2.3.4. Développement de la concurrence
et de l'innovation au bénéfice du consommateur
Au-delà de l'amélioration de l'interopérabilité des réseaux et de la simplification des offres, le libre exercice de la concurrence a plus généralement pour but de permettre in fine un développement efficace des marchés au bénéfice du consommateur final.
Ainsi, il convient de choisir une référence en coûts permettant de ne pas brider le développement naturel des marchés de détail et, en particulier, de ne pas limiter le développement d'offres de voix illimitées et/ou forfaitaires, dans une forme la plus ouverte possible, mais aussi les innovations commerciales ou technologiques, comme les offres de convergence.
Or, comme indiqué précédemment, une régulation des tarifs de terminaison d'appel mobile en référence aux coûts incrémentaux induits par cette prestation est de nature à rétablir une concurrence loyale entre acteurs mobiles et fixes, favorisant un développement efficace des marchés, et en particulier l'adoption de la technologie la plus efficace, et stimulant l'innovation et le développement d'offres de convergence. Cela au bénéfice du consommateur. Cette stimulation vaut pour la convergence technique, mais aussi commerciale. Ainsi, dans le cadre d'une tendance au développement des offres illimitées, des niveaux tarifaires de terminaison d'appel mobile élevés font peser un aléa financier considérable sur les opérateurs fixes qui voudraient développer des offres illimitées vers les mobiles. Une référence aux coûts incrémentaux permettrait de rétablir le bon signal de coûts sur ces marchés et de stimuler le développement d'offres illimitées et/ou forfaitaires, y compris vers les mobiles, en cohérence avec le coût réel induit par ce nouveau trafic.
De même, comme indiqué plus haut, en réduisant l'écart entre le coût interne de fourniture d'une terminaison d'appel et son prix de cession externe, cette approche limite l'incitation pour les opérateurs à la différenciation entre les appels on net et off net, au bénéfice de la transparence des offres de détail, et permet le développement d'offres illimitées sans restriction d'usage (vers tous les réseaux et à toute heure).
A l'inverse, parce qu'elle laisse un écart important entre le coût interne pour la fourniture d'une minute incrémentale de terminaison d'appel et l'achat d'une terminaison d'appel externe, une tarification en référence aux coûts complets renforce les incitations au développement d'offres avec effet de réseau et limite le développement d'offres illimitées vers les mobiles au départ du fixe ou sans restrictions d'usage (offres illimitées on net ou à certaines heures, illimitées vers les fixes...). L'utilisation de cette méthode revient également à ne pas reconnaître que l'utilité de la communication est partagée entre l'appelé et l'appelant, ce qui entraîne des tarifs off net élevés, notamment pour les communications fixe vers mobile, une sous-consommation d'appels et une moindre satisfaction des consommateurs. En effet, lorsque l'utilité retirée par l'appelant est inférieure au prix de l'appel, ce dernier y renonce, alors même que l'utilité globalement retirée par l'appelé et l'appelant peut, elle, être supérieure à ce prix et donc correspondre à une consommation efficace si l'appelé pouvait participer au paiement de l'appel.
Enfin, avec la tarification de la terminaison d'appel en coûts complets, plus un opérateur est agressif commercialement en offrant à son client plus de minutes pour une dépense donnée, plus il va devoir s'acquitter d'un montant élevé de terminaisons d'appel et participer ainsi au financement des coûts fixes de ses concurrents, payant notamment une partie de leurs coûts de licence. Ainsi, cette méthode limite fortement les incitations concurrentielles à baisser les tarifs de communication sur les marchés de détail mobiles. Cet effet négatif sur la dynamique concurrentielle est particulièrement préjudiciable alors même que les fortes incitations concurrentielles qui prévalaient dans un marché en pleine croissance ont disparu avec la quasi-maturité de ce marché en termes de taux de pénétration.
2.4. Le changement de référence de coûts pertinente appelle un nouvel équilibre sur le marché plus efficace à terme, dans un marché en permanente adaptation
L'évolution dans le choix du concept retenu, d'une référence aux coûts complets vers une référence aux coûts incrémentaux, représente à terme un changement assez profond, qui implique une modification de l'équilibre économique des offres de détail, et qui devrait par conséquent induire une adaptation progressive de ces offres par les opérateurs mobiles.
Si l'équilibre économique ainsi prévu à terme apparaît plus efficace que l'équilibre actuel, l'ajustement des marchés qu'il nécessite ne devrait pas être immédiat mais devrait plutôt s'envisager progressivement dans un marché en permanente adaptation. C'est la raison pour laquelle l'analyse doit être menée dans un contexte dynamique.
2.4.1. La tarification de la terminaison d'appel en référence aux coûts incrémentaux permet l'enrichissement des offres et la stimulation des usages pour les consommateurs
Le passage d'une régulation en référence aux coûts complets à une régulation en référence aux coûts incrémentaux implique que la structure des offres de détail mobile sera probablement à terme différente, les opérateurs les ayant progressivement réexaminées et adaptées à ces nouvelles conditions tarifaires de gros. Le changement de concept de coûts n'est donc pas neutre pour les consommateurs.
Innovation, stimulation des usages et tarification plus efficace
Ainsi qu'esquissé précédemment une régulation des tarifs de terminaison d'appel mobile en référence aux coûts incrémentaux devrait rétablir les bons signaux de coûts sur les marchés de gros concernés, limitant les distorsions artificielles de prix sur les marchés de détail (on net/off net, fixe vers mobile/mobile vers fixe), permettant le développement d'offres d'abondance à destination de tous les réseaux (all net) et/ou depuis les réseaux fixes et d'offres de convergence, libérant ainsi les usages.
En rétablissant les bons signaux de coûts sur les marchés de gros concernés, les tarifs étant ramenés aux seuls coûts encourus par l'opérateur concerné pour la fourniture de la terminaison d'appel, une régulation en référence aux coûts incrémentaux devrait plus précisément induire un nouvel équilibre entre accès et trafic, et moins de subventions croisées et de transferts entre consommateurs. Alors que la partie « abonnement », implicite aujourd'hui, pourrait être plus explicite, le prix à la minute des appels devrait baisser, permettant de rétablir également aux clients les bons signaux de coûts et donc de les inciter à adopter des comportements de consommation plus efficaces.
Globalement, cela devrait avoir pour conséquence une plus grande satisfaction des consommateurs par une simplification des grilles tarifaires des offres de détail, une augmentation des volumes de communications et une tarification plus efficace.
En effet, le surcoût actuel de certaines communications a pour conséquence une sous-consommation d'appels, liée à des comportements de restriction de la part des consommateurs en position d'appelant mais aussi en position d'appelé. En particulier, actuellement, les utilisateurs de téléphonie fixe limitent les appels à destination des réseaux mobiles. Ainsi, en France, seulement 11 % des appels émis depuis une ligne fixe (trafic RTC ou au départ des accès en IP) ont pour destination un mobile (22). Ce phénomène est relativement fort chez les clients des fournisseurs d'accès à Internet ne disposant pas pour la plupart d'appels vers les mobiles inclus dans leur forfait. Ainsi seulement 5 % des appels émis depuis une ligne de « voix sur large bande » ont pour destination un mobile (23). De plus, une enquête réalisée en métropole montre que les usagers mobiles appelés par une ligne fixe cherchent à limiter les frais de leur correspondant : 45 % d'entre eux écourtent la conversation et 37 % proposent souvent à leur correspondant de les rappeler, souvent voire systématiquement (24). La baisse des tarifs des appels fixe vers mobile ou l'inclusion des communications fixe vers mobile dans les forfaits des opérateurs fixes devraient ainsi par exemple assouplir et développer les usages sous-jacents, pour une meilleure satisfaction des consommateurs.
Un impact limité sur les « petits consommateurs »
A première vue, cette réorganisation de la structure tarifaire, et notamment la diminution des subventions croisées entre consommateurs, pourrait pénaliser les clients qui émettent globalement moins d'appels qu'ils n'en reçoivent (clients dits « asymétriques »). En effet, en analyse statique, les offres concernant ces clients seront moins rentables pour les opérateurs, lesquels pourraient alors avoir une incitation à augmenter leurs tarifs ou à délaisser ce segment de clientèle. Or, les clients plus fortement « asymétriques » sont plutôt les « petits consommateurs », c'est-à-dire les consommateurs émettant relativement peu d'appels et dont la facture est relativement basse.
Ce raisonnement est exposé par Orange Réunion et un second opérateur dans leurs réponses respectives à la consultation publique du 13 février 2009.
Les deux opérateurs étudient, par le biais de données internes à leurs entreprises respectives, l'impact d'une baisse de la terminaison d'appel mobile à 1c€/min sur la rentabilité d'un petit consommateur et celle d'un gros consommateur, à offres de détail inchangées. Ils concluent à une plus forte dégradation du revenu du petit consommateur.
Orange Réunion souligne par cet exemple « le fait que, la part de revenu liée à la TAM étant moins importante pour les gros consommateurs, la baisse de rentabilité est plus aisément maîtrisable pour l'opérateur qui a donc intérêt à encourager ce segment et à développer leurs usages ».
Ce même opérateur considère qu'« une baisse forte des TA mobiles a pour conséquence de réduire l'incitation économique des opérateurs à servir les petits consommateurs » et cite une étude du cabinet Frontier economics (25), qui affirme qu'à l'échelle de l'Union européenne « l'établissement des terminaisons d'appel mobile à 2 c€/min se traduirait par une baisse de la pénétration en Europe de 9 % ». Le second opérateur évoque quant à lui le risque potentiel de repositionnement commercial des opérateurs au détriment des petits consommateurs.
Les deux opérateurs soulignent par ailleurs que les offres adressant les petits consommateurs (prépayés, forfaits bloqués) sont majoritaires en outre-mer, comme le montre le suivi des indicateurs mobiles.
L'Autorité estime que les conclusions précédentes reposent sur une analyse statique du marché qui n'est pas adaptée. Il est nécessaire au contraire de raisonner en analyse dynamique.
De fait, l'adaptation des comportements des opérateurs mobiles aux conséquences du choix d'un nouveau concept de référence tarifaire n'a pas de raison d'être restreinte à une réaction à une simple baisse ou hausse des prix. Les opérateurs ont à leur disposition de multiples leviers d'ajustement pour s'adapter aux nouvelles conditions tarifaires sur les marchés de gros et restructurer leurs offres de détail. Outre le prix facial des offres, ils peuvent agir sur la durée de l'abonnement ou de la validité de la carte en entrant, sur l'équilibrage entre le prix à la minute des communications et celui de l'accès (une forme d'abonnement). Ils peuvent modifier leur politique de subventionnement des terminaux ou de distribution. Ils peuvent enfin modifier le système de marges sur l'ensemble de leurs offres, et non offre par offre.
Ainsi, le marché est en permanente adaptation, comme on a pu le voir au cours des années passées, où les précédentes baisses tarifaires de terminaison d'appel (plus de 60 % de baisse depuis 2005) ont été absorbées par le marché, sans entraîner une disparition des offres du « bas de marché », avec, à l'inverse, une hausse de la pénétration (hors saisonnalité) et le maintien du ratio prépayé/post-payé. En effet, dans la zone Antilles-Guyane, la part du prépayé dans le parc client a augmenté entre 2005 et 2008 passant de 35 % à 51 %. Quant à la zone Réunion-Mayotte, la part du prépayé dans le parc client est passé de 61 % à 54 % pour la même période.
L'Autorité constate également que les précédentes baisses des tarifs de terminaison d'appel n'ont pas eu d'effet sur la pénétration mobile, qui a augmenté sur la période. Le taux de pénétration actif en outre-mer est en effet passé de 76 % à 102 % entre mars 2005 et mars 2009. Il existe encore aujourd'hui des relais de croissance sur la 3G, qui aideront le marché à absorber un changement des conditions tarifaires sur les marchés de gros.
Au demeurant, alors qu'aujourd'hui les « petits consommateurs » paient leurs consommations à la minute à un prix relativement élevé au regard de la moyenne du marché compte tenu de l'abonnement implicite intégré dans les tarifs des communications, il n'est pas exclu qu'une grande partie d'entre eux pourraient au contraire bénéficier d'une nouvelle structure d'offre fixant explicitement une facturation périodique minimum pour rémunérer l'accès au réseau, associée à un prix à la minute de la communication beaucoup plus faible, ce qui pourrait de fait leur permettre de consommer plus de minutes sortantes pour une dépense donnée.
L'Autorité note à cet égard que les opérateurs n'ont pas intérêt à ce que la pénétration baisse et devraient, sous réserve de leur capacité à segmenter, ajuster leurs offres de manière à ce que tout client leur apportant une marge positive, même avec une rentabilité inférieure, reste sur le marché (26), de manière à participer au financement des coûts fixes du réseau.
Orange Réunion considère d'ailleurs que « le rythme de baisse des TA mobiles est un élément déterminant pour assurer une juste restitution des gains de productivité du réseau bénéficiant à la fois aux gros consommateurs et aux petits consommateurs ».
Le tarif de terminaison d'appel n'a pas vocation
à être un outil de politique redistributive
Orange Réunion et un second opérateur mettent en avant le fait que les petits consommateurs sont principalement des personnes aux revenus modestes. Orange Réunion s'appuie sur une étude réalisée par IPSOS en octobre 2008 permettant de faire le lien entre la catégorie socioprofessionnelle et le type d'offre mobile souscrit par les clients.
Ainsi, Orange Réunion souligne que « les personnes dont le pouvoir d'achat est le plus faible et qui ont majoritairement choisi des offres entrée de marché pourraient être les premiers touchés par une éventuelle augmentation des tarifs de détail mobile ».
L'Autorité souligne qu'en tout état de cause, si les niveaux des tarifs de terminaison d'appel actuels avaient pour conséquence de permettre à une partie de clients modestes d'accéder au marché de la téléphonie mobile via la subvention des consommateurs « asymétriques » par les plus gros consommateurs, cela n'est pas l'objectif de la régulation tarifaire de la terminaison d'appel. Celle-ci vise à soutenir une concurrence loyale entre opérateurs et permettre le développement efficace des marchés au bénéfice des consommateurs. Elle répond donc à une problématique concurrentielle et économique et n'est pas adaptée pour répondre à une problématique de redistribution.
De fait, une politique redistributive indirecte via le niveau des tarifs de terminaison d'appel, visant à subventionner les revenus modestes, ne serait pas efficace en ce qu'elle n'atteindrait qu'une partie de la cible visée, et subventionnerait à l'inverse des personnes n'étant pas dans la cible. Enfin, une politique de tarifs de terminaison d'appel hauts maintiendrait les problèmes concurrentiels, biaiserait les consommations et limiterait le développement du marché, et serait donc inefficace économiquement.
L'introduction de tarifs sociaux en téléphonie mobile constituerait à ce titre une politique redistributive efficace car ciblant directement les revenus modestes, sans par ailleurs induire les problématiques concurrentielles, détaillées plus haut, liées à une tarification de la terminaison d'appel supérieure à ses coûts incrémentaux.
L'Autorité note par ailleurs que l'article 111 de la loi du 4 août 2008 de modernisation de l'économie (27) permet l'établissement d'une convention entre l'Etat et les opérateurs mobiles qui proposeraient des tarifs sociaux aux personnes ayant un revenu modeste.
L'Autorité note également le lancement récent par Orange France en métropole d'une offre mobile à bas prix à destination des bénéficiaires du revenu de solidarité active.