Article (CONSEIL CONSTITUTIONNEL Saisine du Conseil constitutionnel en date du 19 décembre 1996 présentée par plus de soixante députés, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, et visée dans la décision no 96-385 DC)
VII. - Sur l'article 90 de la loi déférée
Cet article, comme la loi de finances pour 1996, cherche à mobiliser au bénéfice du budget général de l'Etat de nouvelles ressources fiscales prélevées sur les « grandes surfaces » qui devaient en principe servir à financer l'indemnité viagère de départ (IVD) des commerçants et artisans âgés.
On sait que tel est en effet le principal emploi de la « taxe sur les grandes surfaces » créée par la loi no 72-657 du 13 juillet 1972, taxe qui alimente le Fisac (Fonds d'intervention pour la sauvegarde, la transmission et la restructuration des activités artisanales et commerciales). Il y a un an, la loi de finances rectificative pour 1995 avait opéré sur le Fisac un prélèvement « exceptionnel » de 680 millions de francs au profit du budget général, privant d'autant de ressources les actions d'aides aux commerçants et artisans en difficulté. Cette manipulation budgétaire avait cependant été jugée non contraire à la Constitution par la décision no 95-370 DC du 30 décembre 1995, au motif que l'effort exceptionnel ainsi demandé à une catégorie spécifique de contribuables ne rompait pas l'égalité devant l'impôt alors même qu'il était détourné de l'objet de solidarité professionnelle auquel il avait été jusqu'alors affecté. Mais il est vrai que la loi de finances rectificative pour 1995 avait eu au moins le mérite de présenter en un même document budgétaire l'ensemble de l'opération contestée.
La loi présentement déférée innove sur ce dernier point : l'article 90 de la loi de finances pour 1997 se borne à modifier l'assiette et le taux de la « taxe sur les grandes surfaces » afin d'y assujettir également les stations-service exploitées par lesdites « grandes surfaces », si bien qu'à ne lire que cette disposition les commerçants et artisans pourraient se réjouir de l'attention que le projet gouvernemental de loi de finances initiale a portée au financement de leur IVD. Mais il se trouve que l'article 2 de la loi de finances rectificative pour 1996 institue quant à lui... un nouveau « prélèvement exceptionnel » (cette fois de 300 millions de francs) sur le produit de la même taxe au profit du budget général de l'Etat.
En d'autres termes, la même manipulation budgétaire que l'année précédente permettrait de détourner de leur affectation les sommes collectées au titre de la taxe, mais cette fois l'un des termes de l'opération est masqué par la disjonction de ses deux éléments entre loi rectificative pour 1996 et loi initiale pour 1997 : l'alourdissement de la taxe que le Gouvernement demande au Parlement de voter au titre de la seconde loi a pour seule raison d'être de permettre le prélèvement décidé par la première.
Ainsi non seulement les « grandes surfaces » se voient demander un effort supplémentaire au titre de la solidarité professionnelle avec le commerce de détail alors que cet effort servira en réalité à réduire le déficit du budget général, mais encore - et là est la nouveauté par rapport à l'année dernière - le Gouvernement a tout fait pour dissimuler aux parlementaires cette manipulation il est vrai aussi peu glorieuse que populaire auprès des bénéficiaires des interventions du Fisac. La violation du principe de sincérité budgétaire est patente.
De plus, l'assiette de la taxe supplémentaire instituée par l'article 90 de la loi déférée se révèle violer le principe constitutionnel d'égalité devant l'impôt. Cette taxe est en effet prélevée sur les « grandes surfaces », au titre du II de cet article 90, à un taux qui varie selon leur chiffre d'affaires au mètre carré, alors que ce critère ne permet en rien de mesurer l'activité des stations-service qu'elles gèrent : dès lors que la taxe supplémentaire ne frappe que la distribution de carburants, elle ne pouvait constitutionnellement être assise que sur cette activité même. En outre, la taxe ne frappe pas les stations-service non gérées par les « grandes surfaces » qui peuvent réaliser (par exemple sur les autoroutes...) un chiffre d'affaires et dégager une marge bien supérieurs à ceux des stations-service visées par la disposition déférée : le traitement fiscal de la distribution de carburants n'en est que plus discriminatoire.
C'est donc pour violation et du principe de sincérité budgétaire et - à ce double titre - du principe d'égalité devant l'impôt que l'article 90 de la loi déférée appelle la censure.