Article (CONSEIL CONSTITUTIONNEL Observations du Gouvernement en réponse à la saisine du Conseil constitutionnel en date du 1er avril 1996 par soixante et un sénateurs)
I. - Sur l'article 47
Cet article complète l'article 7 de la loi no 86-793 du 2 juillet 1986 autorisant le Gouvernement à prendre diverses mesures d'ordre économique et social, de façon que la privatisation d'entreprises publiques de premier rang de petite taille puisse être autorisée par voie réglementaire.
Dans sa rédaction actuelle, le I de cet article 7 réserve au législateur l'approbation du transfert au secteur privé de la propriété des entreprises dont l'Etat détient directement plus de la moitié du capital social et de celles qui sont entrées dans le secteur public par l'effet d'une loi.
Les conditions dans lesquelles est effectuée la privatisation de ces entreprises sont définies par le titre II de la loi no 86-912 du 6 août 1986 relative aux modalités des privatisations, qui prévoit notamment que l'évaluation de l'entreprise doit être effectuée par la commission de la privatisation.
La privatisation des entreprises ne relevant pas des deux catégories mentionnées au I de l'article 7, c'est-à-dire pour l'essentiel les filiales d'entreprises publiques, est décidée par voie réglementaire, selon des modalités définies par le titre III de la loi no 86-912 du 6 août 1986 précitée. Ces modalités sont graduées selon l'importance des entreprises en cause : pour les plus importantes (effectif de plus de 2 500 salariés ou chiffre d'affaires de plus de 2,5 MdF), la privatisation est décidée par décret sur avis conforme de la commission de la privatisation ; pour les plus petites (effectif de moins de 50 salariés et chiffre d'affaires de moins de 50 MF), elle fait l'objet d'une déclaration au ministère de l'économie.
La mesure adoptée par le Parlement consiste à exonérer de la nécessité d'une approbation législative individuelle les privatisations d'entreprises détenues directement par l'Etat dont l'effectif est inférieur à 1 000 personnes et dont le chiffre d'affaires est inférieur à 1 MdF, ces seuils étant appréciés de manière consolidée avec les filiales. Cette modification ne vise pas les entreprises entrées dans le secteur public par l'effet d'une loi, dont la privatisation continuera à relever dans tous les cas d'une approbation législative.
En donnant compétence au pouvoir réglementaire pour décider de la privatisation des entreprises publiques de premier rang de faible importance, le législateur n'a pas entendu pour autant modifier les modalités selon lesquelles est réalisée la cession au secteur privé de ces entreprises. Le II de l'article 47 de la loi déférée complète donc le deuxième alinéa du II de l'article 7 de la loi du 2 juillet 1986, de telle sorte que la privatisation des entreprises concernées continuera de relever des dispositions du titre II de la loi du 6 août 1986.
Ces dispositions n'entrent en contradiction avec aucune règle ni aucun principe à valeur constitutionnelle.
A. - En premier lieu, et comme le rappellent les requérants eux-mêmes, si l'article 34 de la Constitution dispose que « la loi fixe les règles concernant ... les transferts de propriété d'entreprises du secteur public au secteur privé », cela ne signifie pas que le législateur doive se prononcer sur chaque opération de privatisation prise isolément, ni qu'il doive adopter une règle uniforme, ne tenant pas compte des caractéristiques des entreprises (taille, importance stratégique, valeur patrimoniale, modalités historiques de l'entrée dans le secteur public).
Le Conseil constitutionnel a très clairement confirmé cette interprétation dans sa décision no 86-207 DC des 25 et 26 juin 1986, aux termes de laquelle :
« L'article 34 de la Constitution n'impose pas que toute opération impliquant un transfert du secteur public au secteur privé soit décidée par le législateur... il appartient à celui-ci de poser des règles dont l'application incombera aux autorités ou aux organes désignés par lui. » C'est donc en conformité avec l'article 34 de la Constitution que la loi d'habilitation no 86-793 du 2 juillet 1986, sur laquelle a été rendue la décision no 86-207 précitée, et la loi no 86-912 du 6 août 1986 relative aux modalités des privatisations, modifiée notamment par la loi no 93-923 du 19 juillet 1993 de privatisation, distinguent entre différentes catégories d'entreprises de secteur public et leur appliquent un traitement différencié en ce qui concerne la décision de privatisation et les modalités de l'opération de cession au secteur privé.
L'article 47 de la loi déférée se place très exactement dans ce cadre : il ne fait que modifier les contours de l'une des catégories d'entreprises publiques précédemment définies par le législateur (entreprises dites de « premier rang ») et préciser les règles applicables au sous-ensemble qui résulte de cette modification (petites entreprises de premier rang).
B. - S'agissant des entreprises dont la majorité du capital social est directement détenue par l'Etat, la décision no 86-207 des 25 et 26 juin 1986 n'a certainement pas le sens que lui prêtent les requérants.
Il était à l'époque fait grief au législateur d'avoir opté une distinction entre les entreprises publiques détenues directement par l'Etat, d'une part, celles détenues indirectement par lui et celles détenues par des personnes publiques autres que l'Etat, d'autre part. En réponse à cette critique, le Conseil constitutionnel réaffirme, en cohérence avec le considérant de principe rappelé ci-dessus, que s'il appartient au législateur de fixer les règles relatives à la privatisation des entreprises appartenant au secteur public quelles qu'elles soient, rien ne lui impose « de prévoir des modalités de transfert identiques entre les entreprises dans lesquelles l'Etat détient directement une partie du capital social et les autres entreprises... ».
Ce faisant, le Conseil constitutionnel ne se prononce pas sur la nécessité de la distinction faite par l'article 7 de la loi du 2 juillet 1986 entre différentes catégories d'entreprises publiques ni sur les conséquences qui s'y attachent : il se borne à confirmer la possibilité, pour le législateur, d'appliquer des règles différentes aux catégories d'entreprises du secteur public qu'il a préalablement définies.
Il ressort par ailleurs à l'évidence de la décision no 86-207 que le Conseil n'a entendu ni donner valeur constitutionnelle aux distinctions opérées par la loi de 1986, ni interdire au législateur de définir de nouvelles catégories ou sous-catégories d'entreprises du secteur public au regard des règles de privatisation.
C. - Au demeurant, aucune règle ou principe à valeur constitutionnelle, ni même aucun raisonnement économique rationnel ne vient au renfort de la thèse selon laquelle les entreprises appartenant au secteur public de premier rang devraient nécessairement être traitées de manière homogène.
En effet, le critère de participation directe de l'Etat, par opposition à une participation indirecte ou à une détention par des personnes publiques autres que l'Etat, n'est pas déterminant en ce qui concerne :
Le caractère éventuel de « service public national ou de monopole de fait » au sens du neuvième alinéa du préambule de la Constitution de 1946 ;
L'interdiction de cession « des biens ou entreprises appartenant à des patrimoines publics à des personnes poursuivant des fins d'intérêt privé pour des prix inférieurs à leur valeur » ;
La nécessité du respect du principe d'égalité dans le choix des acquéreurs ; Les exigences liées à la préservation de l'indépendance nationale ;
Le respect du principe de libre administration des collectivités territoriales.
Au regard de chacun de ces éléments, qui sont ceux rappelés par le Conseil constitutionnel dans sa décision précitée des 25 et 26 juin 1986, la situation est la même quelles que soient les conditions d'appartenance au secteur public : détention directe ou indirecte, par l'Etat ou par d'autres personnes publiques.
On observera d'ailleurs que ces conditions sont, dans une certaine mesure,
contingentes et évolutives : la structure des entreprises du secteur public, comme celle des entreprises privées, peut changer, de sorte qu'une entreprise de premier rang deviendra une filiale ou vice versa.
Au contraire, la taille des entreprises publiques, mesurée au travers de leur chiffre d'affaires et de leur effectif consolidés, est à l'évidence un critère à la fois plus stable et plus important, justifiant un traitement différencié. A cet égard, le nouveau critère critiqué paraît fonder de façon plus pertinente que l'ancien la distinction entre les catégories d'entreprises publiques privatisées par la loi et celles qui pourront l'être par le pouvoir réglementaire.
D. - On rappellera enfin que l'article 47 de la loi déférée ne modifie en rien les modalités de privatisation des entreprises publiques de premier rang dont l'effectif est inférieur à 1 000 personnes et le chiffre d'affaires inférieur à 1 MdF.
Il a pour seul objet et pour seul effet de transférer du législateur au pouvoir réglementaire la compétence pour décider la privatisation n'atteignant pas ces seuils.
En revanche, les modalités de l'opération resteront celles définies par le titre II de la loi du 6 août 1986, qui répondent aux strictes réserves d'interprétation énoncées par le Conseil constitutionnel dans sa décision no 86-207 DC des 25 et 26 juin 1986, et entourent des garanties suivantes les principales règles de valeur constitutionnelle relatives aux privatisations : Détermination par la commission de la privatisation de la valeur minimum de l'entreprise ;
En cas de cession de gré à gré, avis conforme de cette commission sur le choix des acquéreurs ;
Possibilité d'institution d'une « action spécifique » assortie de certains droits permettant d'assurer la protection des intérêts nationaux ;
Publicité des évaluations faites par la commission de la privatisation et des procédures de cession hors marché ;
Obligation de proposer aux salariés de l'entreprise concernée des titres, le cas échéant, à des conditions préférentielles.