I. - Sur le non-lieu à statuer
Les conclusions de la société TV Numéric tendant à la poursuite de la diffusion du service Canal J au-delà du 30 avril 2009 ont été privées d'objet par l'intervention de la décision du 28 avril 2009 par laquelle le conseil a abrogé l'autorisation qu'il avait accordée le 19 juillet 2005 à la société Canal J pour la diffusion du service Canal J en TNT payante.
Le conseil considère donc qu'il n'y a pas lieu de statuer sur ces conclusions, comme sur celles de la société Canal J ayant trait à la détermination de la date de cessation de la diffusion.
II. - Sur la compétence du conseil et la recevabilité des conclusions des parties
Si la compétence du conseil pour statuer sur les conclusions des parties ne fait l'objet d'aucune contestation de part ou d'autre, certaines de ces conclusions doivent faire l'objet d'un examen particulier dans la mesure où, par leurs écritures, les parties semblent entendre faire purement et simplement interpréter et appliquer les clauses du contrat de commercialisation.
1. Sur le reliquat de la demande de TV Numéric
La société requérante demande notamment au conseil d'ordonner à la société Canal J de respecter les conditions de résiliation prévues au contrat, lequel fait l'objet d'une divergence d'interprétation entre les parties.
Si, comprises aussi strictement qu'elles ont été énoncées, ces conclusions paraissent relever de la seule compétence du juge du contrat, il ressort des mémoires produits par la société TV Numéric que celle-ci souhaite que soient appréciés au regard des principes posés à l'article 17-1 de la loi du 30 septembre 1986 le bien-fondé des motifs de la résiliation invoqués par la société Canal J, les modalités de cette résiliation, notamment en ce qui concerne la durée du préavis que la société Canal J lui a accordé, et les conséquences qu'elle pourrait avoir sur l'économie de la société requérante et sur le marché de la TNT payante.
Dans ces conditions, et au regard des conclusions et de l'argumentation présentées par la société TV Numéric, le conseil considère que l'ensemble de la demande de la requérante doit être regardé comme tendant à ce qu'il constate que les conditions de la résiliation par la société Canal J du contrat de commercialisation méconnaissent les exigences, posées à l'article 17-1 de la loi du 30 septembre 1986, d'objectivité, d'équité et de non-discrimination des relations contractuelles entre éditeurs et distributeurs.
2. Sur les conclusions reconventionnelles de la société Canal J relatives au paiement des sommes
que lui devrait la société TV Numéric au titre de la redevance
Telles qu'elles sont exposées, ces conclusions, qui présentent une certaine ambiguïté, sont irrecevables, quelle que soit l'interprétation qui puisse en être faite.
D'une part, il n'appartient pas au conseil de statuer sur des conclusions par lesquelles la société Canal J se bornerait à lui demander de constater que la société TV Numéric serait débitrice à son égard d'une somme précise au titre de l'exécution du contrat, dans le but de faire appliquer les clauses de celui-ci indépendamment de la mise en œuvre des critères prévus à l'article 17-1 de la loi du 30 septembre 1986. De telles conclusions seraient irrecevables dans le cadre d'un règlement de différend.
D'autre part, à supposer que la société Canal J ait entendu saisir de manière reconventionnelle le conseil de conclusions tendant à ce qu'il se prononce sur le caractère objectif et équitable du montant des factures dues par la société TV Numéric, il est constant, qu'en premier lieu, un tel différend n'a pas été préalablement constitué entre les parties sur ce point ; qu'en second lieu, ces conclusions relèvent d'un litige distinct de celui dont le conseil a été saisi et qui a trait au caractère objectif, équitable et non discriminatoire, au sens des dispositions de l'article 17-1 de la loi du 30 septembre 1986, de la résiliation par Canal J du contrat de commercialisation qui la liait à TV Numéric.
Par conséquent, les conclusions de la société Canal J relatives au montant des sommes dues par TV Numéric au titre de la redevance doivent être rejetées comme irrecevables.
III. - Sur le fond du différend
La société TV Numéric soutient qu'il conviendrait, pour apprécier le caractère objectif, équitable et non discriminatoire de la résiliation du contrat, de vérifier la conformité de cette résiliation aux conditions prévues par le contrat. Cependant, dès lors que le respect des clauses contractuelles n'emporte pas nécessairement satisfaction des exigences que l'article 17-1 de la loi du 30 septembre 1986 entend imposer de manière objective, le conseil considère que, dans le cadre d'une demande de règlement de différend, il n'est pas lié par les stipulations contractuelles entre les parties et doit apprécier l'objectivité, l'équité et le caractère non discriminatoire des relations entre éditeurs et distributeurs dont il est appelé à connaître.
En l'espèce, une distinction peut être faite, dans les conditions générales de la résiliation du contrat de commercialisation, entre les motifs de la résiliation, ses modalités et les conséquences qu'elle peut produire.
L'examen des conditions de la résiliation au regard des principes posés à l'article 17-1 de loi du 30 septembre 1986 conduit le conseil à apprécier successivement les motifs de la résiliation au regard de l'exigence d'objectivité des relations contractuelles entre éditeurs et distributeurs, ses modalités au regard des exigences de non-discrimination et d'équité, et les conséquences de la résiliation au regard de la condition d'équité requise par la loi.
1. Sur le caractère objectif des motifs de la résiliation
Sur la diminution des recettes d'abonnement et de publicité
Du point de vue de l'économie générale de la société Canal J, le conseil constate, entre 2006 et 2008, une baisse du chiffre d'affaires total de [...], ce dernier passant de [...] en 2006 à [...] en 2008. Les deux principales sources de revenu de l'éditeur que sont l'abonnement et la publicité étaient en baisse durant cette période :
― les recettes d'abonnement ont diminué de [...] entre 2006 et 2007 [...], et de [...] entre 2007 et 2008 [...]. D'un montant de [...] pour l'année 2008, elles représentaient [...] des recettes de la chaîne. Au sein de ces recettes, le montant de la redevance versée à la société Canal J par les distributeurs de la TNT payante indiqué par l'éditeur était de [...], soit [...] ;
― les recettes publicitaires ont diminué de [...] entre 2006 et 2007 [...] et de [...] entre 2007 et 2008 [...]. Le surcroît d'abonnés à la TNT payante n'entraîne pas de recettes publicitaires supplémentaires. Le conseil considère dès lors comme nulles les recettes publicitaires directement liées à l'activité de la société Canal J en TNT payante.
Sur la diminution des coûts de programmes et de promotion
et l'augmentation des coûts de diffusion
Le conseil relève qu'en 2008, l'ensemble des coûts supportés par la chaîne Canal J était de [...], contre [...] en 2007, soit une diminution de [...].
Il constate que les coûts de programmes et de promotion ont baissé de [...] entre 2006 et 2007 [...] et de [...] entre 2007 et 2008 [...], mais que les coûts de diffusion ont sensiblement augmenté, notamment du fait de l'extension de la couverture de la TNT :
― les coûts de diffusion sur le câble, le satellite et l'ADSL ont progressé de [...] entre 2006 et 2007 [...], et de [...] entre 2007 et 2008 [...] ;
― les coûts de diffusion en TNT payante ont augmenté de [...] entre 2006 et 2007 [...] et de [...] entre 2007 et 2008 [...]. Ils se sont élevés à [...] en 2008, soit [...] du total des coûts de la requérante, contre [...] en 2006. Les coûts de diffusion sont donc en progression, tant en valeur absolue que rapportés au total des coûts supportés par la société Canal J.
S'agissant enfin de l'argument par lequel la requérante soutient que la faible croissance du nombre d'abonnés au service Canal J pourrait s'expliquer par une absence d'efforts de la part de cette dernière de promotion de la chaîne sur la TNT, le conseil constate que les éléments fournis par la société TV Numéric ne suffisent pas à en établir le bien-fondé.
Sur la baisse du résultat d'exploitation
Il résulte de l'instruction qu'en 2008, le résultat d'exploitation de la société Canal J était excédentaire de [...]. Du fait de la diminution plus rapide des recettes [...] entre 2007 et 2008 que des coûts [...] entre 2007 et 2008, le résultat d'exploitation de l'année 2008 a diminué de [...] par rapport à 2007, soit une baisse de [...].
Sur la seule activité de la société Canal J en TNT payante, les recettes de l'éditeur ont été en 2008 de [...], en progression de [...] par rapport à l'année 2007 [...]. Les charges directes, d'un montant de [...] en 2008 et [...] en 2007, ont été, sur ces deux années, trois fois supérieures aux recettes. La marge sur charges directes variable, négative depuis le lancement de la chaîne en TNT payante, est restée stable entre 2007 [...] et 2008 [...].
En TNT payante, l'économie de la société Canal J apparaît donc déficitaire, en raison de l'insuffisance des recettes, qui ne permettent pas de couvrir les coûts de diffusion, lesquels leur sont [...] supérieurs.
Le conseil constate par ailleurs qu'en 2008, les recettes marginales de Canal J en TNT payante, d'environ [...], ont représenté [...] de son chiffre d'affaires total, et que ses coûts marginaux en TNT payante, d'un peu plus de [...], ont représenté [...] du total des coûts de l'éditeur.
En raison de leur augmentation mécanique liée à l'accroissement de la couverture, les coûts de diffusion ne semblent modulables, pour l'éditeur, que marginalement et dans des proportions insuffisantes pour les diminuer. Le conseil estime que la marge sur charges variables directes négative constatée ne peut dès lors s'améliorer que par une augmentation des recettes d'abonnement, étant donné que, comme il a été dit ci-dessus, l'accroissement des recettes publicitaires liées à la présence de la chaîne en TNT payante est marginal et négligeable.
Sur l'insuffisance du nombre d'abonnés
à la société Canal J en TNT payante
Le conseil constate qu'en 2008 les recettes d'abonnement au service Canal J, soit [...], se répartissaient de la manière suivante :
― [...] versés par la société TV Numéric sous forme de minimum garanti ;
― [...] versés par la société Vest@vision sous forme de minimum garanti ;
― s'agissant du reste [...], l'intégralité de la somme peut correspondre à une quote-part attribuée à la TNT, calculée par la société Canal J, de la rémunération forfaitaire globale que la société Canal+ Distribution lui verse chaque année.
Le Conseil relève que la rémunération de la société Canal J en TNT payante est composée d'une part fixe correspondant à la quote-part TNT de la rémunération forfaitaire globale versée par la société Canal+ Distribution, et d'une part variable, d'un montant de [...], pour les sociétés TV Numéric et Vest@vision, assorties, durant les trois premières années d'exercice, de minimums garantis.
Sur la base de l'année 2008, l'ensemble des charges directes est de [...]. Pour atteindre le niveau de recettes permettant d'équilibrer ce montant, le nombre d'abonnés moyen minimum aux offres des sociétés TV Numéric et Vest@vision, calculé sur la base des éléments précités, devrait être d'un peu plus de [...].
Or, à la fin de l'année 2008, le nombre d'abonnés aux offres des sociétés TV Numéric et Vest@vision était d'environ [...]. A court et moyen terme, il semble improbable que le nombre d'abonnés aux offres de TNT payante de ces deux distributeurs progresse aussi significativement qu'il atteigne [...] abonnés, et permette ainsi à la société Canal J d'atteindre son équilibre d'exploitation dans le cadre de son activité hertzienne.
Il ressort de ce qui précède qu'en TNT payante, le coût de diffusion du service Canal J est [...] supérieur à ses recettes. Ce déficit affaiblit l'ensemble de l'économie de l'éditeur, qui doit également faire face à la baisse de ses recettes d'abonnement et de publicité et à la hausse de ses coûts de diffusion.
En conséquence, le conseil considère que la société Canal J a fondé sur des motifs objectifs son souhait de cesser la diffusion de son service sur la TNT.
2. Sur le caractère non discriminatoire et équitable des modalités de la résiliation
Sur le caractère non discriminatoire des modalités de résiliation
Outre le fait que la rupture des relations contractuelles par la société Canal J s'applique aux contrats liant la chaîne à tous les distributeurs de TNT payante, il résulte de l'instruction que les notifications par la société Canal J de sa volonté de cesser la diffusion de la chaîne Canal J en TNT payante ont été effectuées le 29 décembre 2008 pour la société Canal+ Distribution, et le 5 janvier 2009 pour les sociétés TV Numéric et Vest@vision ; compte tenu de l'échéance du 30 avril indiquée par la société Canal J dans ses courriers, le décalage de quelques jours entre la date de la notification à la société Canal+ Distribution et celle de la notification aux sociétés TV Numéric et Vest@vision n'apparaît pas de nature à relever d'un comportement discriminatoire envers la société TV Numéric.
Sur le caractère équitable des relations contractuelles
Il est constant que la société Canal J a d'elle-même observé un délai de près de quatre mois, non prévu au contrat, entre la notification le 5 janvier 2009 à la société TV Numéric de son intention de résilier le contrat et la résiliation consécutive à l'arrêt effectif de sa diffusion, survenu le 30 avril 2009.
Ce délai est donc, en tout état de cause, supérieur au délai de trois mois prévu par la lettre-accord du 25 janvier 2007, à laquelle la société TV Numéric invite à se référer.
Le délai respecté en l'espèce peut être regardé comme raisonnable, dans la mesure où le distributeur a été mis à même d'informer les consommateurs et, le cas échéant, d'adapter son offre commerciale, et cela indépendamment des procédures qu'il a décidé d'engager postérieurement à la notification par la société Canal J de son intention de se retirer de la TNT payante.
De ce point de vue, le conseil estime qu'aucun défaut de diligence ne peut être reproché à la société Canal J sur le terrain de l'équité.
3. Sur le caractère équitable de la résiliation, eu égard à ses conséquences
Sur l'évolution du nombre d'abonnés
La société TV Numéric fait état d'une augmentation du taux de résiliation de ses abonnés de [...] en janvier 2009 à [...] en mai 2009 ; il résulte par ailleurs de l'instruction que ce taux a augmenté de [...] en février 2009 à [...] en mars 2009.
De même, l'observation du nombre d'abonnés recrutés par la société TV Numéric révèle un ralentissement, [...] nouveaux abonnés ayant été recrutés en mars 2009 contre un peu plus de [...] chaque mois de décembre 2008 à février 2009.
Il ne saurait pour autant être déduit de ces variations qu'elles seraient une conséquence directe de l'arrêt de la diffusion de chaîne Canal J, dès lors que, comme elle le souligne elle-même, la société TV Numéric n'a informé ses abonnés de l'arrêt de la diffusion de la chaîne Canal J que le jour de son arrêt effectif, intervenu le 30 avril 2009.
Par ailleurs, le dossier ne permet pas d'apprécier le nombre d'abonnés ayant effectivement résilié leur abonnement à la suite de l'arrêt de la diffusion de la chaîne Canal J.
Sur l'offre de la TNT payante privée du service Canal J
L'arrêt de la diffusion de la chaîne Canal J conduit à la disparition d'une des six chaînes qui composaient l'offre de base de la TNT payante, hors chaînes de la société Canal+ France et hors TPS Star.
En 2008, et avant l'arrêt de la diffusion de la chaîne AB1, la TNT payante était composée de sept chaînes. D'un point de vue strictement arithmétique, en formant l'hypothèse que chaque chaîne présente la même attractivité au sein du bouquet de TNT payante, la part de la redevance versée par la société TV Numéric à chacune des chaînes en 2008 aurait été de (100/7) 14,3%.
Or, le conseil relève que la part de la redevance versée à la société Canal J dans le montant total de la redevance versée par la société TV Numéric aux éditeurs était, en 2008, de [...]. Il peut être également souligné que l'offre de programmes de la chaîne Canal J, à destination de la jeunesse, n'a pas d'équivalent dans la programmation des autres chaînes de TNT payante (sport, fictions, documentaires, information), et, en ce qui concerne l'univers de la TNT gratuite, certains éléments tels que la différence de public visé par la chaîne Gulli et l'activité publicitaire de cette dernière vont dans le sens de l'argument de la société TV Numéric portant sur le caractère singulier de la chaîne Canal J au sein de l'offre en TNT.
Cependant, faute de disposer, en l'état de l'instruction, d'éléments suffisamment déterminants pour quantifier l'effet sur l'économie de la société TV Numéric de la résiliation du contrat avec la société Canal J, et notamment les conséquences de la modification de son offre initiale, le conseil ne pourra que se borner à constater la disparition d'une composante importante de l'offre de programmes en TNT payante, sans pouvoir en déduire une atteinte au principe d'équité susceptible de motiver son intervention sur le fondement de l'article 17-1 de la loi du 30 septembre 1986.
Enfin, le moyen tiré par la société TV Numéric de la méconnaissance d'un « principe de liberté commerciale » n'est pas assorti des précisions suffisantes pour en apprécier le bien-fondé.
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En conséquence de tout ce qui précède, le conseil considère que la résiliation par la société Canal J du contrat de commercialisation conclu le 23 juillet 2007 avec la société TV Numéric a été faite dans des conditions objectives, équitables et non discriminatoires et qu'il y a lieu, par suite, de rejeter les demandes de la requérante autres que celles sur lesquelles il n'y a pas lieu de statuer.
Après en avoir délibéré le 20 juillet 2009, hors la présence du rapporteur,
Décide :