II-4.2. Obstacles au développement d'une concurrence effective en France
L'Autorité considère que l'analyse du marché du départ d'appel fixe présentée par la Commission européenne dans sa nouvelle recommandation est pertinente dans le contexte français. En particulier, il convient de constater que le marché du départ d'appel repose essentiellement sur l'infrastructure de la boucle locale de l'opérateur historique, laquelle constitue une facilité essentielle qu'il est très difficile, techniquement et économiquement, de dupliquer. La location même de la boucle locale de France Télécom (via le dégroupage notamment) demande des investissements importants pour les opérateurs sans leur permettre de bénéficier des mêmes économies d'échelle et de densité que celles dont bénéficie l'opérateur historique.
Ce marché présente donc de fortes barrières à l'entrée. Elles ont nécessairement pour effet, en l'absence de régulation ex ante, d'empêcher le développement d'une concurrence effective à l'horizon de la présente analyse, dans la mesure où France Télécom dispose du réseau historique le plus capillaire sur le territoire d'analyse, qui rend l'accès aux clients qu'il raccorde indispensable pour l'activité de tout opérateur de communications électroniques.
Pour ce marché, et comme pour ceux de la terminaison d'appel, la régulation sectorielle ex ante dispose d'outils adaptés, comme notamment les obligations tarifaires ou encore la mise en place et le suivi d'obligations comptables. Elle est nécessaire pour qu'une concurrence pérenne puisse se développer sur un terme suffisamment long. Le seul droit de la concurrence apparaît comme insuffisant pour remédier aux problèmes de concurrence structurels existant sur ce marché.
Eu égard à l'ensemble de ces éléments et en application de l'article L. 37-1 du CPCE, l'Autorité considère que le marché du départ d'appel en position déterminée tels que défini ci-dessus doit être déclaré pertinent pour la régulation sectorielle ex ante des communications électroniques.
II-4.3. Avis du Conseil de la concurrence
Le Conseil de la concurrence souscrit à l'analyse de l'Autorité en ce qui concerne la pertinence du marché de gros du départ d'appel.
II-4.4. Observations de la Commission européenne
La Commission européenne ne formule aucune observation concernant la pertinence du marché du départ d'appel en position déterminée.
III. ― INFLUENCE SIGNIFICATIVE
L'analyse d'un marché pertinent permet d'évaluer le niveau de développement de la concurrence et d'identifier les éventuels opérateurs y disposant d'une influence significative, c'est-à-dire se trouvant dans une situation équivalente à une position dominante au sens du droit de la concurrence.
III-1. Introduction sur l'analyse de l'influence significative sur les marchés pertinents
Aux termes de l'article L. 37-1 du CPCE, « est réputé exercer une influence significative sur un marché du secteur des communications électroniques tout opérateur qui, pris individuellement ou conjointement avec d'autres, se trouve dans une position équivalente à une position dominante lui permettant de se comporter de manière indépendante vis-à-vis de ses concurrents, de ses clients et des consommateurs ». L'analyse des marchés pertinents permet d'identifier les situations d'influence significative.
L'observation des parts de marché des acteurs constitue la première étape de l'analyse de l'existence d'une influence significative. Concernant les parts de marchés, la Commission européenne précise trois chiffres clés :
― au-delà de 40 % de part de marché, il est peu probable qu'une entreprise ne soit pas en situation d'exercer une influence significative ;
― une présence supérieure à 50 % du marché « suffit, sauf circonstances exceptionnelles, à établir l'existence d'une position dominante » ;
― une entreprise ayant au contraire moins de 25 % de part de marché est peu susceptible de se révéler puissante, même si cela n'est pas totalement exclu.
L'analyse des parts de marché, même prospective, ne suffit pas à démontrer l'exercice d'une éventuelle influence significative des acteurs présents sur un marché. Pour une analyse complète du développement de la concurrence sur les marchés pertinents, les « lignes directrices » recommandent en effet de « procéder à une analyse approfondie et exhaustive des caractéristiques économiques du marché pertinent avant de conclure à l'existence d'une puissance sur le marché ». A cet égard, la Commission européenne recommande d'utiliser notamment les critères suivants :
― le contrôle d'une infrastructure qu'il n'est pas facile de dupliquer ;
― les avancées ou la supériorité technologiques ;
― l'absence ou la faible présence de contre-pouvoir des acheteurs ;
― l'accès facile ou privilégié aux marchés des capitaux et aux ressources financières ;
― la diversification des produits et/ou des services ;
― la présence d'économies d'échelle et de gamme ;
― l'intégration verticale ;
― l'existence d'un réseau de distribution et de vente très développé ;
― l'absence de concurrence potentielle ;
― des entraves à l'expansion.
III-2. Influence significative de France Télécom sur les marchés de détail de l'accès
L'Autorité a défini deux marchés de détail pertinents pour une régulation ex ante : les marchés de détail de l'accès au service téléphonique résidentiel, d'une part, et non résidentiel, d'autre part. Sur chacun de ces deux marchés, l'Autorité avait démontré en 2005 que France Télécom exerçait à l'époque une influence significative. Dans cette partie, l'Autorité analyse la nouvelle situation concurrentielle en vigueur sur les marchés de l'accès. Elle analyse dans un premier temps les parts de marchés (III.2.1), puis prend en compte des éléments concurrentiels qualitatifs (III.2.2), avant de conclure sur l'influence significative de France Télécom (III.2.3).
III-2.1. En termes de parts de marchés
III-2.1.1. La taille des marchés pertinents de l'accès
III-2.1.1.1. La taille du marché pertinent de l'accès résidentiel
Le nombre d'accès résidentiels exclusivement ou principalement dédiés à la téléphonie décroît du fait notamment du passage de certains usagers vers des offres de type « triple play » en dégroupage total ou ADSL nu. La baisse est d'environ 9 % entre 2003 et 2006. Selon des estimations, cette tendance s'accélérerait nettement avec une baisse en volumes de 13 % entre 2006 et 2007.
Figure 4 : Evolution du nombre d'accès résidentiels
exclusivement ou principalement dédiés au service téléphonique
Vous pouvez consulter le tableau dans le
JOn° 187 du 12/08/2008 texte numéro 51
Le chiffre d'affaires associé à ces accès résidentiels ne connaît pas la même décroissance. Au contraire, après une légère diminution entre 2003 et 2004, il croît de 2 % entre 2004 et 2005 puis de 3 % entre 2005 et 2006. Cet effet s'explique par les hausses successives appliquées par France Télécom au montant mensuel de son abonnement principal. Celui-ci a en effet été augmenté d'un euro TTC en mars 2005, juillet 2006 et juillet 2007. Ce chiffre d'affaires connaît, selon des estimations provisoires, une décroissance de 7 %, expliquée par une baisse plus importante des volumes (― 13 %).
Figure 5 : Evolution du chiffre d'affaires associé aux accès résidentiels
exclusivement ou principalement dédiés à la téléphonie
Vous pouvez consulter le tableau dans le
JOn° 187 du 12/08/2008 texte numéro 51
III-2.1.1.2. La taille du marché pertinent de l'accès non résidentiel
La taille du marché non résidentiel est mesurée en nombre de canaux dédiés à la voix. Une ligne analogique correspond à un canal, tandis que les accès numériques de base et primaires correspondent respectivement à 2 canaux et 30 canaux au maximum.
Figure 6 : Taille du marché de l'accès non résidentiel au service téléphonique, en nombre de canaux
Vous pouvez consulter le tableau dans le
JOn° 187 du 12/08/2008 texte numéro 51
III-2.1.2. Le fonctionnement des marchés pertinents de l'accès
Les marchés pertinents de détail de l'accès, résidentiel et non résidentiel, ont été définis dans la partie I.2 comme comprenant l'ensemble des accès dédiés exclusivement ou principalement à la téléphonie.
III-2.1.2.1. Sur le segment résidentiel
Sur le marché résidentiel, une partie des offres de communications téléphoniques des opérateurs alternatifs est fondée sur la sélection du transporteur ou la vente en gros de l'accès au service téléphonique. La plupart des autres offres de téléphonie résidentielles sont des offres de VLB fondées sur l'achat de dégroupage total, de dégroupage partiel, d'ADSL nu par l'opérateur alternatif ou encore via le raccordement en fibre optique de l'opérateur. Il existe également l'offre de téléphonie proposée par le câblo-opérateur français. Enfin quelques petits acteurs proposent d'autres types d'offres, mais sur des parcs de tailles négligeables.
Les offres de sélection de transporteur ne constituent pas des offres d'accès puisqu'elles ne sont accessibles qu'aux usagers achetant un accès téléphonique auprès de France Télécom.
La VGAST permet en revanche aux opérateurs de commercialiser des offres couplant accès et communications et constituent en cela des offres concurrentes des offres d'accès de France Télécom. Toutefois dans la VGAST, techniquement, l'accès continue d'être géré par France Télécom. Pour mettre en œuvre des offres fondées sur la VGAST, les opérateurs ne sont pas tenus de déployer d'infrastructures mais doivent seulement bénéficier d'une interconnexion avec l'opérateur historique. Dès lors, si cette offre de gros disparaissait, les opérateurs l'ayant mise en œuvre ne seraient plus en mesure de commercialiser d'offres d'accès auprès de leur clientèle finale. Par ailleurs, la création et la commercialisation de la VGAST ayant été imposées à France Télécom au titre de la régulation des marchés de détail dans le cadre des précédentes analyses des marchés de la téléphonie, il convient d'analyser les parts de marché sans prise en compte de la VGAST et des offres de détail sous-jacentes. Cette approche est en cohérence avec la « modified greenfield approach » présentée par la Commission européenne dans sa nouvelle recommandation « marchés pertinents ».
Parmi les offres d'accès à la téléphonie sur ADSL, celles basées sur du dégroupage partiel ou du bitstream ne sont pas des offres du marché pertinent de l'accès puisqu'elles ne dispensent pas le client de l'achat de l'abonnement auprès de France Télécom. Pour ce qui est de celles fondées sur du dégroupage total ou de l'ADSL nu, comme expliqué dans la partie I.2, il est à noter qu'en pratique elles sont systématiquement composées de plusieurs services. Il s'agit notamment des offres « triple play », couplant accès haut débit à Internet, téléphonie et télévision par Internet. En conséquence, l'usage principal de ces offres ne se limite pas à la téléphonie et elles ne font pas partie du marché pertinent de l'accès.
Les offres de téléphonie de Numericable suivent pour la plupart la même logique de couplage. Toutefois l'opérateur a également proposé par le passé une offre donnant exclusivement accès à la téléphonie. Cette offre fait partie du marché pertinent de l'accès.
III-2.1.2.2. Sur le segment professionnel et entreprises
L'offre est en revanche bien plus variée sur le segment professionnel et entreprises. Il est donc plus complexe de définir une liste d'offres ou de catégories d'offres. Comme sur le marché résidentiel, de nombreuses offres alternatives sont fondées sur la sélection du transporteur et la VGAST analogique et numérique. D'autres sont basées sur l'achat d'offres de gros telles que le dégroupage, DSLE ou des services de capacité. Enfin, certains opérateurs alternatifs raccordent leurs clients en propre, en fibre optique dans la grande majorité des cas.
Comme expliqué dans la partie précédente, la sélection du transporteur ne permet pas d'offrir l'accès et la VGAST, si elle permet la commercialisation de l'accès par les opérateurs alternatifs, n'est cependant pas à prendre en compte pour l'analyse de l'influence significative.
Il convient en revanche de considérer les offres des opérateurs alternatifs fondées sur l'achat de dégroupage, de services de capacité dans la mesure où les offres de gros en question ont été mises en place sur des marchés amont. Il s'agit là encore de l'approche recommandée par la Commission européenne : « In general, the market to be analysed first is that market which is most upstream in the vertical supply chain. Taking into account the ex ante regulation imposed on that market (if any), an assessment should be made as to whether there still is SMP on a forward-looking basis on the related downstream market(s). This methodology has become known as the « modified greenfield approach ». Thus the NRA should work its way along the vertical supply chain until it reaches the stage of the retail market(s). A downstream market should only be subject to direct regulation if competition on that downstream market still exhibits SMP in the presence of wholesale regulation on the related upstream market(s). » (9)
Parmi les offres commercialisées par les opérateurs alternatifs auprès de la clientèle non résidentielle et étant fondées sur une offre de gros large bande, une offre de gros de service de capacité ou via un raccordement en propre, seules font partie du marché pertinent de l'accès celles dont l'usage principal se limite à la téléphonie. L'offre étant très diversifiée, notamment sur le haut de marché où les offres sur mesure sont courantes, l'analyse quantitative du marché est rendue particulièrement complexe.