4.1. L'avis de la Commission européenne
Le projet de décision de l'Autorité a été notifié à la Commission européenne et aux autorités réglementaires nationales de la communauté européenne le 23 octobre 2008.
Dans sa lettre de commentaires du 24 novembre 2008, la Commission « se félicite de l'approche adoptée par l'ARCEP qui prévoit une réduction des tarifs de terminaison d'appel au niveau des coûts incrémentaux de long terme d'un opérateur efficace, ce qui se traduira par des tarifs symétriques. La Commission prend acte du point de vue de l'ARCEP selon lequel une période de transition doit être mise en place de manière pragmatique, en tenant compte des spécificités du secteur mobile français et des évolutions du cadre européen, avant de parvenir à des TTM (tarifs de terminaison d'appel mobile) totalement fondés sur les coûts incrémentaux de long terme.
« La Commission partage l'avis de l'ARCEP selon lequel toute asymétrie des TTM doit être temporaire, hors du contrôle du ou des opérateurs concernés et justifiée de manière appropriée par des différences de coûts objectives. La Commission constate que l'ARCEP, dans la ligne de sa décision de 2007, considère que la principale justification du maintien de TTM asymétriques en faveur de Bouygues est la distorsion de concurrence découlant des surcoûts directs supportés par cette entreprise en raison de la différence qui existe entre les TTM et les coûts efficaces sous-jacents, associée aux déséquilibres de trafic qu'elle subit par rapport à ses concurrents aux parts de marché plus importantes. À cet égard, la Commission souhaite rappeler que les déséquilibres de trafic, au lieu d'être imputables à des effets de réseau, peuvent en fait être causés par le niveau asymétrique actuel des TTM ainsi que par une différenciation des prix de détail on-net/off-net qui est du ressort des opérateurs.
« La Commission constate en outre que l'ARCEP, tout en affirmant que les différences de coûts subies par Bouygues à cause des assignations de fréquence et d'une entrée tardive sur le marché ne seront plus significatives avec le passage aux coûts incrémentaux, rappelle néanmoins sa décision de 2007 qui stipulait qu'elle prendrait en compte les effets de l'attribution initiale défavorable de fréquences à Bouygues pour la dernière fois dans le plan de réduction de l'asymétrie des TTM qu'elle propose actuellement.
« Compte tenu des éléments qui précèdent, la Commission invite l'ARCEP à aboutir à des TTM symétriques pour les trois opérateurs et à envisager de fixer une date butoir pour le passage aux TTM au niveau des coûts d'un opérateur efficace, tout en tenant compte à la fois des différences de coûts objectives définies ci-dessus et des évolutions constatées à l'échelon européen, lors du prochain cycle d'analyse des marchés aux fins de régulation. »
4.2. Synthèse des contributions reçues lors de la consultation publique
L'Autorité a lancé une consultation publique sur son projet de décision le 23 octobre 2008, clôturée le 24 novembre 2008. Elle a reçu sept réponses à cette consultation : cinq opérateurs, dont les trois opérateurs de réseaux mobiles métropolitains (Orange France, SFR, Bouygues Telecom), Kertel et GlobalCom, et deux associations de consommateurs et d'utilisateurs (l'AdUF, association des utilisateurs de Free, et l'UFC-Que Choisir). Orange France, SFR et Bouygues Telecom ont souhaité soumettre intégralement leurs réponses au secret des affaires. L'ensemble des réponses non confidentielles sont publiées sur le site de l'ARCEP. L'Autorité demandera aux trois opérateurs mobiles d'identifier les éléments d'information relevant strictement du secret des affaires et rendra publique leurs contributions expurgées de ces éléments. Par ailleurs, les principaux points présentés par l'ensemble des acteurs sont résumés ci-dessous.
4.2.1. Sur la référence aux coûts incrémentaux
Orange France et SFR ne partagent pas l'analyse de l'Autorité selon laquelle les évolutions du marché mobile en métropole, notamment le développement d'offres d'abondance on-net et à destination des fixes et l'émergence d'offres de convergence, posent de nouvelles problématiques concurrentielles qu'il convient de prendre en compte afin de mettre en œuvre une régulation adaptée. Ils estiment à l'inverse que ces problématiques concurrentielles n'existent pas.
Concernant les offres d'abondance on-net, ces deux opérateurs estiment qu'elles n'induisent pas de distorsion concurrentielle en défaveur de Bouygues Telecom : ces offres sont, selon eux, parfaitement reproductibles par Bouygues Telecom, le choix de celui-ci de développer des offres d'abondance all-net relevant de sa stratégie commerciale propre. Bouygues Telecom exprime l'avis opposé.
Orange France et SFR considèrent également que, quand bien même des distorsions concurrentielles sur le marché de détail seraient avérées, il n'appartient pas à l'Autorité de chercher à y remédier dans le cadre de la régulation du marché de gros. Selon Orange France, la faiblesse actuelle du parc de Bouygues Telecom, supposée engendrer un effet club négatif, ne résulte pas de contraintes de marché subies par celui-ci dans la mesure où Bouygues Telecom aurait pu atteindre une taille équivalente à celle de ses concurrents. Selon SFR, il est du ressort du Conseil de la concurrence de juger des pratiques de différenciation des tarifs on-net/off-net.
SFR s'oppose à l'analyse de l'Autorité selon laquelle la référence, pour la fixation des tarifs de terminaison d'appel, aux coûts incrémentaux de long terme, correspondant au coût interne de production de la terminaison d'appel, limite l'incitation à la différenciation on-net/off-net des tarifs de détail et contribue ainsi à une concurrence loyale entre opérateurs mobiles. Selon SFR, la distinction on-net/off-net pratiquée sur le marché de détail est pertinente du point de vue de l'investisseur, qui cherche à obtenir la meilleure valorisation de ses investissements. Permettre à d'autres opérateurs d'accéder au réseau au coût incrémental, c'est-à-dire au même coût que s'ils avaient investi, sans participer aux coûts fixes, constituerait selon lui une atteinte au droit de propriété. Par ailleurs, dussent les offres d'abondance on-net être problématiques du point de vue concurrentiel, il estime qu'une baisse des tarifs de terminaison d'appel au niveau des coûts incrémentaux n'y remédierait pas mais pourrait avoir pour effet contraire de les généraliser. Il souligne l'exemple des Etats-Unis et du Canada où les tarifs de terminaison d'appel mobile sont très faibles et où les offres de type on-net sont très développées.
A l'opposé, Bouygues Telecom soutient l'analyse de l'Autorité et considère que la convergence des niveaux de terminaison d'appel vers les coûts incrémentaux permettra de réduire les effets anticoncurrentiels des offres on-net des gros opérateurs. L'UFC-Que Choisir considère qu'elle permettra le développement d'offres d'abondance sans effet de réseaux (ou all-net).
Concernant la capacité des opérateurs à recouvrer leurs coûts, SFR estime que l'approche en coût incrémental revient à faire une allocation totalement asymétrique des coûts joints et communs qui ne seraient pas affectés au marché de gros. Il considère qu'une telle allocation asymétrique n'est pas optimale économiquement, les coûts fixes devant être répartis sur les marchés de gros et les marchés de détail. De plus, selon l'opérateur, la fixation des terminaisons d'appel au niveau des coûts incrémentaux reviendrait pour les opérateurs à pratiquer une discrimination positive en faveur de leurs concurrents, ceux-ci étant exemptés de toute participation aux coûts fixes.
Orange France et SFR rejettent l'analyse de l'Autorité selon laquelle l'approche en coûts incrémentaux limite les distorsions de concurrence entre opérateurs fixes et opérateurs mobiles.
Selon SFR, l'écart actuel entre les terminaisons d'appel fixe et les terminaisons d'appel mobile ne constitue que la contrepartie des différences techniques et économiques des deux marchés, cet écart ne biaise donc en rien le jeu concurrentiel.
Par ailleurs, celui-ci considère que les offres de convergence de type HappyZone ne font nullement appel à la terminaison d'appel mobile (qui n'est d'après cet opérateur nullement nécessaire aux opérateurs fixes pour répliquer aux offres des opérateurs mobiles), puisqu'il s'agit d'offres d'appels illimités vers les numéros fixes. Par ailleurs, SFR met en avant la marge actuelle des opérateurs fixes sur les appels à destination des mobiles, qui autoriserait ceux-ci à proposer des forfaits de communications illimitées vers les mobiles dans des conditions financières concurrentielles avec celles des opérateurs mobiles, la marge de ceux-ci sur la terminaison d'appel mobile étant plus faible.
Orange France met en avant la nécessité d'un accès fixe pour profiter d'une offre de convergence technique ; dès lors, les offres de convergence ne concurrencent pas les offres fixes.
Les deux opérateurs estiment que les marchés fixes et mobiles constituent de toute façon des marchés pertinents distincts. Selon Orange France, les opérateurs fixes et mobiles ne sont donc pas en concurrence.
Cet avis n'est pas partagé par l'Association des utilisateurs de Free (ci-après AdUF), qui considère que l'écart entre terminaisons d'appel mobile et terminaisons d'appel fixe introduit une distinction artificielle entre téléphonie fixe et téléphonie mobile, qui pénalise les utilisateurs finals en ce qu'il empêche l'apparition d'offres d'abondance ou de tarifs avantageux vers les mobiles au départ des lignes fixes. L'UFC-Que Choisir et Kertel partagent l'analyse de l'AdUF. L'AdUf et l'UFC-Que Choisir mettent en outre en avant que les réseaux mobiles sont aujourd'hui rentabilisés, et que leur subventionnement par les opérateurs fixes ne se justifie plus. Les trois acteurs s'expriment en faveur d'une régulation aux coûts incrémentaux, permettant de mettre fin aux distorsions de concurrence entre opérateurs fixes et mobiles.
Orange France et SFR ne partagent pas l'avis de l'Autorité selon lequel la fixation des tarifs de terminaison d'appel en référence aux coûts incrémentaux permettrait l'enrichissement des offres, la stimulation des usages et la baisse globale des prix pour les consommateurs.
Orange France constate que la croissance du trafic voix est en baisse bien que les niveaux des terminaisons d'appel aient baissé. Il souligne en outre que de nombreuses offres illimitées se sont développées sur le marché même en l'absence de terminaisons d'appel mobiles très basses. Enfin, il estime que la politique de baisse des terminaisons d'appel conduit à une moindre croissance du parc mobile et donc du nombre de correspondants potentiels.
Orange France et SFR ne croient pas en une baisse globale des prix. Au contraire, ils estiment que le transfert sur le marché de détail des coûts non recouvrés sur le marché de gros ne peut avoir pour effet qu'une hausse ou une stagnation de la facture des consommateurs et invitent à l'Autorité à reconnaître l'existence du waterbed effect. Un des opérateurs met en avant la stabilisation de la recette moyenne de trafic sortant facturée aux clients (15 c€/min), ce qui est selon lui une illustration du waterbed effect, les opérateurs mobiles voyant leurs recettes de gros diminuer et ne pouvant restituer ces gains à leurs clients.
Au contraire, l'UFC-Que Choisir estime que le projet de l'Autorité ouvre la voie à une baisse forte des prix de détail, favorable aux consommateurs.
S'agissant du cas particulier des prépayés, SFR souligne que les données de l'Observatoire des marchés montrent la hausse de la facture moyenne des clients prépayés à mesure que les tarifs de terminaison d'appel baissent, ce qui est contradictoire avec l'analyse de l'Autorité.
S'agissant du cas particulier des appels fixes vers mobiles, il doute de l'impact d'une baisse des tarifs de terminaison d'appel mobile sur le prix final de ces appels pour les consommateurs. Il souligne que les précédentes baisses des tarifs de gros mobiles n'ont pas été répercutées sur les tarifs de détail mais se sont plutôt traduites par une augmentation de la marge des opérateurs fixes. Au contraire, l'UFC-Que Choisir estime que la fixation des tarifs de terminaison d'appel au niveau des coûts incrémentaux permettrait l'intégration des appels vers les mobiles dans les forfaits multiple-play des opérateurs fixes, ce qui constituerait un progrès pour le consommateur. L'AdUF estime quant à elle qu'elle permettrait l'émergence de tarifs avantageux pour les communications fixes vers mobiles.
Par ailleurs, l'UFC-Que Choisir considère que la régulation des tarifs de terminaison d'appel mobiles aux niveaux des coûts incrémentaux constituerait une avancée pour le consommateur en introduisant une rupture et en donnant une nouvelle impulsion au marché, qui deviendrait plus fluide et plus concurrentiel. En particulier, l'UFC-Que Choisir estime que ces nouvelles conditions de gros permettraient le développement d'offres d'abondance all-net, qui libérerait en partie les abonnés captifs des offres d'abondance on-net, ceux-ci pouvant dès lors retrouver les mêmes avantages chez d'autres opérateurs.
SFR considère que ce projet vise à réaliser un transfert financier en faveur de Bouygues Télécom et des opérateurs fixes, dont en particulier France Télécom. Il lui porterait donc un préjudice direct et quasi exclusif, France Telecom regagnant en grande partie sur son activité fixe ce qu'elle perd sur son activité mobile.
Orange France et SFR estiment le projet de l'Autorité nuisible aux investissements. SFR met en avant deux raisons principales : la suppression d'une des assiettes de recouvrement des coûts fixes et l'exigence de rentabilités plus fortes de la part des investisseurs, leurs revenus étant plafonnés au coût comptable. Par ailleurs, cet opérateur considère que le transfert de revenus en faveur des opérateurs fixes via la baisse des terminaisons d'appel mobiles ne peut pas avoir pour effet d'inciter les opérateurs fixes à investir dans la fibre, cette incitation dépendant en premier lieu du cadre réglementaire spécifique à la boucle locale fixe et aux fourreaux, et de la rentabilité différentielle par rapport au dégroupage.
Orange France estime que le passage aux coûts incrémentaux peut diminuer l'incitation naturelle des opérateurs mobiles à investir dans la qualité de service et la couverture, notamment dans les zones les moins denses.
4.2.2. Sur le contexte européen
Orange France et SFR constatent que les niveaux de plafonds de terminaison d'appel mis en consultation publique placeraient la France dans une position singulière en Europe, et notamment vis-à-vis des grands pays comparables (Allemagne, Espagne, Italie, Grande-Bretagne), même en intégrant la perspective d'une baisse du niveau moyen de terminaison d'appel en Europe à l'horizon 2010.
Orange France estime que la divergence de la France en matière de régulation induit un risque de déséquilibre entre opérateurs européens.
SFR rappelle que la convergence des niveaux de terminaison d'appel au coût incrémental n'est pas décidée au niveau européen. Dès lors, le projet de l'ARCEP entraverait toute possibilité d'harmonisation européenne sur une méthodologie en coût complet.
4.2.3. Sur la transition
Kertel et l'Association des utilisateurs de Free (AdUF) critiquent la mise en place d'une période de transition.
Kertel ne partage pas l'avis de l'Autorité sur le besoin d'une période de transition de plusieurs années pour permettre aux opérateurs de s'adapter aux nouvelles conditions de marché. Selon Kertel, le marché de la téléphonie mobile est mature et oligopolistique et il ne faudrait pas le scléroser davantage au détriment des opérateurs alternatifs et des consommateurs. En conclusion, Kertel affirme qu'une période de transition de plusieurs années vers les coûts incrémentaux n'est pas justifiée et que, par conséquent les tarifs de terminaison d'appel devraient être alignés sur les objectifs de la Commission européenne pour atteindre 2 c€/min au plus tard en 2011.
De même, l'AdUF regrette que « l'ARCEP ne soit pas allée au bout de sa démarche, en imposant des tarifs de terminaison orientés vers les coûts, soit comme indiqué dans le document de consultation ayant un montant situé entre 1 et 2 centimes d'euro par minute ». Selon l'AdUF, une telle décision aurait de fait mis fin à la distinction actuellement artificiellement entretenue entre les tarifs de terminaison d'appel fixe et mobile, qui pénalise in fine principalement les utilisateurs. La suppression de cette distinction artificielle aurait bénéficié selon l'association à tous les acteurs, utilisateurs et opérateurs. Il aurait également eu l'avantage de permettre la mise en œuvre de certaines évolutions du plan de numérotation, afin de mettre ce dernier plus en accord avec les usages et attentes d'aujourd'hui.
Au contraire, selon Bouygues Telecom, une transition d'au moins six ans est nécessaire pour permettre aux opérateurs d'ajuster leurs offres. En effet, indépendamment de l'évolution des tarifs de terminaison d'appel, les opérateurs doivent s'adapter à la hausse du prix des terminaux (avec le développement de la 3G et des technologies HSPA) et à la baisse des revenus des services mobiles. En cas de rupture dans les tarifs de terminaison d'appel, le marché pourrait être déséquilibré de manière inefficace et cela conduirait à un ralentissement de la pénétration des services et donc de l'investissement. En l'absence d'ajustement graduel, les offres aux « petits consommateurs » seraient notamment fortement affectées.
Cet opérateur souscrit à l'analyse dynamique de l'Autorité selon laquelle les opérateurs disposent cependant de nombreux leviers d'ajustement mais estime qu'un délai suffisant doit être laissé aux opérateurs pour adapter leurs offres. En conséquence, il soutient la proposition de l'Autorité, sous réserve d'une baisse plus progressive au cours du cycle d'analyse de marché suivant pour aboutir à une transition étalée sur six ans.
4.2.4. Sur la gestion des conséquences de la transition
Orange, SFR et Kertel se prononcent contre le maintien d'une asymétrie tarifaire et souhaiteraient sa disparition avant même la fin du présent cycle d'analyse de marché. Ils considèrent en effet que l'asymétrie n'est pas justifiée et qu'elle constitue un avantage financier accordé à Bouygues Telecom sans contrepartie.
Kertel souhaite même voir disparaître l'asymétrie tarifaire dès juillet 2009 pour la terminaison d'appel et souhaite également une symétrie des tarifs de BPN.
Globalcom estime que les prix des BPN devraient être alignés et subir une baisse proportionnelle à celle de la terminaison d'appel, afin de ne pas induire une mauvaise appréciation du prix réel total par les consommateurs.
Orange France rappelle que la Commission européenne prône une symétrie des tarifs qui serait atteinte dès que possible et a déjà signifié à l'Autorité à travers ses observations sur les précédentes décisions que seuls des éléments hors de contrôle d'un opérateur peuvent temporairement justifier une asymétrie.
L'opérateur affirme alors que l'Autorité a surestimé les surcoûts pour Bouygues Telecom dus aux différences d'allocation de fréquences et au délai d'entrée sur le marché. Orange France critique notamment les calculs mis en œuvre pour évaluer l'impact de ces deux facteurs et affirme que Bouygues Telecom a déjà largement pu compenser les surcoûts dus à ses attributions de fréquences et qu'il avait la possibilité d'atteindre une part de marché de 30 % dès 2008 car il était dans des conditions comparables à celles de ses concurrents dès 2002.
Orange France conclut que le niveau d'asymétrie proposé représente une subvention illégitime de la stratégie commerciale de Bouygues Telecom. Selon lui, l'asymétrie corrige les effets de choix stratégiques propres à cet opérateur (qui ont fortement augmenté son ratio de trafic off-net/on-net ces dernières années) alors même que ce dernier ne doit pas faire face à une structure de marché qui l'empêcherait de se développer à égalité de chances avec ses concurrents. D'après ses propres calculs effectués pour l'année 2008, il estime que le niveau d'asymétrie tarifaire susceptible d'être associé au déséquilibre subi par Bouygues Telecom dans ses échanges de trafic off-net avec ses concurrents ne saurait dépasser 0,11 c€ environ, ce qui est à comparer aux 2 c€ actuellement en vigueur.
Orange France remarque enfin que les niveaux d'asymétrie proposés par l'Autorité augmentent en valeur relative pour dépasser 30 % au moment où les niveaux absolus deviennent les plus bas d'Europe (près de 50 % inférieurs à la moyenne) et où les autres pays réduisent leurs niveaux d'asymétrie en valeur relative.
Orange France conclut sur le fait que l'asymétrie tarifaire en faveur de Bouygues Telecom constitue une aide d'Etat prohibée.
SFR note que la compensation des asymétries de trafic n'est pas prévue dans le CPCE et que l'asymétrie est calculée sur la base des coûts incrémentaux qui ne constituent pas une référence valide sur la période visée selon l'opérateur. En effet, la recommandation de la Commission européenne n'a pas encore été publiée et il n'est même pas certain qu'elle tranche en faveur des coûts incrémentaux.
L'Association des utilisateurs de Free (AdUF) est quant à elle défavorable à l'asymétrie car elle considère que ce remède s'est déjà avéré inefficace et que son maintien a minima jusqu'à la fin du cycle d'analyse de marché ne fera que prolonger les effets de club et l'illisibilité des tarifs, mal perçue par les consommateurs.
Au contraire, Bouygues Telecom souscrit à l'analyse de l'Autorité et défend le principe du maintien transitoire d'une asymétrie tarifaire, pour tenir compte du déficit d'interconnexion engendré par l'écart entre le tarif de terminaison d'appel et les coûts réellement supportés. L'asymétrie s'avère donc indispensable pendant la phase transitoire. Cependant, Bouygues Telecom juge le différentiel de 1,5 c€ puis 1 c€ insuffisant pour compenser les transferts de marge vers Orange et SFR anticipés pour la période concernée. Cet opérateur ajoute en outre que le principe de symétrie n'a pas de fondement économique en cas de référence aux coûts complets.
4.2.5. Sur les données de coûts
Orange France et SFR rappellent qu'ils ne sont pas d'accord avec l'Autorité sur la pertinence et la fiabilité du modèle de restitution comptable (top-down) et du modèle technico-économique d'un opérateur générique efficace (bottom-up).
En ce qui concerne la comptabilité réglementaire, Orange France réitère ainsi ses commentaires, déjà formulés dans ses précédentes contributions, sur la valorisation des équipements complètements amortis, l'exclusion des dettes sur fournisseurs d'immobilisations et les règles d'allocation des coûts au prorata de l'usage du spectre, qui « déportent » des coûts de la voix vers la data selon l'opérateur, qui revient selon lui à réguler le marché mobile différemment du marché fixe.
De même, SFR réitère ses commentaires sur l'exclusion des coûts commerciaux, des coûts de messagerie vocale, du besoin en fonds de roulement dans la comptabilité réglementaire ou encore l'oubli des coûts de personnel et de systèmes d'information dans le modèle technico-économique de l'Autorité.
En ce qui concerne le modèle technico-économique, les deux opérateurs contestent également le paramétrage du modèle pour un opérateur générique efficace et affirment que le réseau théorique modélisé ne correspond pas à une moyenne pertinente des configurations des réseaux réels et que, par suite, il ne pourrait pas fonctionner.
Orange France ajoute enfin que les données de coûts utilisées par l'Autorité ne sont pas adaptées au cadre des coûts incrémentaux, puisque la comptabilité réglementaire restitue des coûts complets.
4.3. Conclusions tirées par l'Autorité
Sans répondre à l'ensemble des points présentés, dont certains trouvent notamment leur réponse dans le présent document et/ou dans ses précédentes décisions, l'Autorité souhaite apporter les précisions suivantes.
4.3.1. Sur la référence aux coûts incrémentaux
En premier lieu, l'Autorité rappelle qu'elle avait annoncé sa volonté de réexaminer la pertinence du concept de coût complet distribué dans sa décision n° 2007-0810 en date du 4 octobre 2007, au vu des problèmes concurrentiels découlant de la position dominante des opérateurs mobiles sur les marchés de la terminaison d'appel mobile.
L'Autorité maintient son analyse sur les problématiques concurrentielles au niveau des offres de convergence et sur la substituabilité fixe/mobile. Il n'existe certes pas de substituabilité entre l'accès fixe et l'accès mobile, mais il existe bien une substituabilité partielle sur les communications depuis une position déterminée. Comme l'Autorité l'a noté dans ce document, les mobiles sont beaucoup utilisés à domicile et les consommateurs choisissent le réseau par lequel ils passent leurs appels, notamment en fonction des tarifs et du numéro appelé, d'où une réelle concurrence entre opérateurs fixes et mobiles à ce niveau.
Il est par ailleurs inexact d'affirmer que l'équation économique de l'offre HappyZone ne fait pas appel à la terminaison d'appel mobile puisque cette offre est associée à un numéro mobile. Ce numéro permet des revenus d'interconnexion liés au niveau du tarif de terminaison d'appel mobile lorsque l'abonné est appelé, y compris lorsqu'il est à son domicile.
De plus, la comparaison des marges réalisées au détail par les opérateurs fixes et les marges réalisées au gros par les opérateurs mobiles pour les appels vers les mobiles n'est pas pertinente. Cela ne permet donc pas de remettre en cause l'existence d'une distorsion de concurrence entre ces deux catégories d'opérateurs pour ce type d'appels.
Par ailleurs, l'argument selon lequel la régulation en référence aux coûts incrémentaux est assimilable à une atteinte au droit de propriété qui oblige un opérateur à faire bénéficier ses concurrents du même coût incrémental pour la terminaison d'appel semble ne pas prendre en compte le fait que le service de terminaison d'appel constitue une facilité essentielle pour laquelle s'applique un principe de non-discrimination.
Sur la question du prépayé, l'Autorité observe que la hausse de la dépense moyenne observée sur les dernières années résulte d'une hausse des consommations et non d'une hausse du prix moyen.
Enfin, en ce qui concerne les incitations à l'investissement et à la couverture, l'Autorité n'entend pas modifier son analyse et renvoie aux arguments présentés au sein du présent texte.
En conclusion, l'Autorité estime que les réponses reçues n'apportent pas d'éléments nouveaux susceptibles de remettre en cause la référence aux coûts incrémentaux.
A la lecture des réponses reçues, elle réaffirme que la méthode des coûts incrémentaux de long terme crée un signal économique mieux adapté et plus efficace pour les marchés que les coûts complets distribués. L'Autorité note que la Commission européenne, ainsi que la plupart des acteurs, confirment cette approche.
4.3.2. Sur le contexte européen
Concernant le contexte européen, l'Autorité rappelle que les spécificités du marché mobile français (coût des licences, mais aussi structure du marché à trois acteurs, consommation moyenne, etc.) expliquent que la France se situe transitoirement plus bas que les autres pays européens, tel que cela ressort du comparatif européen établi par le Groupe des régulateurs européens (GRE).
De plus, l'ARCEP prend bonne note que la Commission entend jouer un rôle accru en s'assurant que les régulateurs prennent des décisions qui vont dans le sens d'une baisse des niveaux des tarifs de terminaison d'appel et d'une harmonisation à terme vers une référence aux coûts incrémentaux.
4.3.3. Sur la transition
Ainsi qu'elle l'a développé ci-dessus, s'il lui semble souhaitable que les tarifs de terminaison d'appel convergent vers les niveaux de coûts incrémentaux aussi rapidement que possible, l'Autorité estime qu'elle doit également prendre en compte le fait qu'un ajustement trop brutal des prix de gros pourrait déstabiliser le marché, notamment en remettant en cause l'équilibre économique de certaines offres de détail sans que les opérateurs disposent du temps d'adaptation nécessaire. Etant donné qu'il existe des différences importantes entre les coûts incrémentaux d'un opérateur efficace et les niveaux actuels des tarifs de terminaison d'appel mobile, l'ARCEP considère donc qu'une période de transition est nécessaire.
Cette transition doit alors intégrer deux contraintes a priori opposées : d'un côté assurer la convergence la plus rapide possible des tarifs de terminaison d'appel vers le niveau de coûts incrémentaux d'un opérateur efficace et de l'autre éviter de déstabiliser le marché par une transition trop rapide.
L'Autorité estime que le projet de décision notifié à la Commission européenne et mis en consultation publique concilie ces deux contraintes de manière raisonnable et proportionnée. Elle estime que les réponses reçues n'apportent pas d'éléments nouveaux susceptibles de remettre en cause cette position.
4.3.4. Sur la gestion des conséquences de la transition
L'Autorité tient à souligner qu'elle est en accord avec le principe d'une symétrie des tarifs à terme, et que c'est bien la nécessité d'une période de transition vers la référence en coûts incrémentaux qui implique le maintien d'une asymétrie dans les tarifs de terminaison d'appel mobile pour atténuer les conséquences sur le jeu concurrentiel entre opérateurs mobiles de cette orientation graduelle des tarifs vers les coûts. A cet égard, l'Autorité souhaite rappeler qu'elle ne cherche ni à « compenser les déséquilibres de trafic off-net entre Bouygues Telecom et ses concurrents » ni à résoudre un problème concurrentiel sur le marché de détail, mais bien à corriger les effets de la mise en œuvre graduelle d'une régulation optimale sur les marchés de gros de la terminaison d'appel, en évitant de créer une distorsion de concurrence artificielle due à l'écart entre tarifs et coûts sous-jacents. Cette asymétrie demeure bien par nature transitoire et est réduite au fur et à mesure de l'orientation vers les coûts incrémentaux des tarifs de terminaison d'appel mobile.
L'Autorité avait souligné dans son analyse de marché d'octobre 2007 trois raisons de mettre en œuvre une asymétrie tarifaire transitoire. Dans son projet de décision mis en consultation publique, l'ARCEP a réétudié la pertinence de chacun de ces trois points en référence aux coûts incrémentaux. Cette analyse est reprise plus haut dans le présent document. Elle conclut que dans le cadre d'une régulation en référence aux coûts incrémentaux les deux premières raisons ne justifient plus le maintien d'une asymétrie tarifaire. En effet, les surcoûts associés au délai d'entrée sur le marché de détail ne semblent plus significatifs si on se place en référence aux coûts incrémentaux, de même que les surcoûts liés aux différences d'attributions initiales de fréquences. En revanche, la troisième raison justifie encore le maintien transitoire d'une asymétrie tarifaire dans le cadre d'une régulation en référence aux coûts incrémentaux et explique le niveau d'asymétrie proposé.
En effet, l'écart entre les coûts incrémentaux d'un opérateur efficace et les tarifs de terminaison d'appel, associé aux forts déséquilibres de trafic entre Orange et SFR d'une part et Bouygues Telecom d'autre part, engendre une distorsion artificielle de concurrence sur le marché de détail qu'il est nécessaire de prendre en compte. De fait, l'aspect progressif de la convergence des tarifs de terminaison d'appel vers les coûts sous-jacents a un impact direct sur l'écart susmentionné, en particulier avec la nouvelle référence des coûts incrémentaux.
A cet égard, l'Autorité souhaite rappeler, comme elle l'a indiqué plus haut, qu'elle ne propose pas de prendre en compte l'intégralité de cet écart, ce qui ne serait pas justifié pour les raisons détaillées dans les développements précédents. Elle prend notamment en compte cet effet dans une mesure réduite compte tenu de l'externalité induite sur les opérateurs fixes (et donc leurs clients) par la différenciation des tarifs de Bouygues Telecom, et de ce que le déséquilibre de trafic dans le futur est sensible à la stratégie commerciale des opérateurs.
Au demeurant, l'obligation de contrôle tarifaire imposé à Bouygues Telecom impose à cet acteur des baisses de tarifs supérieures à celles imposées à Orange France et SFR (une baisse de 4,5 c€ sur la période versus une baisse de 3,5 c€).
A la lecture des réponses reçues, l'Autorité estime que les réponses reçues n'apportent pas d'éléments nouveaux susceptibles de modifier son appréciation de l'asymétrie tarifaire à mettre en œuvre pour les tarifs de terminaison d'appel mobile.
4.3.5. Sur les données de coûts
L'Autorité rappelle qu'elle a déjà répondu dans ses précédentes décisions (55) à nombre de commentaires déjà formulés à l'époque et réitérés par les opérateurs sur la comptabilité réglementaire (justification de l'exclusion des coûts de messagerie vocale, des dettes sur fournisseurs d'immobilisations, du besoin en fonds de roulement, etc.). Il n'y a donc pas lieu de remettre en question la pertinence des niveaux de coûts issus de cette comptabilité sur ces points. Cela n'est pas contradictoire avec le fait que l'Autorité a souhaité préciser ces spécifications comptables en sollicitant la contribution des opérateurs dans un souci d'harmonisation des pratiques.
L'allocation des coûts aux différents services en proportion de l'utilisation des fréquences se justifie pleinement et ne « déporte » pas de coûts de la voix vers les données. D'une part, dans la technologie GSM, une partie des ressources est réservée aux données, ce qui fixe sans contestation possible l'allocation des coûts liés au spectre. D'autre part, une des principales motivations au déploiement de la technologie UMTS est le développement des services de données, qui influent largement sur le dimensionnement de la boucle radio 3G. Il paraît donc naturel que ces services de données, consommateurs de spectre, supportent les coûts correspondants, et que ces coûts ne soient pas reportés sur la terminaison d'appel vocale.
Concernant les remarques des opérateurs sur les algorithmes et les paramètres du modèle technico-économique, l'Autorité s'en tient aux modifications évoquées au paragraphe 1.3.3 de ce document. En effet, une démarche de modélisation, intrinsèquement réductrice de la complexité des réseaux, nécessite de faire des choix entre diverses représentations de la réalité. Retenir un algorithme plutôt qu'un autre ne signifie pas qu'il existe une seule « bonne » vision des choses. Les tests de sensibilité qu'elle a menés sur le modèle métropolitain montrent que le choix de tel ou tel algorithme n'induit que des variations marginales des coûts qui ne remettent pas en cause les résultats annoncés.
Le modèle technico-économique a été initialement développé dans le but de calculer les coûts complets distribués (avec un résultat entre 2.4 et 2.9 c€ pour un opérateur générique métropolitain en 2008). Cependant, ce modèle permet d'ores et déjà de calculer des estimations des coûts incrémentaux (entre 1 et 2 c€ pour un opérateur générique métropolitain en 2008), en ôtant les coûts qui doivent sortir du périmètre, tels que les coûts de licence ou encore certains coûts de couverture. Notamment, les tests effectués à l'aide du modèle pour estimer la pertinence des trois sources d'asymétrie sont compatibles avec le cadre des coûts incrémentaux. Les comparaisons menées dans le présent document avec les mêmes tests effectués en coûts complets ont pour objet d'expliquer l'évolution de la position de l'ARCEP.
Il convient de noter que par définition le coût incrémental est supérieur au coût complet distribué. Aussi, l'incertitude qui demeure sur le niveau précis des coûts incrémentaux (que l'Autorité estime entre 1 et 2 c€/min) est non pertinente dans le cadre de la présente décision dans la mesure où les plafonds imposés sont supérieurs au niveau des coûts complets qui est connu avec précision et fiabilité.
A l'avenir, l'ARCEP souhaite affiner l'adaptation de ces modèles ou données de coûts à la méthode des coûts incrémentaux afin de préciser son évaluation de ces niveaux de coûts. Ainsi, la comptabilité réglementaire de même que le modèle technico-économique nécessiteront une mise à jour pour laquelle la période de transition pourra être mise à profit.
4.3.6. Sur l'avis de la Commission européenne
La Commission européenne invite « l'ARCEP à aboutir à des TTM symétriques pour les trois opérateurs et à envisager de fixer une date butoir pour le passage aux TTM au niveau des coûts d'un opérateur efficace, tout en tenant compte à la fois des différences de coûts objectives définies ci-dessus et des évolutions constatées à l'échelon européen, lors du prochain cycle d'analyse des marchés aux fins de régulation ».
Le cadre juridique français (article D. 301 à D. 303 du CPCE) impose un réexamen de la définition des marchés, de la désignation des opérateurs puissants et des obligations qui leurs sont imposées tous les trois ans. Par ailleurs, ce même cadre interdit d'imposer une obligation au-delà de la date de révision de la définition de marché et de la puissance des acteurs. A ce titre, l'Autorité devra initier un troisième cycle d'analyse des marchés durant l'année 2010 en vue de remotiver une prorogation de la régulation des terminaisons d'appel mobile sur la période 2011-2013.
L'Autorité prend acte du commentaire de la Commission européenne et l'examinera lors du prochain cycle d'analyse des marchés.