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Article (CONSEIL CONSTITUTIONNEL Saisine du Conseil constitutionnel en date du 10 octobre 1996, présentée par plus de soixante députés, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, et visée dans la décision no 96-383 DC)

Article (CONSEIL CONSTITUTIONNEL Saisine du Conseil constitutionnel en date du 10 octobre 1996, présentée par plus de soixante députés, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, et visée dans la décision no 96-383 DC)

III. - Sur la violation des principes de représentativité et de faveur
Ces deux principes, tels qu'ils ont été maintes fois énoncés et rappelés tant par la législation que par la jurisprudence et par la doctrine, ne peuvent être remis en cause dans leur existence même par le législateur dès lors qu'ils constituent des conditions et des garanties fondamentales de la mise en oeuvre du principe constitutionnel de négociation collective des conditions de travail.
Aucune négociation n'est en effet possible ni équitable si les travailleurs ne sont pas, dans le processus même de négociation, protégés contre le risque d'accords léonins par l'intervention d'organisations nationales représentatives. Or, de cette intervention, la loi déférée ne laisse subsister que le pseudo-verrou de la procédure d'opposition, dont chacun sait que les conditions procédurales de sa mise en oeuvre la rendent pratiquement inutilisable (la doctrine est unanime à le constater : voir par exemple J.
Barthélémy, « L'aménagement conventionnel de l'organisation et de la durée du travail », Droit social 1994, page 156 ; M. Poirier, « La clause dérogatoire in pejus, Droit social 1995, page 885 ; « Légi-social », « L'aménagement du temps de travail », supplément au no 239 de septembre 1994, page 27 ; J. Savatier, « L'assouplissement des règles sur le repos dominical », Droit social 1994, page 180 ; Marie- Armelle Souriac-Rotschild, « Le contrôle de la légalité interne des conventions et accords collectifs »,
Droit social 1996, page 395 ; etc.). Encore ces appréciations unanimes ne concernent-elles que le régime actuel d'opposition... alors que la loi déférée lui substitue un régime encore plus restrictif, puisque l'opposition ne peut émaner désormais que d'une majorité d'organisations syndicales non signataires. Autant constater qu'il n'y a plus là qu'un trompe-l'oeil, une fausse fenêtre dans le mur de la régression des prérogatives syndicales.
De même, une négociation effective et équitable suppose que la sécurité juridique des parties, et singulièrement celle des travailleurs qui font l'objet d'une protection constitutionnelle expresse en la matière, soit garantie par la loi : quand les représentants des travailleurs négocient et signent un accord de branche, ils doivent pouvoir être certains de son champ d'application, ce qui n'est plus possible dès lors qu'aux termes de l'accord entériné par la loi déférée et de l'article 6 de cette dernière les accords de branche ont vocation à ne plus s'appliquer impérativement qu'aux entreprises dans lesquelles aucun accord particulier n'a été signé. Dans ce système normatif à géométrie et à intensité variables, les représentants des travailleurs devront s'engager dans la négociation de branche sans connaître la portée exacte de ce qu'ils signent, et dans la négociation d'accords d'entreprise sans pouvoir s'appuyer sur un « plancher de branche » que la loi déférée transforme en sables mouvants.
Les garanties fondamentales du droit constitutionnellement reconnu aux travailleurs de participer par leurs représentants à la négociation collective des conditions de travail sont ainsi profondément altérées par la loi déférée, qui viole de ce fait le huitième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 en ce qu'elle supprime les conditions nécessaires à l'applicabilité effective de cet alinéa.