IV-3.2. Obligation de non-discrimination
L'article L. 38-I (2°) du CPCE prévoit la possibilité d'imposer une obligation de non-discrimination.
Conformément à l'article D. 309 du code des postes et des communications électroniques, les obligations de non-discrimination font notamment en sorte que les opérateurs appliquent des conditions équivalentes dans des circonstances équivalentes aux autres opérateurs fournissant des services équivalents lorsqu'ils fournissent l'accès et l'interconnexion.
Une différenciation des prestations fournies à différents acheteurs n'est pas nécessairement répréhensible en soi. Par exemple, certaines différenciations tarifaires peuvent être justifiées, dans certains cas motivés, par le fait que les acheteurs ont une consommation différente des mêmes prestations.
Comme le précise le considérant 17 de la directive « Accès », l'application d'une obligation de non-discrimination vise à garantir que les entreprises exerçant une influence significative sur un marché de gros ne faussent pas la concurrence sur un marché de détail, notamment lorsqu'il s'agit d'entreprises intégrées verticalement qui fournissent des services à des entreprises avec lesquelles elles sont en concurrence sur des marchés en aval.
Comme l'a montré l'analyse de la puissance au chapitre précédent, il existe une incitation forte pour les OBL à augmenter leurs charges de terminaison d'appel, incitation d'autant plus forte qu'elles représentent une composante significative des charges supportées par leurs concurrents dans les tarifs qu'ils offrent sur les marchés de détail. L'obligation de non-discrimination vise principalement dans ce cas à éviter que les OBL n'augmentent leurs charges vis-à-vis d'opérateurs acheteurs dont le pouvoir de négociation serait moindre, ou qu'ils n'avantagent leurs partenaires ou leurs filiales en concurrence avec les autres acheteurs de terminaison d'appel. De telles pratiques auraient pour effet de fausser le jeu de la concurrence entre les opérateurs sur les marchés de détail.
Cette obligation s'applique à l'ensemble des prestations des marchés pertinents, y compris aux prestations associées à l'accès que l'opérateur devra fournir. Elle s'applique de plus à la qualité de service offerte pour les prestations d'interconnexion vendues par chaque OBL et pour les prestations équivalentes fournies pour son propre compte ou pour le compte d'une société filiale ou partenaire.
L'Autorité estime ainsi que l'imposition de cette obligation est justifiée et proportionnée, notamment au regard de l'objectif fixé à l'article L. 32-1-II du CPCE de veiller « à l'exercice au bénéfice des utilisateurs d'une concurrence effective et loyale ».
IV-3.3. Obligation de transparence
L'article L. 38-I (1°) du CPCE prévoit que l'Autorité peut imposer à un opérateur exerçant une influence significative des obligations visant à assurer la transparence de ses offres d'accès et d'interconnexion, y compris de rendre publiques certaines informations.
L'imposition de telles obligations pour les prestations de terminaison d'appel des OBL alternatifs permet ainsi d'assurer le respect de l'obligation de non-discrimination ou, en tout état de cause, de dissuader les OBL de mettre en œuvre des pratiques discriminatoires.
Ces obligations doivent en outre permettre de faciliter les négociations en vue de la mise en œuvre de l'interconnexion directe entre opérateurs alternatifs lorsqu'une telle interconnexion s'avère pertinente économiquement. Elles peuvent également permettre d'apporter une transparence accrue sur les conditions financières des offres de transit vers les OBL alternatifs.
Compte tenu de ces objectifs, l'Autorité estime nécessaire d'imposer à tout OBL alternatif les obligations suivantes sur l'ensemble des prestations du marché pertinent de la terminaison d'appel sur lequel il exerce une influence significative, y compris sur les prestations associées à l'accès qu'il devra fournir en vertu de cette influence significative :
― informer l'Autorité de la signature ou de la modification de tout accord d'interconnexion ou d'accès signé avec lui concernant la fourniture de prestations de terminaison d'appel ou de prestations associées, et en particulier des prestations connexes d'accès à ses sites d'interconnexion, dans un délai de sept jours à compter de sa signature ;
― communiquer aux opérateurs ayant signé avec lui une convention d'interconnexion ou d'accès des informations pertinentes sur les caractéristiques de son réseau relatives à la prestation de terminaison d'appel qu'il offre, y compris les prestations associées ;
― informer ces opérateurs, dans un délai de préavis raisonnable, de toute modification des conditions techniques ou tarifaires de ces prestations de terminaison d'appel, y compris les prestations associées, et de toute évolution de nature à contraindre ces derniers à modifier ou adapter leurs installations. Les modalités de communication de ces informations et le niveau de détail requis pourront être précisés par une décision ultérieure de l'Autorité.
Ces obligations sont proportionnées au regard des objectifs fixés à l'article L. 32-1-II du code des postes et des communications électroniques, en particulier ceux visés aux 2°, 4° et 9°.
Par ailleurs, compte tenu de l'état actuel du marché et des contraintes qu'elle ferait peser sur les opérateurs alternatifs, l'Autorité estime qu'il serait disproportionné d'imposer aux OBL alternatifs la publication d'une offre technique et tarifaire de référence.
IV-3.4. Observations de la Commission européenne
La Commission européenne ne formule aucune observation sur les obligations non tarifaires imposées aux opérateurs de réseaux fixes autres que France Télécom.
IV-4. Obligations tarifaires imposées sur les marchés de gros de la terminaison d'appel fixe
L'article L. 38-I (4°) du CPCE prévoit que l'Autorité peut imposer « de ne pas pratiquer de tarifs excessifs ou d'éviction sur le marché en cause et pratiquer des tarifs reflétant les coûts correspondants. »
L'examen de la puissance de marché de France Télécom et des opérateurs alternatifs sur les marchés de gros pertinents a montré que :
― France Télécom dispose d'une position durable de puissance sur les marchés du départ d'appel et de terminaison d'appel fixes sur son réseau ;
― les opérateurs alternatifs disposent d'une position durable de puissance sur les marchés de la terminaison d'appel fixe sur leurs réseaux.
Comme il a été démontré dans la partie sur la pertinence des marchés analysés par la présente décision, les prestations de terminaison d'appel ont une importance commerciale et économique particulière pour ces opérateurs.
En outre, les conditions économiques de la vente de ces prestations influent directement sur les conditions d'exercice de la concurrence entre les opérateurs sur le marché de détail.
Il en résulte qu'il n'existe intrinsèquement pas d'incitation économique pour les opérateurs de boucle locale à fixer leurs charges de terminaison d'appel à des niveaux « concurrentiels », c'est-à-dire à des niveaux qui pourraient être constatés si ces prestations étaient soumises à une concurrence effective.
Il est donc nécessaire d'imposer une régulation tarifaire à tous les opérateurs fixes sur leurs prestations de terminaison d'appel, ainsi que, et de manière cohérente, sur les prestations qui leur sont associées. Si tel n'était pas le cas, les tarifs des prestations associées pourraient être fixés à des niveaux tels qu'ils rendraient sans objet le contrôle tarifaire imposé sur les prestations « de base ».
IV-4.1. Contexte et principes de la régulation de la terminaison d'appel
IV-4.1.1. Spécificités de la prestation de terminaison d'appel
Le service de terminaison d'appel est une prestation de gros très particulière, dont il convient d'analyser les spécificités.
En effet, à ce jour, cette prestation est facturée entièrement à l'opérateur appelant, et donc répercutée au client final appelant, alors même qu'elle bénéficie à la fois au client appelant et au client appelé.
Un appel bénéficie à la fois au client qui initie l'appel, et à celui qui le reçoit. Il est difficile de mesurer le partage de l'utilité entre ces deux acteurs, toutefois, l'influence de l'appelé sur la longueur de l'appel doit être reconnue, celui-ci ayant à tout moment la possibilité de raccrocher, voire même de ne pas décrocher, notamment en faisant usage de la reconnaissance du numéro.
Dans ce contexte, rappelons que la prestation de terminaison d'appel relève d'un marché biface (souvent appelé « two-sided market » dans la littérature économique), l'opérateur de l'appelé ayant la possibilité de recouvrer ses coûts soit par la facturation de l'opérateur de l'appelant, soit par la facturation de son client appelé, ce qui peut être proposé sous une forme forfaitaire, dans l'abonnement par exemple.
De plus, la terminaison d'appel est une prestation d'accès réciproque, aussi appelée « two-way access ». En effet, en première analyse, les opérateurs qui facturent la terminaison d'appel sont également les opérateurs qui achètent la terminaison d'appel. In fine, la facturation entre opérateur de terminaison d'appel est une somme de flux financiers inter-opérateurs équilibrés au niveau du secteur. L'ensemble des coûts de réseaux sont donc in fine recouvrés sur les marchés de détail. Du fait de ces spécificités, une suppression des terminaisons d'appels, i.e. non-paiement des terminaisons dans un régime dit de « bill and keep », pourrait être envisagée au sens ou elle ne remet pas en cause le principe de recouvrement des coûts. Dans une analyse prospective, il s'agira donc d'analyser quel est le niveau optimum du tarif de terminaison d'appel au regard de son efficacité économique.
IV-4.1.2. Position commune du GRE et avis de la Commission
IV-4.1.2.1. La position commune du GRE
Le Groupement des régulateurs européens (GRE) a adopté, le 28 février 2008, une position commune sur les terminaisons d'appel fixe et mobile. Dans ce document, le GRE exprime une volonté commune d'orienter les terminaisons d'appel fixes vers un niveau symétrique, dans chaque pays, entre l'opérateur historique et les opérateurs alternatifs. En particulier, le GRE relève que les raisons qui ont été invoquées par le passé pour justifier des niveaux de terminaison d'appel dissymétriques ne sont plus valables aujourd'hui.
En particulier, le GRE estime que l'utilisation de TA asymétriques comme soutien à l'entrée sur le marché ne se justifie plus, dix ans après l'ouverture à la concurrence et avec le développement des technologies IP et de nouveaux services. Le GRE relève également que les économies d'échelle dont bénéficierait l'opérateur historique ont abouti, par le passé, à fixer des niveaux de TA asymétriques. Le GRE estime aujourd'hui qu'il semble très difficile de prétendre qu'il demeure de telles économies d'échelle dans les réseaux fixes et qu'un opérateur d'implantation locale, utilisant une nouvelle technologie et une architecture optimisée, sera probablement capable d'atteindre très rapidement l'efficacité. Les opérateurs de réseaux fixes sont maîtres de leur déploiement et peuvent choisir la technologie qu'ils estiment la plus efficace pour leurs réseaux.
Les régulateurs européens indiquent également que, dans les réseaux fixes, il n'existe pas de facteurs exogènes pouvant entrainer des coûts plus élevés pour les opérateurs alternatifs.
Par ailleurs, dans son document, le GRE indique qu'une approche qui fixerait la TA aux coûts de chaque opérateur serait contre-efficace : en effet, dans cette hypothèse, un opérateur plus efficace aurait une TA plus basse, ce qui ne bénéficierait qu'à ses concurrents et n'emporterait aucun avantage pour lui-même. A l'inverse, une TA symétrique récompense les opérateurs les plus efficaces.
Enfin, le GRE estime que, pour les pays qui n'ont pas encore mis en œuvre la symétrie, il est nécessaire qu'une période de transition soit aménagée pour atteindre cette symétrie et que, en tout état de cause, cette transition doit être fixée dans le cadre d'une analyse de marché.
En conclusion, le GRE recommande à toutes les autorités de régulation nationale de mettre en œuvre la symétrie des TA le plus vite possible.
IV-4.1.2.2. Les avis de la Commission européenne
A l'occasion de l'analyse des marchés de la terminaison d'appel fixe en Italie, la Commission européenne a indiqué en 2006 qu' « [elle] reconnaît que les nouveaux entrants ne peuvent pas profiter des mêmes économies d'échelle que les opérateurs établis et qu'il peut donc être justifié de leur permettre de pratiquer des tarifs de terminaison plus élevés que ceux de l'opérateur historique. Néanmoins, les nouveaux entrants devraient devenir efficaces dans la durée. Par conséquent, leurs tarifs de terminaison plus élevés ne peuvent être maintenus que pour une période limitée » (21).
Par ailleurs, suite à la demande de la Commission de fournir des éléments plus précis sur le contrôle tarifaire imposé aux opérateurs alternatifs, l'AGCOM a soumis un projet complémentaire sur lequel Mme Reding, membre de la Commission chargée des télécommunications a déclaré : « Je me félicite [que l'AGCOM] ait fermement exprimé son intention de passer à des tarifs de terminaison d'appel réduits et symétriques pour les opérateurs de réseau fixe alternatifs d'ici au 1er juillet 2010. L'orientation en fonction des coûts est un principe important pour garantir une meilleure efficacité économique des tarifs de terminaison d'appel et, partant, une réduction des prix des services aux consommateurs au sein de l'UE. Toutefois, la proposition de l'AGCOM prévoit une période transitoire de deux ans pendant laquelle les tarifs de terminaison d'appel pourront rester fortement asymétriques, s'écartant en cela des décisions prises par les autorités réglementaires d'autres Etats membres » (22).
La Commission européenne a donc affirmé son attachement à la réduction rapide des asymétries de terminaison d'appel dans les réseaux fixes et à l'utilisation d'un référentiel d'efficacité vers les coûts duquel les tarifs de terminaison d'appel doivent être orientés.