Introduction
Le développement croissant des usages sur internet et l'enrichissement des contenus audiovisuels appellent, à l'horizon de la prochaine décennie, le déploiement de nouveaux réseaux à très haut débit en fibre optique jusqu'au domicile des abonnés. Déjà bien engagé au Japon et en Corée, ce mouvement débute en Europe. En France, les principaux opérateurs de l'ADSL et du câble sont prêts à investir dans la fibre, ce qui constitue un atout. Notre pays est également en avance sur la définition de son cadre réglementaire, grâce à l'adoption de la loi de modernisation de l'économie et à la régulation mise en place par l'Autorité au cours de l'été 2008.
Les premiers déploiements ont commencé à Paris et dans le cœur des principales agglomérations. Des difficultés sont cependant apparues en ce qui concerne l'installation de la fibre optique dans les immeubles. La loi prévoit que cette partie du réseau puisse être « mutualisée », c'est-à-dire partagée entre les opérateurs, de façon à limiter les interventions dans la propriété privée tout en permettant aux habitants de bénéficier de la concurrence en choisissant librement leur opérateur. Or les opérateurs divergent sur les modalités de mise en œuvre de ce principe.
Dans le cadre du comité de pilotage du déploiement de la fibre optique, mis en place fin 2008 par le Gouvernement, les principaux opérateurs ont, sous l'égide de l'Autorité, engagé des travaux d'expérimentation et d'évaluation portant sur différentes options de mise en œuvre des modalités d'accès à la fibre optique. L'objectif était de disposer de retours d'expérience suffisants pour préciser progressivement les règles devant être respectées par les opérateurs afin de permettre un accès effectif à la fibre optique, sur un plan à la fois technique et économique.
Les premiers résultats de ces expérimentations ont été rendus publics le 7 avril 2009. Sur la base de ces résultats et des autres travaux menés sur les modalités d'accès à la fibre optique, l'Autorité a tout d'abord soumis à consultation publique des orientations sur les conditions de mutualisation de la fibre optique au mois d'avril 2009. L'Autorité a publié une synthèse des réponses à cette consultation le 22 juin 2009.
L'Autorité a soumis à consultation publique, du 22 juin au 22 juillet 2009, deux projets de décision.
Le premier précise les modalités d'accès aux lignes de communications électroniques à très haut débit en fibre optique. Ce projet de décision vise à clarifier les règles applicables concernant :
― dans les zones très denses, le mode de déploiement dans la partie terminale des réseaux en fibre optique, notamment en termes de nombre de fibres installées par logement et d'équipements nécessaires pour assurer la compatibilité avec les différents choix technologiques des acteurs (PON et point-à-point) dans le respect du principe de neutralité technologique ;
― des principes généraux relatifs aux modalités de l'accès, notamment la mise à disposition d'informations, la tarification et la transparence.
Le second projet de décision précise les cas dans lesquels le point de mutualisation peut se situer dans les limites de la propriété privée. Ce point de mutualisation est le point en lequel « l'opérateur d'immeuble », qui est l'opérateur désigné par le propriétaire ou le gestionnaire d'immeuble pour équiper l'immeuble en fibre optique, donne accès à son réseau aux opérateurs tiers.
Après prise en compte des contributions à la consultation publique sur ces deux projets de décision, l'Autorité a fusionné les deux projets initiaux dans le présent projet de décision, soumis pour avis à l'Autorité de la concurrence.
Au vu de l'avis n° 09-A-47 de l'Autorité de la concurrence en date du 22 septembre 2009, l'Autorité a notifié un projet de décision amendé à la Commission européenne et aux autorités compétentes des autres Etats membres le 5 octobre 2009, projet soumis parallèlement à consultation publique du 5 octobre au 5 novembre 2009.
Après prise en compte des observations qui lui ont été formulées, notamment par la Commission européenne, le 5 novembre 2009, l'Autorité a amendé son projet de décision en vue de la consultation de la Commission consultative des communications électroniques le 4 décembre 2009. L'Autorité a adopté sa décision après cette consultation et l'a transmise pour homologation au ministre chargé des communications électroniques.
En outre, un projet de recommandation relatif aux modalités de mise en œuvre de l'accès aux lignes de communications électroniques à très haut débit en fibre optique a également été soumis à consultation publique par l'Autorité du 22 juin au 22 juillet 2009 puis transmis pour avis à l'Autorité de la concurrence. Ce projet de recommandation, amendé à la suite des contributions des acteurs à cette consultation publique puis de l'avis de l'Autorité de la concurrence, a également été notifié à la Commission européenne et aux autorités compétentes des autres Etats membres et à nouveau soumis à consultation publique du 5 octobre au 5 novembre 2009, puis transmis à la commission consultative des communications électroniques.
Une deuxième phase de travaux est engagée pour préciser ou compléter ces règles à une échelle plus large. Dans les zones très denses, les travaux complémentaires ont vocation à définir des solutions d'accès à la fibre optique pour les immeubles de petite taille ou pour l'habitat pavillonnaire. Dans les zones moins denses, l'accès à la fibre optique appelle une coordination plus poussée entre les acteurs sur les conditions de déploiement des réseaux, notamment sur la partie « horizontale », c'est-à-dire celle située sur le domaine public. Les opérateurs, les collectivités territoriales et la Caisse des dépôts et consignations sont associés à cette deuxième phase.
SECTION I
OBJET DE LA DÉCISION
1° Cadre juridique applicable
Compétence de l'ARCEP
L'article L. 36-6 du CPCE dispose que :
« Dans le respect des dispositions du présent code et de ses règlements d'application [...], l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes précise les règles concernant :
[...]
2° Les prescriptions applicables aux conditions techniques et financières d'interconnexion et d'accès, conformément à l'article L. 34-8 [...] et aux conditions techniques et financières de l'accès, conformément à l'article L. 34-8-3 ;
[...]
Les décisions prises en application du présent article sont, après homologation par arrêté du ministre chargé des communications électroniques, publiées au Journal officiel. »
a) La compétence de l'Autorité pour préciser les modalités de l'accès aux lignes de communications électroniques à très haut débit en fibre optique.
Le I de l'article L. 34-8 du CPCE dispose que :
« [...] Pour réaliser les objectifs définis à l'article L. 32-1, l'Autorité peut imposer, de manière objective, transparente, non discriminatoire et proportionnée, les modalités de l'accès ou de l'interconnexion :
a) Soit de sa propre initiative, après avis de l'Autorité de la concurrence, consultation publique et notification à la Commission européenne et aux autorités compétentes des autres Etats membres de la Communauté européenne ; la décision est adoptée dans des conditions de procédure préalablement publiées par l'Autorité ; [...]. »
Mentionnant « les modalités de l'accès ou de l'interconnexion », cet article donne compétence à l'Autorité pour imposer, de sa propre initiative, les modalités de l'accès à la fibre optique, dès lors que ces modalités sont indispensables pour réaliser plusieurs des objectifs mentionnés à l'article L. 32-1.
Le II de l'article L. 32-1 du CPCE précise que :
« Dans le cadre de leurs attributions respectives, le ministre chargé des communications électroniques et l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes prennent, dans des conditions objectives et transparentes, des mesures raisonnables et proportionnées aux objectifs poursuivis et veillent :
2° [...] l'exercice au bénéfice des utilisateurs d'une concurrence effective et loyale entre les exploitants de réseau et les fournisseurs de services de communications électroniques ;
3° [le] développement de l'emploi, de l'investissement efficace dans les infrastructures, de l'innovation et de la compétitivité dans le secteur des communications électroniques ;
4° [...] la définition de conditions d'accès aux réseaux ouverts au public et d'interconnexion de ces réseaux qui garantissent la possibilité pour tous les utilisateurs de communiquer librement et l'égalité des conditions de la concurrence ;
7° [...] la prise en compte de l'intérêt de l'ensemble des territoires et des utilisateurs, notamment handicapés, dans l'accès aux services et aux équipements ;
10° [...] la mise en place et [le] développement de réseaux et de services et l'interopérabilité des services au niveau européen ;
13° [le] respect de la plus grande neutralité possible, d'un point de vue technologique, des mesures qu'ils prennent ;
14° [...] l'intégrité et la sécurité des réseaux de communications électroniques ouverts au public. »
En outre, la loi de modernisation de l'économie instaure un régime de droits et d'obligations pour les opérateurs déployant le très haut débit. D'une part, l'installation de la fibre dans les immeubles est facilitée pour les opérateurs et imposée aux promoteurs pour les logements neufs. D'autre part, la personne qui installe la fibre dans l'immeuble (l'opérateur d'immeuble) est responsable devant le propriétaire de toutes les opérations réalisées sur le réseau dans la propriété privée et doit respecter une obligation de mutualisation permettant aux opérateurs tiers de fournir des services très haut débit aux habitants de l'immeuble dans des conditions non discriminatoires.
Sur ce second point, l'article L. 34-8-3 du CPCE dispose plus précisément que :
« Toute personne établissant ou ayant établi dans un immeuble bâti ou exploitant une ligne de communications électroniques à très haut débit en fibre optique permettant de desservir un utilisateur final fait droit aux demandes raisonnables d'accès à ladite ligne et aux moyens qui y sont associés émanant d'opérateurs, en vue de fournir des services de communications électroniques à cet utilisateur final.
L'accès est fourni dans des conditions transparentes et non discriminatoires en un point situé, sauf dans les cas définis par l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, hors des limites de propriété privée et permettant le raccordement effectif d'opérateurs tiers, à des conditions économiques, techniques et d'accessibilité raisonnables. Dans les cas définis par l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, l'accès peut consister en la mise à disposition d'installations et d'éléments de réseau spécifiques demandés par un opérateur antérieurement à l'équipement de l'immeuble en lignes de communications électroniques à très haut débit en fibre optique, moyennant la prise en charge d'une part équitable des coûts par cet opérateur. Tout refus d'accès est motivé. [...]
Pour réaliser les objectifs définis à l'article L. 32-1, et notamment en vue d'assurer la cohérence des déploiements et une couverture homogène des zones desservies, l'autorité peut préciser, de manière objective, transparente, non discriminatoire et proportionnée les modalités de l'accès prévu au présent article. »
Cet article donne ainsi compétence à l'Autorité pour préciser, de manière objective, transparente, non discriminatoire et proportionnée, les modalités de l'accès à la fibre optique.
Bien que le cadre législatif relatif au déploiement de la fibre optique ait été instauré pour l'essentiel à l'été 2008, les principaux opérateurs, qui ont annoncé des plans d'investissement importants, ont retardé la mise en œuvre de ces investissements compte tenu des désaccords qui persistent entre eux sur les modalités de mise en œuvre de l'accès à la fibre optique et particulièrement les conditions de déploiement de la fibre dans les immeubles.
Les opérateurs souhaitent une clarification de ces modalités, c'est-à-dire à la fois les conditions dans lesquelles ils doivent donner accès à leur réseau lorsqu'ils équipent un immeuble en fibre optique et celles dont ils bénéficieront dans le cas contraire. Il ressort des déclarations publiques de l'ensemble des opérateurs que cette clarification est une condition préalable pour sécuriser et libérer l'investissement dans le très haut débit.
Le déploiement de la fibre optique jusqu'à l'abonné constitue un enjeu essentiel pour l'économie nationale, et plus particulièrement pour le secteur des communications électroniques, aussi bien en termes de couverture du territoire par ces nouveaux réseaux que d'intensité de la concurrence entre les technologies et les acteurs. La fibre optique ouvre un nouveau cycle d'investissement, représentant plusieurs milliards voire dizaines de milliards d'euros et pouvant s'étaler sur plus de dix ans.
Au-delà du seul secteur des communications électroniques, le déploiement de la fibre optique est susceptible de permettre la diffusion de contenus audiovisuels enrichis, potentiellement créateurs de valeur pour les ayants droit et la création. Le très haut débit est également prometteur en termes d'applications dans le domaine de la santé et de l'éducation.
La clarification des règles juridiques applicables est indispensable au déploiement de la fibre optique en France, et l'ARCEP est compétente pour prendre une décision dans ce domaine.
b) La compétence de l'Autorité pour fixer la localisation du point de mutualisation.
L'article L. 34-8-3, créé par la loi de modernisation de l'économie n° 2008-776 du 4 août 2008, prévoit que le point de mutualisation doit être situé hors des limites de la propriété privée « sauf dans les cas définis par l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes ».
En application des dispositions précitées des articles L. 34-8-3 et L. 36-6, l'Autorité précise, par la présente décision, les cas dans lesquels l'accès à la fibre optique peut être fourni dans les limites de la propriété privée.
Cohérence avec le cadre juridique européen
L'article L. 34-8-3 est issu de la loi de modernisation de l'économie n° 2008-776 du 4 août 2008 qui a été adoptée conformément à l'article 12 de la directive 2002/21/CE « cadre ». L'article L. 34-8 transpose l'article 5 de la directive 2002/19/CE « accès ». Dans ses observations en date du 5 novembre 2009, la Commission européenne « constate le bien-fondé de l'application de l'article 5 de la directive "accès”, en conjonction avec l'article 12, paragraphe 2, de la directive "cadre”, pour réguler l'accès au câblage interne des immeubles en France ».
En outre, dans ses observations en date du 5 novembre 2009, la Commission européenne « invite l'ARCEP à suivre de près l'évolution de l'investissement dans les réseaux NGA et de la concurrence en France, notamment dans les zones très denses du territoire français, de façon à déterminer si le schéma de régulation symétrique proposé reste suffisant, justifié et proportionné pour atteindre les objectifs fixés à l'article 8 de la directive "cadre” et ne prolonge pas inutilement l'imposition de la mesure proposée de régulation ex ante ».
En particulier, la Commission européenne invite l'Autorité à étudier l'opportunité d'imposer des formes asymétriques d'accès aux infrastructures en fibre optique si les mesures de régulation symétrique s'avéraient insuffisantes.
L'Autorité suivra en effet avec attention l'évolution de l'investissement et de la concurrence pour le déploiement des réseaux très haut débit en fibre optique. La décision n° 2008-0835 de l'Autorité en date du 24 juillet 2008 relative à l'analyse de marché pertinent de gros des offres d'accès aux infrastructures physiques constitutives de la boucle locale filaire a conduit à désigner France Télécom comme opérateur puissant sur ce marché. Si, concernant le très haut débit, les remèdes prévus par cette décision ne concernent à ce stade que l'accès aux infrastructures de génie civil, l'ARCEP pourrait, si elle constatait une insuffisance des mesures de régulation symétrique, modifier, après notification à la Commission européenne, les remèdes prévus par cette décision.
Enfin, comme l'y invite la Commission européenne dans ses observations, l'Autorité tiendra le plus grand compte des principes posés dans la recommandation NGA lorsque celle-ci sera adoptée, et pourrait être amenée à réexaminer de manière anticipée sa décision d'analyse de marché le cas échéant.
Procédure applicable à la présente décision
La présente décision est prise en application de l'article L. 36-6, du I de l'article L. 34-8 et de l'article L. 34-8-3 du CPCE.
Elle respecte les règles de procédures prévues au a du I de l'article L. 34-8 et publiées dans sa décision n° 2009-0527 portant modification de son règlement intérieur.
Dans ce cadre, et en application du III de l'article L. 32-1 du CPCE et du a du I de l'article L. 34-8, l'Autorité a mis en consultation publique les deux projets de décision susvisés. L'Autorité, dans un souci de transparence, a publié le 28 juillet 2009 l'intégralité des commentaires qui lui ont été transmis, à l'exclusion des parties couvertes par le secret des affaires.
Après réception et prise en compte des réponses à la consultation publique, l'Autorité a effectué une demande d'avis de l'Autorité de la concurrence, conformément au I de l'article L. 34-8.
Après réception et prise en compte de l'avis de l'Autorité de la concurrence, le texte a été notifié à la Commission européenne et aux autorités compétentes des autres Etats-membres de la Communauté européenne, en application du a du I de l'article L. 34-8. Il a été soumis à consultation publique du 5 octobre au 5 novembre 2009.
L'Autorité a également consulté la CCCE.
Enfin, la décision a été adoptée par l'Autorité le 22 décembre 2009 et transmise pour homologation au ministre chargé des communications électroniques.
2° Travaux menés par l'Autorité
Travaux préparatoires
En juillet 2007, l'Autorité a lancé une première consultation publique portant sur la mutualisation de la partie terminale des réseaux de fibre optique entre les opérateurs. Différentes modalités d'accès à la fibre optique y étaient à l'étude : solution active ou passive, avec un point de mutualisation situé en pied d'immeuble ou au NRO (nœud de raccordement optique concentrant plusieurs milliers voire dizaines de milliers de lignes), offres de location ou de co-investissement. Une synthèse de cette première consultation a été publiée. En parallèle, les opérateurs ont communiqué leurs premières offres d'accès à la partie terminale de leur réseau fibre.
En mai 2008, une deuxième consultation publique portant sur le déploiement et la mutualisation de la partie terminale des réseaux FttH a été lancée. Ce document a permis d'aborder le rôle de l'opérateur d'immeuble, la pratique conventionnelle entre opérateurs et copropriétés et la question de la localisation du point de mutualisation, notamment lorsque celui-ci est situé sur le domaine public. A cette occasion, un premier modèle de coût de déploiement des réseaux de boucle locale en fibre optique a été mis en consultation, ainsi qu'un projet de convention type visant à encadrer les relations contractuelles entre opérateurs et propriétaires.
Au cours de l'été 2008, une étude sur la topologie de l'accès à la fibre optique a confirmé qu'en dehors des zones très denses, il devient inefficace de déployer plusieurs réseaux en parallèle jusqu'à des points de mutualisation situés trop près des immeubles. Une synthèse de cette étude est disponible sur le site internet de l'Autorité.
A l'occasion de la publication de la synthèse de la consultation publique et à la suite de l'adoption de la loi de modernisation de l'économie, l'Autorité a formulé, en octobre 2008, de premières recommandations sur le déploiement de la fibre et la mutualisation. L'Autorité a souhaité que soient expérimentées différentes hypothèses, notamment celle dans laquelle l'opérateur d'immeuble pose pour le compte d'opérateurs tiers des fibres surnuméraires entre le point de mutualisation et les logements. En outre, ces recommandations ont précisé que, dans les zones très denses, le point de mutualisation pourrait se situer à proximité des immeubles, voire en pied des grands immeubles, tandis qu'il serait nécessaire, dans les autres zones, qu'il soit situé plus haut dans le réseau, afin de regrouper les lignes en fibre optique à l'échelle du quartier. Ce document a également décrit les principes relatifs au partage des rôles entre l'opérateur d'immeuble, interlocuteur du propriétaire et responsable du réseau déployé entre le point de mutualisation et les logements, et l'opérateur commercial, interlocuteur du client. Enfin, une première description des informations préalables nécessaires à l'accès à la fibre optique y était proposée.
Travaux d'expérimentation et d'évaluation
A la suite de l'adoption de la loi de modernisation de l'économie, l'Autorité a invité les opérateurs à signer des accords de mutualisation. De premiers accords ont été signés, mais qui n'incluent pas l'ensemble des acteurs compte tenu de désaccords persistants.
En liaison avec le Gouvernement, des travaux ont débuté fin 2008. Les opérateurs se sont notamment engagés à évaluer et expérimenter différents modes de déploiement dans les immeubles (mono-fibre et multi-fibres).
Une première phase de ces travaux a eu lieu du 18 décembre 2008 au 26 mars 2009, période durant laquelle des expérimentations d'accès à la fibre optique selon différentes configurations ont été menées. Un groupe de pilotage a été mis en place et s'est réuni toutes les deux semaines, pour l'évaluation des solutions. Ce groupe a été alimenté par les travaux de trois sous-groupes :
― le sous-groupe « coûts », dans lequel les opérateurs ont présenté, pour chaque mode de déploiement, la liste des postes de coûts encourus et une estimation chiffrée ;
― le sous-groupe « architecture/opérationnel », qui a comparé la faisabilité et la viabilité technique et opérationnelle des différentes solutions, notamment du point de vue des processus associés ;
― le sous-groupe « spécifications techniques », qui a décrit la liste des équipements à spécifier et a permis de dégager les points nécessitant des travaux supplémentaires pour garantir l'interopérabilité des réseaux de façon pérenne.
Dans les délais impartis pour ces travaux, les expérimentations se sont concentrées sur les zones les plus denses, où plusieurs opérateurs avaient déployé des réseaux horizontaux de fibre optique sur des zones communes, avec une localisation du point de mutualisation située le plus souvent en pied d'immeuble (c'est-à-dire dans la propriété privée) ou à proximité immédiate.
Un compte rendu de la première phase des travaux d'expérimentation et d'évaluation a été publié par l'Autorité. Ces travaux ont notamment permis de recenser les contraintes technico-économiques diverses auxquelles sont soumis les opérateurs en fonction de leurs options technologiques (PON ou point-à-point), à la fois du point de vue de l'opérateur qui équipe l'immeuble en fibre optique (l'opérateur d'immeuble) et de celui qui bénéficie de l'accès à ces installations.
A la suite de cette première phase de travaux, un document d'orientation a été mis en consultation publique en avril 2009. Les réponses à cette consultation, ainsi que leur synthèse, ont été publiées le 22 juin 2009.
3° Portée et champ d'application de la décision
La présente décision précise dans la section V les modalités techniques et financières de l'accès aux lignes de communications électroniques en fibre optique à très haut débit relatives aux questions suivantes :
― demandes d'accès formulées antérieurement à l'établissement des lignes d'un immeuble ;
― accès aux lignes et aux ressources associées ;
― conditions tarifaires de l'accès ;
― transparence des modalités d'accès.
Les dispositions de la présente décision relatives aux demandes d'accès formulées antérieurement à l'établissement des lignes d'un immeuble ne s'appliquent que dans les zones très denses dans lesquelles se concentre à ce stade la majorité des déploiements des opérateurs et sur lesquelles ont principalement porté les premières expérimentations. Ces zones sont définies à l'annexe I de la présente décision.
Les autres dispositions de la section V s'appliquent aux territoires de la métropole, des départements et des collectivités d'outre-mer pour lesquelles le CPCE s'applique.
La présente décision précise dans la section VI les cas dans lesquels, en dérogation au principe affirmé à l'article L. 34-3 du CPCE, le point de mutualisation peut se situer dans les limites de la propriété privée, notamment en pied d'immeuble.
Elle définit les caractéristiques des immeubles bâtis à l'intérieur desquels le point de mutualisation peut être situé.
SECTION II
TOPOLOGIES DES RÉSEAUX DE BOUCLE LOCALE EN FIBRE OPTIQUE
Les dispositions législatives relatives à l'accès à la fibre optique, objet de la présente décision, ne s'appliquent qu'aux déploiements en fibre optique jusqu'au logement des abonnés, dits FttH (Fibre to the Home).
La loi de modernisation de l'économie fait en effet référence à des « lignes à très haut débit en fibre optique » et l'article R. 9-4 du CPCE précise que l'opérateur signataire d'une convention avec un propriétaire ou un syndicat de copropriétaires « dessert les logements et locaux à usage professionnel de l'immeuble auxquels s'applique la convention par un chemin continu en fibre optique partant du point de raccordement et aboutissant à un dispositif de terminaison installé à l'intérieur de chaque logement ou local à usage professionnel ».
Ces dispositions ne s'appliquent pas à la solution technique utilisée à ce stade par le câblo-opérateur sur les territoires pour lesquels il a rénové son réseau, et qui consiste à rapprocher la fibre optique de l'abonné tout en conservant un réseau en câble coaxial à l'intérieur de la propriété privée, voire au niveau de la rue ou du quartier. Cette solution est dite FttLA (Fibre to the Last Amplifier) ou très haut débit en fibre optique avec terminaison en câble coaxial.
Deux principales topologies de boucle locale optique peuvent être utilisées en FttH : le point-à-point et le point-à-multipoints de type PON (Passive Optical Network). L'objet de la présente section est d'en rappeler les principes, ainsi que les contraintes techniques qu'elles impliquent en ce qui concerne la partie du réseau située entre le point de mutualisation et les logements, notamment la partie située à l'intérieur des immeubles.
Ces développements constituent un élément de contexte technico-économique utile aux fins de la présente décision. En effet, il importe de recenser les contraintes technico-économiques diverses auxquelles sont soumis les opérateurs en fonction de leurs options technologiques (PON ou point-à-point), à la fois du point de vue de l'opérateur qui équipe l'immeuble en fibre optique (l'opérateur d'immeuble) et de celui qui bénéficie de l'accès à ces installations en application de la loi, afin de pouvoir in fine définir les conditions du respect du principe de neutralité technologique.
1° Le point-à-point
Les opérateurs qui déploient un réseau d'accès en fibre optique en technologie point-à-point font généralement le choix d'un investissement initial important.
En effet, cette technologie consiste à déployer, du nœud de raccordement optique (NRO) aux logements, au moins une fibre optique par logement. Ainsi, à proximité du NRO, la taille et le nombre de câbles déployés sont tels qu'il est en général nécessaire de reconstruire des infrastructures de génie civil sur un périmètre d'une centaine de mètres environ.
Vous pouvez consulter le tableau dans le
JOn° 14 du 17/01/2010 texte numéro 29
En outre, l'investissement nécessaire pour installer des répartiteurs optiques peut être important, puisque qu'il y a en principe autant de fibres optiques arrivant à ce niveau de concentration que de logements situés dans la zone d'influence du NRO (de l'ordre de quelques milliers). Bien que la fibre optique occupe une place bien inférieure à celle des câbles téléphoniques en cuivre, les NRO peuvent néanmoins nécessiter un espace significatif.
Cependant, ce surcoût relatif aux investissements initiaux peut être largement compensé par des économies d'exploitation au long de la vie du réseau.
En effet, une fois le réseau installé du NRO aux logements, les interventions à réaliser peuvent être moins nombreuses, en dehors de cas particuliers de service après-vente qui peuvent nécessiter un déplacement jusqu'au logement de l'abonné.
De plus, l'optimisation du taux de remplissage des équipements actifs est réalisée intégralement au niveau du NRO, ce qui permet de n'activer que le nombre d'équipements correspondant aux clients sur la zone arrière correspondante.
Enfin, la technologie point-à-point permet de suivre les évolutions technologiques, puisqu'il suffit de changer les cartes au NRO pour passer à une autre technologie d'équipements actifs, sans avoir à modifier la structure du réseau, qui est neutre vis-à-vis de ces changements. L'investissement initial plus élevé peut donc être compensé par des économies d'exploitation sur le long terme.
Ce choix économique peut être amélioré si l'opérateur point-à-point peut limiter les interventions dans le réseau à ce qui est nécessaire à la maintenance du réseau. Cela implique pour lui de disposer de la meilleure maîtrise technique de son infrastructure et de privilégier les situations techniques ne multipliant pas les interventions ultérieures.
2° Le point-à-multipoints (PON)
Les opérateurs PON ont fait le choix d'un investissement flexible qui permet de suivre la montée en charge des réseaux. En effet, la topologie en « arbres » du réseau permet d'optimiser son dimensionnement au fur et à mesure de l'augmentation du taux de pénétration sur une zone arrière de NRO.
Cela implique de disposer de points de flexibilité dans le réseau, pour pouvoir optimiser le remplissage des équipements actifs (ports sur cartes PON) et passifs (coupleurs) tout au long de cette montée en charge.
Vous pouvez consulter le tableau dans le
JOn° 14 du 17/01/2010 texte numéro 29
Les opérateurs PON doivent trouver l'équilibre entre l'optimisation des coûts d'investissement (optimisation du remplissage des arbres, mais avec des interventions régulières au niveau des points de flexibilité où sont situés les coupleurs) et l'optimisation des coûts d'exploitation (limitation des interventions aux niveaux des points de flexibilité qui implique un taux de remplissage inférieur des arbres).
Le nombre d'interventions au niveau des points de flexibilité et leur localisation dépendent donc des choix technico-économiques de chaque opérateur PON.
SECTION III
DÉFINITIONS DES NOTIONS UTILISÉES
DANS LA PRÉSENTE DÉCISION
1° Lignes de communications électroniques
à très haut débit en fibre optique
L'article L. 34-8-3 du CPCE, issu de la loi de modernisation de l'économie, prévoit que « toute personne établissant ou ayant établi dans un immeuble bâti ou exploitant une ligne de communications électroniques à très haut débit en fibre optique permettant de desservir un utilisateur final fait droit aux demandes raisonnables d'accès à ladite ligne et aux moyens qui y sont associés émanant d'opérateurs, en vue de fournir des services de communications électroniques à cet utilisateur final ».
La ligne désigne la partie du réseau qui permet de desservir un utilisateur final pour la fourniture de services à très haut débit sur fibre optique. Il s'agit donc de la partie du réseau la plus proche du client, à laquelle tous les opérateurs ont vocation à avoir accès pour fournir des services aux habitants. L'obligation d'accès imposée par la présente décision porte sur la partie de la ligne comprise entre la prise terminale optique située à l'intérieur du logement et le point de mutualisation (cf. définition ci-dessous).
Elle peut être composée de plusieurs chemins optiques continus par logement, par exemple dans le cadre d'un déploiement en multi-fibres. Enfin, les lignes ne se situent pas exclusivement dans la propriété privée, notamment lorsque le point de mutualisation se situe à l'extérieur de l'immeuble.
2° Opérateur d'immeuble
L'opérateur d'immeuble est, en principe, l'opérateur qui a établi les lignes ou qui prévoit de le faire, notamment au travers d'une convention prise en application de l'article L. 33-6 du CPCE à la suite de la désignation de cet opérateur par le propriétaire pour équiper l'immeuble en fibre optique.
Dans les cas où la personne établissant ou ayant établi les lignes n'a pas vocation à assurer la gestion du réseau (par exemple dans le cas d'un promoteur de logements neufs ou un bailleur social), un opérateur d'immeuble doit néanmoins pouvoir être désigné par cette personne pour gérer les lignes et répondre aux demandes d'accès des opérateurs tiers. Il ne paraît en effet pas viable que les opérateurs aient à négocier des conventions d'accès avec chacun des promoteurs ou propriétaires ayant eux-mêmes installé le réseau en fibre optique dans l'immeuble.
De la même façon, si un opérateur d'immeuble n'est pas lui-même opérateur commercial et n'utilise pas de fibre pour ses propres besoins, un opérateur tiers doit pouvoir être désigné par lui pour répondre aux demandes d'accès des opérateurs tiers.
Il convient de noter qu'un opérateur d'immeuble n'est pas nécessairement un opérateur au sens de l'article L. 33-1 du CPCE. Il peut en particulier s'agir d'un gestionnaire neutre fournissant des offres passives d'accès aux lignes aux opérateurs et n'activant pas lui-même le réseau.
3° Point de mutualisation
Le point de mutualisation désigne le lieu où la personne établissant ou ayant établi dans un immeuble bâti ou exploitant une ligne de communications électroniques à très haut débit en fibre optique donne, à d'autres opérateurs, accès aux lignes. La localisation du point de mutualisation est encadrée par l'article L. 34-8-3 du CPCE, qui dispose que :
« L'accès est fourni dans des conditions transparentes et non discriminatoires en un point situé, sauf dans les cas définis par l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, hors des limites de propriété privée et permettant le raccordement effectif d'opérateurs tiers, à des conditions économiques, techniques et d'accessibilité raisonnables. [...] Tout refus d'accès est motivé. »
La personne ayant établi dans un immeuble bâti ou exploitant une ligne de communications électroniques à très haut débit en fibre optique peut donner accès à son réseau en plusieurs points. Parmi ces points, le point de mutualisation est le point de livraison de référence des accès sous forme passive, dans le respect de l'article L. 34-8-3 du CPCE.
Le point de mutualisation est donc un point « logique » qui sépare le réseau de l'opérateur d'immeuble de celui des tiers.
En pratique, l'accès aux lignes au point de mutualisation peut se faire sous des formes diverses, notamment par accès de l'opérateur tiers à une fibre dédiée ou par utilisation d'une fibre partagée.
L'accès peut en outre être fourni en d'autres points que le point de mutualisation, notamment dans le cadre d'accords commerciaux entre opérateurs.
4° Fibre optique dédiée
On entend par fibre optique dédiée un chemin continu en fibre optique d'une ligne, mis à disposition d'un opérateur de façon permanente, que celui-ci fournisse ou non un service à l'utilisateur final concerné.
Dans le cadre d'un déploiement en multi-fibres, l'accès peut se faire par mise à disposition d'une fibre optique dédiée.
5° Fibre optique partagée
On entend par fibre optique partagée un chemin continu en fibre optique d'une ligne, mis à disposition d'un opérateur de façon temporaire, pour ce qui est nécessaire à la fourniture effective de services de communications électroniques à l'utilisateur final concerné.
6° Dispositif de brassage
On entend par dispositif de brassage des lignes un équipement passif permettant la mise en correspondance par connecteurs entre les fibres situées en aval (vers l'utilisateur final) et les fibres situées en amont (vers les réseaux d'un ou plusieurs opérateurs).
7° Zones très denses
Les zones très denses sont les communes dont la liste figure en annexe de la présente décision.
Elles sont définies comme les communes à forte concentration de population, pour lesquelles, sur une partie significative de leur territoire, il est économiquement viable pour plusieurs opérateurs de déployer leurs propres infrastructures, en l'occurrence leurs réseaux de fibre optique, au plus près des logements. Dans la majorité de ces zones, les principaux acteurs du marché ont préparé ou engagé des déploiements.
Le mode de détermination de la liste de communes des zones très denses est le suivant :
― un premier ensemble est constitué des unités urbaines (1) de France métropolitaine dont la population est de plus de 250 000 habitants ;
― un deuxième ensemble est délimité en ne retenant que les unités urbaines du premier ensemble pour lesquelles la proportion de logements en grands immeubles, c'est-à-dire dans les immeubles de plus de 12 logements, est d'au moins 20 % ;
― un troisième ensemble est délimité en retenant, au sein des unités urbaines constituant le second ensemble :
― les communes centres ;
― les communes périphériques pour lesquelles la proportion de logements en grands immeubles, c'est-à-dire dans les immeubles de plus de 12 logements, est d'au moins 50 % ;
― et les communes périphériques pour lesquelles un projet de déploiement de réseau en fibre optique d'un opérateur privé est annoncé à ce jour.
La liste des communes formant les zones très denses correspond à ce troisième ensemble.
A partir des éléments les plus complets et homogènes en termes de date de recensement, en l'espèce les bases de données de population et de topologie d'habitat issues des recensements de 1999 et 2006 disponibles auprès de l'INSEE, les zones très denses ainsi délimitées regroupent 148 communes et 5,54 millions de foyers, dont environ 3,5 millions de foyers (soit environ 60 %) en grands immeubles ou accessibles via des galeries visitables de réseaux d'assainissement.