Articles

Article (Décision n° 2005-0281 du 28 juillet 2005 portant sur la définition du marché des offres de gros d'accès large bande livrées au niveau national, sur la désignation d'un opérateur exerçant une influence significative sur ce marché et sur les obligations qui lui sont imposées)

Article (Décision n° 2005-0281 du 28 juillet 2005 portant sur la définition du marché des offres de gros d'accès large bande livrées au niveau national, sur la désignation d'un opérateur exerçant une influence significative sur ce marché et sur les obligations qui lui sont imposées)


II-D-2. Deuxième critère : l'évolution du marché
vers une situation de concurrence effective
II-D-2-a (i) Les effets de la régulation de l'ancien cadre


La progression de la concurrence constatée depuis un an sur le marché des offres de gros d'accès large bande livrées au niveau national résulte en grande partie du dispositif de régulation précédemment en vigueur sur ce marché. France Télécom était alors tenue de soumettre ses propositions tarifaires à la procédure d'homologation. Les ministres chargés des télécommunications et de l'économie, après avis public de l'Autorité, pouvaient refuser ou accepter les tarifs de ses offres d'accès large bande livrées au niveau national.
Dans ces conditions, la part de marché des opérateurs alternatifs a triplé en un an, atteignant début 2005 environ 60 % (hors cessions internes).
Au cours des trois dernières années, les ministres ont été amenés à quatre reprises à refuser d'homologuer les tarifs de l'offre IP/ADSL. Les tarifs en question n'ont pas été homologués, au motif qu'ils ne permettaient pas de laisser un espace économique suffisant entre l'offre de dégroupage et les offres de gros d'accès large bande livrées au niveau régional, d'une part, et les offres de gros d'accès large bande livrées au niveau national, d'autre part.
Ainsi, le 30 avril 2002, l'Autorité, qui rendait un avis défavorable (n° 02-346) sur la décision tarifaire n° 2002033 relative à l'évolution de l'offre de collecte IP/ADSL et sur les propositions tarifaires relatives aux offres IP/ADSL annoncées par France Télécom, indiquait que « les conditions tarifaires consenties, d'une part, aux fournisseurs d'accès à Internet et, d'autre part, aux opérateurs ont pour effet d'empêcher l'entrée sur le marché d'opérateurs concurrents ». Elle relevait également que « cette absence de concurrence [laissait] dans une large mesure France Télécom à même de développer une politique tarifaire maintenant cette situation de dominance ».
Par ailleurs, le 20 juillet 2004, l'Autorité, qui rendait un avis défavorable (n° 04-615) sur les décisions tarifaires de France Télécom n° 2004098 et n° 2004099 relatives à l'évolution de la tarification des offres d'accès et de collecte IP/ADSL, notait que « les propositions tarifaires de France Télécom [avaient] pour effet de modifier significativement l'économie relative des différentes offres de gros utilisées par les fournisseurs d'accès à Internet et opérateurs alternatifs, [qu'elles] conduiraient à une déstabilisation des plans d'affaires des opérateurs dégroupeurs et limiteraient durablement l'extension géographique du dégroupage ».
Ainsi, comme elle a pu le rappeler à plusieurs reprises, notamment dans ce même avis n° 04-615 en date du 20 juillet 2004, l'Autorité s'est attachée depuis 2001 au maintien d'un espace économique suffisant entre les coûts des accès produits par les opérateurs dégroupeurs et les tarifs d'accès des offres de gros IP/ADSL et ADSL Connect ATM. Elle a également cherché à ce que les tarifs de l'ensemble des autres gammes d'accès soient supérieurs aux coûts de production des accès haut débit fondés sur le dégroupage.
L'Autorité considère que l'action qu'elle a menée au cours des dernières années sur ce marché, notamment à travers ses avis tarifaires, a permis d'éviter à plusieurs reprises que France Télécom ne pratique des tarifs d'éviction. Il en résulte que l'ouverture à la concurrence du marché des offres d'accès large bande livrées au niveau national caractérisée au début de l'année 2005 n'aurait pu être observée en l'absence de mesure de régulation ex ante.
Ceci est confirmé par le Conseil de la concurrence dans son avis n° 05-A-03 précité, où il souligne que « les prix relatifs des différentes offres de France Télécom jouent un rôle essentiel dans la dynamique de la concurrence sur les marchés de gros de l'accès large bande DSL. Ils déterminent à la fois les conditions d'entrée des concurrents sur le marché en aval et la rentabilité des investissements consentis par les opérateurs dans un réseau propre. Le stade actuel atteint par le déploiement des réseaux des opérateurs tiers et leur capacité à proposer des offres concurrentes de France Télécom s'est inscrit dans un cadre dans lequel des obligations spécifiques ont été imposées à l'opérateur historique depuis l'apparition de la technologie DSL, à la fin de l'année 1999 ».


II-D-2-a (ii) Evolution vers une situation de concurrence effective
rendue difficile en l'absence de régulation ex ante


La Commission précise à cet égard que « le deuxième critère consiste à déterminer si les caractéristiques du marché présagent une évolution vers une situation de concurrence effective sans qu'il y ait besoin d'une réglementation ex ante » (15).
La Commission souligne également que « [l]e but de l'approche "Green field est effectivement d'éviter la circularité de l'analyse de marché en évitant qu'un marché soit considéré comme effectivement concurrentiel sur la base de la réglementation existante, ce qui pourrait aboutir à la suppression de celle-ci, le marché pouvant ainsi revenir à un état où la concurrence n'est pas effective. En d'autres termes, toute approche "Green field doit faire en sorte que l'absence de PSM n'est observée et donc la réglementation supprimée que lorsque les marchés sont devenus durablement concurrentiels, et non pas lorsque l'absence de PSM est précisément le résultat de la réglementation en vigueur. Cela implique que la réglementation qui perdurera, tout au long de la période de référence de l'évaluation prospective, indépendamment de l'identification d'une PSM sur le marché concerné, doit être prise en compte » (16).
Enfin, elle indique dans son XXIVe rapport sur la concurrence qu'elle « ne saurait restreindre son analyse à l'examen des parts de marché. Elle doit aussi examiner, entre autres aspects, les barrières à l'entrée, en d'autres termes déterminer si les producteurs extérieurs au marché de produits ou de service seraient en mesure de pénétrer en temps utile et de manière significative sur le marché afin de constituer un contrepoids réel aux acteurs déjà en place ».
En conséquence, pour évaluer la dynamique du marché des offres de gros d'accès large bande livrées au niveau national ; il convient toujours de s'interroger du point de vue d'un fournisseur d'accès à Internet hypothétique en projetant son entrée éventuelle, non immédiatement, mais dans quelques mois ou années.
En raison de cette dimension prospective, les parts de marché mesurées actuellement au niveau national sur ce type d'offres ne sont pas, du point de vue de l'Autorité, un indicateur pertinent du fonctionnement du marché. Elles ne révèlent pas un rapport de force concurrentiel, mais sont seulement l'expression d'un mouvement général de réintégration verticale des fournisseurs d'accès à Internet actuels qui tentent d'internaliser leur production à la suite des changements que le marché a subis entre 2000 et 2004. Ainsi, plusieurs fournisseurs d'accès à Internet indépendants, dont Club-Internet ou AOL, ont-ils annoncé vouloir se lancer dans le dégroupage et construire leur propre réseau : ils vont donc progressivement cesser de s'approvisionner auprès de Neuf Télécom et Cegetel. Ils ne continuent de se servir des offres proposées par les opérateurs de réseaux à titre transitoire que le temps d'avoir conquis leur autonomie.
A l'issue de ce mouvement, il est probable que les opérateurs qui ont pu temporairement fournir des accès dégroupés en dehors de leurs groupes ne resteront pas des acteurs significatifs sur le marché des offres de gros d'accès large bande livrées au niveau national lorsqu'on exclura leur production interne. Seul France Télécom, parce qu'il contrôle l'infrastructure essentielle qui commande l'efficacité économique de ce type d'offres de gros d'accès large bande livrées au niveau national, sera en mesure de continuer à proposer à un nouvel entrant hypothétique une offre de gros d'accès large bande livrées au niveau national.
A l'inverse, France Télécom déciderait-il du retrait de cette offre qu'il disposerait, pour les raisons exposées ci-dessus, de la possibilité de dissuader l'entrée de tout nouveau fournisseur d'accès à Internet.
L'évolution « naturelle » du marché des offres de gros d'accès large bande livrées au niveau national n'est pas ainsi tournée vers une concurrence effective, en dépit du fait que, de manière ponctuelle, les concurrents de France Télécom disposent collectivement en volume (mais en aucune manière en valeur) d'une part de marché globale comparable à celle de France Télécom, bien que ce fait brut puisse le laisser croire. Son évolution naturelle est plus sûrement celle de la fermeture progressive de l'accès au marché de l'accès régional et même du dégroupage, faute d'offres de gros d'accès large bande livrées au niveau national permettant à un nouvel entrant de pénétrer immédiatement sur le marché.
L'absence de régulation de cette offre, dans la phase précédant sa disparition pure et simple, serait en outre de nature à faire perdre aux autres offres un repère essentiel qui est de nature à générer des tarifs d'éviction, notamment tant que le dégroupage n'a pas atteint son déploiement maximal.
Or, l'incitation de France Télécom à pratiquer des tarifs d'éviction au niveau national perdure et la pratique de tarifs d'éviction est susceptible, sinon de faire disparaître toute concurrence sur le haut débit, du moins d'en limiter significativement l'ampleur et la portée, notamment sur le marché des offres d'accès large bande livrées au niveau national.