4.2.3. Une distorsion pouvant affecter les choix
des consommateurs fixes et mobiles
Il convient tout d'abord de rappeler que la charge de terminaison d'appel vocal mobile diffère de celle du fixe dans la mesure où elle rétribue plus de services que cette dernière, les périmètres des coûts considérés par le régulateur comme pertinents pour la prestation de terminaison d'appel étant différents. En effet, la terminaison d'appel mobile rémunère la sollicitation de tous les éléments de réseau activés par la transmission de l'appel du point d'interconnexion à l'appelé, segment d'accès compris. Pour rappel, dans le cas du fixe, la terminaison d'appel n'est pas censée recouvrir les coûts associés au segment d'accès jusqu'à l'utilisateur final. Le coût de ce segment d'accès (par exemple, la paire de cuivre), qui est entièrement dédié à l'utilisateur fixe, est recouvré à travers une tarification, qui prend en compte ce coût, des services offerts au détail à l'utilisateur final.
Une telle structuration de la terminaison d'appel vocal, issue d'une pratique de financement des réseaux mobiles par les appels fixes vers mobiles, sans être associée à un régime bill and keep pour l'outre-mer, a pour conséquence, au-delà des différences technologiques (et de coûts subséquentes) évidentes, que les niveaux de terminaison d'appel vocal mobile sont bien supérieurs à ceux de la terminaison d'appel vocal fixe, atteignant des niveaux absolus structurellement élevés.
Ainsi, l'ordre de grandeur des terminaisons d'appel vocal fixe est d'un centime d'euro, lorsque, dans le même temps, il s'élève en moyenne à 8 c pour le monde mobile. Ces prix de gros élevés se traduisent, sur le marché de détail, notamment par des tarifs élevés des communications fixe vers mobile en comparaison des communications fixe vers fixe. Par ailleurs, l'ensemble des acteurs de la téléphonie vocale est engagé dans une transition des structures de tarification historique où le service téléphonique est facturé au nombre et à la durée des appels vers une facturation forfaitaire. Cette tendance est très avancée en téléphonie fixe et progresse rapidement en téléphonie mobile. Cette évolution découle de la maturité des réseaux des opérateurs qui peuvent absorber la croissance des volumes à moindre coût et de la très forte préférence exprimée par les utilisateurs finals pour ce type d'offre permettant une meilleure maîtrise de leur dépense. Néanmoins, cette tendance structurelle ne s'applique pas aux communications « fixe vers mobile », qui, du fait du niveau de la terminaison d'appel mobile, ne peuvent être commercialisées sous forme forfaitaire. La part relative des communications fixe vers mobiles chute ainsi régulièrement, non pas du fait des préférences des consommateurs mais en conséquence des niveaux actuels de terminaison d'appel mobiles.
Le maintien de cette situation est de nature à conduire sur la période considérée à des déséquilibres, des modifications artificielles des préférences des consommateurs et des transferts de valeur inefficaces entre les consommateurs fixes et mobiles.
4.2.4. Une distorsion de concurrence
entre opérateurs fixes et mobiles
Par-delà les implications de tels transferts en termes de surplus du consommateur de services de communications fixes, il convient de relever le fait que le développement d'offres de convergence virtuelle ou plus technique faisant reposer la prestation de services mobiles concurrents de services fixes sur la perception de terminaisons d'appels élevées emporte une distorsion concurrentielle (du fait de la subvention croisée opérée entre marché de gros et marché de détail, au détriment de l'opérateur pâtissant de l'asymétrie de niveaux de terminaison) et peut être considéré comme générateur d'inefficiences productives (mobilisation de ressources radio injustifiées au regard des conditions effectives d'utilisation par le consommateur final).
Si l'Autorité considère que les marchés de détail de la téléphonie mobile et de la téléphonie fixe demeurent toujours distincts du fait de l'insuffisance de substituabilité entre les produits, l'existence de liens entre ces deux marchés est indéniable. Dans les années récentes, tant en France que dans d'autres pays européens, les opérateurs mobiles mettent en œuvre des stratégies de substitution des offres d'accès fixes par des accès mobiles s'appuyant sur l'important différentiel de revenu sur le trafic entrant découlant des écarts conséquents entre terminaison d'appel fixe et mobile. Cette tendance moins affirmée à ce stade pour l'outre-mer paraît néanmoins pertinente dans une analyse prospective.
Dans son avis sur la présente analyse (25), le Conseil de la concurrence émet des préoccupations similaires :
« 25. Enfin, le Conseil de la concurrence remarque que la frontière entre les services de téléphonie mobile et les services de téléphonie fixe devient de plus en plus poreuse, d'une part, du fait du développement d'offres de convergence (voir supra), d'autre part, en raison du lancement d'offres purement mobiles concurrençant directement les offres fixes. Ainsi, SFR a lancé récemment l'option "Happy Zone” qui propose des appels illimités vers tous les fixes 24 heures sur 24 pour les appels passés par ses clients dans une zone proche de leur résidence (offre de type "Cell-ID”). Ces offres s'appuient notamment sur le constat que plus de 30 % des appels mobiles sont passés depuis le domicile des utilisateurs. Ces offres sont susceptibles de concurrencer les offres de téléphonie fixe illimitées proposées par les opérateurs de téléphonie fixe et plus marginalement par les opérateurs Internet (dans le cadre d'offre double ou triple play). Or les économies de ces offres seront radicalement différentes selon qu'elles s'appuient sur des revenus entrants consistant en des charges de terminaison d'appels fixes (environ 1 centime d'euro par minute en moyenne) ou mobiles (environ 8 centimes d'euro en moyenne à ce jour). Sachant que les revenus entrants sont particulièrement importants dans l'élaboration de ce type d'offres, il convient de veiller à ce que la régulation des niveaux de terminaison d'appel (revenus entrants) du fixe et du mobile n'introduise pas un biais dans la concurrence sur le marché de détail entre des services en compétition et respecte le principe de neutralité technologique. »
Ces observations développées dans le contexte du marché métropolitain se transposent aux marchés mobiles outre-mer dans une analyse prospective.