Article (CONSEIL CONSTITUTIONNEL Décision no 97-388 DC du 20 mars 1997)
LOI CREANT LES PLANS D'EPARGNE RETRAITE
Le Conseil constitutionnel a été saisi, le 25 février 1997, par MM. Claude Estier, Guy Allouche, François Autain, Germain Authié, Mmes Monique ben Guiga, Maryse Bergé-Lavigne, MM. Jean Besson, Jacques Bialski, Pierre Biarnès, Marcel Bony, Jean-Louis Carrère, Robert Castaing, Francis Cavalier-Benezet, Gilbert Chabroux, Michel Charasse, Marcel Charmant, Michel Charzat, William Chervy, Raymond Courrière, Roland Courteau, Marcel Debarge, Bertrand Delanoë, Gérard Delfau, Jean-Pierre Demerliat, Mme Marie-Madeleine Dieulangard, M. Michel Dreyfus-Schmidt, Mme Josette Durrieu, MM. Bernard Dussaut, Léon Fatous, Aubert Garcia, Claude Haut, Roland Huguet, Philippe Labeyrie, Philippe Madrelle, Jacques Mahéas, Jean-Pierre Masseret, Marc Massion, Georges Mazars, Jean-Luc Mélenchon, Gérard Miquel, Michel Moreigne, Jean-Marc Pastor, Guy Penne, Daniel Percheron, Jean Peyrafitte, Jean-Claude Peyronnet, Mme Danièle Pourtaud, MM. Paul Raoult, René Régnault, Alain Richard, Michel Rocard, Gérard Roujas, René Rouquet, André Rouvière, Claude Saunier, Michel Sergent, Franck Sérusclat, René-Pierre Signé, Fernand Tardy, André Vezinhet, Henri Weber, Mme Gisèle Printz, M. Bernard Piras, Mme Marie-Claude Beaudeau, M. Jean-Luc Bécart, Mme Danielle Bidart-Reydet, M.
Claude Billard, Mmes Nicole Borvo, Michelle Demessine, M. Guy Fischer, Mme Jacqueline Fraysse-Cazalis, MM. Félix Leyzour, Paul Loridant, Mme Hélène Luc, MM. Louis Minetti, Robert Pagès, Jack Ralite et Ivan Renar, sénateurs, dans les conditions prévues à l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, de la conformité à celle-ci de la loi créant les plans d'épargne retraite ;
Le Conseil constitutionnel,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance no 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment le chapitre II du titre II de ladite ordonnance ;
Vu la loi no 66-537 du 24 juillet 1966 modifiée sur les sociétés commerciales ;
Vu l'ordonnance no 67-833 du 28 septembre 1967 modifiée instituant une Commission des opérations de bourse et relative à l'information des porteurs de valeurs mobilières et à la publicité de certaines opérations de bourse ;
Vu la loi no 96-1160 du 27 décembre 1996 de financement de la sécurité sociale pour 1997 ;
Vu le code général des impôts ;
Vu le code rural ;
Vu le code du travail ;
Vu le code des assurances ;
Vu le code de la mutualité ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu les observations du Gouvernement, enregistrées le 11 mars 1997 ;
Vu les observations en réplique présentées par les auteurs de la saisine,
enregistrées le 14 mars 1997 ;
Vu les observations en réponse du Gouvernement, enregistrées le 17 mars 1997 ;
Vu les nouvelles observations en réplique présentées par les auteurs de la saisine, enregistrées le 19 mars 1997 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
Considérant que les sénateurs auteurs de la saisine défèrent au Conseil constitutionnel la loi créant les plans d'épargne retraite en contestant en particulier la conformité à la Constitution en tout ou partie des articles 1er, 2, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 12, 14, 16, 17, 20, 21, 22, 26, 27 et 30 ;
Sur le grief tiré de la méconnaissance du onzième alinéa du Préambule de
la Constitution de 1946 :
Considérant que les auteurs de la saisine soutiennent, en invoquant l'inconstitutionnalité de la loi tout entière, que le contenu même du droit à pension serait remis en cause par la loi déférée dans la mesure où celle-ci tendrait à instituer un système se substituant progressivement aux régimes obligatoires, de base et complémentaires, de sécurité sociale ; qu'ainsi elle contreviendrait au onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 ;
Considérant qu'aux termes du onzième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 la Nation « garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l'incapacité de travailler a le droit d'obtenir de la collectivité des moyens convenables d'existence. » ;
Considérant que la loi déférée tend, aux termes de son article 1er, à permettre à tout salarié lié par un contrat de travail de droit privé et relevant du régime d'assurance vieillesse de base mentionné au titre V du livre III du code de la sécurité sociale ou à l'article 1024 du code rural ainsi que des régimes de retraite complémentaire mentionnés au titre II du livre IX du code de la sécurité sociale, et aux avocats salariés relevant de la Caisse nationale des barreaux français, d'adhérer à un plan d'épargne retraite ; qu'elle n'a pas pour objet de mettre en cause le principe ou l'organisation de l'assurance vieillesse ; qu'elle se borne à instituer un système facultatif d'épargne en vue de la retraite qui, en vertu de son article 3, ouvrira droit, au profit des adhérents, sous certaines conditions d'âge ou de cessation d'activité, au paiement d'une rente viagère ou d'un versement unique, venant s'ajouter aux prestations des régimes obligatoires de base et complémentaires de la sécurité sociale ; qu'elle ne modifie pas les droits et obligations résultant du régime général d'assurance vieillesse de la sécurité sociale et des régimes complémentaires ; qu'elle ne saurait dès lors être regardée comme portant atteinte aux principes énoncés par les dispositions précitées ;
Sur les griefs tirés de la méconnaissance du huitième alinéa du
Préambule de la Constitution de 1946 :
Considérant que les auteurs de la saisine font valoir en premier lieu que le troisième alinéa de l'article 4 écarterait la possibilité de mettre en place un plan d'épargne retraite par voie d'accord collectif dans le cas où la conclusion d'un tel accord n'interviendrait pas dans un délai de six mois et qu'il méconnaîtrait ainsi le huitième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 ; qu'une telle disposition dénaturerait l'exigence de la négociation collective et qu'elle tendrait à faire de la décision unilatérale de l'employeur le mode habituel de la mise en place d'un plan d'épargne retraite alors qu'aucune urgence ne justifierait la brièveté du délai fixé par la loi ; qu'ils soutiennent en second lieu que l'article 14 relatif à la constitution et à la composition des comités de surveillance méconnaîtrait également le huitième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, dès lors que les compétences attribuées à ces comités ne leur permettraient pas d'assurer la participation des adhérents à la gestion des plans d'épargne retraite mais viseraient au contraire à en écarter les partenaires sociaux ; Considérant que, si le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 dispose en son huitième alinéa que : « Tout travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises », l'article 34 de la Constitution range dans le domaine de la loi la détermination des principes fondamentaux du droit du travail, du droit syndical et de la sécurité sociale ; qu'ainsi c'est au législateur qu'il revient de déterminer, dans le respect de cette disposition à valeur constitutionnelle, les conditions et garanties de sa mise en oeuvre ;
Considérant que, si cette disposition implique que la détermination des modalités concrètes de cette mise en oeuvre fasse l'objet d'une concertation appropriée entre les employeurs et les salariés ou leurs organisations représentatives, elle n'a ni pour objet ni pour effet d'imposer que dans tous les cas cette détermination soit subordonnée à la conclusion d'accords collectifs ;
Considérant, en premier lieu, qu'il résulte des termes mêmes de l'article 4 de la loi déférée que le législateur a entendu favoriser la mise en place des plans d'épargne retraite par un processus de négociation collective en lui assurant la priorité sur la création de ces plans par décision unilatérale de l'employeur ; qu'en effet si la loi n'impose pas dans tous les cas que la souscription résulte d'un accord collectif, c'est seulement en cas d'impossibilité de conclure un tel accord ou, à défaut de sa conclusion dans un délai de six mois à compter du début de la négociation, que la souscription pourra résulter d'une décision unilatérale de l'employeur ou d'un groupement d'employeurs ; qu'en tout état de cause, au-delà de ce délai, la mise en place d'un plan d'épargne retraite par voie d'accord collectif demeure possible ; que la limitation à six mois du délai laissé par la loi à la mise en place exclusive par voie d'accord collectif des plans d'épargne retraite constitue une des conditions dans lesquelles le législateur pouvait, en l'espèce, sans en dénaturer la portée, mettre en oeuvre les dispositions du huitième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 ;
Considérant, en second lieu, que, contrairement à ce que soutiennent les requérants, la participation effective des adhérents à la gestion des plans est assurée par la mise en place des comités de surveillance ; qu'en effet,
aux termes de l'article 14 de la loi, ces comités sont composés, au moins pour moitié, de représentants élus des adhérents du plan et qu'en vertu de l'article 15 le comité de surveillance définit les orientations de gestion du plan et rend à deux reprises au moins chaque année des avis sur cette gestion et, le cas échéant, sur celle du fonds, qui sont portés à la connaissance des adhérents du plan ; qu'en application de l'article 16, le comité de surveillance peut, à l'initiative d'un tiers au moins de ses membres,
demander en justice la désignation d'experts chargés de présenter un rapport sur la gestion du plan ; que l'article 22 dispose que le comité peut demander aux commissaires aux comptes ou aux actuaires auprès desquels les fonds d'épargne retraite sont souscrits tout renseignement sur l'activité et la situation financière des fonds ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les moyens allégués par les requérants doivent être rejetés ;
Sur les griefs tirés de la méconnaissance de l'étendue de sa compétence
par le législateur :
Considérant que les auteurs de la saisine soutiennent qu'à plusieurs titres le législateur n'aurait pas exercé la compétence qu'il tient, notamment, de l'article 34 de la Constitution ; qu'ainsi, à l'article 4, il n'aurait pas défini les modalités d'adhésion des salariés qui souscriront individuellement à un plan d'épargne retraite ; qu'il n'aurait pas précisé lui-même les modalités selon lesquelles le principe de l'égalité entre les hommes et les femmes s'applique aux plans d'épargne retraite en le privant ainsi de garanties ; qu'une règle minimale de partage des droits à réversion d'une prestation relevant du domaine de la loi, lorsque l'assuré décédé a eu successivement plusieurs conjoints, aurait dû être fixée ; que les requérants font valoir en outre dans leur mémoire en réplique que la seule référence au conjoint survivant énoncée par la loi porterait atteinte aux droits des personnes et de la famille ; que la loi aurait dû déterminer, aux articles 1er, 4 et 5, la notion de groupement d'employeurs et ses modalités de constitution ; que les règles contribuant à la protection des droits des assurés seraient incomplètes en ce que ne seraient pas posés, à l'article 6, le principe de l'information préalable de l'adhérent en cas de cessation ou de suspension des abondements de l'employeur et, à l'article 7, le principe d'un délai durant lequel l'adhérent peut demander le transfert de ses droits vers un autre plan ou contrat d'assurance de groupe ; que ne seraient définis ni, à l'article 14, les modalités d'élection des représentants des adhérents ni, aux articles 15 et 22, les attributions et les moyens dont peuvent disposer les comités de surveillance ; que le législateur a renvoyé à des décrets et non, comme il l'aurait dû, à des décrets en Conseil d'Etat, le soin d'assurer la mise en oeuvre des articles 6, 7, 9 et 15 ; que le législateur aurait dû garantir les conditions dans lesquelles s'opérerait en vertu de l'article 9 le transfert de la contre-valeur des actifs représentatifs des droits attachés au plan d'épargne retraite ; que le statut des deux membres de la Commission des opérations de bourse siégeant, aux termes de l'article 12, au sein de la commission de contrôle n'est pas défini ; que le législateur aurait dû poser, afin qu'il soit garanti, un principe d'équité entre les générations ; qu'il aurait méconnu sa compétence en déléguant en vertu des dispositions de l'article 27, sans avoir fixé la moindre limite au pouvoir réglementaire, le soin de déterminer des exonérations de cotisations de sécurité sociale ; que la circonstance que cette délégation est prévue par l'article L. 242-1 du code de la sécurité sociale en vertu d'une disposition d'une loi déjà promulguée n'est pas de nature à interdire au Conseil constitutionnel de se prononcer dans la mesure où le champ d'application de cette disposition est affecté par la loi déférée ; qu'enfin les requérants ajoutent dans leur mémoire en réplique qu'en renvoyant au décret le soin de définir les conditions dans lesquelles les droits du salarié dont le contrat de travail a été rompu pourront être transférés sur un autre plan, le législateur n'aurait pas fixé des garanties de nature à assurer la sécurité des salariés et aurait ainsi méconnu l'étendue de sa compétence ;
Considérant qu'aux termes de l'article 34 de la Constitution : « La loi fixe les règles concernant ... les successions ... La loi détermine les principes fondamentaux : - du régime... des obligations civiles et commerciales - du droit du travail, du droit syndical et de la sécurité sociale... » ; qu'il incombe, tant au législateur qu'au Gouvernement,
conformément à leurs compétences respectives, de déterminer, dans le respect des principes proclamés par le huitième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, les modalités de leur mise en oeuvre ;
Considérant, en premier lieu, que le principe constitutionnel d'égalité entre les sexes s'impose au pouvoir réglementaire, sans qu'il soit besoin pour le législateur d'en rappeler l'existence ;
Considérant, en deuxième lieu, qu'aucune règle constitutionnelle ne garantit un principe dit de l'équité entre les générations, qu'il incomberait au législateur de préciser et de mettre en oeuvre ;
Considérant, en troisième lieu, que la régularité au regard de la Constitution d'une loi déjà promulguée peut être utilement contestée à l'occasion de l'examen des dispositions législatives qui la modifient, la complètent ou affectent son domaine ; que l'article 27 de la loi déférée, dès lors qu'il modifie les dispositions du cinquième alinéa de l'article L. 242-1 du code de la sécurité sociale, autorise le Conseil constitutionnel à se prononcer sur la constitutionnalité de celles-ci ; que si, en vertu des dispositions précitées de l'article 34 de la Constitution, il incombe au législateur de déterminer les éléments de l'assiette des cotisations sociales et de poser le principe d'exonérations et de leur limitation, il appartient au pouvoir réglementaire de définir, sans dénaturer l'objet et la portée de la loi, les montants et les taux de ces exonérations ; qu'en prévoyant, au cinquième alinéa de l'article L. 242-1 du code de la sécurité sociale, que les contributions des employeurs destinées au financement des prestations complémentaires de retraite et de prévoyance sont exclues de l'assiette des cotisations des assurances sociales, des accidents du travail et des allocations familiales pour la partie inférieure à un montant fixé par décret, le législateur n'a pas méconnu l'étendue des compétences qu'il tient de l'article 34 de la Constitution ;
Considérant, en quatrième lieu, que les plans d'épargne retraite n'ouvriront pas droit à la liquidation d'une prestation dont les conditions d'attribution relèveraient du législateur en application des mêmes dispositions de la Constitution mais au paiement d'une rente viagère ou d'un versement unique ; qu'au surplus, si le législateur a prévu que le droit à réversion ne pourra bénéficier qu'au seul conjoint survivant de l'adhérent et à ses enfants mineurs, incapables ou invalides, une telle disposition ne porte atteinte à aucun principe de valeur constitutionnelle ;
Considérant, en cinquième lieu, que l'ensemble des autres prescriptions dont les requérants soutiennent qu'elles devraient figurer dans la loi et auxquelles celle-ci ne fait pas référence ne se rattachent à aucune des dispositions de l'article 34 de la Constitution non plus qu'à aucune autre règle de valeur constitutionnelle;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les moyens allégués par les requérants doivent être rejetés ;
Sur le grief tiré d'une méconnaissance de l'article LO 111-3 du code de
la sécurité sociale :
Considérant que les requérants soutiennent que l'article 26 de la loi déférée, en rendant les abondements des employeurs aux plans d'épargne retraite déductibles de l'assiette des cotisations de sécurité sociale,
affecterait les prévisions de recettes résultant de la loi de financement de la sécurité sociale, en méconnaissance de l'article LO 111-3 du code de la sécurité sociale ;
Considérant qu'aux termes des trois premiers alinéas du I de l'article LO 111-3 du code de la sécurité sociale : « Chaque année, la loi de financement de la sécurité sociale :
« 1o Approuve les orientations de la politique de santé et de sécurité sociale et les objectifs qui déterminent les conditions générales de l'équilibre financier de la sécurité sociale ;
« 2o Prévoit, par catégorie, les recettes de l'ensemble des régimes obligatoires de base et des organismes créés pour concourir à leur financement ; » et qu'aux termes du deuxième alinéa du II du même article : « Seules les lois de financement peuvent modifier les dispositions prises en vertu des 1o à 5o du I » ;
Considérant que cette dernière disposition a pour objet de faire obstacle à ce que les conditions générales de l'équilibre financier, telles qu'elles résultent de la loi de financement de la sécurité sociale de l'année,
modifiée, le cas échéant, par des lois de financement rectificatives, ne soient compromises par des charges nouvelles résultant de l'application de textes législatifs ou réglementaires dont les incidences sur les conditions de cet équilibre, dans le cadre de l'année, n'auraient pu, au préalable, être appréciées et prises en compte par une des lois de financement susmentionnées ;
Considérant qu'en raison de ses conditions d'application, et notamment des délais nécessaires à sa mise en oeuvre effective, la loi déférée n'est en tout état de cause pas de nature à affecter les conditions générales de l'équilibre financier de la sécurité sociale en 1997 ; que le moyen invoqué doit en conséquence être rejeté ;
Sur les griefs tirés de la violation du principe d'égalité :
En ce qui concerne les violations alléguées du principe d'égalité devant
les charges publiques :
Considérant en premier lieu que les auteurs de la saisine soutiennent que la loi accorderait des avantages fiscaux contraires au principe d'égalité devant les charges publiques, proclamé par l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et au principe de progressivité de l'impôt sur le revenu qui en résulte ; que l'article 26, en prévoyant que les versements des salariés aux plans d'épargne retraite seront déductibles de leur rémunération nette imposable, mettrait en place un mécanisme bénéficiant principalement aux salariés les plus aisés ; que la souscription d'un plan d'épargne retraite de caractère facultatif constituerait davantage, en pratique, une opération de placement plutôt qu'un mécanisme de retraite et que l'avantage fiscal qui s'y rattache ne répondrait dès lors à aucun motif d'intérêt général ; qu'en outre, l'exonération de cotisations sociales sur leurs versements dont bénéficient les employeurs aggrave les incidences de ce dispositif sur le budget de l'Etat dès lors qu'il reviendrait à celui-ci de compenser les pertes de recettes occasionnées à la sécurité sociale ;
Considérant qu'aux termes de l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen : « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable. Elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés. » ;
Considérant que le principe d'égalité ne fait pas obstacle à ce que le législateur édicte, pour des motifs d'intérêt général, des mesures d'incitation par l'octroi d'avantages fiscaux ; que celui-ci a entendu favoriser pour les salariés qui le souhaitent, la constitution d'une épargne en vue de la retraite propre à compléter les pensions servies par les régimes obligatoires de sécurité sociale et de nature à renforcer les fonds propres des entreprises ; que les versements des salariés ainsi exonérés sont limités en vertu de l'article 1er de la loi et que les sommes dont bénéficieront en retour ceux-ci ou leurs ayants droit seront elles-mêmes assujetties à l'impôt sur le revenu ; que dès lors l'avantage fiscal en cause n'est pas de nature à porter atteinte au principe de progressivité de l'impôt ; que par suite les moyens invoqués ne peuvent être accueillis ;
Considérant que les requérants font valoir en second lieu que l'article 30, en exonérant les fonds d'épargne retraite de l'assujettissement à la contribution des institutions financières, méconnaîtrait également le principe d'égalité devant les charges publiques ;
Considérant que le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit ;
Considérant qu'aux termes de l'article 8 de la loi déférée, les fonds d'épargne retraite sont des personnes morales ayant pour objet exclusif la couverture des engagements pris dans le cadre de plans d'épargne retraite ;
qu'ils composent ainsi une catégorie spécifique quelle que soit la forme juridique sous laquelle ils sont constitués et peuvent dès lors être exonérés de manière uniforme de ladite contribution sans que soit méconnu le principe d'égalité ; que ce grief doit en conséquence être écarté ;
En ce qui concerne les autres violations alléguées du principe d'égalité
:
Considérant que les auteurs de la requête font en premier lieu grief au deuxième alinéa de l'article 4 de la loi déférée d'écarter l'application des dispositions du chapitre IV du titre III du livre Ier du code du travail,
interdisant ainsi à l'ensemble des personnels des entreprises publiques, des établissements publics à caractère industriel et commercial et des établissements publics qui assurent à la fois une mission de service public à caractère administratif et à caractère industriel et commercial, d'adhérer à un plan d'épargne retraite à la suite d'un accord collectif alors que les autres salariés liés par un contrat de travail de droit privé se voient reconnaître cette possibilité ; qu'ils mettent en cause cette restriction selon eux injustifiée au droit à la négociation collective ;
Considérant qu'en vertu de l'article 1er de la loi déférée, les plans d'épargne retraite ont été institués au profit des seuls salariés relevant du régime général de sécurité sociale ; que les salariés des entreprises et établissements concernés relèvent de manière générale, lorsqu'ils sont soumis à un statut législatif ou réglementaire particulier, de régimes spéciaux de sécurité sociale ; que ces deux catégories de salariés sont dès lors placées dans une situation différente au regard de la protection des régimes de retraite et que le législateur a pu, sans méconnaître le principe d'égalité, ouvrir des drois en matière d'épargne retraite au bénéfice des salariés soumis aux seules dispositions du code du travail ; que, toutefois, les salariés des entreprises et établissements concernés qui ne sont pas soumis à un régime statutaire relèvent du régime général de la sécurité sociale ; que dès lors ils bénéficient des dispositions de la loi y compris en vertu d'un accord collectif intervenu avec l'employeur ; qu'ainsi le moyen allégué doit être rejeté ;
Considérant que les requérants font valoir en deuxième lieu que le second alinéa de l'article 1er méconnaîtrait le principe d'égalité en instaurant une différence de traitement entre les salariés des entreprises existant au moment de la promulgation de la loi et ceux des entreprises qui se créeront un an au moins après cette promulgation ;
Considérant que la première phrase du deuxième alinéa de l'article 1er de la loi déférée est ainsi rédigée : « Au terme d'un délai d'un an à compter de la promulgation de la présente loi, les salariés qui ne bénéficient d'une proposition de plan d'épargne retraite, ni au titre d'un accord collectif d'entreprise, professionnel ou interprofessionnel, ni au titre d'une décision unilatérale de leur employeur ou d'un groupement d'employeurs, pourront demander leur adhésion à un plan d'épargne retraite existant » ; qu'il en résulte que les salariés des entreprises existant à la date de promulgation de la loi devront attendre un an avant de pouvoir adhérer à un tel plan d'épargne si aucune proposition d'adhésion ne leur est faite durant ce délai, alors que les salariés des entreprises qui seront créées passé ce délai pourront, sans attendre, procéder à une adhésion individuelle ; que,
toutefois, cette différence de traitement est justifiée par des considérations d'intérêt général tirées de la prise en compte des conditions de l'entrée en vigueur progressive de la loi ; que dès lors le moyen invoqué doit être rejeté ;
Considérant que les requérants estiment en troisième lieu contraire au principe d'égalité la différence de traitement entre les Français résidant en France et les Français établis hors de France résultant de l'article 2 de la loi déférée qui ouvre à l'ensemble de ces derniers la possibilité d'adhérer à un plan d'épargne retraite, alors que l'article 1er de la loi réserve de manière générale le bénéfice des fonds d'épargne retraite aux seuls salariés liés par un contrat de travail de droit privé affiliés à un régime de base de sécurité sociale et à un régime de retraite complémentaire ;
Considérant qu'il résulte des travaux préparatoires de la loi que le législateur a entendu favoriser la constitution d'une épargne retraite par les citoyens français résidant hors de France, quelle que soit leur situation professionnelle, afin d'encourager la mobilité géographique et d'assurer une meilleure protection sociale des Français travaillant à l'étranger ; que l'article 2 répond dès lors à un but d'intérêt général et que le moyen invoqué doit par suite être rejeté ;
Considérant que les requérants soutiennent en quatrième lieu que le deuxième alinéa de l'article 5, qui proscrit le service de prestations définies dans le cadre des fonds d'épargne retraite, porterait une atteinte au principe d'égalité non justifiée par des considérations d'intérêt général ;
Considérant que tous les adhérents seront à cet égard dans une situation identique dès lors que cette exclusion est générale ; que par suite le moyen invoqué manque en fait ;
Considérant que les requérants allèguent en cinquième lieu qu'il résulte de l'article 7 de la loi qu'en cas de rupture du contrat de travail, l'adhérent à un plan d'épargne retraite qui a choisi de demander le maintien intégral des droits acquis au titre de ce plan verrait ses droits « cristallisés au niveau qu'ils avaient atteint à la date de rupture du contrat de travail », sans qu'il puisse bénéficier des produits financiers ou des « bénéfices techniques » générés par le plan alors que les salariés continuant d'adhérer au fonds le pourront ; qu'il s'ensuivrait une rupture d'égalité entre les uns et les autres ;
Considérant qu'aux termes de la première phrase du premier alinéa de l'article 7 : « En cas de rupture du contrat de travail, l'adhérent à un plan d'épargne retraite peut demander le maintien intégral des droits acquis au titre de ce plan » ;
Considérant qu'il ne résulte pas de cette disposition que l'adhérent à un plan d'épargne retraite dont le contrat de travail aura été rompu et qui aura demandé le maintien intégral des droits acquis au titre de ce plan sera traité différemment, au regard de ces droits, de l'adhérent demeurant salarié du souscripteur ; que dès lors le moyen invoqué doit être rejeté ;
Considérant que les auteurs de la saisine font enfin valoir que la loi établirait des différences de traitement injustifiées entre adhérents individuels et « adhérents collectifs » en matière de contrôle et d'information ; que l'article 14 interdirait aux salariés adhérant individuellement à un plan d'épargne retraite d'être représentés au travers des comités de surveillance et, en raison des règles de composition de ces comités, conduirait à ce que les plans mis en place par de petites entreprises, voire de moyennes entreprises, ne puissent être dotés de comités de surveillance ; que les articles 16, 21 et 22 relatifs aux conditions d'information des adhérents et des membres du comité de surveillance ne permettraient pas que soient assurés l'information des adhérents individuels et l'exercice de leur contrôle ;
Considérant que le deuxième alinéa de l'article 14 prévoit que le comité de surveillance est composé, pour moitié au moins, de représentants élus des adhérents du plan, sans distinguer entre les adhérents à titre individuel et les autres ; que tous pourront donc participer aux élections des représentants des adhérents ; qu'aucune disposition de la loi ne fait obstacle à la constitution de tels comités, quelle que soit la taille des entreprises ayant pu souscrire à un plan d'épargne retraite ; que l'article 21 définit les conditions d'information des adhérents sans distinguer entre eux ; que tous pourront par l'intermédiaire du comité de surveillance être informés du rapport annuel sur la gestion du plan prescrit à la charge du fonds d'épargne retraite par le cinquième alinéa de l'article 21, des conclusions du rapport d'expertise présenté en application de l'article 16 ou des renseignements communiqués par les commissaires aux comptes ou les actuaires de fonds d'épargne retraite, en application de l'article 22 ;
Considérant que dès lors le grief tiré d'une inégalité de traitement entre les adhérents à titre individuel et les autres adhérents manque en fait ;
Sur le grief tiré de l'atteinte au principe « de faveur » :
Considérant que les auteurs de la saisine soutiennent que le deuxième alinéa de l'article 4, en permettant de faire prévaloir entre les différents accords en matière d'épargne retraite susceptibles d'être conclus au niveau de l'entreprise, de la branche professionnelle ou au niveau interprofessionnel, celui dont les dispositions sont les moins favorables, contreviendrait au principe du droit du travail selon lequel, en cas de conflit de normes, la plus favorable doit recevoir application ; que ce principe constituerait un principe fondamental reconnu par les lois de la République trouvant son origine dans une loi de 1936 ;
Considérant qu'aux termes du deuxième alinéa de l'article 4, les plans d'épargne retraite pourront déroger au second alinéa de l'article L. 132-13 du code du travail qui oblige les parties à une convention ou un accord collectif à adapter leur accord aux dispositions d'une convention ou d'un accord plus favorable intervenu postérieurement et de niveau supérieur et au second alinéa de l'article L. 132-23 du même code qui impose la même obligation aux parties à un accord d'entreprise en cas d'application postérieure d'une convention de branche ou d'un accord professionnel ou interprofessionnel ;
Considérant que la seule disposition, introduite par la loi du 24 juin 1936 sous la forme d'un article 31 vc du code du travail, selon laquelle « les conventions collectives ne doivent pas contenir de dispositions contraires aux lois et règlements en vigueur, mais peuvent stipuler des dispositions plus favorables » a trait uniquement à la faculté ouverte à des accords collectifs de comporter des stipulations plus favorables que les lois et règlements en vigueur ; que dès lors le moyen tiré de cette disposition est inopérant ;
Sur le grief tiré de la violation du principe de liberté contractuelle :
Considérant que les requérants font valoir qu'il résulte de la combinaison du deuxième alinéa de l'article 4, du premier alinéa de l'article 6 et du deuxième alinéa de l'article 7 que par décision unilatérale un employeur pourra, sans participer à son financement, mettre en place un plan d'épargne retraite et ainsi interdire aux salariés de l'entreprise d'adhérer à un autre fonds ; qu'ainsi seraient méconnus le principe de liberté contractuelle et le principe de l'autonomie de la volonté qui résulterait de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen disposant que « la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui » ;
Considérant qu'en vertu du deuxième alinéa de l'article 4, la souscription d'un plan d'épargne retraite peut résulter d'un accord collectif d'entreprise ou d'un accord de branche, que ce plan est proposé à l'adhésion de tous les salariés de l'entreprise, et en cas d'accord de branche, à tous les salariés concernés, que les conditions d'adhésion sont alors définies de façon identique pour des catégories homogènes de salariés ; qu'en application du premier alinéa de l'article 6, les versements des salariés et l'abondement de l'employeur aux plans d'épargne retraite sont facultatifs et peuvent être suspendus ou repris sans pénalité ; qu'en vertu du deuxième alinéa de l'article 7, en l'absence de rupture du contrat de travail, l'adhérent ne peut demander qu'à l'expiration d'un délai de dix ans à compter de son adhésion le transfert intégral, sans pénalité, des droits acquis en vertu de ce plan sur un autre plan d'épargne retraite, cette demande ne pouvant être renouvelée qu'une fois ;
Considérant que le principe de liberté contractuelle n'a pas en lui-même valeur constitutionnelle ; que sa méconnaissance ne peut être invoquée devant le Conseil constitutionnel que dans le cas où elle conduirait à porter atteinte à des droits et libertés constitutionnellement garantis ; que tel n'est pas le cas en l'espèce ; que ne résulte ni de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ni d'aucune autre norme de valeur constitutionnelle un principe constitutionnel dit de l'« autonomie de la volonté » ; que les griefs allégués par les requérants ne peuvent dès lors qu'être rejetés ;
Sur le grief tiré de la méconnaissance de la liberté d'entreprendre :
Considérant que les auteurs de la saisine soutiennent que le premier alinéa de l'article 8 de la loi imposerait une obligation de créer des fonds d'épargne retraite contraire au principe de la liberté d'entreprendre ; qu'en effet l'obligation faite aux organismes assureurs de constituer de nouvelles personnes morales soumises à un agrément spécifique constituerait une exigence excessive privée de justifications appropriées d'intérêt général ;
Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 8 : « Les fonds d'épargne retraite sont des personnes morales ayant pour objet exclusif la couverture des engagements pris dans le cadre de plans d'épargne retraite » ; que les autres dispositions de l'article 8 ainsi que les articles 10, 11,
12, 13, 15, 16, 17, 18, 21, 22, 23, 24 et 25 de la loi déférée déterminent les conditions dans lesquelles les fonds d'épargne retraite seront créés,
gérés et contrôlés ; qu'en particulier le législateur a soumis la création des fonds d'épargne retraite à un agrément administratif donné après avis d'une commission de contrôle et a défini des règles prudentielles spécifiques applicables aux fonds d'épargne retraite ;
Considérant que la liberté d'entreprendre, qui n'est ni générale ni absolue, s'exerce dans le cadre des règles instituées par la loi ; que les contraintes établies par le législateur en vue de préserver la sécurité financière des salariés, en ce qui concerne la création, la gestion et le contrôle des fonds d'épargne retraite ne portent pas à cette liberté des atteintes excessives propres à en dénaturer la portée ;
Sur le grief tiré de la méconnaissance de l'article 15 de la Déclaration
des droits de l'homme et du citoyen :
Considérant que les requérants soutiennent que l'article 20, en interdisant aux membres de la commission de contrôle prévue par l'article 17 de recevoir, pendant la durée de leur mandat et dans les cinq ans qui suivent l'expiration de celui-ci, toute rétribution de la part d'un fonds d'épargne retraite, d'un prestataire de services d'investissement gérant par délégation des actifs d'un fonds ou de toute société exerçant sur le fonds ou le prestataire un contrôle exclusif, méconnaîtrait l'article 15 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen dont le respect supposerait que « l'ensemble des fonctionnaires et agents qui participent à l'instruction des demandes d'agrément et au contrôle des fonds d'épargne retraite ainsi que ceux qui,
par délégation des ministres concernés, prennent la décision d'agrément, ne puissent, pendant un délai qui pourrait également être de cinq ans, recevoir de rétribution d'un fonds d'épargne retraite » ;
Considérant que l'article 15 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen dispose : « La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration » ; que la disposition que les auteurs de la saisine appellent de leurs voeux est sans rapport avec l'application de ce principe ; que dès lors le moyen invoqué est inopérant ;
Considérant qu'il n'y a lieu pour le Conseil constitutionnel de soulever d'office aucune question de conformité à la Constitution ;
Décide :