IV-4.1.3. Les principes fondateurs de l'obligation tarifaire
IV-4.1.3.1. Les objectifs de la régulation
Au cas d'espèce de la terminaison d'appel fixe, la régulation des tarifs de la terminaison d'appel fixe doit poursuivre notamment les objectifs suivants :
― ne pas perturber la tendance générale du marché consistant à passer d'offres de détail tarifées à la minute à des offres péréquées et forfaitaires et/ou innovantes ;
― accompagner la transition technologique engagée par les opérateurs fixes et permettre aux opérateurs de décider de leurs choix et déploiements technologiques dans un contexte réglementaire stable ;
― ne pas inciter ou favoriser les mécanismes de distorsion concurrentielle ;
― inciter à la fourniture efficace des services.
IV-4.1.3.2. La convergence des terminaisons d'appel et les autres principes de régulation
a) La nécessité de fournir une visibilité sur les tarifs de terminaison d'appel
L'Autorité constate que la régulation des terminaisons d'appel fixes a pâti, par le passé, de l'absence de visibilité du secteur sur les niveaux pratiqués. En effet, à plusieurs reprises, les niveaux de terminaison d'appel des opérateurs alternatifs ont varié à la suite de règlements de différends entre opérateurs. Ces variations non planifiées sont, in fine, néfastes pour le bon fonctionnement du marché dans la mesure où les opérateurs acheteurs de terminaison d'appel fixe ne sont pas en mesure de prévoir les charges d'interconnexion qu'ils vont encourir.
Par ailleurs, le cycle d'analyse de marché qui se présente est un cycle durant lequel les opérateurs de réseaux fixes devraient mettre en œuvre, si ce n'est déjà fait, la transition technologique de leurs réseaux vers les technologies IP. L'utilisation des technologies IP revêt une importance d'autant plus forte que les offres des opérateurs ne se limitent pas à un simple service de téléphonie vocale mais l'accompagnent de services d'accès à Internet à haut débit par exemple. Ce positionnement et l'usage de ces technologies concernent aussi bien les opérateurs d'envergure locale que ceux d'envergure nationale.
Cette transition technologique demande des investissements importants, sur plusieurs années, de la part des opérateurs. Dans ce contexte, la prévisibilité sur les tarifs d'interconnexion est d'autant plus nécessaire, afin de réaliser les investissements nécessaires dans un contexte réglementaire connu.
Enfin, l'importance croissante et prospective des parts de marché d'accès opérateurs alternatifs, et donc du poids de leurs terminaisons d'appel, renforce le besoin de visibilité sur toutes les terminaisons d'appel fixes et plus seulement sur la terminaison d'appel de France Télécom.
Parmi les réponses à la consultation publique lancée par l'Autorité le 18 mai 2008, seule la société Colt conteste la nécessité de fournir une visibilité sur les tarifs de terminaison d'appel. Elle estime plus pertinent de maintenir « un recalage plus fréquent des tarifs de la terminaison d'appel de France Télécom, fondé sur des comptes réglementaires séparés publiés trimestriellement, à un scénario écrit d'avance pour les trois ans à venir ». L'Autorité estime que cette solution serait difficile à mettre en œuvre et serait à même d'entraîner des variations rapides et imprévisibles des tarifs de terminaison d'appel, à cause notamment de la transition technologique dans le réseau de France Télécom. Ce mécanisme aurait de plus des conséquences importantes sur les investissements des opérateurs et serait, in fine, néfaste pour le secteur pour ce deuxième cycle.
b) Les risques de distorsion concurrentielle de TA asymétriques
L'Autorité souhaite souligner les risques de distorsion concurrentielle portés par le caractère spécifique de la prestation de terminaison d'appel.
En effet, l'opérateur de destination des appels génère un revenu en vendant des prestations de terminaison d'appel à ses concurrents, qui sont de facto dans l'obligation d'acheter ces prestations, quel qu'en soit le prix, pour permettre à leurs propres clients de pouvoir joindre leurs correspondants sur l'ensemble des réseaux de communications électroniques ouverts au public. L'opérateur appelé se trouve ainsi doublement incité à fixer des tarifs élevés pour la terminaison d'appel : d'une part, parce qu'un tarif élevé lui procure des revenus d'autant plus importants sans dégrader sa propre compétitivité sur les marchés de détail, où s'exerce la concurrence entre opérateurs. D'autre part car un tel tarif dégrade la compétitivité de ses concurrents, puisqu'il vient s'ajouter à la masse de coûts qu'ils supportent pour formuler leurs offres tarifaires sur ces mêmes marchés de détail. La prestation de terminaison d'appel emporte donc des risques importants de distorsion concurrentielle sur les marchés de détail.
Si des écarts de terminaison d'appel étaient maintenus durablement, le risque de distorsion concurrentielle s'en trouverait accru et d'autant plus fortement que ces écarts seraient élevés. De plus, l'importance croissante des volumes de terminaison d'appel des opérateurs alternatifs, sous l'impulsion du dégroupage total, renforce les effets des potentielles distorsions concurrentielles induites par un écart de terminaison d'appel.
Au demeurant, l'Autorité estime que des distorsions concurrentielles peuvent intervenir dans de multiples configurations concurrentielles : un opérateur résidentiel national peut renforcer artificiellement sa compétitivité sur les marchés de détail grâce à une terminaison d'appel supérieure à celle d'un concurrent, mais un opérateur de taille modeste qui cible le marché entreprises sur quelques zones géographiques seulement peut également, sur un segment spécifique du marché, tirer bénéfice d'un écart de terminaison d'appel. Des risques de distorsions concurrentielles existent donc dès que des asymétries de terminaison d'appel persistent et quelle que soit la taille des opérateurs concernés.
Par le passé, l'Autorité a cependant fixé le niveau de la terminaison d'appel des opérateurs alternatifs à un niveau asymétrique pour tenir compte des différences dans leurs structures de coûts avec celle de France Télécom, compte tenu notamment de l'ouverture récente du secteur à la concurrence. Cependant l'Autorité a précisé que ces différences ne pouvaient revêtir qu'un caractère transitoire et que les structures de coûts devaient converger à terme vers celle d'un opérateur efficace. En cas de maintien d'une asymétrie importante et durable des terminaisons d'appel, le risque de distorsion concurrentielle a en effet tendance à se renforcer alors que les raisons qui pourraient justifier l'asymétrie ont par ailleurs tendance à s'estomper (cf. ci-dessous).
France Télécom approuve l'analyse de l'Autorité sur les risques de distorsion concurrentielle. Elle estime notamment que l'asymétrie « donne un mauvais signal d'efficacité », « rend les conditions de concurrence inéquitables » et « conduit à des arbitrages et un tromboning inefficace sur les marchés du transit ».
A l'inverse, Neuf Cegetel constate que, sur sa clientèle entreprise, il n'y a pas de déséquilibre notoire entre trafic sortant et trafic entrant et en conclut qu'elle ne s'appuie pas sur une terminaison d'appel plus élevée pour capter le marché des entreprises recevant beaucoup d'appels entrants. Bouygues Telecom estime que « l'imposition aux opérateurs alternatifs d'un tarif symétrique à celui de France Télécom, sans mise en place d'une période de transition suffisante pour permettre aux opérateurs alternatifs de rentabiliser les investissements, serait a contrario source de distorsion de concurrence pour ces opérateurs, en fixant leurs tarifs à un niveau inférieur à leurs coûts. » L'Autorité maintient cependant son analyse qu'à long terme seule une terminaison d'appel symétrique garantit l'absence de distorsions de concurrence dues à la terminaison d'appel, même si celles-ci n'ont pas été démontrées à ce jour avec les niveaux asymétriques actuels.
c) L'absence de facteurs exogènes justifiant l'asymétrie
Dans une approche prospective, l'Autorité constate que les raisons qui l'ont poussée par le passé à définir des niveaux de terminaison d'appel plus élevés pour les opérateurs alternatifs ont vocation à disparaître.
Le marché des communications électroniques s'est ouvert à la concurrence il y a plus de dix ans. Les effets de retard ou de moindre taille pris en compte par exemple dans le règlement de différends opposant les sociétés France Télécom et Neuf Telecom en 2006 doivent s'estomper avec la fin de la migration de leur réseau vers l'IP et la convergence de leurs structures de coûts vers celle d'un opérateur efficace, et laisser place aux bénéfices des économies d'échelle offertes par cette technologie. De plus, les opérateurs alternatifs fournissent aujourd'hui de nombreux services, parmi lesquels des services de téléphonie : il n'est plus nécessaire de « soutenir » l'activité de ces opérateurs par un différentiel de TA. De même, l'utilisation de tarifs de terminaison d'appel plus élevés pour faciliter l'entrée sur le marché de nouveaux acteurs pouvait trouver sa justification au début de la libéralisation du marché et n'est plus nécessaire maintenant que des concurrents pérennes se sont installés.
Par ailleurs, en s'appuyant sur les opérateurs de dimension nationale présents sur les marchés de l'accès et du transit et selon leur plan d'affaires et de déploiement, les nouveaux entrants peuvent restreindre géographiquement ou par type de clientèle leur pénétration du marché et limiter ainsi les effets de moindres économies d'échelle qui pèsent lors de l'entrée. A l'instar du GRE, l'Autorité estime qu'il n'existe ainsi pas de moindres économies d'échelle d'origine exogène pour les opérateurs fixes. Le choix de certains opérateurs alternatifs d'adresser un marché et/ou une zone géographique qui entraîne des moindres économies d'échelle sur le long terme ne constitue pas un facteur exogène de déséquilibre, dans la mesure où ce choix résulte uniquement de la stratégie de l'opérateur. L'Autorité constate d'ailleurs que sur tous les segments des marchés de détail de la téléphonie fixe, il existe des opérateurs de toute taille et de tout type d'empreinte géographique (local, régional, national, international).
L'Autorité considère également que la convergence de France Télécom et des opérateurs alternatifs vers les mêmes technologies devrait renforcer les similitudes dans les structures de coûts entre les opérateurs. Ces nouvelles technologies retenues aujourd'hui à l'entrée sur le marché des communications électroniques réduisent notamment les coûts de pénétration du marché et les différences d'économies d'échelle qui pouvaient être constatées par le passé en technologie commutée et ne justifient pas l'introduction d'asymétries, mêmes transitoires, des terminaisons d'appel des nouveaux entrants avec celles des acteurs déjà en place (France Télécom ou les autres opérateurs alternatifs).
Enfin, l'Autorité estime que les différences d'architecture d'interconnexion entre les opérateurs ne justifient pas des tarifs de terminaison d'appel différents : les opérateurs définissent l'architecture d'interconnexion qui leur est la plus adaptée, compte tenu de leur activité, des technologies utilisées et des besoins propres de l'opérateur qui souhaite s'interconnecter. L'Autorité constate en particulier la plus grande concentration des fonctions de gestion des appels dans les réseaux IP que dans les réseaux RTC et s'attend donc à des évolutions importantes des architectures d'interconnexion de certains opérateurs, évolutions qui sont laissées à l'appréciation de ces derniers.
De même, l'Autorité ne distingue pas différents niveaux de TA selon la technologie employée : d'une part, la TA est une prestation fonctionnelle fournie indépendamment de la technologie du point de vue de l'acheteur, d'autre part, en cas de cohabitation de deux technologies dans le réseau d'un opérateur, seule la technologie la plus efficace fournit un signal économique pertinent et il n'est pas légitime de rémunérer les choix technologiques moins efficaces de l'opérateur. En corollaire, la tarification de la TA ne doit pas subir de manière significative les éventuelles externalités négatives qu'induirait un opérateur par son changement de technologie. Il n'est pas non plus pertinent de distinguer la régulation de la TA selon la ressource de numérotation (i.e. sur numéros géographiques et sur numéros non géographiques), dans la mesure où l'utilisation de chaque type de numéro n'est pas liée à des utilisations différentes ou des spécificités fonctionnelles, mais soumise à des conditions de concurrence homogènes. Enfin, l'Autorité n'estime pas pertinent de différencier les niveaux de TA selon le niveau de qualité fourni : il n'existe pas aujourd'hui de différenciation de ce type pour les terminaisons d'appel.
La société France Télécom soutient l'analyse de l'Autorité quant à l'absence de facteurs exogènes pouvant justifier des asymétries de terminaison d'appel.
Les opérateurs alternatifs identifient pour leur part plusieurs facteurs exogènes qu'ils considèrent pertinents. Neuf Cegetel estime que les éléments suivants doivent être pris en compte : les durées d'engagement chez France Télécom, les délais de résiliation chez France Télécom, les programmes de fidélisation de France Télécom, le manque de compatibilité des matériels et l'existence d'un réseau dense et historique d'agences commerciales. L'Autorité constate que les pratiques mentionnées par Neuf Cegetel ne sont pas spécifiques à France Télécom et que la fluidité du marché de détail fixe ne justifie pas des écarts de terminaison d'appel.
Neuf Cegetel considère de plus que les opérateurs alternatifs ne peuvent pas atteindre les mêmes effets d'échelle que France Télécom. L'Autorité rappelle que, en accord avec la position commune du GRE, elle estime qu'il n'existe pas d'effets d'économie d'échelle caractérisés sur la fourniture de la prestation de terminaison d'appel fixe.
Neuf Cegetel identifie également certains « switching costs », comme l'accès privilégié à l'information sur les clients potentiels ou la promotion facilitée. Bouygues Telecom rejoint Neuf Cegetel sur ce point en estimant que France Télécom dispose de données précises sur l'ensemble des clients raccordés à son réseau et peut, par conséquent, mieux cibler sa prospection et son investissement que les opérateurs alternatifs. L'Autorité reconnaît l'existence, dans certains cas, d'informations plus précises de France Télécom concernant certains clients et sera attentive à ce que l'accès à ces informations ne constitue pas une distorsion de concurrence aux dépens des autres opérateurs. Pour autant, l'Autorité ne considère pas que cet argument justifie des asymétries de terminaison d'appel à long terme.
Bouygues Telecom estime de plus que la nature même du marché résidentiel entraîne d'importants coûts fixes qui obligent les opérateurs « à rechercher une couverture nationale afin de maximiser les volumes produits ». Elle ajoute qu'« aucun acteur sur ce marché n'a pu se limiter à une stratégie locale » et que cette situation conduit à des moindres économies d'échelle par rapport à France Télécom. L'AFORST estime également qu'il existe des économies d'échelle du fait que France Télécom dispose de beaucoup plus de clients à chaque NRA que n'importe quel opérateur alternatif. Comme elle le mentionne supra, l'Autorité constate qu'il existe des acteurs de toute taille sur le marché résidentiel, y compris des acteurs locaux. A titre d'exemple, l'opérateur France Citévision dessert uniquement la région d'Amiens avec des offres « triple-play » pour le marché résidentiel. De plus, il est certain qu'il existe des effets d'échelle au démarrage d'une activité, quand la base de clientèle est encore trop faible pour rentabiliser les investissements consentis ou quand certains équipements d'ancienne technologie ne supportent plus suffisamment de clients, mais ces effets ne proviennent pas d'une source exogène et ne sauraient donc justifier une asymétrie de terminaison d'appel. En particulier, le taux d'occupation d'un NRA par un opérateur dépend de l'efficacité de son action sur les marchés de détail et n'est pas destinée à rester faible sine die.
Par ailleurs, l'AFORST estime comme exogène l'ancienneté des équipements TDM qui ne seraient pas amortis pour les opérateurs alternatifs et le seraient pour France Télécom. Cet argument, relié à l'argument de la date d'entrée sur le marché, a justifié les asymétries passées mais n'est pas pertinent à long terme.
Enfin, l'AFORST et Bouygues Telecom abordent la question des différences d'architecture d'interconnexion. Sur ce dernier point, Bouygues Télécom estime que « les niveaux de raccordement et le nombre de points de raccordement dans le réseau de France Télécom (de l'ordre de 400) ne sont en rien comparables à ceux observés dans les réseaux des opérateurs alternatifs (quelques points), ce qui engendre des différences de coût d'accès à la prestation de terminaison d'appel ». Comme indiqué ci-dessus, l'Autorité précise qu'elle n'entend pas définir quelles sont les architectures d'interconnexion des opérateurs et que celles-ci sont définies par les opérateurs dans le cadre de l'obligation de faire droit aux demandes raisonnables d'interconnexion.
d) Autres problèmes posés par la TA
Outre les éléments indiqués ci-dessus, il convient de rappeler que l'existence de plusieurs niveaux de terminaison d'appel fixe comporte plusieurs inconvénients pour le fonctionnement du marché, dont entre autres :
― la prise en compte des coûts opposés par chaque opérateur n'inciterait pas les opérateurs alternatifs à l'efficacité dans la fourniture de la prestation de TA car un opérateur inefficace verra sa TA recouvrer l'ensemble de ses coûts ;
― la définition de niveaux de TA différenciés conduit à l'illisibilité des charges d'interconnexion qu'un opérateur peut prévoir d'encourir, ce qui peut avoir un effet sur les stratégies d'investissements des opérateurs ;
― à long terme, le maintien d'asymétries de TA favorise durablement certains opérateurs par rapport à d'autres, ce qui entrave le fonctionnement normal du marché.
A l'inverse, une terminaison d'appel symétrique permet de récompenser l'efficacité des opérateurs dans la fourniture de cette prestation : si l'opérateur encourt des coûts qu'il estime supérieurs au tarif de terminaison d'appel, il est incité à augmenter son efficacité pour réduire cet écart et si l'opérateur encourt des coûts inférieurs, il tire bénéfice de l'écart entre ses coûts et le tarif fixé.
e) Les principes de régulation de la terminaison d'appel
Compte tenu des éléments ci-dessus, l'Autorité estime que la régulation tarifaire des terminaisons d'appel doit engager un mouvement de convergence des terminaisons d'appel fixe entre elles et mettre fin, à terme, aux asymétries constatées par le passé. Ce mouvement est cohérent avec les préconisations de la Commission européenne, qui demande aux régulateurs nationaux de poursuivre cet objectif de symétrie des terminaisons d'appel fixes ainsi qu'avec la position commune du GRE.
Pour la période couverte par la présente analyse, et pour répondre aux objectifs précisés supra, l'Autorité a défini quatre principes fondateurs pour la régulation tarifaire des terminaisons d'appel fixe :
― une visibilité sur trois ans sur les tarifs de terminaison d'appel doit être donnée au secteur : cette visibilité permettra la constitution d'offres de détail innovantes et compétitives (le maintien d'une incertitude sur les tarifs de gros pourrait conduire les opérateurs à reporter ce risque sur les utilisateurs finals) et fournira un environnement réglementaire stable aux opérateurs pour engager ou poursuivre leur transition technologique ;
― la dissymétrie entre les terminaisons d'appel fixe ne peut perdurer indéfiniment, notamment pour éviter les risques de distorsion concurrentielle ;
― la constitution de rente sur la terminaison d'appel doit être évitée, et en particulier, la terminaison d'appel ne doit pas être utilisée pour financer des services qui ne bénéficient qu'au seul client appelé, d'autant plus si ces services ne concernent pas uniquement la fourniture d'une prestation de voix. La terminaison d'appel rémunère uniquement la prestation consistant à terminer un appel téléphonique sur un réseau fixe selon un périmètre de coûts pertinents normé (excluant notamment les charges d'accès) ;
― les externalités négatives significatives engendrées par les évolutions techniques de l'opérateur vendeur doivent être évitées. En particulier, le choix d'un opérateur de déployer un réseau NGN relève uniquement de sa stratégie et ne doit pas avoir d'impact significatif sur les prestations de gros fournies aux autres opérateurs. De plus, le déploiement des réseaux NGN permet aux opérateurs d'offrir de nouveaux services aux utilisateurs, qui ne doivent pas être rémunérés par les revenus d'interconnexion voix.
IV-4.1.4. L'outil de régulation des terminaisons d'appel :
l'obligation de contrôle tarifaire pluriannuel
L'Autorité estime que les tarifs de terminaison d'appel doivent faire l'objet d'un contrôle tarifaire pluriannuel pour répondre à l'objectif de visibilité.
En effet, la période couverte par la présente analyse est une période de transition pour les opérateurs. D'un point de vue technologique, la plupart des opérateurs ont engagé, voire pour certains terminé, la migration de leurs réseaux existants vers la technologie de transmission IP.
Cette évolution entraîne des investissements importants de la part des opérateurs. De plus, pour le cas particulier de France Télécom, le déploiement d'un réseau IP est lié à l'évolution du réseau historique commuté, avec notamment, a priori, un mouvement de concentration des commutateurs d'abonnés. Par ailleurs, avec cette nouvelle technologie, les réseaux des opérateurs, et en particulier celui de France Télécom, permettent d'acheminer les données de nouveaux services, comme la télévision ou l'accès à Internet. Ces nouveaux services utilisent, avec la voix, certains équipements de réseau en commun et il convient d'estimer l'allocation des coûts de ces équipements à chaque service.
L'Autorité estime qu'à l'issue de la période d'analyse la grande majorité des réseaux seront opérés en technologie IP et qu'une nouvelle méthodologie d'allocation des coûts pourra avoir été définie, le cas échéant. Dans l'intervalle, le cycle d'analyse de marchés 2008-2011 ne doit pas perturber les investissements des opérateurs et fournir suffisamment de visibilité sur les prestations d'interconnexion achetées et vendues entre opérateurs.
Par conséquent, il semble approprié de définir dans la présente décision les niveaux de terminaison d'appel de l'ensemble des opérateurs fixes pour préserver l'équilibre et le développement du secteur, en lui apportant une stabilité et une prévisibilité tarifaires. Ce contrôle prend la forme de plafonds que les tarifs de terminaison d'appel ne doivent pas dépasser.
IV-4.1.5. La référence des coûts d'un opérateur efficace
Les références de coûts que l'Autorité retient pour tous les opérateurs identifiés comme puissants sur leurs marchés respectifs de terminaison d'appel fixe, qu'ils soient soumis à une obligation d'orientation vers les coûts ou à une obligation de pratiquer des tarifs non excessifs, sont celles d'un opérateur efficace et non les coûts propres de l'opérateur.
La formation des références de coûts d'un opérateur efficace repose sur une notion d'efficacité basée notamment sur des hypothèses de déploiement efficace d'un réseau (par exemple en termes de choix technologiques) ainsi que de niveaux de coûts de déploiement et d'utilisation du réseau efficaces.
Par ailleurs, l'Autorité retient pour les prestations de terminaison d'appel une approche dans laquelle les coûts des éléments de réseaux indépendants du trafic ne sont pas pris en compte. A ce titre, les coûts du segment d'accès (de l'abonné à l'URA dans le cas d'un réseau RTC) sont exclus de la tarification de la terminaison et du départ d'appel. Par ailleurs, pour les éléments de réseaux dont le dimensionnement est dépendant du trafic et dont les coûts sont donc potentiellement pertinents pour la terminaison d'appel, l'Autorité adopte une approche de « coûts complets distribués ». Les coûts pertinents incluent donc notamment :
― les coûts de réseau alloués à l'usage à la prestation de terminaison d'appel. Ces coûts excluent donc les coûts des éléments de réseau dédiés à l'utilisateur appelé (segment d'accès) qui doivent être recouvrés par des produits de détail vendus à cet utilisateur. A titre d'exemple, et dans l'approche retenue par le passé, le périmètre des coûts pertinents qui avait été retenu pour la terminaison d'appel sur un réseau RTC recouvrait le lien URA-CA, les coûts de commutation dans le CA et la moitié des coûts des URA (partie mutualisée) ;
― les éventuels coûts de support spécifiques à la fourniture de la prestation de terminaison d'appel vocal ;
― les coûts commerciaux spécifiques à savoir ceux qui sont directement induits par la prestation de terminaison d'appel vocal ;
― les coûts communs, qui par nature correspondent à une activité utile à l'ensemble des produits (gros et détail compris) et qui ne peuvent être alloués, à l'aide d'une clé d'allocation d'usage, à une ou des prestations spécifiques. Les coûts communs sont par exemple formés des coûts de siège. Le choix de l'Autorité est de les faire allouer à l'ensemble des prestations au prorata des autres coûts, c'est-à-dire sous la forme d'une majoration proportionnelle aux coûts de réseau et aux coûts commerciaux du service considéré.
L'Autorité souligne que pour la fourniture de la prestation de terminaison d'appel, la majorité des coûts des opérateurs est formée de coûts joints, c'est-à-dire communs à différentes prestations dont celle de terminaison d'appel. Ces coûts sont principalement des coûts de réseau ; le réseau de l'opérateur étant unique et servant à produire de multiples produits. Le concept de coûts pris en compte par l'Autorité pour spécifier les modalités de contrôle tarifaire dépend dès lors directement des choix d'allocation qu'elle arrête pour allouer ces masses de coûts joints à l'ensemble des prestations qui les induisent, en particulier à la terminaison d'appel vocal. Par exemple, les coûts joints des infrastructures de transmission des opérateurs offrant des services double ou triple-play sont partagés entre les différentes prestations (voix entrante et sortante, Internet, TV, etc.).
L'Autorité tient donc à souligner que l'imposition de plafonds tarifaires vise simplement à encadrer la part maximum des coûts joints qu'un opérateur peut recouvrer à travers la tarification de la terminaison d'appel voix ― prestation commercialisée en monopole ― ; le reste des coûts devant être recouvré sur l'ensemble des autres prestations (de détail notamment) qu'il offre et pour lequel l'opérateur est libre de sa politique tarifaire. Il n'y a donc pas de risque de non-recouvrement des coûts.
L'Autorité rappelle enfin que si la méthode retenue à ce jour est une approche en coûts complets, elle considère qu'il pourrait être nécessaire de réexaminer à terme ce concept, et potentiellement par des travaux lancés au cours du prochain cycle, afin d'adopter une méthodologie de tarification la plus en adéquation avec les spécificités des prestations de terminaison d'appel et cohérente dans la mise en œuvre de la régulation des terminaisons d'appel, qu'il s'agisse de terminaison d'appel fixe ou de terminaison d'appel mobile. En particulier, la pertinence de prendre en compte les coûts communs dans le cas d'une prestation réciproque (« two-way access ») pourrait être réexaminée ainsi que l'opportunité de retenir une approche incrémentale plus prononcée en matière de coûts. En vue des travaux futurs sur la tarification de l'interconnexion, l'Autorité portera une attention particulière aux éléments qui pourraient concerner ce sujet dans la recommandation que la Commission européenne a annoncé vouloir prendre sur le sujet.
Si les réponses souscrivent au principe d'efficacité défendu par l'Autorité, les opérateurs adoptent des visions différentes de l'efficacité économique d'un opérateur.
France Télécom estime que « les tarifs définis dans l'encadrement tarifaire doivent refléter les coûts d'un opérateur efficace délivrant les services réellement rendus de 2008 à 2011 sur le territoire national ». Elle précise que ces services sont « le service d'accès principalement ou exclusivement téléphonique ». L'Autorité souscrit à l'objectif d'évaluer les coûts d'un opérateur efficace fournissant un service de terminaison d'appel fixe mais n'est pas en mesure de connaître l'ensemble des services qui seront « réellement » rendus de 2008 à 2011 et estime que le fait que France Télécom fournisse un service principalement ou exclusivement téléphonique à un grand nombre de clients ne justifie pas un traitement différencié en termes de terminaison d'appel et ne modifie pas l'objectif d'efficacité poursuivi. La référence d'efficacité prise par l'Autorité constitue donc la meilleure référence possible compte tenu de l'ensemble des éléments de coûts connus de l'Autorité, y compris les éléments de coûts prévisionnels fournis par France Télécom.
Par ailleurs, France Télécom souhaite que l'Autorité « soit beaucoup plus explicite sur le fait que l'écart entre les tarifs et les coûts devra être recouvré sur des prestations de détail et de gros [soulignement par France Télécom] » et que « les réaffectations de coûts proposées par l'ARCEP affecteront donc nécessairement d'autres produits de gros, notamment d'accès ». L'Autorité estime que cette question est pertinente à long terme, si une approche incrémentale pour les coûts affectables à la terminaison d'appel est adoptée. A court terme et avec les méthodes de coûts utilisées à ce jour, cette question n'est cependant pas d'actualité. De plus, dans l'hypothèse où l'utilisation de certains éléments de réseau pour les appels entrants n'était pas couverte par la terminaison d'appel fixe et en respectant le principe de causalité, France Télécom a la possibilité de recouvrer ces coûts par d'autres produits, au premier rang desquels ses produits de détail. Ce mécanisme n'implique pas nécessairement une augmentation des tarifs de détail au sens où ces tarifs de détail sont d'ores et déjà supérieurs aux coûts sous-jacents. Par ailleurs, il n'existe pas de principe selon lequel un élément de réseau utilisé par plusieurs produits devait être valorisé de la même façon, comme le montre le fait que la boucle locale, quand elle est utilisée simultanément par des produits bas débit et des produits haut débit, fait porter l'ensemble de ses coûts sur les produits bas débit.
La société Bouygues Telecom relève que « le niveau de part de marché de France Télécom à plus de 70 % ne peut être considéré comme le niveau efficace de référence alors que ce niveau ne peut être atteint que par un acteur sur ce marché ». Elle estime donc que la régulation doit, d'une part, définir une terminaison d'appel générique correspondant à un seuil de part de marché (20-25 %) et qui s'appliquerait à tous les opérateurs de taille inférieure à ce seuil et, d'autre part, orienter la terminaison d'appel des opérateurs de taille supérieure à ce seuil vers les coûts d'un opérateur efficace de la même taille qu'eux. Outre la difficulté de mise en œuvre d'un tel mécanisme, l'Autorité considère que cette approche suppose l'existence de spécificités applicables à chaque opérateur fixe, conduisant à un tarif de terminaison d'appel différent pour chaque opérateur de taille supérieure au seuil. Or, l'Autorité considère qu'il n'est pas établi qu'il existe des facteurs exogènes pouvant justifier des asymétries de terminaison d'appel et que l'existence de différences de terminaison d'appel emporte des risques de distorsion concurrentielle. De plus, l'Autorité maintient son analyse que, dans la mesure où le tarif de cette prestation ne rémunère pas les éléments du réseau d'accès, l'efficacité d'un opérateur fixe pour produire une prestation de terminaison d'appel ne dépend qu'accessoirement de sa taille.
IV-4.2. Les références de coûts disponibles
pour déterminer les coûts d'un opérateur efficace
IV-4.2.1. Coûts constatés par le passé
La première source à la disposition de l'Autorité pour évaluer les coûts d'un opérateur efficace se trouve dans les modèles de coûts réglementaires construits sur les données comptables constatées par le passé.
En effet, compte tenu du progrès technologique et de l'amélioration constante de leur efficacité recherchée par les entreprises, les coûts d'un opérateur efficace ne sont, a priori, pas voués à augmenter au cours du temps. Par conséquent, les coûts encourus par un opérateur donné à une date donnée représentent, théoriquement et hors circonstances exceptionnelles relatives à des facteurs exogènes, un majorant des coûts d'un opérateur efficace à partir de cette date.
L'obligation de séparation comptable imposée à France Télécom a conduit à la mise en place d'un modèle de comptabilisation des coûts pour chaque prestation, audité par un cabinet indépendant, qui permet de fournir une évaluation raisonnablement précise des coûts encourus par France Télécom pour fournir la prestation de terminaison d'appel. Les dernières données obtenues par ce processus portent sur l'exercice 2006. L'Autorité a accès à des informations détaillées mais soumises au secret des affaires sur les différents comptes d'exploitation produit de France Télécom et est donc en mesure d'estimer les coûts encourus par France Télécom pour fournir la prestation de terminaison d'appel. Elle s'appuie notamment sur ces éléments afin d'estimer les évolutions qui ont pu et pourront affecter le niveau de la terminaison d'appel de référence (23).
France Télécom estime que cette référence doit être écartée, notamment parce qu'en 2006 le réseau ne servait que des clients RTC. Elle considère également qu'il « n'est pas raisonnable, d'un strict point de vue économique, de ne pas chercher à projeter des données 2006 en tenant compte de divers paramètres tels que l'inflation, la déformation de la demande, le progrès technique ». L'Autorité rappelle que la régulation de la terminaison d'appel respecte le principe de la neutralité technologique et cherche à définir le niveau de la terminaison d'appel efficace, indépendamment de la technologie. Elle ne peut donc retenir le premier point de France Télécom. Concernant le second point, l'Autorité indique que le niveau constaté pour la terminaison d'appel en 2006 ne constitue pas l'unique référence qu'elle compte utiliser pour définir le niveau de la terminaison d'appel efficace mais uniquement un signal d'efficacité a maxima pour la fourniture de la terminaison d'appel.