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Article AUTONOME (Décision n° 2010-0402 du 8 avril 2010 portant sur la définition des marchés pertinents des services de capacité, la désignation d'opérateurs exerçant une influence significative sur ces marchés et les obligations imposées à ce titre)

Article AUTONOME (Décision n° 2010-0402 du 8 avril 2010 portant sur la définition des marchés pertinents des services de capacité, la désignation d'opérateurs exerçant une influence significative sur ces marchés et les obligations imposées à ce titre)



2. Le marché de détail


La recommandation de la Commission européenne concernant les marchés pertinents de produits et services dans le secteur des communications électroniques n'a pas recensé au titre des marchés pertinents le marché de détail.


Barrières à l'entrée


En première approche, l'entrée sur ce marché nécessite un coût d'investissement important, en particulier parce qu'il est impossible, techniquement et économiquement, de dupliquer non seulement la boucle locale mais aussi le réseau de desserte interrépartiteur de France Télécom. Le niveau des investissements nécessaires des opérateurs comparés aux revenus procurés par les services reste une barrière économique à l'entrée très élevée, notamment pour les opérateurs qui ne sont présents que sur un seul marché professionnel.
Par ailleurs, France Télécom, en sa qualité d'opérateur historique, dispose de nombreux avantages. Tout d'abord, il bénéficie d'importantes économies d'échelle et de gamme grâce à l'importance de ses volumes de production. Il dispose également d'une gamme de services plus étendue que celle des opérateurs alternatifs.
Enfin, le marché des services de capacité est caractérisé par des coûts de changement d'opérateurs très élevés qui poussent les entreprises à réaliser des lots importants, d'une durée assez longue, et à réduire le nombre de fournisseurs pour ce type de services, tendances qui favorisent l'opérateur en place. Par conséquent, les opérateurs en place, et en particulier l'opérateur historique, disposent de conditions plus favorables que les éventuels nouveaux entrants.
Néanmoins, l'introduction des offres de gros du segment terminal de services de capacité, d'une part, et le développement du dégroupage et du bitstream professionnel, d'autre part, permettent aux opérateurs d'adresser à moindres coûts le marché de détail. De même, le déploiement d'infrastructures optiques en propre permet d'accéder aux sites des clients pour leur fournir des services de plus de 10 Mbit/s, même s'il se limite aux principales zones d'activités économiques réunissant suffisamment de demande potentielle pour rentabiliser les investissements.
La mise en œuvre d'obligations adaptées sur les marchés de gros sous-jacents tend à abaisser les barrières à l'entrée sur le marché de détail des services de capacité. Celles-ci demeurent néanmoins élevées, notamment sur la fourniture de services de capacité sur cuivre.


Absence d'évolution vers une situation de concurrence effective


A ce stade, l'Autorité constate que les parts de marchés des opérateurs ont peu évolué durant le dernier cycle d'analyse de marché. Néanmoins, cette évolution est plus significative sur certains segments de marchés.
Ainsi, il semble que, dans les zones où les opérateurs sont présents avec des infrastructures en propre depuis assez longtemps, ceux-ci sont en mesure de proposer des offres attractives avec notamment un niveau élevé de qualité de service. Par ailleurs, l'appétence croissante des entreprises pour les offres en Ethernet, qui peuvent être livrées en DSL pour les débits les plus faibles, semblent offrir aux opérateurs entrants la possibilité de proposer des offres attractives. Cela traduit un mouvement de fond, s'inscrivant dans la durée, qui apparaît en tout état de cause assuré sur le long terme.


Insuffisance du droit de la concurrence
pour remédier aux problèmes de concurrence constatés


Il convient de rappeler que l'Autorité se doit de privilégier la régulation des marchés de gros pour permettre une concurrence effective sur les marchés de détail situés en aval.
Le marché de détail des services de capacité, comme l'ensemble des marchés « entreprises » est caractérisé par une certaine opacité, en raison du mode de contractualisation, qui permet une négociation entre les parties mais aussi en raison de la possibilité donnée aux acteurs de proposer des offres sur mesure. En effet, le caractère « multisite » des clients conduit les opérateurs à formuler des offres qui peuvent s'appuyer sur un ensemble de produits techniques différents (support DSL, support liaisons louées, en propre ou par le biais d'offres de gros), rendant la comparaison des offres difficile, voire conduisant à la formulation d'offres sur mesure.
En particulier, France Télécom, compte tenu, d'une part, de son statut privilégié d'ancien monopole et, d'autre part, de l'influence significative qu'elle exerce sur les différents marchés de gros amont, est en mesure de mettre en œuvre des pratiques ciblées sur le marché de détail des services de capacité, par le biais de négociations et d'offres sur mesure purement tarifaires, c'est-à-dire non fondées sur l'adaptation spécifique des offres de gros existantes à une problématique technique bien identifiée.
Sans obligations supplémentaires sur les marchés de gros, le droit de la concurrence n'est pas nécessairement le mieux outillé pour traiter ce genre de spécificités et garantir une concurrence effective sur le marché de détail. Compte tenu des difficultés à accéder aux informations pertinentes nécessaires à l'instruction et des délais particulièrement longs qui en découlent, les procédures devant l'Autorité de la concurrence ne sont pas toujours adaptées à l'urgence des situations. Il peut lui être difficile par exemple d'appréhender, en l'absence d'obligations spécifiques sur les marchés de gros, en particulier à l'occasion d'une demande d'intervention en mesures conservatoires, une seule offre sur mesure qui, sans nécessairement être prédatrice, pourrait avoir pour effet d'évincer les concurrents potentiels en raison de l'impossibilité de réplicabilité de cette offre.
A ce titre, lors du premier cycle d'analyse des marchés des services de capacité, l'Autorité avait interdit à France Télécom, en tant qu'opérateur exerçant une influence significative sur le marché de détail des services de capacité, de proposer des offres sur mesure purement tarifaires sur le marché de détail des services de capacité, qui ne seraient pas justifiées par des critères techniques permettant de répondre à une demande spécifique.
A l'occasion du nouveau cycle d'analyse des marchés, l'Autorité estime nécessaire d'analyser l'évolution de cette situation au regard, d'une part, du développement progressif de la concurrence sur le marché de détail des services de capacité, notamment pour les accès produits sur fibre optique, et, d'autre part, de la mise en œuvre d'une régulation adaptée sur les marchés de gros amont. Avec la levée de l'interdiction pour France Télécom de proposer des offres sur mesure purement tarifaires, le risque de pratiques discriminatoires sur le marché de détail, visant à évincer les opérateurs concurrents, et qui ne sauraient être traitées par le droit de la concurrence dans un calendrier satisfaisant en l'absence de remèdes adaptés imposés sur les marchés de gros, reste néanmoins avéré.
Dans cette optique, la mise en place d'un dispositif de surveillance adapté sur les marchés de gros, à travers la communication par France Télécom, pour ses principales offres sur mesure, des « briques » de base du marché de gros utilisées pour la constituer, dans le cadre de la régulation du marché de gros amont du segment terminal de service de capacité, en vue d'accompagner la levée de la régulation du marché de détail des services de capacité, semble particulièrement adaptée.
En outre, la mise en œuvre d'obligations sur les marchés de gros en vue d'assurer une réplicabilité des offres de détail, notamment des offres sur mesure, et une surveillance des espaces économiques qui pourraient ne pas être appréhendés par le seul droit de la concurrence, semble pouvoir conduire à une situation dans laquelle le droit de la concurrence sera en mesure de sanctionner les agissements anticoncurrentiels qui pourraient intervenir sur le marché de détail.
Dans son avis en date du 30 octobre 2009, l'Autorité de la concurrence note à ce titre qu'une « obligation d'information, postérieurement à la remise de l'offre, permettrait à l'ARCEP de disposer des informations relatives aux offres sur mesure faites par l'opérateur historique, sur ce marché traditionnellement caractérisé par une forte opacité », ce qui pourra « faciliter l'examen de ces pratiques par l'Autorité [de la concurrence]. »


3. Le marché de gros des prestations du segment terminal


La recommandation de la Commission européenne du 17 décembre 2007 recense au titre des marchés pertinents le marché de gros des prestations de segment terminal en tant que sixième marché.
Elle a ainsi estimé qu'il existait sur ces marchés des obstacles à une concurrence effective tels qu'une régulation ex ante pourrait être considérée comme nécessaire.


Barrières à l'entrée


Il existe sur le marché de gros des prestations de segment terminal de fortes barrières à l'entrée, notamment en raison d'une infrastructure d'accès aux sites finaux difficile à dupliquer de manière économiquement raisonnable et des effets d'échelle importants qui sont susceptibles de conduire un opérateur disposant d'une forte part de marché à exercer une influence significative sur ce marché.
Ainsi France Télécom est le seul à disposer d'une boucle locale lui permettant de couvrir l'ensemble du territoire pour offrir des prestations de gros sur cuivre et, pour une part importante des entreprises, sur fibre.
France Télécom fait remarquer dans sa réponse à la consultation publique que les offres combinées des marchés 4 et 5, relatifs respectivement aux infrastructures physiques constitutives de la boucle locale filaire et aux offres d'accès haut débit activées livrées au niveau régional, permettent selon lui de répliquer ses offres de détail de services de capacités fournis sur support cuivre, et qu'il n'existerait ainsi pas de barrières à l'entrée sur le marché de gros du segment terminal.
L'Autorité maintient cependant son analyse car il existe des différences significatives entre les services de capacité et les produits des marchés 4 et 5. En effet, les services de capacité offrent une couverture géographique plus étendue, des niveaux de qualité de service plus élevés que les offres de dégroupage et de bitstream, ce qui a justifié la définition d'un marché distinct.


Absence d'évolution vers une situation de concurrence effective
à horizon de la présente analyse


Cette situation de concurrence est peu susceptible d'évolution du fait du maintien des barrières à l'entrée structurelles, notamment en raison du contrôle du réseau d'accès cuivre par un unique opérateur qui revêt le caractère d'infrastructure essentielle, et qu'il n'est pas envisageable de répliquer économiquement pour concurrencer France Télécom sur le segment du marché de gros des prestations du segment terminal.
Par ailleurs, il apparaît que le déploiement d'infrastructures alternatives pour les réseaux de boucle locale optique a été relativement limité au cours de la période couverte par la précédente décision d'analyse de marché, et que cette situation, qui semble pour le moment limité aux zones les plus denses en entreprises, n'est que peu susceptible d'évolution au cours des trois prochaines années.


Insuffisance du droit de la concurrence pour remédier seul
aux problèmes de concurrence constatés


Dans ces conditions, l'ouverture de ce marché n'est possible que par l'intervention d'une régulation ex ante, qui dispose d'outils adaptés pour réguler l'accès, y compris au plan tarifaire, sur un terme suffisamment long pour qu'une concurrence pérenne puisse se développer. Ces outils spécifiques à la régulation ex ante sont notamment la publication d'une offre de référence, des obligations concernant le niveau tarifaire des offres ou encore la mise en place et le suivi d'obligations comptables et d'audit des coûts. Le seul droit de la concurrence apparaît donc comme insuffisant pour remédier aux problèmes de concurrence structurels existant sur ce marché.


4. Le marché de gros des prestations du segment interurbain


La recommandation de la Commission européenne susvisée n'a pas recensé au titre des marchés pertinents le marché de gros des prestations de segment interurbain.
Néanmoins, la recommandation indique que la situation pourrait différer selon les pays et que les ARN pourraient être amenées à considérer que la régulation sur les marchés de gros sur certains circuits interurbains est encore nécessaire :
« Individual NRAs may be in a position to demonstrate that trunk segments of leased lines continue to fulfill the three criteria and are susceptible to ex ante regulation. Whilst it might be considered that competition law can address the failure on such thin routes, it is unrealistic to rely solely on competition law for as long as the number of unduplicated trunk routes in a country remains high, considering the general costing and pricing principles that would have to be applied throughout the network. »
Dans ce qui suit, l'Autorité analyse la pertinence de chacun des marchés de services identifiés précédemment sur le marché des prestations de gros sur le segment interurbain :
― le marché intraterritorial sur le territoire national (c'est-à-dire en métropole, dans les départements et collectivités d'outre-mer) ;
― les marchés interterritoriaux suivants :
― métropole-Martinique ;
― métropole-Guadeloupe ;
― métropole-Guyane ;
― métropole-Réunion ;
― Martinique-Guyane ;
― Martinique-Guadeloupe.


Le marché de gros des prestations du segment interurbain intraterritorial


Au cours des trois années passées et la mise en œuvre de la régulation des offres de gros de prestation du segment interurbain, les opérateurs s'approvisionnant sur le marché de gros des prestations du segment terminal ont pris livraison des offres de gros de France Télécom dans les centres France Télécom ouverts aux services d'aboutement pour les liaisons partielles terminales et les sites de raccordements haut débit pour les offres de collecte optique opérateur.
Pour ce faire, les opérateurs alternatifs ont majoritairement utilisé leurs réseaux de collecte, déployés pour le raccordement de leurs boucles locales optiques, pour les besoins du dégroupage et le raccordement des points de livraison DSL de France Télécom (sites raccordement haut débit également), ainsi que pour la téléphonie fixe.
Certains opérateurs alternatifs se positionnent par ailleurs sur le marché de gros des prestations du segment interurbain des services de capacité et semblent en mesure de fournir des prestations sur le marché de gros des prestations de segment interurbain intraterritorial.
Par ailleurs, les barrières à l'entrée sur le marché de gros des prestations du segment interurbain semblent limitées en raison de la disponibilité de capacités passives sur les principales routes, le long des autoroutes par exemple. Même si les services supports ne font pas partie des marchés définis précédemment, leur utilisation, notamment sur le segment de la collecte et des routes interurbaines, se justifie pleinement pour un opérateur nouvel entrant désirant construire un réseau de collecte national. C'est d'ailleurs à partir de ces services supports déployés par les grandes industries de réseau, d'électricité, autoroutière et ferroviaire, que la plupart des opérateurs alternatifs ont déployé des capacités interurbaines ces dernières années.
En outre, certaines collectivités locales ont mené ces dernières années, notamment par le biais de délégations de service public, des projets de déploiements de réseaux de collecte en fibre optique sur leurs territoires, visant à raccorder les NRA (nœuds de raccordement abonnés, sièges des répartiteurs) du réseau de boucle locale cuivre ainsi qu'à desservir les zones d'activité.
Il ressort dès lors que la disponibilité d'offres alternatives à celles de France Télécom et le recours à des infrastructures passives disponibles ont permis d'abaisser significativement les barrières à l'entrée sur le marché de gros des prestations du segment interurbain intraterritorial. Il ne semble donc pas justifié de continuer à considérer que la régulation ex ante est nécessaire.
Dans son avis en date du 30 octobre 2009, l'Autorité de la concurrence invite l'Autorité à « prendre en compte dans son analyse la spécificité éventuelle » du segment entre le continent et la Corse dans la mesure où la levée de la régulation sur le marché de gros du segment interurbain interterritorial soulève « la question de l'éventuel besoin d'une régulation ex ante sur le câble sous-marin entre le continent et l'île ».
Selon les éléments dont l'Autorité a connaissance, la Corse est aujourd'hui desservie depuis le continent par trois câbles sous-marins :
― le câble CC4, établi en 1992 entre Cannes et l'Ile-Rousse, dont France Télécom est le propriétaire et l'exploitant ;
― le câble CC5, établi en 1995 entre Toulon et Ajaccio, dont France Télécom est le propriétaire et l'exploitant ;
― un câble, propriété de la direction générale de l'armement (DGA) et d'Alcatel, établi entre Menton et Bastia, et initialement réservé à des usages militaires, sur lequel la collectivité territoriale de Corse a acquis trois paires de fibre en décembre 2006. La collectivité territoriale a lancé au début du mois d'octobre 2009 un appel d'offres pour une délégation de service public visant à l'exploitation de ces paires de fibres pour permettre la fourniture de services de capacité à l'ensemble des opérateurs.
Dans l'attente de la mise en œuvre de la délégation de service public, France Télécom est aujourd'hui le seul opérateur en mesure d'offrir des capacités sous-marines entre le continent et la Corse sur la base de câbles déployés avant l'ouverture des marchés à la concurrence. Les offres de France Télécom sont structurées soit sous forme de longueur d'onde à 2,5 Gbit/s, soit sous forme de services de capacité à 155 Mbit/s. Plusieurs opérateurs tiers sont ainsi clients de France Télécom.
Il apparaît que les opérateurs nationaux sont tous présents en Corse avec les mêmes offres de détail que celles proposées sur le continent. Sur le marché de détail du haut débit, les opérateurs alternatifs sont ainsi en mesure de desservir l'île de deux façons : soit via l'offre de Bitstream qui peut être livrée sur le continent selon des modalités tarifaires strictement identiques à la desserte du continent par cette même offre, soit via le dégroupage, ce qui nécessite alors de disposer de capacités sous-marines. Cependant le tarif annuel proposé par France Télécom pour une liaison sous-marine continent-Corse s'avère plus élevé, à structure équivalente, à ce qui est pratiqué pour une liaison intraterritoriale sur le continent, de l'ordre de deux fois plus cher. Actuellement, seul SFR propose ainsi des offres de détail haut débit fondées sur le dégroupage, en plus du délégataire Corsica Haut Débit.
Il ressort de ce qui précède que les contraintes relatives à l'acquisition d'une liaison entre la Corse et le continent sont essentiellement d'ordre économiques. Les coûts et les délais de construction d'un câble sous-marin sont considérables et constituent une barrière certaine à l'entrée. Seule France Télécom possède à ce jour ses propres câbles et est en mesure de proposer des services de capacité. Ainsi, l'Autorité de la concurrence souligne dans son avis que « France Télécom est actuellement le seul offreur sur le marché de gros, tant pour les capacités sous-marines que pour les prestations de complément terrestre » et que « ce monopole pourrait s'appréhender comme une barrière à l'entrée ».
Néanmoins, une analyse prospective invite à prendre en considération l'émergence prochaine de nouvelles offres de services de capacité entre la Corse et le continent que proposera le délégataire de la Collectivité territoriale de Corse en charge de l'exploitation des fibres acquises sur le câble DGA. Comme le souligne l'avis d'appel public à la concurrence publié, un des principaux objectifs de cette délégation de service public est de « contribuer à un baisse significative des coûts des liens Corse-continent ». Dès lors, ces nouvelles offres devraient être de nature à faire naître, au cours du nouveau cycle d'analyse, une concurrence animée sur le marché des services de capacité entre la Corse et le continent.
Compte tenu de ces éléments, l'Autorité estime qu'il n'est plus nécessaire d'envisager la régulation des services de capacités entre la Corse et le continent.
L'allégement de la régulation étant largement lié à l'émergence prochaine de nouvelles offres concurrentes du délégataire de la collectivité territoriale de Corse, l'Autorité maintiendra une surveillance étroite de ce marché tant que celles-là ne seront pas effectivement proposées aux opérateurs. Durant cette période antérieure à l'émergence des offres du délégataire, l'Autorité veillera attentivement à ce que France Télécom n'abuse pas de sa puissance sur ce marché. Si l'Autorité devait constater des pratiques susceptibles d'être qualifiées d'abusives, elle pourrait saisir l'Autorité de la concurrence, le cas échéant dans le cadre d'une procédure d'urgence, pour y mettre fin et demander la sanction de la pratique illicite.
SFR souligne dans sa réponse à la consultation publique que Corsica Haut Débit, délégataire actuel de la collectivité territoriale de Corse, étant une filiale de France Télécom, le développement d'une concurrence n'est selon elle pas garanti sur le marché de gros du segment interurbain intraterritorial. SFR ajoute qu'elle souhaiterait en particulier voir se développer une concurrence effective sur les offres de débit 10 Gbit/s qui sont les plus adaptées aux besoins des opérateurs.
Dans la mesure où le développement d'une concurrence effective va dans le sens des intérêts de la collectivité et que celle-ci assume le pilotage de la délégation de service public, avec les moyens de contrôle que lui apporte ce type de montage juridique, l'Autorité estime que ce lien avec France Télécom ne représente pas un obstacle au développement d'une telle concurrence et que la collectivité veillera à ce qu'aucun dysfonctionnement ne l'entrave. De plus, il apparaîtra normal que la collectivité impose à son délégataire de proposer une large gamme d'offres à même de satisfaire les besoins des différentes catégories opérateurs, dans leur diversité.


Le marché de gros des prestations de segment interurbain interterritorial métropole-Martinique,
métropole-Guadeloupe et Martinique-Guadeloupe


Lors du premier cycle d'analyse de marché des services de capacité, l'Autorité avait noté l'existence de :
― deux câbles sous-marins desservent la Martinique (le câble Americas II et le câble ECFS). Concernant ces deux câbles, France Télécom est membre du consortium et possède un monopole d'entrée dans les stations d'atterrissement (partie terrestre) et sur les « compléments terrestres » en Martinique ;
― un unique câble sous-marin pour relier la métropole et la Guadeloupe (le câble ECFS). Concernant ce câble, France Télécom est membre du consortium et possède un monopole d'entrée dans les stations d'atterrissement (partie terrestre) et sur les « compléments terrestres » en Guadeloupe.
Durant la période couverte par le précédent cycle d'analyse de marché des services de capacité, la desserte en câble sous-marin de la Martinique et de la Guadeloupe a significativement été modifiée. En effet, deux câbles ont été ouverts commercialement au second semestre 2007. Il s'agit des câbles Middle Carribean Network (MCN) et Global Carribean Network (GCN) desservant respectivement la Martinique et la Guadeloupe.
GCN, premier des deux câbles mis en service qui relie Porto-Rico à la Guadeloupe, a été déployé dans le cadre de la délégation de service public lancée par la région. Ce câble, dont le coût s'élève à 21,9 millions d'euros (75 % d'aide du Fonds européen de développement régional et 25 % de fonds provenant du groupe Loret), fait l'objet d'une concession de vingt ans. Ce câble a été prolongé vers la Martinique par le câble MCN dans le cadre d'un projet porté par le Groupe Loret, le conseil régional de la Martinique et le programme INTERREG III B de la Commission européenne, dont la part de financement public est de 50 %.
Dans les deux départements, l'accès à ces nouveaux câbles sous-marins est facilité par la possibilité aux opérateurs clients d'être hébergés directement au sein des stations d'atterrissement. Pour les autres câbles existants, les opérateurs alternatifs sont obligés de s'interconnecter avec France Télécom dans des centres ouverts aux services d'aboutement et d'acheter la prestation de complément terrestre qui relie ces centres aux stations d'atterrissement.
Par ailleurs, sur ces deux câbles, les opérateurs alternatifs bénéficient à la fois du jeu concurrentiel existant entre les différents opérateurs, membres du consortium, qui commercialisent des services de capacité sur Americas II et ECFS, et de la possibilité d'acheter de la capacité sous forme d'IRU. Dès lors, il semble que les barrières à l'entrée sur le marché de gros des prestations de segment interurbain entre la métropole et les DOM de la zone caribéenne ont significativement diminué et ne justifient plus le maintien de la régulation ex ante de France Télécom sur ces marchés.
Toutefois, même si la régulation ex ante asymétrique n'apparaît plus de nature à y remédier, des difficultés concurrentielles demeurent dans cette zone.
A ce titre, l'Autorité de la concurrence indique dans son avis n° 09-A-53 susvisée que son instruction a permis de mettre en évidence « les difficultés rencontrées par les fournisseurs d'accès à Internet non intégrés à l'un des deux groupes, Loret et France Télécom », notamment « lors de la négociation de capacités supplémentaires ». Elle précise également dans ce même avis que « l'opérateur Free, déjà présent en métropole sur le marché de détail de l'accès à Internet, a confirmé que la question du coût des capacités sur les câbles sous-marins était l'un des principaux obstacles au lancement de ses services dans les départements d'outre-mer ».
Outremer Télécom souligne également dans sa réponse à la consultation publique que l'arrivée d'un deuxième câble n'a de son point de vue pas substantiellement modifié la situation concurrentielle car les tarifs restent très élevés et quasi identiques chez les deux offreurs, sans adéquation avec les tarifs pratiqués par les autres opérateurs de câbles sous-marins aux Caraïbes.
Consciente des imperfections du fonctionnement de ce marché, qui sans justifier une régulation sectorielle, est susceptible de distordre le jeu concurrentiel sur les marchés aval, l'ARCEP le maintiendra sous une surveillance étroite. La levée de la régulation tarifaire imposée à France Télécom pourrait contribuer à animer la concurrence sur ce marché. Néanmoins, l'absence d'animation concurrentielle et le constat de prix élevés en comparaison avec ceux de liaisons sous-marines, notamment locales, comparables, pourrait conduire l'Autorité à saisir l'Autorité de la concurrence pour enquêter sur les comportements des différents acteurs du marché et, le cas échéant, demander les mesures et sanctions qui s'imposeront alors.


Le marché de gros des prestations de segment interurbain interterritorial métropole-Réunion


Entre la métropole et La Réunion, il n'existe qu'un seul câble sous-marin (le câble SAFE, ou plus précisément, l'assemblage SAT3-WASC-SAFE). Sur ce câble, France Télécom est membre du consortium et possède un monopole d'entrée dans les stations d'atterrissement (partie terrestre) et sur les « compléments terrestres ».
Barrières à l'entrée :
Il n'existait pas de marché de gros entre la métropole et La Réunion avant l'intervention de l'Autorité pour deux décisions de règlement de différends n° 2004-375 et n° 2004-376 sur les conditions d'accès au câble SAFE. France Télécom était jusqu'alors en situation de monopole sur le circuit interurbain entre la métropole et La Réunion et vendait aux clients des liaisons louées du catalogue de détail, éventuellement remisées, à des niveaux de l'ordre de 16 800 € le Mbit/s/mois environ, ce qui lui procurait une marge importante (coût estimé à 900 € le Mbit/s pour 2004).
Pour pouvoir commercialiser des capacités entre la métropole et La Réunion, les autres membres du consortium devaient acheter un demi-circuit à France Télécom en plus du « complément terrestre ». La situation concurrentielle n'avait ainsi pas évolué jusqu'au milieu de l'année 2008.
A partir de cette date, l'arrêt du monopole de commercialisation des capacités sur le câble SAFE a conduit les opérateurs alternatifs qui achetaient précédemment des capacités auprès de France Télécom dans le cadre de l'offre de gros de liaison louée de transport à engager des discussions commerciales avec d'autres membres du consortium disposant de capacités disponibles. Cela a conduit deux des principaux opérateurs alternatifs présents sur le marché fixe à acheter des capacités sous forme d'IRU.
Néanmoins, l'accès au câble reste sous le contrôle de France Télécom. En effet, la possibilité d'hébergement au sein de la station d'atterrissement n'étant pas possible pour les opérateurs alternatifs. Ceux-ci doivent donc s'interconnecter à un des deux centres ouverts aux services d'aboutement (au Port ou à Saint-Denis), et acheter une prestation de complément terrestre.
Ainsi, même si l'achat de capacités par les opérateurs alternatifs a été facilitée depuis l'ouverture du monopole de commercialisation, de nombreuses barrières à l'entrée subsistent, notamment au regard du goulet d'étranglement que constitue le complément terrestre que l'ensemble des opérateurs sont contraints de commander.
Absence d'évolution vers une situation de concurrence effective :
Compte tenu du fait qu'il n'existe pas de réelle alternative à l'utilisation des câbles sous-marins pour la desserte de La Réunion, à tout le moins en ce qui concerne la prestation de complément terrestre, la mise en place d'une situation de concurrence effective semble devoir passer par l'arrivée d'un nouveau câble sous-marin.
A ce stade, aucun nouveau raccordement de l'île de La Réunion aux grands réseaux internationaux n'est prévu, même si plusieurs initiatives ont vu le jour récemment. On peut noter à ce sujet le projet Ravenal du conseil régional de La Réunion : le conseil régional a lancé un appel à intérêts pour un raccordement de l'île à Madagascar dont une partie pourrait faire l'objet d'un financement par les fonds européens de développement régionaux. Si ce projet venait à aboutir, une prolongation du câble déployé vers le futur câble EASSy, qui longera l'Afrique de l'Est via le canal du Mozambique pourrait être envisagée.
Par ailleurs, France Télécom envisage dans le cadre du projet LION de relier La Réunion à la côte est de l'Afrique et ainsi de permettre un nouvel accès pour La Réunion aux câbles transcontinentaux tels les projets de câbles EASSy ou SEACOM.
Compte tenu de l'avancé de ces projets, il ne semble pas qu'à l'horizon de l'analyse de marché, la situation puisse significativement changer. Néanmoins, dans le cas contraire, l'Autorité pourrait réviser son analyse de manière anticipée si nécessaire.
Insuffisance du droit de la concurrence pour remédier aux problèmes de concurrence constatés :
L'accès au câble sous-marin SAFE dans des conditions économiques suffisamment satisfaisantes a été rendu possible par la mise en œuvre de l'offre de liaison louée de transport, imposée au terme de la décision de règlement de différends 04-376 susvisée. Compte tenu des enjeux économiques pour les opérateurs alternatifs, et notamment au vu du fait que le câble SAFE est l'unique câble permettant la desserte de l'île, auquel France Télécom contrôle l'accès, il ne semble pas que le seul droit de la concurrence suffise pour remédier aux problèmes de concurrence constatés, notamment à l'accès au complément terrestre.
L'Autorité, au vu du résultat du test des trois critères estime donc que le marché de gros des prestations de segment interurbain interterritorial métropole-Réunion est pertinent pour la régulation ex ante.


Le marché de gros des prestations de segment interurbain
interterritorial métropole-Guyane et Martinique-Guyane


Barrières à l'entrée :
La desserte de la Guyane en câble sous-marins n'a pas évolué depuis la précédente analyse de marché. Il existe un unique câble, Americas II, qui dessert la Guyane, et également la Martinique. Sur ce câble, France Télécom est membre du consortium et possède un monopole d'entrée dans les stations d'atterrissement (partie terrestre) et sur le « complément terrestre ». De ce fait, les barrières à l'entrée sont importantes pour l'accès au câble en lui-même et sont renforcées par la moindre concurrence des membres du consortium pour offrir des capacités sur le câble.
Absence d'évolution vers une situation de concurrence effective :
Compte tenu du fait qu'il n'existe pas de réelle alternative à l'utilisation des câbles sous-marins pour la desserte de la Guyane, à tout le moins en ce qui concerne la prestation de complément terrestre, la mise en place d'une situation de concurrence effective semble devoir passer par l'arrivée d'un nouveau câble sous-marin.
A l'heure actuelle, les seuls projets de déploiement qui pourraient concerner la Guyane pourraient intervenir dans le cadre du prolongement du câble Global Carribean Network, sous le nom South Carribean Fibre (SCF). Néanmoins, compte tenu des délais de mise en œuvre du projet et de déploiement, il ne semble pas vraisemblable que la situation évolue à l'horizon de l'analyse de marché.
Insuffisance du droit de la concurrence pour remédier seul aux problèmes de concurrence constatés :
Compte tenu des enjeux économiques pour les opérateurs alternatifs, et notamment du fait que le câble Americas II est l'unique câble permettant la desserte de la Guyane, auquel France Télécom contrôle l'accès, il ne semble pas que le seul droit de la concurrence suffise à remédier aux problèmes de concurrence constatés, notamment pour l'accès au complément terrestre.
L'Autorité, au vu du résultat du test des trois critères, estime donc que les marché de gros des prestations de segment interurbain interterritorial métropole-Guyane et Martinique-Guyane sont pertinents pour la régulation ex ante.


II. ― DÉSIGNATION D'UN OPÉRATEUR EXERÇANT UNE INFLUENCE SIGNIFICATIVE
A. ― Principes généraux relatifs à la détermination des conditions
caractérisant une situation d'influence significative


Il découle de l'article 14 de la directive-cadre et du point 5 des lignes directrices publiées par la Commission européenne que les autorités réglementaires nationales ne doivent intervenir pour imposer des obligations aux entreprises que dans la mesure où elles considèrent que les marchés envisagés ne sont pas en situation de concurrence réelle, essentiellement en raison du fait que ces entreprises ont acquis « une position équivalente à une position dominante » au sens de l'article 82 du traité CE.
En droit interne, l'article L. 37-1 du code des postes et des communications électroniques dispose qu'« est réputé exercer une influence significative sur un marché du secteur des communications électroniques tout opérateur qui, pris individuellement ou conjointement avec d'autres, se trouve dans une position équivalente à une position dominante lui permettant de se comporter de manière indépendante vis-à-vis de ses concurrents, de ses clients et des consommateurs ».
Il est précisé au point 5 des lignes directrices susvisées que la Commission et les autorités réglementaires nationales doivent « se fonder sur les principes et les méthodes du droit de la concurrence pour définir les marchés qui devront être soumis à une réglementation ex ante et apprécier la puissance des entreprises sur ces marchés ».
Ainsi, l'Autorité relève que la part de marché d'une entreprise constitue un critère essentiel, bien que non exclusif, de l'évaluation de la puissance d'un acteur. Notamment, d'après une jurisprudence constante (15), la présence de parts de marchés très élevées ― supérieures à 50 % ― suffit, sauf circonstances exceptionnelles, à établir l'existence d'une position dominante. Par ailleurs, l'évolution des parts de marchés de l'entreprise et de ses concurrents sur une période de temps appropriée, constitue un critère supplémentaire en vue d'établir l'influence significative d'un opérateur donné.
En outre, il est rappelé au point 78 des lignes directrices susmentionnées que « l'existence d'une position dominante ne saurait être établie sur le seul fait qu'une entreprise détient d'importantes parts de marché ». En outre, la Commission précise dans ses lignes directrices que l'évaluation de l'influence exercée par un acteur sur le marché se fait sur la base d'une analyse prospective.
L'Autorité pourra ainsi tenir compte dans son analyse de plusieurs critères complémentaires d'ordre qualitatif, comme :
― la taille de l'entreprise ;
― le contrôle d'une infrastructure qu'il n'est pas facile de dupliquer ;
― les avancées ou la supériorité technologiques ;
― l'absence ou la faible présence de contre-pouvoir des acheteurs ;
― la diversification des produits ou des services ;
― l'intégration verticale de l'entreprise ;
― la présence d'économies de gamme ou d'échelle ;
― l'absence de concurrence potentielle ;
― l'existence d'une concurrence par les prix ;
― d'autres critères tels que l'accès privilégié aux marchés des capitaux.

(15) Point 75 des lignes directrices.