct Energie persiste dans ses moyens et conclusions ;
― les observations de Mme Nathalie Dostert pour la société Poweo ; la société Poweo rappelle qu'elle rencontre les mêmes difficultés en matière d'impayés et partage l'ensemble des conclusions de la société Direct Energie. Elle indique que le transfert des impayés tel qu'il est aménagé par le contrat GRD-F aujourd'hui constitue une barrière à l'entrée.
― les observations de Me Emmanuel Guillaume, pour la société ERDF ; la société ERDF persiste dans ses moyens et conclusions.
Aucun report de séance n'ayant été sollicité.
Le comité de règlement des différends et des sanctions en ayant délibéré le 22 octobre 2010, après que les parties, le rapporteur, le rapporteur adjoint, le public et les agents des services se sont retirés.


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Les faits :
Il ressort des pièces du dossier que, le 19 janvier 2009, Direct Energie a signé la nouvelle version du contrat GRD-F modifiée à la suite de la décision du comité de règlement des différends et des sanctions en date du 7 avril 2008 et de la concertation qui s'en est suivie.
Dans un courrier du 19 janvier 2009 qu'elle a adressé à ERDF, Direct Energie faisait part de son regret « que cette procédure de concertation n'ait pas été mise à profit pour aborder ses demandes d'améliorations portant sur d'autres points du contrat » et demandait, en conséquence, « que ce contrat soit exécuté de manière pragmatique permettant, dans les faits, la mise en œuvre des améliorations souhaitées ».
Le 7 juillet 2009, Direct Energie a sollicité d'ERDF le remboursement des sommes correspondant selon elle aux « pertes, avances et frais » liés aux impayés qu'elle estimait supporter au titre de la prestation d'ERDF.
Le 20 juillet 2009, ERDF a opposé une fin de non-recevoir à Direct Energie, estimant que sa demande reposait sur une analyse erronée de la décision du comité de règlement des différends et des sanctions en date du 7 avril 2008 et du contrat GRD-F.
Le 3 décembre 2009, Direct Energie a suspendu à titre provisoire le paiement de toute somme due à ERDF au titre du contrat GRD-F jusqu'à « complet apurement de la dette de cette dernière ».
Après avoir mis en demeure Direct Energie les 17 décembre 2009, 8 février et 26 avril 2010, de régler les sommes en cause, le 12 mai 2010, ERDF a appelé la garantie bancaire à première demande constituée par Direct Energie en application du contrat GRD-F et a mis en demeure cette dernière de reconstituer cette garantie en application de l'article 8.1 du même contrat.
Le 5 juillet 2010, ERDF a mis une nouvelle fois en demeure Direct Energie de régulariser sa situation au regard de ses obligations contractuelles sous dix jours, sous peine « de tirer toutes les conséquences contractuelles de ce nouveau manquement ».
C'est dans ces conditions que, le 20 juillet 2010, Direct Energie a saisi le comité de règlement des différends et sanctions d'une demande au fond et de mesures conservatoires.
Toutefois, le 13 août 2010, eu égard aux assurances données par ERDF, Direct Energie a déclaré se désister de sa demande de mesures conservatoires l'opposant à ERDF « sans préjudice de sa demande au fond au titre de sa demande de règlement de différend ».
Par décision du 13 septembre 2010, le président du comité de règlement des différends et des sanctions lui a donné acte de son désistement de sa demande de mesures conservatoires.


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Sur la compétence du comité de règlement des différends et des sanctions
ERDF soutient que, « dans la mesure où les demandes de Direct Energie tendent à ce que le comité de règlement des différends et des sanctions modifie les dispositions claires d'un contrat conclu et en cours d'exécution entre les parties, le comité ne pourra que déclarer irrecevables les demandes présentées par Direct Energie. »
Aux termes de l'article 38 de la loi du 10 février 2000, le comité de règlement des différends et des sanctions peut être saisi d'une demande de règlement de différend « en cas de différend entre les gestionnaires et les utilisateurs des réseaux publics de transport ou de distribution d'électricité [...] lié à l'accès auxdits réseaux, ouvrages et installations ou à leur utilisation, notamment en cas de refus d'accès ou de désaccord sur la conclusion, l'interprétation ou l'exécution des contrats [...] visés à l'article 23 de la présente loi ».
En l'espèce, le différend qui oppose Direct Energie à ERDF est lié à l'exécution d'un contrat conclu dans les conditions prévues par l'article 23 de la loi du 10 février 2000.
ERDF n'est donc fondée à prétendre ni que la saisine de Direct Energie ne serait pas recevable ni que le comité de règlement des différends et des sanctions ne serait pas compétent pour en connaître.
Sur les conclusions tendant à ce que le contrat GRD-F prévoie une situation strictement identique à celle du contrat CARD
Direct Energie demande au comité de règlement des différends et des sanctions d'enjoindre à ERDF de proposer une nouvelle version du contrat GRD-F qui prévoirait « une situation strictement identique à celle du contrat (CARD) dans tous les cas où la loi ou les cahiers des charges de concession publique n'en dispose pas autrement ».
L'article 23 de la loi du 10 février 2000, en son septième alinéa dispose que : « Les gestionnaires des réseaux publics de distribution concluent, avec toute entreprise vendant de l'électricité à des clients éligibles qui le souhaitent, un contrat ou, si cette entreprise et le gestionnaire ne sont pas des personnes morales distinctes, un protocole relatif à l'accès aux réseaux pour l'exécution des contrats de fourniture conclus par cette entreprise avec des consommateurs finals éligibles. Lorsqu'une entreprise ayant conclu un tel contrat ou protocole assure la fourniture exclusive d'un site de consommation, le consommateur concerné n'est pas tenu de conclure lui-même un contrat d'accès aux réseaux pour ce site. »
L'article L. 121-92 du code de la consommation prévoit que « Le fournisseur est tenu d'offrir au client la possibilité de conclure avec lui un contrat unique portant sur la fourniture et la distribution d'électricité ou de gaz naturel. Ce contrat reproduit en annexe les clauses réglant les relations entre le fournisseur et le gestionnaire de réseau, notamment les clauses précisant les responsabilités respectives de ces opérateurs. Outre la prestation d'accès aux réseaux, le consommateur peut, dans le cadre du contrat unique, demander à bénéficier de toutes les prestations techniques proposées par le gestionnaire du réseau. Le fournisseur ne peut facturer au consommateur d'autres frais que ceux que le gestionnaire du réseau lui a imputés au titre d'une prestation. »
En instituant le contrat unique, le législateur a entendu simplifier le dispositif de souscription des contrats, en dispensant le client final de conclure directement et parallèlement à son contrat de fourniture un contrat d'accès au réseau avec le gestionnaire du réseau public de distribution. Il résulte des travaux préparatoires de la loi du 3 janvier 2003, qui a modifié la loi du 10 février 2000, que la mise en œuvre du contrat unique a pour but de permettre la conclusion, par les fournisseurs, de contrats d'accès au réseau au nom et pour le compte de leurs clients.
Si en elles-mêmes les situations juridiques issues respectivement du contrat unique et du contrat CARD sont différentes, le contrat unique n'a pas pour objet et ne pourrait avoir pour effet de modifier les responsabilités respectives du gestionnaire de réseaux, du fournisseur et du client final, telles qu'elles découlent de la loi et des textes pris pour son application.
Il en résulte que les droits et obligations du gestionnaire du réseau à l'égard du fournisseur ne peuvent, sous couvert de la mission confiée au fournisseur auprès du client dans le cadre de la conclusion du contrat unique, être aménagés de telle sorte qu'ils aboutiraient à faire supporter au seul fournisseur l'intégralité d'un risque qui s'attache à l'exercice par le gestionnaire de réseau de sa mission de service public.
Aussi, lorsque, au titre du contrat GRD-F, ils réalisent des tâches ou supportent des coûts pour le compte du gestionnaire de réseau auprès du client final, les fournisseurs doivent être placés dans une situation équivalente à celle du gestionnaire de réseau dans le cadre d'un contrat CARD.
Par suite, les stipulations du contrat GRD-F, qui assurent l'effectivité de l'alimentation du client final et la mise en œuvre du contrat unique, doivent permettre au fournisseur de bénéficier pour les tâches réalisées et les coûts supportés pour le compte du gestionnaire de réseau des mêmes conditions que celles dont le gestionnaire de réseau bénéficie dans le cadre du contrat d'accès au réseau.
Sur la modification de l'article 7.1 du contrat GRD-F relatif à la charge des impayés
L'article 7.1 du contrat GRD-F prévoit que « ERDF facture au fournisseur ― a priori journellement ― les tarifs d'utilisation des réseaux applicables aux points de livraison dont elle met à disposition les données de comptage, et recouvre les sommes dues auprès du fournisseur. / Les montants facturés par ERDF au fournisseur comprennent les frais correspondant aux prestations réalisées. / Le fournisseur recouvre les sommes dues auprès du client, et assume le risque financier de non-paiement de celui-ci pour l'intégralité de la facture. »
Direct Energie demande au comité de règlement des différends et des sanctions d'enjoindre à ERDF de proposer une nouvelle version de l'article 7.1 du contrat GRD-F prévoyant en substance qu'en cas d'impayés par le client final, le fournisseur ne soit pas tenu de verser à ERDF la part acheminement correspondante et qu'ERDF fasse son affaire du recouvrement du prix de sa propre prestation, comme il le fait en cas de contrat CARD.
ERDF soutient en premier lieu qu'il résulte du IV bis de l'article 22 de la loi du 10 février 2000, dans sa rédaction issue de la loi n° 2006-1537 du 7 décembre 2006, qu'il incombe au fournisseur d'assurer dans tous les cas le paiement des sommes dues au titre des tarifs d'utilisation des réseaux publics résultant des contrats qu'il a conclus avec un gestionnaire de réseau en application du septième alinéa de l'article 23 de la loi du 10 février 2000.
Le IV bis de l'article 22 de la loi du 10 février 2000 dispose que : « ― Afin de prendre en compte le bon fonctionnement, la sécurité et la sûreté des réseaux publics d'électricité et de contribuer à la protection des consommateurs contre les défaillances des fournisseurs ainsi qu'à la continuité de leur approvisionnement, le ministre chargé de l'énergie peut interdire sans délai l'exercice de l'activité d'achat pour revente d'un fournisseur lorsque ce dernier ne s'acquitte plus des écarts générés par son activité, lorsqu'il ne satisfait pas aux obligations découlant du quatrième alinéa du V de l'article 15, lorsqu'il ne peut plus assurer les paiements des sommes dues au titre des tarifs d'utilisation des réseaux résultant des contrats qu'il a conclus avec des gestionnaires de réseaux en application du septième alinéa de l'article 23 ou lorsqu'il tombe sous le coup d'une procédure collective de liquidation judiciaire. »
Toutefois il ressort des termes mêmes de ce paragraphe qu'il a pour seul objet de définir les cas dans lesquels le ministre chargé de l'énergie peut interdire l'activité d'achat pour revente d'un fournisseur. Il ne saurait donc être interprété comme imposant au seul fournisseur la charge des impayés relatifs à la part acheminement.
En second lieu, ERDF prétend que la composante annuelle de gestion prévue par les tarifs d'utilisation des réseaux publics de transport et de distribution d'électricité (TURPE) est moins élevée dans le cas d'un contrat unique que dans le cas d'un contrat CARD et que cette différence aurait été calculée précisément pour permettre au fournisseur de prendre à son compte la charge des impayés relatifs à la part acheminement en contrat unique.
Mais ni les pièces du dossier ni la décision tarifaire du 5 juin 2009 ne permettent de retenir une telle interprétation. En effet, si la décision du 5 juin 2009 prévoit que le dispositif tarifaire relatif à la composante de gestion mis en place lors de la précédente décision tarifaire « est reconduit, à savoir, la facturation explicite des frais de gestion sous la forme d'un terme fixe appliqué à tous les utilisateurs (producteurs, consommateurs et gestionnaires de réseaux) en fonction de leur domaine de tension de raccordement. Ce dispositif différencie les utilisateurs qui disposent d'un contrat d'accès au réseau séparé de leur contrat de fourniture d'énergie et ceux qui disposent d'un contrat unique avec leur fournisseur (...) (et que) pour ces derniers, les frais de gestion supportés par les gestionnaires de réseaux de distribution sont réduits par le fait qu'une large part des activités de gestion des dossiers par les gestionnaires de réseaux est réalisée par les fournisseurs qui en répercutent le coût à leurs clients dans un cadre concurrentiel », les tarifs d'utilisation des réseaux publics d'électricité ne déterminent explicitement aucun montant particulier qui correspondrait aux impayés.
ERDF ne saurait dès lors se prévaloir de la composante annuelle de gestion pour faire supporter contractuellement par le fournisseur, la charge des impayés correspondant à la part acheminement.
Au surplus Direct Energie se prévaut de l'article 5 du décret n° 2001-365 du 26 avril 2001 pris pour l'application de la loi du 10 février 2000, lequel dispose que :
« I. ― Les tarifs d'utilisation des réseaux publics servent à l'établissement de la facture qui est adressée à l'utilisateur par le gestionnaire de réseau avec lequel il a conclu un contrat d'accès au réseau.
Lorsque le fournisseur a conclu un contrat d'accès au réseau en application du septième alinéa de l'article 23 de la loi du 10 février 2000 susvisée, il facture simultanément à son client la fourniture d'énergie et l'utilisation des réseaux publics. Il identifie sur la facture le montant correspondant à l'utilisation des réseaux publics par son client.
Pour les clients non éligibles et les clients éligibles n'ayant pas exercé leur éligibilité, le fournisseur applique le tarif de vente aux clients non éligibles. Les factures indiquent, pour la catégorie tarifaire concernée, la proportion correspondant aux coûts d'utilisation des réseaux publics. Le fournisseur reverse au gestionnaire de réseau les sommes qu'il a perçues au titre de l'utilisation de ce réseau. »
ERDF soutient que cette dernière phrase invoquée par Direct Energie ne concerne que les offres en tarifs réglementés de vente.
Il doit être observé que l'article 5 pris dans son ensemble traite des tarifs d'utilisation des réseaux publics et a pour objet de faire apparaître distinctement sur les factures dans tous les cas le montant correspondant au coût d'utilisation des réseaux publics par le client, quelle que soit la situation de ce dernier. Dès lors, la portée de la disposition selon laquelle le fournisseur ne reverse au gestionnaire de réseau pour la part acheminement que les sommes qu'il a perçues dépasse le seul cas des tarifs réglementés de vente et peut être regardée comme s'appliquant également au contrat unique.
Il résulte donc de l'ensemble de ce qui précède que, pour reverser au gestionnaire de réseau les sommes dues au titre de l'utilisation du réseau, le fournisseur doit les avoir préalablement recouvrées auprès du client final. Il ne peut en être autrement que dans les cas où le fournisseur n'a pas effectué toutes les diligences requises pour recouvrer les sommes concernées, en particulier celles prévues par le décret n° 2008-780 du 13 août 2008 susvisé.
ERDF devra donc mettre en conformité l'article 7.1 du contrat GRD-F avec ce qui précède.
Sur la modification de l'article 5.5 du contrat GRD-F
L'article 5.5 du contrat GRD-F prévoit que « Le fournisseur peut, s'il a respecté ses obligations d'information préalable du client selon les modalités définies par le cahier des charges de concession applicable, demander à ERDF de suspendre l'accès au RPD. [...] Si ERDF se trouve dans l'impossibilité de réaliser la prestation demandée en raison de la survenance d'un cas de force majeure, et notamment du fait de l'opposition physique du client, ERDF est libérée de son obligation ».
Direct Energie demande au comité de règlement des différends et des sanctions d'enjoindre à ERDF de modifier l'article 5.5 du contrat GRD-F « afin qu'il prévoie que la procédure de suspension en cas d'impayés soit strictement la même en cas de CARD ou de contrat GRD-F, l'opposition du client à la suspension ne devant plus être un "cas de force majeure” libérant ERDF de ses obligations. »
Ainsi qu'il est dit plus haut, si en elles-mêmes les situations juridiques issues du contrat unique et du contrat CARD sont différentes, le contrat unique n'a pas pour objet et ne pourrait avoir pour effet de modifier les responsabilités respectives du gestionnaire de réseau, du fournisseur et du client final, telles qu'elles découlent de la loi et des textes pris pour son application.
L'exécution par ERDF de sa prestation de suspension pour impayés, au regard de la force majeure, doit donc se faire dans les mêmes conditions, que le client ait conclu un contrat unique ou un contrat CARD.
Dès lors, il y a lieu d'inviter ERDF à retenir des conditions identiques de force majeure dans le contrat GRD-F et dans le contrat CARD.
Sur la modification de l'article 7.7.5 du contrat GRD-F
Direct Energie demande au comité de règlement des différends et des sanctions d'enjoindre à ERDF de modifier l'article 7.7.5 du contrat GRD-F afin qu'il prévoie que le paiement des sommes dues par le fournisseur est effectué par le mode de paiement choisi par le fournisseur.
L'article 7.7.5 du contrat GRD-F stipule : « Le règlement est effectué par prélèvement bancaire sur un compte spécifié par le fournisseur à la date de règlement inscrite sur la facture. »
Le mode de paiement unique imposé par un contrat est une clause abusive dans les contrats entre professionnels et consommateurs ou non-professionnels, au sens de l'article L. 132-1 du code de la consommation.
Cette protection implique, notamment, que le contrat d'accès au réseau conclu entre ERDF et le client final entendu comme un non-professionnel au sens du code de la consommation prévoie différents modes de paiement dans le cadre du contrat d'accès au réseau conclu avec un non-professionnel.
Une telle protection ne s'applique pas au contrat GRD-F conclu entre ERDF et Direct Energie, professionnels au sens du droit de la consommation.
Par ailleurs, aucun mode de paiement particulier n'est imposé par les textes concernant les relations entre professionnels. Les parties sont donc libres d'encadrer contractuellement le mode de paiement qu'elles estiment adéquat.
Dans ces conditions, il n'y a donc pas lieu d'inviter ERDF à modifier l'article 7.7.5 du contrat GRD-F.
Sur la modification de l'article 8 du contrat GRD-F
L'article 8 du contrat GRD-F prévoit une garantie bancaire à première demande qui peut être appelée par le gestionnaire du réseau de distribution en cas de défaut de paiement du fournisseur à l'occasion de l'exécution du contrat GRD-F.
Direct Energie demande au comité de règlement des différends et des sanctions d'enjoindre à ERDF de supprimer cet article 8 du contrat GRD-F afin que ne soit plus imposée au fournisseur la constitution d'une quelconque garantie de paiement, que la loi n'exige pas.
Toutefois, aucune disposition législative ou réglementaire n'interdit la constitution d'une telle garantie dès lors qu'elle est prévue en considération d'une obligation souscrite par un tiers.
Dans le cadre du contrat unique, le gestionnaire de réseau supporte un risque financier notamment en cas de défaut de paiement du fournisseur lorsque celui-ci a recouvré la part acheminement du tarif d'utilisation des réseaux auprès du client final.
Par suite, et sans préjudice de l'appréciation que le juge du contrat ou l'autorité de la concurrence pourrait porter sur son caractère proportionné, le principe même de la garantie bancaire à première demande prévue à l'article 8 du contrat GRD-F ne parait pas contestable au regard du risque supporté par ERDF. Il n'y a donc pas lieu d'inviter ERDF à modifier le contrat GRD-F sur ce point.


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Il résulte de l'ensemble de ce qui précède qu'ERDF devra proposer à Direct Energie un nouveau contrat GRD-F conforme aux principes rappelés dans la présente décision selon lesquels :
― le contrat GRD-F ne peut avoir pour objet ou pour effet de faire supporter au seul fournisseur l'intégralité du risque d'impayés ; pour reverser au gestionnaire de réseau les sommes perçues au titre de l'utilisation du réseau, le fournisseur doit les avoir préalablement recouvrées auprès du client final ; l'article 7.1 du contrat GRD-F devra donc être modifié en ce sens ;
― l'exécution par ERDF de sa prestation de suspension pour impayés, au regard de la force majeure, doit se faire dans les mêmes conditions, que le client soit en contrat unique ou en contrat CARD ; ERDF doit retenir des conditions identiques de force majeure dans le contrat GRD-F et dans le contrat CARD ; l'article 5.5 du contrat GRD-F devra également être modifié en ce sens.
ERDF devra transmettre ce nouveau contrat GRD-F dans un délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision. A défaut de parvenir à un accord sanctionné par la signature du nouveau contrat GRD-F, les parties pourront saisir à nouveau le comité de règlement des différends et des sanctions pour apprécier la conformité du nouveau projet de contrat aux principes de la présente décision.


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Décide :