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Article (Saisine du Conseil constitutionnel en date du 20 décembre 1995 présentée par plus de soixante députés, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, et visée dans la décision no 95-369 DC)

Article (Saisine du Conseil constitutionnel en date du 20 décembre 1995 présentée par plus de soixante députés, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, et visée dans la décision no 95-369 DC)

II. - En ce qui concerne l'article 6 de la loi déférée


Cet article exonère partiellement des droits de mutation à titre gratuit la transmission de biens professionnels. Il institue plus précisément une exonération, plafonnée à 100 millions de francs par donataire, à hauteur de 50 p. 100 de la valeur des biens professionnels transmis entre vifs par acte authentique à compter du 1er janvier 1996 dès lors que la donation est faite en pleine propriété, qu'elle porte sur plus de 50 p. 100 de l'ensemble des biens affectés à l'entreprise ou des droits permettant de la contrôler et, à partir du 1er janvier 1998, que le ou les donateurs ont moins de soixante-cinq ans.
La disposition a été présentée comme visant à faciliter la transmission des petites et moyennes entreprises que l'importance des droits de mutation entre vifs ou de succession acculerait souvent à la cessation d'activité lors de la retraite ou du décès de leur propriétaire. Ainsi la différence de traitement qu'elle institue entre les donateurs de biens professionnels et les donateurs d'autres catégories de biens serait-elle justifiée par un interventionnisme fiscal privilégiant une sorte de logique entrepreneuriale.
Mais cette argumentation ne semble pas avoir convaincu le rapporteur général du budget à l'Assemblée nationale (voir en particulier le tome II, pages 128, 129 et 150, de son rapport). La combinaison de la fixation d'un plafond d'exonération élevé (100 millions de francs par donataire...) et (surtout) de l'application de l'exonération en cas de pluralité de donateurs ruine cette présentation ; il ne s'agit plus, dans ces conditions, de faciliter la transmission de son « outil professionnel » par un chef de petite ou moyenne entreprise souhaitant prendre sa retraite, mais bel et bien de privilégier fiscalement la transmission d'éléments capitalistiques de patrimoines par rapport à tous autres types de biens... et de surcroît d'avantager sur ce plan les actionnaires majoritaires par rapport aux actionnaires minoritaires. Au surplus, l'application de l'exonération à l'hypothèse du morcellement de l'entreprise (pluralité non seulement de donateurs mais aussi de donataires) ruine la logique de la justification officielle du dispositif.
Dès lors que l'exonération profite à des donateurs qui ne sont pas dans la situation du chef d'entreprise décrite pour exposer l'objet de la mesure - et que la loi déférée n'oblige d'ailleurs pas à exercer réellement la conduite de l'entreprise -, elle ne saurait être appréciée au regard de la « logique entrepreneuriale » sans cesse invoquée mais tout simplement en termes (généraux) de transmission d'éléments de patrimoines, et dans ce cas la propriété d'actions ou de parts sociales ne saurait être fiscalement avantagée sans violation du principe constitutionnel d'égalité devant l'impôt, tout particulièrement si l'on veut bien comparer la situation fiscale globale (notamment à l'égard de l'impôt sur les grandes fortunes) des propriétaires d'actifs professionnels et celle des propriétaires d'autres catégories d'actifs.
Il en va de même lorsque le D de l'article 6 de la loi déférée étend le bénéfice de l'exonération aux transmissions d'entreprises résultant d'un décès accidentel dans le seul cas où le de cujus est âgé de moins de soixante-cinq ans. Cette restriction tenant à l'âge, qu'aucun intérêt général ne justifie, ne constitue nullement une différence de situations justificative au regard de l'objet de la mesure.
Enfin, la loi déférée a finalement réservé le bénéfice de ladite exonération aux donations passées devant notaire, excluant les donations passées par acte sous seing privé ayant fait l'objet de formalités d'enregistrement. Or, comme l'a jugé dans une espèce tout à fait comparable le Conseil constitutionnel (décision no 91-302 DC du 30 décembre 1991), le fait que la donation soit ou non passée devant notaire, dès lors qu'en tout état de cause il est possible, du fait de son enregistrement, de vérifier qu'elle répond bien aux (autres) conditions d'exonération posées par le législateur, ne saurait constituer une différence de situations susceptible, au regard de l'objet de la disposition déférée, de justifier la discrimination ainsi opérée. Sur ce point particulier également, la violation du principe d'égalité devant l'impôt est certaine.