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Article AUTONOME (Décision n° 2008-0896 du 29 juillet 2008 portant sur la définition des marchés pertinents de la téléphonie fixe, la désignation d'opérateurs exerçant une influence significative sur ces marchés et les obligations imposées à ce titre)

Article AUTONOME (Décision n° 2008-0896 du 29 juillet 2008 portant sur la définition des marchés pertinents de la téléphonie fixe, la désignation d'opérateurs exerçant une influence significative sur ces marchés et les obligations imposées à ce titre)



Un modèle qui fait supporter des coûts de transition
à la prestation de terminaison d'appel


Les éléments de comptabilisation des coûts présentés par France Télécom sont un élément pour estimer a maxima la valeur d'une prestation de terminaison d'appel efficace. Cependant, ces coûts s'éloignent de la valeur d'efficacité et perdent donc de leur pertinence dans le contexte d'une transition technologique. En effet, le passage d'un réseau cœur de type RTC à un réseau cœur de type NGN n'induit pas de modification significative dans la nature du service de terminaison d'appel rendu aux opérateurs alternatifs, mais induit des coûts de transition pour France Télécom. Comme l'Autorité le rappelle dans ses principes sur la tarification de la terminaison d'appel, il serait inefficace économiquement que les coûts de cette transition puissent être répercutés sur une prestation, la terminaison d'appel, et le client final qui n'en tirent pas de bénéfices car cela engendrerait une externalité négative significative pour les opérateurs tiers. Or, plusieurs éléments tendent à montrer que certaines hypothèses retenues par France Télécom pourraient conduire à répercuter une partie de ses coûts de transition sur la prestation de terminaison d'appel.
France Télécom affirme en effet dans sa réponse qu'« il existe un point d'arbitrage entre réaliser cette opération [la migration] au plus tôt et devoir migrer un nombre considérable de clients POTS, ou attendre que ce nombre soit réduit et subir des coûts d'exploitation plus élevés pendant une période plus longue ». Il apparaît donc que France Télécom cherche à déterminer le point d'arbitrage qui lui permette de minimiser ses coûts de migration, démarche dont l'Autorité ne conteste d'ailleurs pas la rationalité. Cependant, la minimisation de ses coûts de migration par France Télécom ne coïncide pas nécessairement avec la détermination de la migration qui minimise les coûts de fourniture d'une prestation de terminaison d'appel. Ainsi, France Télécom a intérêt à attendre un point d'arbitrage qui lui permette de subir les coûts de migration minimaux et, dans l'intervalle, à recouvrer une partie de ses coûts, notamment d'exploitation, grâce à la terminaison d'appel, sur un réseau qui n'est pourtant pas le plus efficace pour fournir cette prestation. Or s'il est légitime que France Télécom détermine le calendrier de sa migration, il demeure que certains coûts de migration encourus par France Télécom sont dus à sa décision de minimiser ses coûts de migration et ne devraient par conséquent pas pouvoir être répercutés sur la terminaison d'appel. Dans le cas contraire, cela reviendrait à transférer une partie des coûts de migration de France Télécom sous la forme de coûts d'exploitation de réseau et à les répercuter sur les opérateurs alternatifs, ce qui constituerait une externalité négative significative pour les opérateurs alternatifs.
Par ailleurs, d'après le modèle de France Télécom et comme France Télécom le rappelle, la hausse des coûts unitaires de la terminaison d'appel voix sur le réseau de type RTC de France Télécom est due à la baisse des volumes de communication sur ce réseau. Or la baisse du trafic sur le réseau de type RTC de France Télécom est au moins en partie due à l'action de France Télécom sur les marchés de détail, car France Télécom acquiert sur des offres « ADSL nu » d'Orange Internet des clients qui utilisaient précédemment le réseau de type RTC de France Télécom. Cet effet de substitution entre les réseaux est notamment visible d'après les prévisions de trafic fournies par France Télécom à l'Autorité. L'Autorité estime que France Télécom ne saurait être fondée à recouvrer auprès des opérateurs tiers achetant ses prestations de terminaison d'appel des coûts qui sont dus à ses propres choix sur les marchés de détail, car cela remettrait notamment en cause l'établissement d'une concurrence durable et loyale entre les opérateurs sur les marchés de détail.


IV-4.2.2.6. Résultats fournis par le modèle de France Télécom


France Télécom a communiqué formellement les résultats de ses modélisations à l'Autorité par un courrier daté du 6 juin 2008. Les éléments transmis à l'Autorité sont soumis au secret des affaires, mais comme France Télécom l'affirme dans sa réponse à la consultation publique, France Télécom prévoit une hausse de ses coûts unitaires pour fournir la prestation de terminaison d'appel.
Comme indiqué précédemment, l'utilisation du modèle de coût de France Télécom afin d'évaluer les coûts prévisionnels de la terminaison d'appel voix ne peut être considérée comme suffisante pour déterminer le niveau de coût efficace pour fournir cette prestation. En particulier, ce modèle prend en compte des coûts de technologies RTC qui ne sont pas les technologies disponibles les plus efficaces, est le reflet de la structure historique de France Télécom et pourrait inclure des coûts de migration, du fait de la transition technologique, qui constitueraient une externalité négative significative pour les opérateurs tiers.
Par ailleurs, l'AFORST a développé un modèle de coûts descendant qui prévoit une baisse des coûts unitaires de France Télécom sur la période 2005-2011, notamment du fait de la prise en compte des coûts des technologies disponibles les plus efficaces. Bien que l'Autorité considère que le modèle de France Télécom prend en compte des hypothèses plus conformes à son réseau réel, l'Autorité prend note que le modèle descendant du réseau de France Télécom développé par l'AFORST prévoit une baisse des coûts de terminaison d'appel en dépit d'une baisse des volumes de trafic sur le réseau de France Télécom.
Compte tenu de l'ensemble des limites identifiées, les données prospectives que pourrait fournir le modèle de comptabilisation des coûts de France Télécom fournissent un signal pour l'évaluation des coûts d'un opérateur efficace qui doit être pris en compte avec précaution et confronté à d'autres éléments de coûts à la disposition de l'Autorité. Ce modèle ne saurait être le modèle unique retenu par l'Autorité pour l'évaluation des coûts de la prestation de terminaison d'appel fournie par un opérateur efficace, mais bien une des références disponibles.


IV-4.2.3. Modèles de coûts technico-économiques à la disposition de l'Autorité
IV-4.2.3.1. Modèle NGN pur
Organisation du modèle


En 2006, l'Autorité a fait réaliser par le cabinet Tera un modèle technico-économique d'un réseau NGN qui supporte à la fois des services de voix et de données. Ce modèle permet de déterminer le coût de construction et d'exploitation d'un réseau NGN en fonction de paramètres d'entrée sur les volumes (voix et données) que celui-ci doit transporter. En particulier, ce modèle permet de déterminer les coûts d'interconnexion (à la minute et au débit) correspondant à la prestation de terminaison d'appel voix. Ce coût peut-être évalué suivant plusieurs hypothèses :
― suivant le nombre de niveaux d'interconnexion retenus pour la voix (niveaux local, régional ou national) ;
― suivant la clé d'allocation retenue pour allouer les coûts joints aux différents services du réseau. Le modèle permet d'allouer les coûts joints en fonction de la capacité (débit) utilisée par le service ou en fonction d'un critère économique de coalition entre les différents services (valeur de Shapley-Shubik).
Le modèle s'articule en plusieurs étapes :
― une étape sur la demande qui synthétise l'évolution prospective de la demande au cours des prochaines années ;
― une étape sur la topologie du réseau qui permet de retenir l'architecture du réseau NGN la plus efficace (critère de dimensionnement du réseau, nombre de points d'interconnexions, etc.). Le dimensionnement du réseau est dépendant des paramètres de demande et est calculé grâce au modèle ;
― une étape sur les coûts qui permet d'évaluer les coûts des meilleurs équipements disponibles pour la construction du réseau, ainsi que des différentes prestations nécessaires (par exemple génie civil), ainsi que le coût d'exploitation. L'amortissement de ces coûts est calculé en utilisant un taux de dépréciation évalué d'après un taux de progrès technique exogène au modèle ;
― enfin une étape finale qui utilise les éléments de demande, de topologie du réseau et des coûts d'investissement et de maintenance, et qui permet de calculer les coûts induits par la fourniture de la voix, en particulier à la prestation de terminaison d'appel voix.
Ces différentes étapes du modèle ont été notamment établies grâce à des entretiens menés avec France Télécom, des opérateurs alternatifs et des équipementiers.
Le volet de demande du modèle différencie les différents services supportés par le réseau NGN dans différentes catégories :
― 4 services sont retenus : voix, Internet, TV et VoD ;
― l'utilisation par des clients résidentiels ou entreprise est distinguée ;
― le volume (en minutes) de trafic voix est différencié suivant le type de trafic sur le réseau (appels on-net, appels locaux, transit, etc.) ;
― le taux de pénétration des différents services doit être évalué ;
― etc.
L'étape du modèle sur la topologie du réseau définit l'architecture suivant les paramètres suivants :
― la technologie retenue pour construire le réseau NGN (fibres optiques, routeurs, etc.) ;
― la construction des boucles et le positionnement des équipements de commutation et de contrôle sur le réseau ;
― les bâtiments nécessaires pour héberger les équipements.
Outre les caractéristiques topologiques du réseau (soumises au secret des affaires), les principales hypothèses sont les suivantes :
― le réseau défini est un réseau pré-IMS, utilisé pour les trafics de téléphonie fixe (voix), Internet, VoD et TV ;
― le trafic mobile n'est pas transporté sur ce réseau ;
― l'interconnexion avec les autres réseaux s'effectue directement en mode IP (aucun équipement supplémentaire n'est nécessaire pour effectuer une conversion des flux entre deux réseaux s'interconnectant).
L'étape sur les coûts permet d'évaluer les coûts unitaires des différents éléments nécessaires au réseau, en investissement et exploitation, suivant la meilleure technologie disponible pour construire le réseau. Ces différents paramètres de coûts peuvent être modifiés en entrée du modèle.
Le calcul des coûts de construction et d'exploitation du réseau NGN s'effectue de la manière suivante :
― les volumes de demande (voix et données) permettent de déterminer un débit nécessaire supporté par chaque élément du réseau grâce à des matrices de routage en fonction de la topologie retenue (différents trafics n'utilisant pas les mêmes éléments du réseau) ;
― parallèlement, les coûts sont affectés aux différents éléments du réseau suivant la topologie retenue et le dimensionnement nécessaire pour satisfaire la demande.
A la suite de cette première étape, le coût de chaque élément du réseau (transport ou commutation) est évalué. Il reste à allouer ces coûts aux différents services qui utilisent le réseau NGN. Les coûts joints doivent être alloués suivant une clé d'allocation pertinente :
― une première méthode consiste à retenir le débit comme la clé d'allocation pertinente puisqu'il s'agit de l'inducteur de coût pertinent pour le dimensionnement du réseau ;
― cependant, une telle allocation peut ne pas être soutenable car certains services peuvent être moins chers à fournir grâce à des technologies alternatives et bénéficier d'effet, de mutualisation seulement dans le cas où ils supportent une part plus faible des coûts joints. Le modèle permet d'attribuer également les coûts suivant une clé de Shapley-Shubik pour pallier ce problème. Cette méthode présente cependant certains inconvénients, notamment parce qu'il est nécessaire d'évaluer les coûts de production des différents services suivant les autres technologies disponibles. Par ailleurs, comme le fait remarquer l'AFORST dans sa réponse à la consultation publique, le choix des services pris en compte doit être discuté et impacte sensiblement les résultats fournis par le modèle (29).
A la suite de cette étape, les coûts des différents éléments de réseau sont alloués aux différents services modélisés (voix, Internet, TV, VoD), en particulier la prestation de terminaison d'appel voix :
― la prestation de terminaison d'appel voix est reconstituée d'après les éléments de réseau utilisés pour la fournir ;
― le coût de cette prestation est évaluée dans un premier temps à la capacité (au débit) car il s'agit du paramètre dimensionnant pour le réseau ;
― une allocation des coûts à la minute peut ensuite être effectuée.

(29) « Elle [la méthode de Shapley-Shubik] nécessite de déterminer le nombre de services, ce qui peut s'avérer être assez complexe et sujet à discussion, notamment entre services de gros et de détail, particuliers et entreprises... La situation avec quatre services (voix, Internet, TV et VoD) présentée par l'ARCEP est simplificatrice. Ce paramètre est par ailleurs à forte sensibilité sur le résultat » (contribution AFORST).