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Article (Décision n° 2006-0593 du 27 juillet 2006 portant sur la définition des marchés pertinents de gros de la terminaison d'appel SMS sur les réseaux mobiles en métropole, la désignation d'opérateur disposant d'influence significative sur ces marchés et les obligations imposées à ce titre)

Article (Décision n° 2006-0593 du 27 juillet 2006 portant sur la définition des marchés pertinents de gros de la terminaison d'appel SMS sur les réseaux mobiles en métropole, la désignation d'opérateur disposant d'influence significative sur ces marchés et les obligations imposées à ce titre)



3.1.2. Spécificité de l'exercice de l'Autorité


Il convient de rappeler que la présente analyse, menée de façon prospective, vise à apprécier l'opportunité d'une régulation ex ante sur le marché.
Elle peut donc conduire à des résultats différents de ceux qui résulteraient de l'application des règles de concurrence ex post, dans la mesure où il ne s'agit pas d'examiner un comportement passé, abus de dominance ou entente. Mais l'exercice diffère également du type d'analyse qui peut être menée ex ante lors de l'examen d'une concentration économique par une autorité de concurrence, puisqu'il s'agit alors d'évaluer le risque sur la structure du marché relatif à un certain événement, et non de se prononcer sur une structure de marché en tant que telle.
Les lignes directrices susvisées, § 27, soulignent d'ailleurs que « le point de départ d'une analyse des marchés aux fins de l'article 15 de la directive "Cadre n'est pas l'existence d'une entente ou d'une pratique concertée au sens de l'article 81 du traité CE, ni d'une concentration au sens du règlement "Concentrations, ni encore d'une présomption d'abus de position dominante au sens de l'article 82 du traité CE, mais une évaluation globale prospective de la structure et du fonctionnement du marché considéré ».
Dans ce cadre, « la désignation d'une entreprise comme étant puissante sur un marché recensé aux fins d'une réglementation ex ante n'implique pas nécessairement que cette entreprise occupe également une position dominante au sens de l'article 82 du traité CE ou de dispositions nationales analogues. (...). Elle signifie simplement que, d'un point de vue structurel et à court ou moyen terme, l'opérateur jouit et jouira, sur le marché pertinent recensé, d'une puissance suffisante pour se comporter, dans une mesure appréciable, de manière indépendante de ses concurrents, de ses clients et en fin de compte des consommateurs » (§ 30 des lignes directrices de la Commission).
Le cadre de l'examen de la puissance dans la démarche d'analyse des marchés constitue donc un exercice différent par rapport à la pratique des autorités de concurrence. Si l'Autorité tient le plus grand compte de la jurisprudence communautaire, elle est également très attentive aux spécificités de l'exercice à mener.


3.2. Analyse de la puissance de marché des opérateurs mobiles métropolitains
3.2.1. Parts de marché


Au chapitre précédent, il a été indiqué que les marchés considérés étaient notamment formés de la prestation de terminaison d'appel SMS sur chaque réseau individuel de métropole à destination des clients de l'opérateur mobile, quelle que soit l'origine du SMS (mobile, fixe, internet, nationale ou internationale), et quelle que soit la technologie utilisée pour produire cette prestation (GSM ou UMTS). Ce marché inclut toutes les offres d'interconnexion SMS, ainsi que les offres de SMS Push à destination de l'opérateur mobile considéré. Dans ce cadre, il convient de regarder si chaque opérateur n'exerce pas une influence significative sur son marché de terminaison d'appel SMS.
Chaque opérateur dispose de 100 % de parts de marché sur le marché de la terminaison d'appel SMS sur son propre réseau. En effet, les opérateurs de départ ont à leur disposition deux types de prestations, celles offertes directement par l'opérateur mobile de terminaison (offres d'interconnexion SMS et offres SMS Push dites opérateur) et celles offertes par les agrégateurs de SMS (offres SMS Push dites agrégateur). Dans ce dernier cas, l'opérateur de départ n'achète pas sa prestation directement à l'opérateur de terminaison, mais à un agrégateur. Cependant, l'offre SMS Push qu'il achète comprend une prestation de terminaison que l'opérateur mobile vend à l'agrégateur fournissant le SMS Push, et dont il contrôle indirectement le prix.
Le trafic de terminaison SMS transite donc bien, dans tous les cas, par le réseau de l'opérateur mobile de terminaison qui contrôle in fine 100 % du marché.
Outre le fait que chaque opérateur dispose de 100 % de parts de marché, il est techniquement impossible pour un nouvel entrant de pénétrer l'un de ces marchés (un opérateur ne peut pas proposer d'offre concurrente à celle de l'opérateur mobile pour terminer du trafic SMS sur le réseau de cet opérateur mobile). Ces deux éléments sont soulignés par les lignes directrices de la Commission européenne comme des indicateurs importants d'une présomption de puissance sur le marché.
Une part de marché de 100 % et une absence de concurrence potentielle sont des indicateurs importants de puissance de marché. Toutefois, afin d'en évaluer la portée et conformément aux lignes directrices, il est nécessaire de procéder à une analyse approfondie et exhaustive des caractéristiques économiques du marché.
L'évaluation du pouvoir d'achat compensateur dont pourrait bénéficier l'opérateur acheteur ou le consommateur est un élément important qui permet de caractériser le degré de puissance de l'opérateur et de comprendre si ce dernier peut effectivement agir indépendamment de la demande et de ses concurrents. Cette capacité d'agir indépendamment des autres peut être confirmée par l'examen des prix de terminaison pratiqués par le passé, et notamment par la possibilité de s'écarter durablement du prix correspondant à une rentabilité raisonnable.


3.2.2. Analyse du comportement des consommateurs et des acheteurs de SMS-MT
3.2.2.1. Absence de contre-pouvoir des consommateurs sur le marché de détail


En France, comme dans l'ensemble des pays européens, le modèle économique du calling party pays prévaut. Seuls les SMS sortants sont facturés par l'opérateur au client. La réception des SMS est quant à elle gratuite. La charge de terminaison d'appel SMS est fixée par l'opérateur de l'appelé (et dépend donc du choix de ce dernier), mais elle est payée par l'opérateur de l'appelant, et donc par l'appelant lui-même.
Or, c'est l'appelé qui choisit son opérateur mobile. Celui-ci ne prend sa décision qu'en fonction de critères qui l'affectent directement, à savoir le prix du terminal, subventionné ou non, le prix d'une offre couplée tenant compte, entre autres, du prix des appels sortants et de la possibilité d'envoyer des messages (nombre de SMS inclus dans la formule, prix des SMS hors formule, etc.).
Ainsi, il se montre d'autant moins sensible au prix de terminaison d'appel SMS qu'il ignore tout de son existence, celui-ci n'étant pas public. En ce sens, le principe du paiement par l'appelant conduit à ce qu'un opérateur n'a que peu d'incitation à établir des prix de terminaison d'appel SMS à un niveau concurrentiel.
En vertu du principe de paiement par l'appelant, le consommateur ne dispose donc d'aucun contre-pouvoir effectif.


3.2.2.2. Absence de pouvoir de négociation des acheteurs de SMS-MT sur le marché de gros
3.2.2.2.1. Poids des différents acteurs sur le marché de gros


Il convient d'analyser s'il peut exister un pouvoir d'achat compensateur de la part des clients sur le marché de gros. Concernant le SMS, les principaux clients de Bouygues Telecom sont Orange France et SFR. Les principaux clients d'Orange France sont Bouygues Telecom et SFR. Les principaux clients de SFR sont Bouygues Telecom et Orange France.
En effet, d'après les estimations de l'Autorité menées sur la base des réponses aux questionnaires quantitatifs portant sur les services de communications mobiles SMS, les deux opérateurs concurrents de chaque opérateur mobile considéré représentent plus de 87 % des achats totaux de SMS-MT. Les clients non mobiles (agrégateurs, opérateurs fixes, FAI, éditeurs) ne représentent quant à eux qu'une part marginale, inférieure à 10 %, des achats de SMS-MT, tandis que celle des opérateurs mobiles étrangers s'élève à moins de 3 %. Le tableau suivant récapitule le poids relatif des différents acteurs sur le marché de gros.


Poids des différents acheteurs sur le marché de gros pour un opérateur mobile métropolitain en 2004




3.2.2.2.2. S'agissant des opérateurs mobiles entre eux


Il n'est pas apparu dans le passé qu'un opérateur mobile ait contraint Bouygues Telecom, Orange France ou SFR à baisser sa charge de terminaison d'appel SMS.
En effet, l'intérêt de chaque opérateur pris isolément est d'imposer une TA SMS élevée pour les SMS entrants, de façon à augmenter son revenu d'interconnexion, tout en ayant une TA SMS basse sur les SMS sortants (off net), de façon à minimiser ses coûts d'interconnexion. En ce sens, si un opérateur décide d'augmenter unilatéralement sa charge d'interconnexion SMS, les deux autres ont intérêt à répliquer immédiatement en procédant à une hausse du même ordre de manière à équilibrer globalement les flux financiers d'interconnexion entrants et sortants. Inversement, si un opérateur décide de diminuer unilatéralement sa charge d'interconnexion SMS, les deux autres n'ont aucun intérêt à diminuer la leur dans la mesure où leurs coûts d'interconnexion diminuent sans que leurs revenus ne soient affectés.
Dans ces conditions, un opérateur qui souhaiterait augmenter sa charge d'interconnexion SMS à partir d'un niveau correspondant aux coûts de fourniture du service pourrait la fixer à un niveau arbitrairement élevé. En ce sens, le pouvoir d'achat compensateur des acheteurs de terminaison d'appel SMS apparaît tout à fait réduit.
C'est pourquoi l'équilibre atteint ne peut être que celui d'un niveau de prix supérieur aux coûts, dépendant des intérêts initialement défendus par les trois opérateurs mobiles métropolitains au moment de la mise en place de l'interopérabilité. Une fois le niveau de la TA SMS fixé, il devient ensuite extrêmement difficile pour un acteur de diminuer la charge d'interconnexion SMS. Comme cela a été indiqué, le seul mécanisme de contre-pouvoir existant joue en effet à la hausse.
Cette absence de contre-pouvoir effectif est manifeste : la charge de terminaison d'appel SMS est en effet restée inchangée depuis la signature des accords d'interopérabilité, intervenue en décembre 1999, jusqu'à l'adoption par l'Autorité de deux décisions baissant cette charge de 20 % en novembre 2005. Cette absence d'évolution des prix pendant près de six ans est analysée dans la section 3.2.3.


3.2.2.2.3. S'agissant des opérateurs mobiles étrangers


Les accords d'interopérabilité SMS avec les opérateurs mobiles étrangers sont conclus dans le cadre de la GSM-Association et font l'objet de contrats bilatéraux. Il existe donc plusieurs tarifs de terminaison SMS internationale, ces tarifs pouvant différer d'un opérateur français à l'autre. Toutefois, il convient de signaler que le montant de la charge de terminaison d'appel SMS internationale est en général 10 à 15 % plus élevé que celui de la terminaison d'appel SMS nationale, ce qui tend à limiter les possibilités d'arbitrage.
Etant donné à la fois la disparité des terminaisons d'appel SMS internationales d'un opérateur mobile métropolitain à l'autre et le faible poids relatif de ces acteurs sur le marché de gros (moins de 3 %), l'Autorité considère que les opérateurs mobiles étrangers ne disposent pas d'un pouvoir d'achat compensateur suffisant pour influer sur le niveau de la terminaison d'appel SMS en métropole.


3.2.2.2.4. S'agissant des acteurs non mobiles
(agrégateurs de SMS, opérateurs fixes, fournisseurs d'accès Internet, éditeurs de services)


Malgré leur nombre, les acteurs non mobiles représentent une faible part (5 à 10 %) des achats de SMS-MT. Aucun ne dispose véritablement d'un pouvoir d'achat compensateur, comme cela est développé ci-après et n'est susceptible de disposer d'un tel pouvoir sur la période d'analyse considérée.


Absence de contre-pouvoir de négociation des FAI et des éditeurs de services


Comme il a déjà été indiqué auparavant (cf. section 1.5.2), la plupart des FAI et des éditeurs de services préfèrent recourir aux services d'un agrégateur de SMS, plutôt que de passer par les différentes offres de SMS Push des opérateurs mobiles. Il en résulte que le poids représenté par les éditeurs et les FAI sur le marché de gros est faible par rapport à celui des agrégateurs.
Un contre-pouvoir pourrait résulter du fait que les éditeurs, par exemple dans le cadre d'une campagne de marketing direct, peuvent choisir de ne pas viser la clientèle d'un opérateur mobile en raison du caractère élevé de son offre SMS Push (ou de celle d'un agrégateur revendant cette offre). Dans les faits, cet éventuel contre-pouvoir s'avère toutefois insuffisant pour impacter la tarification des opérateurs. En particulier, le prix du SMS Push étant a priori fixé en cohérence avec la TA SMS (substituabilité évoquée au chapitre 2), un éventuel contre-pouvoir des éditeurs se trouverait largement dilué du fait que cet usage pèse pour moins de 10 % dans les envois de SMS.


Absence de contre-pouvoir de France Télécom


Etant le seul opérateur à offrir un service de SMS au départ d'une ligne fixe, France Télécom dispose de presque 100 % de part de marché sur ce segment. Malgré cette position de quasi-monopole, l'opérateur historique a un pouvoir de négociation extrêmement limité car il ne serait pas envisageable pour lui de ne pas offrir à ses clients fixes l'accès aux clients d'un opérateur mobile.
Malgré les liens privilégiés que peut entretenir France Télécom avec sa filiale mobile, il convient de remarquer qu'à ce jour France Télécom ne bénéficie d'aucune interconnexion directe avec le réseau d'Orange France, mais lui achète une prestation de SMS Push, quasiment en tout point identique à celles proposées aux prestataires de services désirant acheminer des SMS sur son réseau mobile.
Enfin, il convient de rappeler que, faute d'accord entre les parties, l'envoi de SMS vers les réseaux mobiles de SFR et de Bouygues Telecom se fait au travers de l'offre d'un agrégateur et qu'il n'y a pas de minimessage en arrivée sur le réseau de France Télécom en provenance de ces deux opérateurs (58).
Ainsi, malgré les liens capitalistiques qui l'unissent à sa filiale Orange France et le monopole dont il jouit sur l'envoi de SMS au départ d'un poste fixe, force est de constater que l'opérateur historique ne dispose à ce jour d'aucun véritable pouvoir de négociation vis-à-vis des opérateurs mobiles métropolitains pour ce qui concerne l'envoi et la réception de SMS. Cette situation paraît notamment découler du faible volume concerné.