Article (CONSEIL CONSTITUTIONNEL Saisine du Conseil constitutionnel en date du 1er avril 1996, présentée par plus de soixante sénateurs, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, et visée dans la décision no 96-375 DC)
D. - De multiples atteintes au principe de l'égalité
On soulignera, enfin, que les atteintes au principe de l'égalité sont multiples.
1. Les atteintes à l'égalité entre les usagers.
La validation adoptée par le Parlement est ouvertement contraire à l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, qui proclame que la loi doit être la même pour tous. Les emprunteurs qui n'auront pas bénéficié d'une application complète des dispositions de la loi du 13 juillet 1979 ne seront pas placés dans la même situation que ceux qui en ont bénéficié. Les dispositions protectrices de la loi de 1979 n'auront pas produit les mêmes effets pour les premiers par rapport aux seconds.
Dans la mesure où seules les décisions de justice passées en force de chose jugée échappent à la validation législative, les justiciables qui, ayant engagé une procédure contentieuse qui n'a pas encore abouti ou n'est pas devenue définitive, auront, sur la base d'une loi dont l'objectif central était d'assurer leur protection, engagé des frais en pure perte. Si, jusqu'à présent, le Haut Conseil a estimé que les lois de validation qui ne dérogent pas au principe de non rétroactivité des textes répressifs et qui réservent le cas des décisions de justice passées en force de chose jugée pouvaient ne pas être déclarées contraires à la Constitution, il a également estimé que les atteintes éventuelles au principe de l'égalité devant la loi ou devant les chargés publiques devaient être appréciées au regard de l'objet des diverses dispositions dont la conformité à la Constitution est contestée (décision no 86-223 DC du 29 décembre 1986). Or, au cas particulier, la présente loi entend protéger, pour l'avenir, les emprunteurs en reprenant l'interprétation livrée par le juge sur la base de dispositions de la loi du 13 juillet 1979 et ôter, pour le passé, aux emprunteurs qui ont souscrit un contrat de prêt avant le 1er janvier 1995 l'essentiel de la protection que leur assurait justement cette loi du 13 juillet 1979. A tout le moins, il faudrait, sauf à méconnaître le principe de l'égalité, réserver le cas des justiciables ayant engagé, avant la date d'entrée en vigueur de la présente loi, une procédure, que celle-ci ait ou non donné lieu à jugement.
2. L'atteinte à l'égalité entre les établissements bancaires.
Enfin, en validant les contrats de prêts reposant sur une offre de prêt incomplète, le législateur sanctionne indirectement les établissements bancaires qui ont rempli correctement leur mission d'information et de conseil vis-à-vis de leurs clients. En effet, ceux-ci ont pris la peine de fournir à leurs clients tous les éléments d'information nécessaires. Or toute information a un coût. Même si celui-ci est, au cas particulier, relativement limité, il pèse sur les conditions d'exploitation de tout établissement de crédit. A l'inverse, ceux qui ont manqué à leur obligation d'information et de conseil se voient totalement absous. Il y a là une atteinte manifeste à la concurrence entre les différents établissements bancaires.
C'est pour l'ensemble de ces raisons que les sénateurs soussignés ont l'honneur de vous demander, en application du deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, de déclarer non conformes à celle-ci les articles 47 et 87-I de la loi qui vous est déférée.
Nous vous prions d'agréer, Monsieur le président, Madame et Messieurs les conseillers, l'expression de notre haute considération.
(Liste des signataires : voir décision no 96-375 DC.)