Article (CONSEIL CONSTITUTIONNEL Décision no 94-355 DC du 10 janvier 1995)
En ce qui concerne l'article 1er:
Considérant que l'article 1er insère après le chapitre V ter de l'ordonnance du 22 décembre 1958 susvisée un chapitre V quater intitulé « Des magistrats exerçant à titre temporaire » qui comporte sept articles, 41-10 à 41-16;
Quant au principe même de l'exercice des fonctions de magistrat pour un
temps limité:
Considérant qu'il résulte tant des dispositions mêmes de l'article 64 de la Constitution que du rapprochement de ces dispositions avec celles des articles 65 et 66, qui constituent avec ledit article 64 le titre VIII relatif à « l'autorité judiciaire », que l'alinéa 3 de l'article 64, aux termes duquel « une loi organique porte statut des magistrats », vise seulement les magistrats de carrière de l'ordre judiciaire;
Considérant qu'il suit de là que les fonctions de magistrat de l'ordre judiciaire doivent en principe être exercées par des personnes qui entendent consacrer leur vie professionnelle à la carrière judiciaire; que la Constitution ne fait cependant pas obstacle à ce que, pour une part limitée, des fonctions normalement réservées à des magistrats de carrière puissent être exercées à titre temporaire par des personnes qui n'entendent pas pour autant embrasser la carrière judiciaire, à condition que, dans cette hypothèse, des garanties appropriées permettent de satisfaire au principe d'indépendance qui est indissociable de l'exercice de fonctions judiciaires; qu'il importe à cette fin que les intéressés soient soumis aux droits et obligations applicables à l'ensemble des magistrats sous la seule réserve des dispositions spécifiques qu'impose l'exercice à titre temporaire de leurs fonctions;
Considérant que l'article 41-10 définit des conditions d'âge, de compétence et d'expérience auxquelles doivent répondre les personnes appelées à exercer, en tant que magistrat à titre temporaire, des fonctions de juge d'instance ou d'assesseur dans les tribunaux de grande instance; que son second alinéa prescrit que ces personnes doivent, soit remplir les conditions prévues au 1o, 2o ou 3o de l'article 22 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 susvisée qui sont exigées pour les nominations directes aux fonctions du second grade de la hiérarchie judiciaire, soit être membre ou ancien membre des professions libérales juridiques ou judiciaires soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé et justifier de sept années au moins d'exercice professionnel;
Considérant qu'en application du premier alinéa de l'article 41-11, ces magistrats, lorsqu'ils sont affectés dans un tribunal d'instance, sont répartis dans les différents services de la juridiction selon les modalités fixées par l'ordonnance annuelle prévue par l'article L. 710-1 du code de l'organisation judiciaire dans sa rédaction issue de la loi susvisée relative à l'organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative; qu'aux termes du second alinéa de cet article, cette ordonnance ne peut être modifiée qu'en cas d'urgence; qu'en outre, si ces juges traitent à la fois des contentieux civil et pénal, à l'exclusion de la départition prud'homale, ils ne peuvent assurer plus du quart des services du tribunal dans lequel ils sont affectés; que l'exclusion des fonctions de juge départiteur trouve une justification dans la spécificité des fonctions et la composition des juridictions en cause;
Considérant qu'en application du second alinéa de l'article 41-11,
lorsqu'ils sont affectés en qualité d'assesseur dans une formation collégiale du tribunal de grande instance, ils sont répartis dans les différentes formations de la juridiction selon les modalités fixées par l'ordonnance annuelle ci-dessus évoquée; qu'il ne peut y avoir dans ces formations plus d'un assesseur choisi parmi eux;
Considérant en outre qu'en application de l'article 41-12, les nominations sont prononcées dans les formes prévues pour les magistrats du siège sur proposition de l'assemblée générale des magistrats du siège des cours d'appel, puis sur avis conforme de la commission prévue à l'article 34 du statut après accomplissement d'une période de formation probatoire,
comportant un stage en juridiction; que les magistrats ainsi recrutés sont nommés pour une durée de sept ans non renouvelable; que dès lors que la commission d'avancement prévue à l'article 34 a pour seule mission de vérifier l'aptitude des intéressés aux fonctions de magistrat, son intervention ne contrevient pas aux dispositions combinées des articles 13 et 65 de la Constitution touchant aux compétences respectives du Président de la République, du ministre de la justice et du Conseil supérieur de la magistrature; que l'exception apportée à la procédure instituée par l'article 27-1, dite « de transparence », trouve une justification dans les spécificités des conditions de recrutement ci-dessus analysées; qu'en prenant en compte ces spécificités, la loi organique n'a pas méconnu le principe d'égalité;
Considérant que le candidat admis au stage probatoire doit prononcer le serment prévu par l'article 25-3 du statut et qu'avant leur affectation les magistrats doivent prêter serment dans les conditions prévues à l'article 6; Considérant qu'il résulte tant des travaux préparatoires que des termes mêmes de la loi que l'affectation de ces magistrats est prononcée de manière définitive sans que ceux-ci, qui n'ont pas vocation à faire carrière dans la magistrature, puissent recevoir un avancement de grade ni bénéficier de mutations;
Considérant enfin que le législateur a pu prévoir par le dernier alinéa de l'article 41-12 de renvoyer à un décret en Conseil d'Etat la fixation des conditions de dépôt et d'instruction des dossiers de candidatures, les modalités d'organisation et de durée du stage ainsi que les conditions d'indemnisation et de protection sociale des stagiaires;
Considérant qu'en vertu des trois premiers alinéas de l'article 41-13 ces magistrats ne peuvent être membres du Conseil supérieur de la magistrature ou de la commission d'avancement ni participer à la désignation des membres de ces instances; qu'en outre les articles 13 et 76 ne leur sont pas applicables; que ces dérogations au statut de la magistrature trouvent une justification dans la spécificité des conditions dans lesquelles ces magistrats sont recrutés et exercent leurs fonctions; qu'en outre il est précisé qu'à l'exception des dispositions particulières les régissant, les magistrats concernés sont soumis aux règles statutaires de droit commun de la magistrature;
Considérant qu'aux termes du quatrième alinéa de l'article 41-13: « Ces magistrats sont indemnisés dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat »; que si cette disposition déroge à la règle générale énoncée à l'article 42 de l'ordonnance statutaire suivant laquelle « les traitements des magistrats sont fixés par décret en Conseil des ministres », le législateur a entendu prendre en compte le fait que ceux qui exercent à titre temporaire ne bénéficient pas d'un traitement mais d'une indemnité; qu'en effet ces magistrats, qui n'ont pas entendu embrasser la carrière judiciaire, et qui aux termes de l'article 41-14 peuvent exercer une activité professionnelle concomitamment à leurs fonctions judiciaires, se trouvent,
quant à leur rémunération, dans une situation spécifique susceptible d'être régie par un décret en Conseil d'Etat; que celui-ci qui ne saurait avoir pour objet que des dispositions de nature pécuniaire ne pourra comporter des règles de nature à porter atteinte à l'indépendance des magistrats concernés ou au principe d'égalité;
Considérant qu'aux termes de l'article 41-15 l'autorité investie du pouvoir de sanction disciplinaire dans les conditions du chapitre VII du statut peut, indépendamment de la sanction prévue au 1o de l'article 45, prononcer à titre de sanction exclusive de toute autre sanction disciplinaire, la fin des fonctions du magistrat; que cette disposition qui prend en compte les particularités de la situation des intéressés ne contrevient pas au principe d'égalité;
Considérant enfin qu'en vertu de l'article 41-16, il ne peut être mis fin aux fonctions des magistrats exerçant à titre temporaire qu'à leur demande ou au cas où aurait été prononcée la sanction édictée à l'article 41-15; que le législateur a tenu à préciser que les anciens magistrats à titre temporaire doivent en outre s'abstenir de toute prise de position publique en relation avec les fonctions qu'ils ont exercées durant un an à compter de la cessation de celles-ci;
Considérant que sous la réserve ci-dessus énoncée qu'appelle l'article 41-13, il résulte de ce qui précède que les dispositions des articles 41-10 à 41-13, 41-15 et 41-16 ne portent pas atteinte au principe de l'indépendance des magistrats non plus qu'au principe d'égalité;
Quant au principe de l'exercice concomitant d'une activité de magistrat
pour un temps limité et d'une activité professionnelle:
Considérant qu'en vertu de l'article 41-14 les magistrats recrutés à titre temporaire peuvent exercer de façon générale une activité professionnelle concomitamment à leurs fonctions judiciaires; qu'il est ainsi fait exception à l'article 8 de l'ordonnance statutaire qui rend incompatible, sauf dérogation individuelle, l'exercice des fonctions de magistrat avec l'exercice de toutes fonctions publiques et de toute autre activité professionnelle ou salariée;
Considérant en premier lieu, que cet article 41-14 dispose en son premier alinéa que les magistrats recrutés dans le cadre du chapitre V quater de l'ordonnance ne peuvent pas exercer « une activité professionnelle qui soit de nature à porter atteinte à la dignité de la fonction et à son indépendance »; que s'agissant des membres des professions libérales juridiques et judiciaires soumis à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé, il est en outre prescrit qu'ils ne peuvent exercer des fonctions judiciaires dans le ressort du tribunal de grande instance où ils ont leur domicile professionnel;
Considérant en deuxième lieu, qu'en vertu du deuxième alinéa du même article, les magistrats exerçant à titre temporaire ne peuvent exercer aucune activité d'agent public, à l'exception de celles de professeur et de maître de conférence des universités dont l'indépendance est garantie par un principe à valeur constitutionnelle;
Considérant en troisième lieu, qu'aux termes du troisième alinéa de l'article 41-14: « En cas de changement d'activité professionnelle, le magistrat en informe le premier président de la cour d'appel, qui lui fait connaître, le cas échéant, que sa nouvelle activité n'est pas compatible avec l'exercice de ses fonctions judiciaires »; que cette disposition ne confère aucun pouvoir de décision au premier président; que le pouvoir disciplinaire à l'égard des magistrats recrutés pour un temps limité s'exerce comme l'indique l'article 41-15 par l'autorité investie de ce pouvoir dans les conditions prévues au chapitre VII du statut; que celle-ci doit assurer le strict respect des conditions de compatibilité de l'exercice des fonctions de magistrat avec celui d'activités d'une autre nature;
Considérant en quatrième lieu, qu'en vertu du quatrième alinéa de l'article 41-14 un magistrat exerçant à titre temporaire ne peut connaître d'un litige présentant un lien avec son activité professionnelle ou lorsqu'il entretient ou a entretenu des relations professionnelles avec l'une des parties; que dans ces hypothèses, il appartient au président du tribunal d'instance ou au juge chargé de son administration de décider que l'affaire sera soumise à un autre juge ou à une formation de jugement autrement composée dès lors qu'il est saisi d'une demande en ce sens par le juge concerné ou l'une des parties; que cette décision de renvoi est insusceptible de recours; que ces dispositions doivent faire obstacle en toutes circonstances à ce qu'un magistrat puisse avoir à connaître d'un litige touchant à quelque question que ce soit en rapport avec ses autres activités professionnelles;
Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ces dispositions ainsi que de celles qui sont destinées à assurer de manière générale l'indépendance des magistrats exerçant à titre temporaire que les conditions dans lesquelles ces derniers peuvent exercer leurs fonctions concurremment avec d'autres activités professionnelles sont de nature à préserver leur indépendance;