I. ― INTRODUCTION
Dans les développements ci-après, l'Autorité procède à :
― la délimitation du périmètre du marché de gros des offres d'accès haut débit et très haut débit activées livrées au niveau infranational, en termes de services et en termes géographiques ;
― l'analyse de l'état de la concurrence et de son évolution prévisible sur le marché puis la désignation, le cas échéant, du ou des opérateurs y exerçant une influence significative ;
― la détermination des obligations imposées à l'opérateur exerçant une influence significative sur le marché.
1. Le processus d'analyse des marchés
L'Autorité rappelle que le processus d'analyse des marchés consiste, conformément aux dispositions des articles L. 37-1 et suivants du code des postes et des communications électroniques (CPCE) :
― à déterminer la liste des marchés du secteur dont les caractéristiques en termes de développement de la concurrence justifient l'imposition d'un dispositif de régulation spécifique ;
― à désigner, le cas échéant, les opérateurs disposant sur ces marchés d'une influence significative ;
― à fixer les obligations spécifiques, adaptées et proportionnées aux problèmes concurrentiels constatés.
L'analyse menée par l'Autorité vise, en vertu des articles L. 37-1 et suivants du CCPCE, à analyser l'état et l'évolution prévisible de la concurrence sur ces marchés et à en déduire les conséquences en termes d'obligations réglementaires.
Dans ce cadre, et conformément aux articles L. 37-3 et D. 301 du même code, l'Autorité recueille l'avis du Conseil de la concurrence, soumet son projet de décision à consultation publique et le notifie à la Commission et aux autorités de régulation nationales (ARN) des autres Etats membres.
Au terme d'un premier cycle d'analyse de marché correspondant au processus décrit ci-dessus, l'Autorité a adopté les décisions n° 2005-0278 et n° 2005-0280 le 19 mai 2005, celles-ci ont mis en place une régulation ex ante sur le marché de gros des offres d'accès large bande activées livrées au niveau régional. Ces décisions sont arrivées à échéance le 1er mai 2008.
C'est pourquoi l'Autorité mène, par la présente décision, son analyse du marché de gros de l'accès haut débit et très haut débit activé, ou la « fourniture en gros d'accès à large bande », portant sur les trois prochaines années. Ce marché est le cinquième marché de la liste des marchés pertinents de la recommandation de la Commission en date du 17 décembre 2007.
Conformément à l'article 7 de la directive « cadre » et à l'article L. 37-1 du CPCE, l'Autorité étudie la délimitation de ce marché désigne, le cas échéant, le (ou les) opérateur(s) y exerçant une influence significative et, enfin, au regard des problèmes et obstacles au développement d'une concurrence effective identifiés, impose les obligations proportionnées.
Conformément à l'article D. 301 du CPCE, l'Autorité a publié le 19 décembre 2007 un document de consultation sur l'analyse des marchés de gros du haut débit et du très haut débit.
Dans ce document, après avoir analysé la situation concurrentielle prévalant sur chacun des marchés de détail et de gros du haut débit et du très haut débit, l'Autorité a proposé une délimitation des marchés pertinents. Elle a ainsi proposé une définition du marché de gros des offres d'accès aux infrastructures physiques constitutives de la boucle locale filaire, ainsi que des marchés de gros des offres d'accès haut débit et très haut débit activées livrées au niveau infranational. Sur chacun de ces marchés, elle a proposé une analyse conduisant à la détermination de l'entreprise exerçant une influence significative sur le marché et a soumis à consultation une liste d'obligations qu'elle estimait proportionné et justifié d'imposer à cette entreprise.
Après avoir considéré l'ensemble des quinze contributions des acteurs et consulté le Conseil de la concurrence selon les dispositions de l'article L. 37-1 du code des postes et des communications électroniques, l'Autorité a établi des projets de décisions en vue de leur transmission à la Commission européenne, ainsi qu'aux autorités réglementaires compétentes des autres Etats membres de l'Union européenne, projets qu'elle a soumis, en parallèle, à consultation publique le 18 juin 2008.
Les régulateurs des autres Etats membres n'ont pas émis de commentaire sur cette notification. La Commission a adressé à l'Autorité une lettre formulant des observations, décrites en partie VI de la présente décision. Elles ont conduit l'Autorité à préciser son analyse sur certains points relatifs, notamment, à l'inclusion des offres fondées sur le câble dans le marché pertinent.
L'Autorité a reçu trois contributions en réponse à la consultation publique menée en parallèle à cette notification. Une de ces contributions a fait apparaître la nécessité d'inclure les processus et conditions d'éligibilités des accès dépendants de multiplexeurs dans l'offre de référence. Le projet de décision initial a donc été amendé en ce sens.
2. Durée d'application de la décision
Conformément aux prescriptions de l'article D. 301 du CPCE, l'Autorité peut déclarer un marché pertinent « pour une durée maximale de trois ans ». L'Autorité doit réviser son analyse de sa propre initiative « lorsque l'évolution de ce marché le justifie », ou encore « dès que possible après la modification de la recommandation de la Commission européenne » précitée. En outre, en vertu des articles D. 302 et D. 303 du même code, les décisions déterminant l'existence d'une influence significative et imposant aux opérateurs des obligations sont réexaminées dans les mêmes conditions.
La présente analyse porte sur une durée de trois ans. L'Autorité s'est attachée à effectuer une analyse prospective du marché sur cette période et considère que la mise en œuvre d'une régulation de ce marché pendant une durée de trois ans est pertinente, au regard de l'absence d'évolution prévisible vers une situation de concurrence effective.
En tant que de besoin, par exemple en cas d'évolution significative de la structure du marché ou de ses acteurs, l'Autorité pourra toutefois être amenée à effectuer une nouvelle analyse avant la fin de la période envisagée et, le cas échéant, prendre de nouvelles décisions.
A l'issue du présent processus d'analyse, l'Autorité adoptera donc des décisions qui s'appliqueront pour une période de trois ans à compter du jour de la publication de la décision correspondante au Journal officiel de la République française.
3. Cadre d'analyse et définition des termes employés
a) Le haut débit
Il est entendu par « offres haut débit » les offres de détail d'accès offrant un confort suffisant compte tenu des applications et services les plus répandus notamment sur Internet. Ceci correspond à ce jour à un débit nominal supérieur ou égal à 512 kbit/s. Ces offres se distinguent des offres d'accès bas débit, en ce qu'elles proposent une bande passante supérieure et permettent l'usage simultané du service téléphonique classique.
Plusieurs technologies d'accès haut débit sont disponibles en France. La plus répandue est le DSL auquel plus de 98 % de la population est éligible et qui compte 15,5 millions d'abonnés au 31 mars 2008, suivie par le câble coaxial, avec 0,7 million d'abonnés haut débit au 30 juin 2007. D'autres supports peuvent également être utilisés, comme les réseaux hertziens utilisant des technologies de type Wi-Fi, la boucle locale radio, les réseaux de satellites ou encore le réseau de distribution électrique (courants porteurs en ligne). Le nombre d'accès haut débit activés fondés sur ces technologies reste à ce jour très limité, à moins de 10 000 accès fin 2007.
Le développement du marché du haut débit s'est principalement développé en France grâce à la possibilité donnée aux opérateurs de communications électroniques alternatifs de dégrouper la boucle locale cuivre de France Télécom.
Le secteur a ainsi connu une croissance très forte du nombre d'accès haut débit, portée par le dégroupage. En termes de nombre d'accès et de taux de pénétration du haut débit, la France se place au-dessus de la moyenne des grands pays européens. Pour la part d'accès haut débit DSL en dégroupage, la France est dans le peloton de tête, en Europe comme au niveau mondial. Le dégroupage couvre désormais près de 70 % de la population.
Les opérateurs et fournisseurs de services proposent aujourd'hui des offres haut débit avec des déclinaisons adaptées à la clientèle résidentielle et à la clientèle professionnelle. Des services spécifiques sont commercialisés en faveur de cette dernière, notamment en termes de débits (débits élevés et garantis, connexions symétriques), de niveau de qualité de service (temps d'intervention et de rétablissement garanti), et de protocoles (IP, ATM, Ethernet).
Sur le marché résidentiel, les offres de détail haut débit peuvent se limiter au seul accès à Internet ou donner en outre l'accès à un ensemble de services multimédias comprenant des services diversifiés tels que la téléphonie en voix sur large bande, voire l'accès à un bouquet de chaînes et la vidéo à la demande dans les zones dégroupées. Là où il est techniquement possible, le « triple play » s'est généralisé.
b) Le très haut débit
Il existe une appétence des consommateurs pour des services toujours plus innovants, nécessitant des débits de plus en plus élevés, ce qu'illustrent notamment le succès des offres de télévision par ADSL qui comptait 4,1 millions d'accès au troisième trimestre 2007, l'essor de la vidéo à la demande, le développement de nouveaux usages sur le web, la croissance des échanges de pair à pair entre communautés d'internautes et l'équipement progressif des ménages en écrans de télévision haute définition.
Les offres haut débit actuelles ― sur le câble et le DSL notamment ― sont limitées en bande passante, notamment sur la voie remontante, ce qui peut constituer un frein au développement des nouveaux usages. Seul le très haut débit reposant sur la technologie de la fibre optique est à même de répondre à terme, par des débits supérieurs, aux attentes des consommateurs en favorisant le développement de services enrichis, notamment dans le domaine de l'audiovisuel (ex. : haute définition, multipostes, vidéo à la demande) ou pour des usages de type « user generated content » (ex. : blogs, mise en ligne de vidéos et de photos).
Le déploiement des réseaux très haut débit par les opérateurs, pour adresser une clientèle résidentielle, a déjà commencé dans les principales agglomérations de métropole. Les principaux opérateurs ont annoncé des plans d'investissement qui pourraient porter sur plus d'un million de foyers raccordables par an au cours des prochaines années. Les acteurs positionnés à ce jour sur le marché du très haut débit sont principalement les opérateurs présents historiquement sur le marché du DSL et câble.
Sur un plan technologique, le déploiement du très haut débit consiste à rapprocher la fibre de l'abonné. Une première option consiste à réutiliser une partie des réseaux en cuivre ou en câble coaxial sur la partie terminale, la plus proche des abonnés. C'est le choix retenu par le câblo-opérateur (FttLA : « Fibre to the Last Amplifier »), qui permet d'amener jusqu'à 100 Mb/s descendants partagés entre une soixantaine d'abonnés. Les autres opérateurs envisagent plutôt des déploiements en fibre jusqu'à l'abonné (FttH : « Fibre to the Home »), offrant des débits symétriques de plusieurs dizaines de Mb/s par abonné.
Deux topologies de boucle locale optique sont utilisées pour le FttH : le point-à-point et le point-à-multipoints de type PON (Passive Optical Network). Le point-à-point, comme le réseau de boucle locale cuivre de France Télécom, relie chaque foyer au répartiteur optique par une fibre dédiée. Le PON permet la mutualisation de plusieurs accès (jusqu'à 64 avec les technologies actuelles) sur une seule fibre pour une partie de la boucle locale, située entre le répartiteur optique et des points de concentration passifs, appelé coupleurs, situés plus bas dans le réseau ; à partir du dernier niveau de coupleur, une fibre est dédiée à chaque foyer.
A l'horizon de la présente analyse, il apparaît difficile d'opérer une distinction claire entre haut débit et très haut débit au niveau des marchés de détail. Il existe en effet un continuum de débits entre les offres de détail fondées sur le DSL (jusqu'à 18 Mbit/s descendants), le câble et la fibre, et aucune application spécifique au très haut débit ne semble susceptible d'induire à elle seule un clivage dans le comportement des consommateurs à court terme.
c) Marché de gros des offres activées haut débit
et très haut débit livrées au niveau infranational et définition des termes employés
Les offres de gros d'accès haut débit et très haut débit activées sont les offres destinées à des opérateurs, qui leur permettent de proposer sur le marché de détail des offres d'accès haut débit et très haut débit activées telles que définies ci-avant.
On entend par « raccordement infranational » un raccordement qui ne se limite pas à un seul point national et qui est réalisé au niveau régional, départemental ou infradépartemental.
L'Autorité constate que plusieurs types d'offres de gros d'accès haut débit activées actuellement proposées en France en DSL correspondent à cette définition et doivent être regardées comme des offres infranationales, à savoir :
― des offres DSL permettant de prendre livraison des flux haut débit en mode ATM aux niveaux régional et départemental. Les offres correspondantes de France Télécom sont dénommées « DSL Collect ATM » (proposée avec l'offre « DSL Access » pour la composante accès) pour les offres résidentielles et « DSL Entreprises » pour les offres professionnelles ;
― des offres DSL à destination de la clientèle résidentielle permettant de prendre livraison des flux haut débit en mode IP à un niveau régional. L'offre correspondante de France Télécom est dénommée « DSL Collect IP » (proposée avec l'offre « DSL Access » pour la composante accès).
Plusieurs opérateurs alternatifs sont susceptibles de proposer des offres DSL alternatives à celles de France Télécom, notamment à partir du dégroupage. C'est le cas de Neuf Cegetel.
En outre, l'Autorité note qu'il est probable que des offres de gros d'accès très haut débit activées fondées sur la fibre optique soie nt proposées à l'horizon de la présente analyse par les opérateurs qui déploient des réseaux très haut débit.
Techniquement, il semble également que le principal câblo-opérateur soit en mesure de proposer sur le marché de gros une offre d'accès haut débit ou très haut débit activée fondée sur le câble coaxial.
II. ― DÉFINITION DU MARCHÉ PERTINENT
Le cinquième marché identifié par la Commission européenne dans sa recommandation « marchés pertinents » en date du 17 décembre 2007 correspond au marché de gros de l'accès haut débit et très haut débit.
La recommandation précise que ce marché comprend les réseaux virtuels et les accès activés, en particulier les accès « bitstream » pour les services fixes de communications électroniques. Ce marché est positionné en aval des accès physiques, couverts par le quatrième marché identifié par la Commission, au sens où un accès de gros haut débit activé peut être construit à partir d'offres relevant du marché 4 et d'autres éléments (1).