Article (Arrêté du 15 juin 1993 pris en application de l'article R. 231-69 du code du travail déterminant les recommandations que les médecins du travail doivent observer en matière d'évaluation des risques et d'organisation des postes de travail comportant le recours à la manutention manuelle de charges)
ANNEXE
Les statistiques d’accidents du travail publiées par la Caisse nationale d’assurance maladie et se rapportant à l’année 1990 font apparaître que près d’un tiers d’entre eux peuvent être rapportés à une cause touchant à la manipulation d’objets.
Les risques liés à la manutention manuelle de charges sont de plusieurs types :
- accident lombaire dû à la pression importante exercée (à fortiori lorsqu’elle l’est asymétriquement) sur les disques intervertébraux ;
- écrasement, notamment lors de la pose de la charge ;
- chute lors du déplacement avec la charge ;
- hernies et déchirures (musculaires ou tendineuses) ;
- aggravation d’affections diverses (cardio-vasculaires, pulmonaires, du squelette ou de l’appareil locomoteur).
La transposition en droit français de la directive européenne n° 90-269 du 29 mai 1990 réalisée par le décret n° 92-958 du 3 septembre 1992 et l’arrêté du 29 janvier 1993 (Journal officiel du 19 février 1993), doit amener les entreprises à développer les politiques qu’elles conduisent dans ce domaine. Les dispositions du décret du 3 septembre 1992 visent en effet à éviter le recours à la manutention manuelle de charges, lorsque celles-ci comportent notamment des risques dorso-lombaires, en mettant en oeuvre des mesures d’organisation de travail ou d’utilisation d’équipements mécaniques (art. R. 231-67 du code du travail).
Lorsque la manutention manuelle ne peut être évitée, l’article R. 231-68 du code du travail impose à l’employeur de procéder à l’évaluation préalable des risques entraînés par les opérations de manutention et d’organiser les postes de travail de façon à éviter ou au moins à réduire les risques, notamment dorso-lombaires. A cet effet, l’arrêté du 29 janvier 1993 déjà mentionné à fixé la nature des catégories de risques à prendre en compte pour toute évaluation.
L’article R. 231-69 réaffirme le rôle de conseiller que doit exercer le médecin auprès de l’employeur pour l’aider à satisfaire à l’obligation d’évaluation des risques et d’organisation des postes de travail qui lui est ainsi faite.
La présente recommandation vise à donner au médecin du travail des éléments de référence pour l’aider dans sa mission de conseil et dans la recherche de solutions.
I. - Rôle de conseiller du médecin du travail pour l’application de l’article R. 231-68
A. - Evaluation des risques
Jusqu’à présent, l’évaluation des risques en matière de manutention manuelle s’est le plus souvent limitée à prendre en compte pour l’essentiel le poids de la charge à soulever, à la rapporter à la distance à parcourir et donc à calculer le tonnage manutentionné en une heure ou une journée de travail.
Afin d’élargir les critères d’évaluation, le médecin du travail pourra s’appuyer sur les critères fixés par l’arrêté du 29 janvier 1993, sur la norme NFX 35-109 d’avril 1989 et la recommandation R. 344 adoptée le 8 décembre 1990 par la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés pour les entreprises relevant du Comité technique national des industries de transport et de manutention. L’ensemble de ces dispositions sont de nature à permettre une évaluation des risques complète et objective.
Cette évaluation, à laquelle doit procéder l’employeur sur les conseils du médecin du travail, doit aussi et tout particulièrement, prendre en compte, en fonction des particularités propres de l’entreprise ou des postes de travail concernés :
- les caractéristiques de la charge : poids, encombrement, difficultés de préhension, instabilité (notamment dans le cas de transport des liquides), difficultés de manipulation éventuellement dûes à la surface extérieure ou à la consistance de ladite charge :
- les caractéristiques du poste de travail : exiguïté de la zone de manutention, charges placées loin du corps de l’individu, manutention impliquant des mouvements de torsion ou de flexion du tronc, mauvais état ou dénivellation du sol, encombrement des locaux, inadéquation de l’équipement du travailleur (moyen de préhension, chaussures), inadéquation ou vétusté du matériel de manutention ;
- les exigences de la tâche imposée : contraintes de temps à respecter, durée des périodes de récupération ;
- les conditions générales d’ambiance de travail (notamment chaleur, froid, degré d’humidité).
Enfin, cette évaluation devra être renouvelée toutes les fois que des modifications du poste de travail sont de nature à modifier de manière substantielle les résultats de la précédente évaluation.
B. - Organisation des postes de travail
Le rôle de conseiller dévolu au médecin du travail en matière d’organisation des postes de travail comportant des opérations de manutention manuelle vient en prolongement de celui, plus large, qui lui est reconnu en ce qui concerne l’adaptation des postes, des techniques et des rythmes de travail par l’article R. 241-41 (2o) du code du travail et, en ce qui concerne le secteur agricole, l’article 22 du décret n° 82-397 du 11 mai 1982 modifié.
Le médecin du travail s’efforcera en ce domaine d’agir le plus en amont possible : il tirera pour ce faire des informations sur les projets de construction, d’aménagements nouveaux ou les modifications apportées aux équipements sur lesquels il est consulté conformément aux dispositions de l’article R. 241-42 du code du travail et à l’article 23 du décret n° 82-397 du 11 mai 1982 susvisé. Il lui appartiendra donc sur la base des informations dont il disposera de suggérer toute modification ou aménagement nouveaux destinés à supprimer les risques.
Devant la complexité de certaines situations de travail, le médecin du travail pourra solliciter l’aide d’organismes extérieurs tels que l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (A.N.A.C.T.), les caisses régionales d’assurance maladie (C.R.A.M.), ou, selon le cas, les caisses de mutualité sociale agricole, l’Institut national de recherche et de sécurité (I.N.R.S.), l’Organisme professionnel de prévention dans le bâtiment et les travaux publics (O.P.P.B.T.P.), les organismes intervenant dans le cadre des conventions conclues en application de l’article 13 du décret du 28 décembre 1988 et, pour les problèmes d’adaptation des postes de travail pour handicapés, l’Association nationale de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des handicapés (A.G.E.F.I.P.H.) ou de tout autre organisme particulièrement compétent dans le domaine.
Le médecin du travail devra par ailleurs être attentif à l’élaboration et à la mise en oeuvre des actions d’information et de formation prescrites à l’article R. 231-71 du code du travail, auxquelles il devra être étroitement associé. Ces actions d’information porteront plus particulièrement sur les risques encourus en matière de manutention manuelle, illustrés par les situations de travail concrètes auxquelles sont confrontés les salariés dans l’entreprise.
II. - Rôle du médecin en matière de surveillance médicale
Dans le cadre de ces missions, le médecin du travail doit assurer aussi la surveillance médicale des salariés affectés à des postes susceptibles de les exposer aux risques liés à la manutention manuelle de charges. Cette surveillance s’exerce naturellement dans le cadre des examens médicaux prévus, notamment aux articles R. 241-48 et R. 241-49 du code du travail selon lesquels l’aptitude du salarié doit s’apprécier « au poste de travail ». Ce principe trouvera toute sa portée lorsque le poste en question comporte une part de manutention manuelle et dans la mesure où l’évaluation des risques aura elle-même été réalisée au poste de travail.
Par ailleurs, l’attention du médecin du travail est attirée sur le fait qu’en complément de l’avis d’aptitude lors de l’embauche et des examens périodiques, un avis complémentaire doit être donné lorsqu’un salarié doit porter de façon habituelle, dans le cadre prévu à l’article R. 231-67 (2e alinéa) du code du travail, des charges de plus de 55 kilogrammes. Cette aptitude sera déterminée sur la base des mêmes éléments d’évaluation que ceux développés ci-dessus.
Il est enfin rappelé qu’en application des dispositions de l’article R. 234-6 du code du travail des limitations au port de charges sont édictées pour les jeunes de moins de dix-huit ans (10 kilogrammes pour les filles, 20 kilogrammes pour les garçons) ou pour les femmes (25 kilogrammes), limitations qui ne connaissent aucune dérogation. Ces dispositions réglementaires ne dispensent pas le médecin du travail d’apprécier l’aptitude des intéressés à des travaux comportant une part significative de manutention manuelle, même si les charges soulevées sont inférieures aux seuils réglementaires.
La détermination de l’aptitude n’obéit pas à des critères simples et absolus : le médecin doit donc tenir compte de la nature des postes de travail et de ses possibilités d’adaptation, conformément aux dispositions générales du décret du 3 septembre 1992, et de l’état de santé du salarié.
A cet égard, le médecin du travail sera particulièrement attentif lors des visites médicales au degré d’entraînement du salarié, et à son état physiologique (âge, sexe, caractères anthropométriques, anomalies congénitales, affections antérieures, etc.), afin de mieux prendre en compte les incidences prévisibles de la pénibilité du poste de travail sur son état de santé.
Bien qu’il n’existe aucun critère absolu pour formuler une conclusion d’aptitude du travailleur au port de charges ou une conclusion d’inadaptation du poste de travail, l’interrogatoire du sujet, l’étude de ses antécédents, son examen médical (recherche d’une raideur, d’une contracture, d’une douleur, de l’état de réflexes, etc.) et éventuellement des examens complémentaires adaptés, sont de nature à y contribuer largement.
De même, l’évaluation de l’effort physique requis et des exigences de l’activité devra être effectuée préalablement à la détermination de l’avis d’aptitude.
C’est ainsi, par exemple, que l’effort physique demandé au salarié peut présenter un risque, notamment dorso-lombaire dans les cas suivants :
- lorsque cet effort est trop important ;
- lorsque cet effort ne peut être réalisé que par un mouvement de torsion du tronc ;
- lorsque cet effort est susceptible d’entraîner un mouvement brusque de la charge ;
- lorsqu’il doit être accompli alors que le corps est en position instable.
L’activité considérée dans son ensemble peut en effet, elle aussi, présenter un risque, notamment dorso-lombaire lorsqu’elle comporte l’une ou plusieurs des contraintes suivantes :
- des efforts physiques importants sollicitant notamment le rachis, trop fréquents ou trop prolongés ;
- une période de repos physiologique ou de récupération insuffisante ;
- des distances trop grandes d’élévation, d’abaissement ou de transport ;
- une cadence imposée par un processus non susceptible d’être modulé par le travailleur.
Le médecin du travail doit également évaluer la capacité d’adaptation à l’effort du salarié. Pour les postes les plus pénibles, il peut demander à procéder à un enregistrement de la fréquence cardiaque, étant rappelé que toute augmentation de plus de trente battements par minute rapportée à la fréquence cardiaque de repos est un indicateur de charge de travail physique déjà important.
A défaut de pouvoir recourir à un enregistrement de la fréquence cardiaque, l’épreuve de Brouha, qui constitue le meilleur critère de la récupération de la charge de travail, lorsqu’elle est pratiquée après la séquence estimée la plus représentative de la pénibilité du poste, permet d’avoir une base solide pour l’appréciation de la pénibilité du poste de travail.
Dans les cas, qui doivent rester exceptionnels, où l’évaluation ne peut être effectuée au poste de travail, le médecin du travail doit pratiquer au cabinet médical un test « d’adaptation, récupération à l’effort ».
Il y a lieu de tenir compte de ce que la répétition de gestes identiques en sollicitation continue peut être considérée comme pénible en dessous des limites déterminées par l’étude de la fréquence cardiaque.
Sur le plan physiologique, le médecin doit aussi insister sur la nécessité d’éviter les mouvements du torse, notamment par la présentation des charges à une hauteur convenable et sur l’intérêt de porter les charges lourdes sur le dos sur l’épaule (c’est-à-dire près du centre de gravité du corps humain) plutôt qu’à bout de bras, ce qui peut nécessiter des dispositifs de préhension adaptés à ces types de portage.