LOI RELATIVE A LA REDUCTION NEGOCIEE
DU TEMPS DE TRAVAIL
Le Conseil constitutionnel a été saisi, le 16 décembre 1999, par MM. Henri de Raincourt, Charles-Henri de Cossé-Brissac, François Trucy, Jean-Paul Emin, Ambroise Dupont, Jean-Claude Carle, Jean-François Humbert, Philippe Nachbar, Mme Janine Bardou, MM. James Bordas, Louis Boyer, Nicolas About, Jean-Léonce Dupont, Mme Anne Heinis, MM. Christian Bonnet, Serge Mathieu, Jean-Paul Emorine, Roland du Luart, José Balarello, Jean Boyer, Henri Revol, Jean-Pierre Raffarin, Hubert Falco, Jean Clouet, Jacques Dominati, Marcel-Pierre Cléach, Jean Pépin, Louis-Ferdinand de Rocca Serra, Louis Grillot, Bernard Plasait, Xavier Pintat, Jean Delaneau, Louis Althapé, Paul Blanc, Gérard Braun, Dominique Braye, Mme Paulette Brisepierre, MM. Michel Caldaguès, Auguste Cazalet, Gérard César, Jean Chérioux, Jean-Patrick Courtois, Robert Del Picchia, Charles Descours, Alain Dufaut, Daniel Eckenspieller, Michel Esneu, Hilaire Flandre, Bernard Fournier, Philippe François, Yann Gaillard, Philippe de Gaulle, Patrice Gélard, Francis Giraud, Alain Gournac, Adrien Gouteyron, Georges Gruillot, Jean-Paul Hugot, Roger Husson, André Jourdain, Alain Joyandet, Patrick Lassourd, Dominique Leclerc, Guy Lemaire, Paul Masson, Paul Natali, Mme Nelly Olin, MM. Joseph Ostermann, Jacques Peyrat, Victor Reux, Jean-Pierre Schosteck, Louis Souvet, Martial Taugourdeau, Alain Vasselle, Jean-Pierre Vial, Serge Vinçon, Guy Vissac, Jean-Paul Amoudry, Philippe Arnaud, Jean Arthuis, Denis Badré, Bernard Barraux, Jacques Baudot, Michel Bécot, Maurice Blin, Mme Annick Bocandé, MM. André Bohl, Marcel Deneux, Gérard Dériot, André Diligent, Pierre Fauchon, Jean Faure, Serge Franchis, Yves Fréville, Francis Grignon, Pierre Hérisson, Rémi Herment, Daniel Hoeffel, Jean Huchon, Claude Huriet, Jean-Jacques Hyest, Pierre Jarlier, Henri Le Breton, Marcel Lesbros, Jean-Louis Lorrain, Kléber Malécot, André Maman, René Marquès, Louis Moinard, Philippe Nogrix, Michel Souplet, Albert Vecten, Xavier de Villepin, Fernand Demilly, Jean-Pierre Fourcade, Paul Girod, Pierre Laffitte, Jean-Marie Rausch, André Vallet, sénateurs, et, le même jour, par MM. José Rossi, Jean-Louis Debré, Philippe Douste-Blazy, Mme Nicole Ameline, M. François d'Aubert, Mme Sylvia Bassot, MM. Roland Blum, Dominique Bussereau, Pierre Cardo, Antoine Carré, Pascal Clément, Georges Colombier, Bernard Deflesselles, Francis Delattre, Franck Dhersin, Laurent Dominati, Dominique Dord, Charles Ehrmann, Nicolas Forissier, Gilbert Gantier, Claude Gatignol, Claude Goasguen, François Goulard, Pierre Hellier, Michel Herbillon, Philippe Houillon, Aimé Kerguéris, Marc Laffineur, Jean-Claude Lenoir, Pierre Lequiller, Alain Madelin, Jean-François Mattei, Michel Meylan, Alain Moyne-Bressand, Yves Nicolin, Paul Patriarche, Bernard Perrut, Jean Proriol, Jean Rigaud, Joël Sarlot, Jean-Pierre Soisson, Guy Teissier, Gérard Voisin, Jean-Claude Abrioux, Bernard Accoyer, Mme Michèle Alliot-Marie, MM. René André, André Angot, Philippe Auberger, Jean Auclair, Gautier Audinot, Mmes Martine Aurillac, Roselyne Bachelot-Narquin, MM. Jean Bardet, François Baroin, Christian Bergelin, André Berthol, Léon Bertrand, Jean-Yves Besselat, Jean Besson, Franck Borotra, Bruno Bourg-Broc, Philippe Briand, Christian Cabal, Gilles Carrez, Mme Nicole Catala, MM. Richard Cazenave, Jean-Paul Charié, Jean-Marc Chavanne, François Cornut-Gentille, Alain Cousin, Jean-Michel Couve, Charles Cova, Henri Cuq, Lucien Degauchy, Arthur Dehaine, Jean-Pierre Delalande, Patrick Delnatte, Jean-Marie Demange, Xavier Deniau, Yves Deniaud, Patrick Devedjian, Eric Doligé, Guy Drut, Jean-Michel Dubernard, Jean-Pierre Dupont, Christian Estrosi, Jean-Claude Etienne, Jean Falala, Jean-Michel Ferrand, François Fillon, Roland Francisci, Yves Fromion, Robert Galley, Henri de Gastines, Hervé Gaymard, Jean-Pierre Giran, Michel Giraud, Jacques Godfrain, Louis Guédon, Jean-Claude Guibal, Lucien Guichon, Gérard Hamel, Michel Hunault, Michel Inchauspé, Christian Jacob, Didier Julia, Alain Juppé, Jacques Kossowski, Robert Lamy, Pierre Lasbordes, Thierry Lazaro, Pierre Lellouche, Jean-Claude Lemoine, Thierry Mariani, Alain Marleix, Philippe Martin, Patrice Martin-Lalande, Jacques Masdeu-Arus, Mme Jacqueline Mathieu-Obadia, MM. Gilbert Meyer, Charles Miossec, Pierre Morange, Renaud Muselier, Jacques Myard, Jean-Marc Nudant, Patrick Ollier, Robert Pandraud, Jacques Pélissard, Etienne Pinte, Bernard Pons, Robert Poujade, Didier Quentin, Jean-Bernard Raimond, André Schneider, Bernard Schreiner, Frantz Taittinger, Jean Tibéri, Georges Tron, Anicet Turinay, Jean Ueberschlag, Léon Vachet, François Vannson, Roland Vuillaume, Jean-Luc Warsmann, Mme Marie-Jo Zimmermann, MM. Jean-Pierre Abelin, Pierre Albertini, Pierre-Christophe Baguet, Jacques Barrot, Dominique Baudis, François Bayrou, Jean-Louis Bernard, Claude Birraux, Emile Blessig, Mmes Christine Boutin, Marie-Thérèse Boisseau, MM. Jean Briane, Yves Bur, Dominique Caillaud, Hervé de Charette, René Couanau, Charles de Courson, Yves Coussain, Renaud Donnedieu de Vabres, Renaud Dutreil, Jean-Pierre Foucher, Hubert Grimault, Pierre Hériaud, Patrick Herr, Mme Anne-Marie Idrac, MM. Jean-Jacques Jegou, Christian Kert, Edouard Landrain, Jean Leonetti, François Léotard, Maurice Leroy, Roger Lestas, Maurice Ligot, Christian Martin, Pierre Méhaignerie, Pierre Micaux, Hervé Morin, Dominique Paillé, Jean-Luc Préel, François Rochebloine, André Santini, François Sauvadet, Michel Voisin, Jean-Jacques Weber, Pierre-André Wiltzer et Jacques Blanc, députés, dans les conditions prévues à l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, de la conformité à celle-ci de la loi relative à la réduction négociée du temps de travail ;
Le Conseil constitutionnel,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance no 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment le chapitre II du titre II de ladite ordonnance ;
Vu la loi no 98-461 du 13 juin 1998 d'orientation et d'incitation relative à la réduction du temps de travail ;
Vu la loi no 99-1140 du 29 décembre 1999 de financement de la sécurité sociale pour 2000 ;
Vu la loi no 99-1172 du 30 décembre 1999 portant loi de finances pour 2000 ;
Vu le code du travail ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu la décision du Conseil constitutionnel no 98-401 DC du 10 juin 1998 relative à la loi du 13 juin 1998 précitée ;
Vu les observations du Gouvernement enregistrées le 6 janvier 2000 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
Considérant que les auteurs des saisines demandent au Conseil constitutionnel de déclarer non conforme à la Constitution la loi relative à la réduction négociée du temps de travail ;
Sur les griefs tirés de la violation de l'article 34 de la Constitution :
Considérant que les auteurs des deux saisines soutiennent que le législateur aurait, à divers titres, méconnu les exigences qui découlent de l'article 34 de la Constitution, notamment en n'exerçant pas pleinement sa compétence ;
En ce qui concerne les griefs relatifs à l'incompétence négative du législateur :
Considérant, en premier lieu, que les députés requérants font valoir que le IV de l'article 1er serait contraire à la Constitution dans la mesure où il « introduit des éléments d'appréciation à caractère subjectif ouvrant la voie à des contentieux et à une inégalité dans l'application » ;
Considérant, en deuxième lieu, qu'ils font état d'imprécisions qui vicieraient également l'article 17 de la loi déférée ;
Considérant, en troisième lieu, que les députés et les sénateurs requérants font valoir que l'article 19 de la loi déférée ne serait pas suffisamment précis quant aux critères de suppression et de suspension du bénéfice de l'allégement des cotisations sociales patronales qu'il prévoit ; qu'en particulier, le législateur ne pouvait, sans méconnaître sa compétence, « renvoyer à un décret en Conseil d'Etat la détermination des modalités de suspension du bénéfice de l'allégement sans fixer lui-même des critères objectifs servant à apprécier le respect ou non de l'exigence de compatibilité » des durées et horaires de travail pratiqués dans l'entreprise avec les limites définies au I du même article ;
Considérant, en premier lieu, que le IV de l'article 1er insère un nouvel alinéa après le premier alinéa de l'article L. 321-4-1 du code du travail ; qu'il en résulte que l'employeur, dans les entreprises employant au moins cinquante salariés, préalablement à l'établissement et à la communication aux représentants du personnel du plan social destiné notamment à éviter les licenciements ou en limiter le nombre, « doit avoir conclu un accord de réduction du temps de travail portant la durée collective du travail des salariés de l'entreprise à un niveau égal ou inférieur à trente-cinq heures hebdomadaires ou à 1 600 heures sur l'année, ou, à défaut, avoir engagé sérieusement et loyalement des négociations tendant à la conclusion d'un tel accord » ;
Considérant qu'il résulte des dispositions de l'article 34 de la Constitution que la loi détermine les principes fondamentaux du droit du travail, du droit syndical et de la sécurité sociale ;
Considérant qu'en instituant une obligation préalable à l'établissement du plan social, sans préciser les effets de son inobservation et, en particulier, en laissant aux autorités administratives et juridictionnelles le soin de déterminer si cette obligation est une condition de validité du plan social, et si son inobservation rend nulles et de nul effet les procédures de licenciement subséquentes, le législateur n'a pas pleinement exercé sa compétence ; qu'il y a lieu par conséquent de déclarer contraire à la Constitution le IV de l'article 1er de la loi déférée ;
Considérant, en deuxième lieu, qu'en distinguant à l'article L. 932-2 du code du travail, introduit par l'article 17 de la loi, entre les actions de formation que l'employeur est tenu d'assurer pour « l'adaptation de ses salariés à l'évolution de leurs emplois », qui font partie du temps de travail effectif, et celles relatives au « développement des compétences des salariés », qui peuvent être organisées pour partie hors du temps de travail effectif, le législateur n'est pas resté en deçà de sa compétence ;
Considérant, en troisième lieu, que l'article 19 de la loi déférée est relatif aux conditions dans lesquelles « les entreprises qui appliquent un accord collectif fixant la durée collective du travail au plus soit à trente-cinq heures hebdomadaires, soit à 1 600 heures sur l'année et s'engagent dans ce cadre à créer ou à préserver des emplois » vont pouvoir bénéficier de l'allégement de cotisations sociales défini à l'article L. 241-13-1 du code de la sécurité sociale ;
Considérant que le II de cet article précise quels accords ou conventions ouvrent droit à l'allégement ; que son III énumère les questions qui devront être obligatoirement traitées par ces accords ; qu'il résulte en particulier du paragraphe 1 que doivent être déterminées « la durée du travail, les catégories de salariés concernés, les modalités d'organisation et de décompte du temps de travail, les incidences sur la rémunération de la réduction du temps de travail » ; qu'aux termes du paragraphe 2 : « La convention ou l'accord d'entreprise ou d'établissement détermine le nombre d'emplois créés ou préservés du fait de la réduction du temps de travail et les incidences prévisibles de celle-ci sur la structure de l'emploi dans l'entreprise... » ; qu'en outre, la convention ou l'accord « doit comporter des mesures visant à favoriser le passage d'un emploi à temps partiel à un emploi à temps complet (...) ainsi qu'à favoriser l'égalité professionnelle entre hommes et femmes... » ; que, lorsque la convention ou l'accord prévoit des embauches, celles-ci « doivent être effectuées dans un délai d'un an à compter de la réduction effective du temps de travail, sauf stipulation contraire de l'accord » ;
Considérant que la détermination des emplois créés ou préservés du fait de la réduction de la durée du travail, ainsi que le contenu des stipulations conventionnelles obligatoires, relèvent ainsi exclusivement de l'accord conclu entre les partenaires sociaux ; que ni l'autorité administrative, ni l'organisme de recouvrement des cotisations de sécurité sociale n'exercera de contrôle sur l'opportunité ou la portée de ce dispositif conventionnel ;
Considérant que le XV de l'article 19 précise les cas dans lesquels le non-respect des engagements prévus par la convention ou l'accord entraîne la suppression ou la suspension du bénéfice de l'allégement des cotisations sociales ; qu'en particulier, il y a lieu à suppression en cas de fausse déclaration ou d'omission tendant à obtenir le bénéfice de l'allégement, ainsi qu'en l'absence, imputable à l'employeur, de mise en oeuvre des clauses de la convention ou de l'accord relatives à la durée collective du travail ; qu'il y a lieu à suspension lorsque l'engagement en termes d'embauche prévu par l'accord n'est pas réalisé dans le délai d'un an précité, ainsi que lorsque l'horaire collectif de travail pratiqué dans l'entreprise est « incompatible » avec les durées et les horaires de travail déterminés dans l'accord lui-même ; que cette formulation doit être entendue comme visant l'hypothèse d'un horaire collectif pratiqué dans l'entreprise qui serait manifestement contraire à la durée fixée dans l'accord ;
Considérant qu'il résulte du second alinéa du XVI de l'article 19 que le bénéfice de l'allégement pourra notamment être supprimé à défaut de « conformité de l'accord » ; que cette non-conformité doit être entendue comme visant exclusivement l'hypothèse où les règles de conclusion des accords collectifs mentionnés au II du même article n'ont pas été respectées, qu'il s'agisse des règles de droit commun relatives à la conclusion des accords collectifs ou des règles spécifiques prévues aux V, VI et VII de l'article 19 ;
Considérant, enfin, que les dispositions critiquées organisent une procédure contradictoire préalable à la décision de l'organisme de recouvrement des cotisations sociales de supprimer ou suspendre le bénéfice de l'allégement ; qu'en particulier, l'autorité administrative compétente établit un rapport qui est communiqué à l'employeur et aux organisations représentatives des salariés concernés ;
Considérant, sous les trois réserves énoncées ci-dessus, qu'en déterminant les principes ci-dessus décrits et en renvoyant à un décret en Conseil d'Etat les conditions d'application de ces principes, le législateur n'a pas méconnu la compétence qu'il tient de l'article 34 de la Constitution ;
En ce qui concerne les autres griefs tirés de la violation de l'article 34 de la Constitution :
Considérant, en premier lieu, que les sénateurs saisissants soutiennent que le Parlement se serait « partiellement dessaisi de son pouvoir budgétaire », les partenaires sociaux acquérant, « par leur seule volonté, le pouvoir de faire varier le montant des dépenses publiques » ; qu'ils font valoir, en deuxième lieu, que l'exigence constitutionnelle de clarté de la loi serait méconnue dans la mesure où les dispositions de la loi déférée relatives à la modulation du temps de travail contrediraient les dispositions du code du travail relatives aux jours fériés sans pour autant les modifier ; qu'ils soutiennent enfin que le V de l'article 32 de la loi constituerait une injonction inconstitutionnelle adressée au Gouvernement ;
Considérant, en premier lieu, que les conséquences des allégements de cotisations sociales réservés aux entreprises ayant conclu un accord collectif de réduction du temps de travail, compte tenu de leur incidence sur l'équilibre général des régimes obligatoires de base, ont été prises en compte dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2000 susvisée ; que, par ailleurs, les conséquences budgétaires de ces nouvelles mesures législatives, en particulier la contribution de l'Etat au fonds de financement de la réforme des cotisations patronales de sécurité sociale, l'ont été par la loi de finances pour 2000 susvisée ;
Considérant, en deuxième lieu, que manque en fait le moyen tiré de la violation de l'exigence constitutionnelle de clarté de la loi, les dispositions relatives à la modulation du temps de travail ne modifiant pas les règles concernant le chômage des jours fériés résultant de l'article L. 222-1 du code du travail ;
Considérant, enfin, que l'article 32 de la loi déférée détermine les règles de rémunération applicables aux salariés relevant du salaire minimum de croissance en fonction de leur situation au regard de la durée du travail ; qu'en application de cet article, les salariés rémunérés au salaire minimum de croissance prévu à l'article L. 141-2 du code du travail bénéficieront, en cas de réduction de leur durée de travail, d'une garantie de rémunération assurée par le versement d'un complément différentiel de salaire ; qu'en vertu du V du même article, le Gouvernement devra présenter, avant le 31 décembre 2002, un rapport retraçant l'évolution des rémunérations des salariés bénéficiant de la garantie de ressources précédemment définie ; que ce rapport précisera « les mesures envisagées, en tant que de besoin, pour rendre cette garantie sans objet au plus tard le 1er juillet 2005 », compte tenu notamment de la progression du salaire minimum de croissance ; qu'« au vu des conclusions de ce rapport, seront arrêtées les mesures nécessaires pour qu'à cette date la garantie, devenue sans objet, cesse de produire effet » ;
Considérant que la dernière phrase du V de l'article 32 de la loi déférée, qui oblige le Gouvernement à arrêter les mesures nécessaires pour qu'à la date du 1er juillet 2005 le complément différentiel ne produise plus effet, trouve sa base juridique dans l'article 34 de la Constitution, s'agissant de la mise en oeuvre du pouvoir réglementaire d'exécution des lois ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les autres griefs ainsi soulevés relatifs à la violation de l'article 34 de la Constitution doivent être rejetés ;
Sur les griefs tirés de la violation de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 :
Considérant que les requérants soutiennent que la loi déférée aurait méconnu à divers titres l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ; que seraient ainsi méconnues la liberté d'entreprendre, la liberté personnelle des salariés et la liberté contractuelle ;
En ce qui concerne la méconnaissance de la liberté d'entreprendre :
Considérant, en premier lieu, que les députés et les sénateurs requérants soutiennent que l'article 8 de la loi, rapproché de ses articles 9 et 19, en fixant à 1 600 heures le volume annuel d'heures au-delà duquel s'applique le régime des heures supplémentaires en cas d'annualisation de la durée du travail, réduirait de façon disproportionnée, « par rapport aux capacités techniques et financières des entreprises » , la capacité productive des salariés ; que cette perte de capacité productive irait « très largement au-delà de celle qui aurait dû normalement résulter de la réduction de la durée légale du travail à trente-cinq heures » ;
Considérant qu'ils font également valoir que les dispositions particulières relatives aux personnels d'encadrement, prévues par l'article 11, entraînent une « réduction brutale et massive du nombre de jours maximum de travail » portant une « atteinte manifestement excessive à la liberté d'entreprendre des employeurs » ; qu'il en irait de même de « l'inclusion de contreparties pour le temps d'habillage et de déshabillage » prévue par l'article 2, de « l'interdiction de mettre en place des horaires d'équivalence par accord de branche ou d'entreprise » qui résulte de l'article 3, de la nouvelle réglementation des astreintes instaurée par l'article 4, du régime des heures supplémentaires mis en place par l'article 5, et de l'exclusion des « formations d'adaptation à l'évolution de l'emploi » du champ des formations susceptibles d'être effectuées en partie en dehors du temps de travail, qui découle de l'article 17 ;
Considérant, en deuxième lieu, que les députés et sénateurs saisissants dénoncent une immixtion abusive de l'administration dans la mise en oeuvre de la réduction du temps de travail et, par voie de conséquence, dans le fonctionnement des entreprises ; qu'en particulier, « la menace permanente de suppression des aides financières donnerait un pouvoir exorbitant à l'administration pour accorder, suspendre ou supprimer le bénéfice des allégements de charges » ; que les articles 19 et 20 de la loi déférée auraient également pour effet de déposséder le chef d'entreprise de son pouvoir de gestion et d'organisation compte tenu des prérogatives qu'ils reconnaissent aux organisations syndicales dans la conclusion des accords d'entreprises ouvrant droit aux allégements de cotisations sociales ;
Considérant, d'une part, qu'il est loisible au législateur d'apporter à la liberté d'entreprendre, qui découle de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, les limitations justifiées par l'intérêt général ou liées à des exigences constitutionnelles, à la condition que lesdites limitations n'aient pas pour conséquence d'en dénaturer la portée ; qu'il revient par ailleurs au législateur de fixer les principes fondamentaux du droit du travail et, notamment, de poser des règles propres à assurer au mieux, conformément au cinquième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, le droit pour chacun d'obtenir un emploi, tout en ouvrant le bénéfice de ce droit au plus grand nombre d'intéressés, ainsi que le respect des dispositions du onzième alinéa du Préambule selon lesquelles la Nation « garantit à tous... le repos et les loisirs... » ; qu'en portant à trente-cinq heures la durée légale du travail effectif le législateur a entendu s'inscrire dans le cadre des cinquième et onzième alinéas du Préambule de la Constitution de 1946 ;
Considérant, d'autre part, qu'aux termes du huitième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 : « Tout travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises » ; que l'article 34 de la Constitution range dans le domaine de la loi la détermination des principes fondamentaux du droit du travail, du droit syndical et de la sécurité sociale ; qu'ainsi, c'est au législateur qu'il revient de déterminer, dans le respect de cette disposition à valeur constitutionnelle, les conditions et garanties de sa mise en oeuvre ; que, sur le fondement de ces dispositions, il est loisible au législateur, après avoir défini les droits et obligations touchant aux conditions de travail, de laisser aux employeurs et aux salariés, ou à leurs représentants, le soin de préciser, après une concertation appropriée, les modalités concrètes d'application des normes qu'il édicte ;
Considérant, en premier lieu, que l'article 8 de la loi déférée crée un nouveau régime de modulation des horaires de travail sur tout ou partie de l'année ; que la durée hebdomadaire du travail ne doit toutefois pas excéder en moyenne trente-cinq heures par semaine travaillée et, en tout état de cause, le plafond annuel de 1 600 heures ; que l'article 11 de la loi instaure des règles nouvelles spécifiques concernant les cadres ; que le législateur a déterminé les conditions dans lesquelles, en fonction de l'activité au sein de l'entreprise des différentes catégories de cadres qu'il a distinguées, l'objectif de réduction de la durée du travail peut être atteint pour ces personnels ;
Considérant, par ailleurs, qu'aux mesures « d'aide structurelle » aux entreprises mises en place par la loi du 13 juin 1998 susvisée pour accompagner la réduction de la durée légale du travail effectif, succède le dispositif d'aide financière instauré par le chapitre VIII de la loi déférée ;
Considérant que le législateur a ainsi mis en oeuvre, en les conciliant, les exigences constitutionnelles ci-dessus rappelées ; que cette conciliation n'est entachée d'aucune erreur manifeste ; qu'en particulier, les mesures précédemment décrites ne portent pas à la liberté d'entreprendre une atteinte telle qu'elle en dénaturerait la portée ;
Considérant, en deuxième lieu, que le législateur, en subordonnant l'octroi de l'allégement de cotisations sociales à la réduction négociée du temps de travail, n'a pas porté au pouvoir de direction et d'organisation de l'employeur une atteinte qui aurait pour effet de dénaturer la liberté d'entreprendre ; qu'il convient au demeurant de relever que l'article 19 a ouvert plusieurs voies à la négociation en fonction de la taille de l'entreprise et de la présence syndicale dans celle-ci ; qu'aucune organisation syndicale ne disposera du « droit de veto » dénoncé par les requérants ;
Considérant, enfin, que ni les divers contrôles que l'autorité administrative et les organismes de recouvrement des cotisations sociales sont habilités à diligenter afin de vérifier si les conditions de l'octroi du bénéfice de l'allégement des cotisations sociales sont réunies, ni les autres dispositions critiquées par les requérants ne portent d'atteinte inconstitutionnelle à la liberté d'entreprendre ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les griefs portant sur la méconnaissance de la liberté d'entreprendre doivent être écartés ;
En ce qui concerne l'atteinte à la liberté des salariés :
Considérant que les députés et les sénateurs saisissants font grief à la loi, en particulier à son article 5, de porter atteinte à la liberté personnelle du salarié ; qu'ils font ainsi valoir que « la loi opère, à la place des salariés eux-mêmes, un choix arbitraire de plus de temps libre et de moins de revenus, sans qu'aucun motif d'intérêt général ne justifie cette réduction massive du temps de travail » ;
Considérant que les dispositions critiquées n'ont ni pour objet ni pour effet de porter atteinte à la liberté personnelle du salarié ; que le grief manque donc en fait ;
En ce qui concerne l'atteinte à la liberté contractuelle :
Considérant que les requérants soutiennent qu'à divers titres la loi déférée porterait à la liberté contractuelle une atteinte d'une gravité telle qu'elle méconnaîtrait la liberté découlant de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ; qu'ils font ainsi valoir que le II de l'article 28 romprait l'équilibre des accords déjà conclus en application de la loi du 13 juin 1998 susvisée ; que ne seraient pas respectés par les articles 2, 5, 8, 9, 11, 17, 19 et 32 certains dispositifs figurant dans les accords ;
Considérant qu'aux termes du V de l'article 8 de la loi déférée : « Les stipulations des conventions ou accords collectifs intervenues sur le fondement des articles L. 212-2-1 et L. 212-8 du code du travail applicables à la date de publication de la présente loi demeurent en vigueur. Toutefois, à compter de la date à laquelle la durée légale du travail est fixée à trente-cinq heures, les heures excédant une durée moyenne sur l'année de trente-cinq heures par semaine travaillée et, en tout état de cause, une durée annuelle de 1 600 heures sont des heures supplémentaires soumises aux dispositions des articles L. 212-5, L. 212-5-1 et L. 212-6 du même code » ; qu'à ceux du sixième alinéa du I de l'article 17 de la loi : « Les dispositions relatives à la formation négociées postérieurement à la loi no 98-461 du 13 juin 1998 d'orientation et d'incitation relative à la réduction du temps de travail sont applicables pour une durée maximum de trois ans, sous réserve du respect de l'obligation légale d'adaptation mise à la charge de l'employeur et de l'initiative du salarié ou de son accord écrit. Au terme de cette période, elles doivent être mises en conformité avec les dispositions de l'accord national interprofessionnel étendu. A défaut, un nouveau cadre sera fixé par la loi. » ; qu'à ceux, enfin, du II de l'article 28 de la loi déférée : « A l'exception des stipulations contraires aux articles L. 212-5 et L. 212-5-1 du code du travail issus de l'article 5 de la présente loi, les clauses des accords conclus en application des dispositions de la loi no 98-461 du 13 juin 1998 précitée et contraires aux dispositions de la présente loi continuent à produire leurs effets jusqu'à la conclusion d'un accord collectif s'y substituant, et au plus tard pendant une durée d'un an à compter de la date d'entrée en vigueur de la présente loi » ;
Considérant que les deux saisines font grief à ces dispositions de porter atteinte à la liberté contractuelle des partenaires sociaux en privant d'effets, à l'expiration d'un délai qu'elles fixent, sauf à être renégociés dans l'intervalle, les accords conclus en application de la loi du 13 juin 1998 précitée ; que certaines modifications apportées au code du travail par la loi déférée feraient en effet obstacle, selon les requérants, à l'application de nombreuses clauses de ces accords ; qu'il en serait ainsi pour le régime des heures supplémentaires, pour l'annualisation de la durée de travail, pour le temps de travail des cadres, pour la formation professionnelle et pour les compensations salariales ;
Considérant qu'aux termes de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l'exercice des droits naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi » ; qu'à ceux du huitième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 : « Tout travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises » ;
Considérant que l'article 1er de la loi du 13 juin 1998 susvisée a inséré dans le code du travail un article L. 212-1 bis ainsi rédigé : « Dans les établissements ou les professions mentionnés à l'article L. 200-1 ainsi que dans les établissements agricoles, artisanaux et coopératifs et leurs dépendances, la durée légale du travail effectif des salariés est fixée à trente-cinq heures par semaine à compter du 1er janvier 2002. Elle est fixée à trente-cinq heures par semaine à compter du 1er janvier 2000 pour les entreprises dont l'effectif est de plus de vingt salariés... » ; qu'aux termes de l'article 2 de la même loi : « Les organisations syndicales d'employeurs, groupements d'employeurs ou employeurs ainsi que les organisations syndicales de salariés reconnues représentatives sont appelés à négocier d'ici les échéances fixées à l'article 1er les modalités de réduction effective de la durée du travail adaptées aux situations des branches et des entreprises... » ; que les accords collectifs conclus par les partenaires sociaux et, selon les cas, conventionnés ou étendus par l'autorité administrative dans les conditions prévues par l'article 3 de ladite loi déterminent notamment « les modalités d'organisation du temps du travail et de décompte de ce temps applicables aux salariés de l'entreprise, y compris celles relatives aux personnels d'encadrement... » ; qu'en outre, aux termes de l'article 13 de la loi précitée : « Au plus tard le 30 septembre 1999, et après concertation avec les partenaires sociaux, le Gouvernement présentera au Parlement un rapport établissant le bilan de l'application de la présente loi. Ce bilan portera sur le déroulement et les conclusions des négociations prévues à l'article 2 ainsi que sur l'évolution de la durée conventionnelle et effective du travail et l'impact des dispositions de l'article 3 sur le développement de l'emploi et sur l'organisation des entreprises. Le rapport présentera les enseignements et orientations à tirer de ce bilan pour la mise en oeuvre de la réduction de la durée légale du travail prévue à l'article 1er, en ce qui concerne notamment le régime des heures supplémentaires, les règles relatives à l'organisation et à la modulation du travail, les moyens de favoriser le temps partiel choisi, la place prise par la formation professionnelle dans les négociations et les modalités particulières applicables au personnel d'encadrement... » ; qu'enfin, il convient de relever que l'exposé des motifs du projet de loi d'orientation et d'incitation relatif à la réduction du temps de travail précisait que le projet de loi, qui devait être ainsi proposé au Parlement, ne remettrait pas en cause les accords passés « dans le cadre légal actuel » ;
Considérant qu'il était loisible au législateur de tirer les enseignements des accords collectifs conclus à son instigation en décidant, au vu de la teneur desdits accords, soit de maintenir les dispositions législatives existantes, soit de les modifier dans un sens conforme ou non aux accords ; que, toutefois, sauf à porter à ces conventions une atteinte contraire aux exigences constitutionnelles susrappelées, il ne pouvait, dans les circonstances particulières de l'espèce, remettre en cause leur contenu que pour un motif d'intérêt général suffisant ;
Considérant que le législateur ne pouvait décider en l'espèce d'une telle remise en cause que si celle-ci trouvait sa justification dans la méconnaissance par les accords des conséquences prévisibles de la réduction de la durée du travail inscrite à l'article 1er de la loi du 13 juin 1998 susvisée ou dans leur contrariété avec des dispositions législatives en vigueur lors de leur conclusion ;
Considérant que certaines des dispositions introduites par la loi déférée dans le code du travail modifient ce dernier dans un sens contrariant l'application de clauses substantielles figurant dans plusieurs accords conclus en vertu de la loi du 13 juin 1998 susvisée, alors que ces clauses n'étaient contraires à aucune disposition législative en vigueur lors de leur conclusion et ne méconnaissaient pas les conséquences prévisibles de la réduction de la durée du travail décidée par le législateur en 1998 ; qu'il en est ainsi, en particulier, des dispositions de l'article 8 de la loi déférée qui plafonnent désormais à 1 600 heures par an la durée du travail que peut prévoir un accord collectif tendant à la variation de la durée hebdomadaire au cours de l'année, alors que plusieurs accords prévoient un volume annuel d'heures de travail qui, sans contrevenir aux dispositions législatives en vigueur lors de leur conclusion, y compris celles relatives aux jours fériés, et sans excéder la moyenne hebdomadaire de trente-cinq heures résultant de l'article 1er de la loi du 13 juin 1998, est néanmoins supérieur à 1 600 heures au cours de l'année ; qu'il en va de même des dispositions de l'article 6 qui réduisent de quarante-six à quarante-quatre heures la durée hebdomadaire moyenne du travail, calculée sur une période quelconque de douze semaines consécutives, prévue à l'article L. 212-7 du code du travail, alors que certains accords l'avaient fixée à quarante-cinq ou quarante-six heures ;
Considérant qu'en n'écartant pas du champ d'application de telles dispositions les entreprises couvertes par les accords collectifs contraires, pendant toute la durée de ceux-ci, la loi déférée a méconnu les exigences constitutionnelles susrappelées ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de déclarer non conformes à la Constitution les mots : « , et au plus tard pendant une durée d'un an à compter de la date d'entrée en vigueur de la présente loi » figurant au II de l'article 28 ; qu'il n'en est pas de même, en revanche, des mots : « A l'exception des stipulations contraires aux articles L. 212-5 et L. 212-5-1 du code du travail issus de l'article 5 de la présente loi », les modifications apportées par la loi déférée aux articles L. 212-5 et L. 212-5-1 du code du travail étant sans rapport avec les accords conclus en application de la loi du 13 juin 1998 susvisée, ou bien constituant des conséquences prévisibles de la réduction à trente-cinq heures de la durée légale hebdomadaire du travail ;
Considérant que, pour des motifs analogues à ceux qui ont été exposés ci-dessus, il y a également lieu de déclarer non conformes à la Constitution les mots : « et, en tout état de cause, une durée annuelle de 1 600 heures » figurant au V de l'article 8, ainsi que les mots : « pour une durée maximum de trois ans, sous réserve du respect de l'obligation légale d'adaptation mise à la charge de l'employeur et de l'initiative du salarié ou de son accord écrit. Au terme de cette période, elles doivent être mises en conformité avec les dispositions de l'accord national interprofessionnel étendu. A défaut, un nouveau cadre sera fixé par la loi » figurant au sixième alinéa du I de l'article 17 ;
Considérant, enfin, que manque en fait le grief tiré par les sénateurs requérants de ce qu'en « prédéterminant » le contenu des différents accords collectifs qu'elle prévoit, la loi déférée dénaturerait le huitième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 ;
Sur les griefs tirés de la violation du principe d'égalité :
Considérant que les auteurs des deux saisines font valoir que la loi déférée porterait atteinte, à divers titres, au principe d'égalité ; qu'ils dénoncent ainsi des ruptures d'égalité contraires à la Constitution, d'une part, entre les entreprises et, d'autre part, entre les salariés ;
En ce qui concerne la différence de traitement entre les entreprises :
Considérant, en premier lieu, que les requérants soutiennent qu'en subordonnant le bénéfice de l'allégement des charges sociales à la conclusion d'un accord, le législateur aurait créé, entre entreprises, une discrimination injustifiée, dans la mesure où certaines d'entre elles seraient dans l'impossibilité de conclure un tel accord, à défaut d'interlocuteur habilité à négocier ou disposé à le faire ;
Considérant que, sans méconnaître les exigences du principe d'égalité, il était loisible au législateur, afin de favoriser la négociation collective dans le domaine de la détermination de la durée du travail, de subordonner le bénéfice de l'allégement de cotisations sociales à la conclusion d'un accord collectif, conclusion au demeurant facilitée par l'édiction des nouvelles procédures définies à l'article 19 ;
Considérant, en deuxième lieu, que les députés saisissants soutiennent que, dans la mesure où il ne serait pas la contrepartie de « surcoûts exceptionnels que les entreprises auraient accepté d'assumer à l'issue de la négociation collective, mais ne serait que l'application de la durée de travail égale à trente-cinq heures », l'allégement de cotisations sociales prévu porterait également atteinte à l'égalité entre les entreprises ;
Considérant que ce grief manque en fait dès lors que le bénéfice de l'allégement des cotisations sociales peut être supprimé ou suspendu pour d'autres causes que le non-respect de la durée du travail ;
Considérant, en troisième lieu, que, selon les sénateurs requérants, la différence de traitement dont bénéficient les entreprises en situation de monopole ne reposerait pas sur des critères objectifs et rationnels ; qu'en excluant, au quatrième alinéa de l'article 21 de la loi, du bénéfice de l'allégement de cotisations sociales certains organismes publics, eu égard à leurs spécificités, le législateur n'a pas méconnu le principe d'égalité ;
En ce qui concerne la différence de traitement entre les salariés :
Considérant, en premier lieu, que les sénateurs requérants estiment contraire au principe d'égalité la différence de situation entre les salariés qui, jusqu'au 1er janvier 2002, travailleront dans une entreprise encore assujettie à la durée légale du temps de travail de trente-neuf heures et les salariés employés par une entreprise soumise à la nouvelle durée légale ;
Considérant que la différence de traitement ainsi relevée, qui repose sur la différence de taille des entreprises, revêt un caractère temporaire ; qu'ainsi qu'il a été dit dans la décision du 10 juin 1998 susvisée, le délai octroyé aux entreprises employant vingt salariés au plus prend en compte les difficultés propres à la gestion du personnel de telles entreprises ;
Considérant, en deuxième lieu, que, selon les députés et les sénateurs saisissants, la garantie de rémunération instaurée par l'article 32 de la loi déférée violerait le principe d'égalité ;
Considérant que, par cette disposition, le législateur a entendu faire bénéficier les salariés rémunérés au salaire minimum de croissance, en cas de réduction de la durée du travail, du maintien de leur rémunération, assuré par le versement d'un complément différentiel de salaire ; que le deuxième alinéa du I de l'article 32 définit le salaire minimum dont vont bénéficier les salariés employés à temps complet dont la durée du travail a été réduite à trente-cinq heures ; que, conformément à son troisième alinéa, si la durée collective est réduite en deçà de trente-cinq heures, les salariés perçoivent le minimum précédemment défini à due proportion de cette réduction ; qu'en application du quatrième alinéa, il en va de même pour les salariés à temps partiel, employés dans les entreprises où la durée collective est réduite en dessous de trente-neuf heures, dont la durée du travail est réduite ; que ce dispositif est de nature transitoire ;
Considérant que le législateur a en outre entendu appliquer, au sein des entreprises où la garantie de rémunération est ainsi instaurée, le principe selon lequel doit être assurée l'égalité de rémunération entre tous les salariés, dès lors qu'ils sont placés dans une situation identique ; qu'il a mis en oeuvre ce principe au II de l'article 32 de la loi déférée ; qu'en effet, le bénéfice de la garantie de rémunération est accordé, en application du premier alinéa du II, aux salariés à temps complet embauchés après la réduction de la durée collective de travail, qui occupent des emplois équivalents à ceux de salariés bénéficiant du complément différentiel ; que ce bénéfice est également consenti à due proportion, en application du deuxième alinéa du II de l'article 32, aux salariés à temps partiel embauchés après la réduction de la durée du travail, qui occupent un emploi équivalent à celui occupé par un salarié bénéficiant dudit complément ; qu'enfin, il résulte du troisième alinéa du même II, que bénéficient également de la garantie, à due proportion, les salariés employés à temps partiel à la date de la réduction de la durée du travail, lorsqu'ils sont occupés sur un emploi équivalent, par sa nature et sa durée, à celui occupé par un salarié bénéficiant du complément ; que sont toutefois exclus du bénéfice de la garantie, au sein de cette dernière catégorie, les salariés à temps partiel qui « ont choisi de maintenir ou d'accroître leur durée du travail » ;
Considérant que le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit ;
Considérant que le législateur a pu, sans porter atteinte au principe d'égalité, exclure du bénéfice du complément différentiel de salaire les salariés à temps complet et les salariés à temps partiel recrutés postérieurement à la réduction du temps de travail sur des postes qui ne sont pas équivalents à ceux occupés par des salariés bénéficiant de la garantie ; qu'en revanche, en excluant du bénéfice de la garantie certains salariés employés à temps partiel à la date de la réduction du temps de travail et occupant des postes équivalents à ceux de salariés bénéficiant du complément différentiel de salaire, il a établi une différence de traitement sans rapport direct avec l'objectif qu'il s'était fixé ;
Considérant, par suite, que les mots « , sauf si les salariés à temps partiel ont choisi de maintenir ou d'accroître leur durée du travail » figurant au troisième alinéa du II de l'article 32 de la loi déférée, doivent être déclarés contraires à la Constitution ;
Considérant, en troisième lieu, que les deux saisines font grief à l'article 5 de la loi déférée d'être contraire au principe d'égalité ;
Considérant que cet article définit les règles applicables aux heures supplémentaires dans le régime définitif et pendant la période d'adaptation accordée aux entreprises ;
Considérant qu'aux termes des trois premiers alinéas de l'article L. 212-5 du code du travail tel que modifié par le II de l'article 5 de la loi déférée :
« Dans les établissements et professions assujettis à la réglementation de la durée du travail, les heures supplémentaires effectuées au-delà de la durée hebdomadaire du travail fixée par l'article L. 212-1 ou de la durée considérée comme équivalente sont régies par les dispositions suivantes :
« I. - Chacune des quatre premières heures supplémentaires effectuées dans les entreprises où la durée collective de travail est inférieure ou égale à la durée légale fixée par l'article L. 212-1, ou à la durée considérée comme équivalente, donne lieu à une bonification de 25 %.
« Dans les autres entreprises, chacune de ces quatre premières heures supplémentaires donne lieu à une bonification de 15 % et à une contribution de 10 %. » ;
Considérant qu'en vertu du V de l'article 5 de la loi :
« Pendant la première année civile au cours de laquelle la durée hebdomadaire est fixée à trente-cinq heures, chacune des quatre premières heures supplémentaires effectuées donne lieu :
« - dans les entreprises où la durée collective de travail est inférieure ou égale à la durée légale fixée par l'article L. 212-1 du code du travail ou à la durée considérée comme équivalente, à la bonification prévue au premier alinéa du I de l'article L. 212-5 du même code au taux de 10 % ;
« - dans les autres entreprises, à la contribution mentionnée au deuxième alinéa du I de l'article L. 212-5 du même code au taux de 10 %. » ;
Considérant que les requérants font valoir qu'« aucune raison objective ne justifie une telle différence de traitement entre les heures supplémentaires effectuées par des salariés selon qu'ils travaillent dans une entreprise ayant ou non réduit sa durée collective de travail à trente-cinq heures, si ce n'est le souci des pouvoirs publics d'inciter ces derniers, en les pénalisant ainsi financièrement par la loi, à faire pression sur leur employeur pour que l'entreprise pratique la durée de trente-cinq heures » ;
Considérant que les règles de rémunération des heures supplémentaires arrêtées par l'article 5 s'appliquent à compter de la première heure de travail effectuée au-delà de la durée hebdomadaire du travail fixée par l'article L. 212-1 du code du travail à trente-cinq heures, que les entreprises aient ou non porté à ce niveau leur durée collective du travail ; que, dès lors, les salariés des deux catégories d'entreprises mentionnées à l'article 5 se trouvent dans une situation identique au regard de l'objet de ces règles ; que, par ailleurs, le non-aboutissement éventuel de négociations tendant à la réduction de la durée collective du travail pratiquée dans l'entreprise ne saurait être individuellement imputé à chaque salarié ;
Considérant, en conséquence, qu'en instituant pour les quatre premières heures supplémentaires une bonification de 25 % au profit des salariés des entreprises où la durée collective du travail est inférieure ou égale à trente-cinq heures, alors que, pour ceux employés dans les autres entreprises, la bonification n'est que de 15 %, le législateur a établi, au détriment de ces derniers, une différence de traitement sans rapport direct avec l'objet de la loi ;
Considérant qu'est contraire au principe d'égalité, pour les mêmes motifs, le traitement réservé aux salariés visés au troisième alinéa du V de l'article 5 ;
Considérant que, par suite, il y a lieu de déclarer contraires à la Constitution, au premier alinéa du I de l'article L. 212-5 du code du travail dans sa rédaction issue du II de l'article 5 de la loi déférée, les mots « effectuées dans les entreprises où la durée collective du travail est inférieure ou égale à la durée légale fixée par l'article L. 212-1, ou à la durée considérée comme équivalente, » ; que le deuxième alinéa du I de l'article L. 212-5 doit également être déclaré contraire à la Constitution ; que sont inséparables de ces dispositions déclarées non conformes à la Constitution les quatrième, cinquième et sixième alinéas du I de l'article L. 212-5 du code du travail ; qu'il en est de même du III de l'article 5 ;
Considérant qu'il y a lieu, pour les mêmes motifs, de déclarer non conformes à la Constitution, au deuxième alinéa du V de l'article 5, les mots « - dans les entreprises où la durée collective de travail est inférieure ou égale à la durée légale fixée par l'article L. 212-1 du code du travail ou à la durée considérée comme équivalente, » ; qu'il en va de même du troisième alinéa du V ;
Considérant que, pour les mêmes motifs, doit être déclaré contraire à la Constitution le troisième alinéa de l'article 25 de la loi déférée ;
Considérant qu'il convient, pour les mêmes raisons, de déclarer contraires à la Constitution, au premier alinéa du I de l'article 992-2 du code rural, dans sa rédaction issue du V de l'article 33 de la loi déférée, les mots « effectuées dans les entreprises ou exploitations où la durée collective de travail est inférieure ou égale à la durée légale fixée par l'article 992, ou à la durée considérée comme équivalente, », ainsi que les deuxième, quatrième, cinquième et sixième alinéas de ce I ;
Considérant, enfin, que, selon le dernier grief, les règles posées pour les personnels d'encadrement porteraient atteinte au principe d'égalité ;
Considérant qu'il était loisible au législateur, sans méconnaître le principe d'égalité, de fixer des règles particulières pour le personnel d'encadrement, eu égard aux spécificités d'emploi de ce personnel ; que, par suite, le grief doit être rejeté ;
Considérant qu'il n'y a lieu, pour le Conseil constitutionnel, d'examiner d'office aucune question de constitutionnalité,
Décide :