A N N E X E
RAPPORT SPÉCIAL
Depuis octobre 2005, la haute autorité a été saisie de nombreuses réclamations de pères de famille ayant élevé seuls leurs enfants et relevant le caractère discriminatoire de l'article L. 531-4 du code de la sécurité sociale en ce qu'il ne réserve qu'aux mères le bénéfice de majorations de durée d'assurances dans le calcul des pensions de retraite.
Dans la délibération n° 2005-43 du 3 octobre 2005, le collège de la haute autorité a estimé que les dispositions du code de la sécurité sociale, bien que conformes au droit communautaire, étaient incompatibles avec les stipulations de l'article 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme combinées à celles de l'article 1er du premier protocole à la convention.
L'article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme (CEPH) stipule que « la jouissance des droits et libertés reconnues par la présente convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe [...]. L'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention confère quant à lui à toute personne « un droit au respect de ses biens ».
Le Conseil d'Etat a jugé que les pensions de retraite constituaient une créance devant être regardée comme un bien au sens de cette stipulation. Il a précisé, sur cette base, qu'une différence de traitement liée à la jouissance de l'un des droits garantis par la convention, entre des personnes placées dans une situation analogue, est discriminatoire, au sens de l'article 4 de la CEDH, « si elle n'est pas assortie de justifications objectives et raisonnables, c'est-à-dire si elle ne poursuit pas un objectif d'utilité publique ou si elle n'est pas fondée sur des critères objectifs et rationnels en rapport avec les buts de la loi ».
L'article D. 351-1-7 du code de la sécurité sociale dispose qu'il est attribué « un trimestre d'assurance à compter de la naissance ou de l'adoption d'un enfant [...], puis, dans la limite de sept trimestres pour chaque bénéficiaire de la majoration et jusqu'au seizième anniversaire de l'enfant, un trimestre d'assurance supplémentaire, à chacune de ses dates anniversaires ».
Ces avantages accordés aux femmes ayant élevé des enfants ne visent donc pas à compenser les désavantages liés au congé de maternité ou à l'éloignement du service après l'accouchement, ni à les aider à mener leur vie professionnelle sur un pied d'égalité avec les hommes, mais uniquement à leur offrir, au moment de leur départ à la retraite, certains avantages en lien avec la période consacrée à l'éducation des enfants. Le traitement différencié des hommes et des femmes n'apparaît donc pas justifié au regard de l'objectif de la mesure qui est de prendre en compte une période d'inactivité liée à l'éducation de ses enfants.
Dès lors, l'article L. 351-4 du code de la sécurité sociale est incompatible avec les stipulations de l'article 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme combinées avec l'article 1er du premier protocole additionnel.
Ainsi en a d'ailleurs jugé la Cour de cassation dans un arrêt du 21 décembre 2006, tout comme la cour d'appel de Paris qui, dans un arrêt du 5 juin 2008, a jugé recevables les observations de la haute autorité et les a pleinement suivies sur le fond.
Conformément à la délibération n° 2005-43 précitée, le collège a invité le président à interroger le Premier ministre et le ministre délégué à la sécurité sociale sur les justifications de l'article L. 531-4 du code de la sécurité sociale excluant les hommes des avantages consentis aux femmes pour l'éducation de leurs enfants. Il en recommandait la modification si aucune justification valide au regard de la loi ou des conventions internationales n'était apportée. Après relance auprès du ministre pour défaut de réponse, ce dernier a apporté plusieurs éléments d'information, par courrier du 6 août 2006 adressé au président de la haute autorité, tendant à justifier la différence de traitement introduite par la législation sociale pour le calcul des droits à pension.
Dans la mesure où les éléments d'information communiqués par le ministre ne paraissaient pas de nature à répondre aux observations formulées par le collège et qu'entre-temps la Cour de cassation a, en outre, confirmé la position du collège adoptée en 2005, le ministre a été invité, une nouvelle fois, à faire modifier l'article litigieux, et ce par courrier du président en date du 5 avril 2007. Dans ce courrier, l'attention du ministre était également appelée sur le fait que la haute autorité avait la possibilité, conformément à l'article 11 de la loi n° 2004-1486 du 30 décembre 2004 portant sa création et l'article 31 du décret n° 2005-215 du 4 mars 2005, d'adopter un rapport spécial, publié au Journal officiel, si ses recommandations n'étaient pas suivies d'effet.
A ce jour, aucune réponse à ce courrier n'est parvenue à la haute autorité. En conséquence, le collège recommande à nouveau au ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité d'initier une modification de l'article L. 351-4 du code de la sécurité sociale.