Article (CONSEIL CONSTITUTIONNEL Saisine du Conseil constitutionnel en date du 20 juin 1996, présentée par plus de soixante sénateurs, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, et visée dans la décision no 96-377 DC)
Sur l'article 25 :
Cet article ajoute un III à l'article 21 de l'ordonnance de 1945 précité. Il tend à exonérer de poursuites pénales fondées sur le délit prévu et réprimé par cette disposition les ascendant, descendant ou conjoint de l'étranger en situation irrégulière.
Cette immunité familiale ne concerne pas l'ensemble des faits incriminés par l'article 21 de l'ordonnance de 1945, mais seulement ceux relatifs au séjour, à l'exclusion, donc, de l'entrée ou de la circulation.
Le problème, ici, vient du champ abusivement restrictif de cette immunité.
Elle est fondée, a-t-il été expliqué dans les débats, sur des considérations humanitaires évidentes. Mais de cette évidence se trouvent exclus les frères et soeurs et concubins ou concubines.
Notons, en premier lieu, que l'exclusion des collatéraux serait pour le moins ironique au regard de l'article 2 de la Constitution qui, dans la devise de la République, fait figurer la fraternité au même rang que la liberté et l'égalité.
Notons, en deuxième lieu, que les obstacles récents mis, malgré votre jurisprudence, à la célébration des mariages font que tel concubin non seulement n'aura pas pu contracter l'union désiré, mais en plus, et du même fait, s'exposerait à des condamnations dont le mariage l'eût libéré.
Notons, en troisième lieu, que le concubin ainsi exclu de l'immunité familiale pourrait même être le père ou la mère des enfants de l'étranger en situation irrégulière auquel, malgré cela, il lui serait strictement interdit de venir en aide, et même de tenter de venir en aide, même indirectement.
Tout ceci est assez dire l'absurdité du dispositif. Mais cette absurdité se double évidemment de son inconstitutionnalité.
En effet, l'immunité familiale, dérogatoire au principe d'égalité des citoyens devant la répression pénale puisque, pour les mêmes faits, une personne pourra n'être pas poursuivie quand d'autres le seraient, ne peut répondre qu'à un souci objectif - en l'occurrence celui des valeurs familiales auxquelles fait référence le préambule de 1946 - et ne saurait être distribuée de manière aléatoire ou hasardeuse.
Aussi le code pénal n'en use-t-il qu'avec circonspection. C'est le cas dans le second alinéa de son article 434-6 à propos du recel de malfaiteur.
Il s'agit là d'une infraction très grave et, à ce titre, lourdement sanctionnée. Pourtant, sont exemptés, d'une part, « les parents en ligne directe et leurs conjoints, ainsi que les frères et soeurs et leurs conjoints » et, d'autre part, « le conjoint... ou la personne qui vit notoirement en situation maritale... ».
En présence de ces liens familiaux, et pour les raisons constitutionnelles que l'on sait, le législateur a donc estimé, à juste titre au demeurant, que les peines qui sont applicables à cette infraction ne pouvaient frapper les bénéficiaires de l'immunité.
Dans ces conditions, s'agissant du cas présent qui est considéré comme moins grave et se trouve, de ce fait, moins lourdement sanctionné, la loi ne peut restreindre le champ de l'immunité, sauf à faire peser sur ceux qui en sont indûment exclus des peines dont il est ainsi prouvé qu'elles ne sont pas strictement et évidemment nécessaires. Il est en effet inconcevable qu'un frère ou une soeur, un concubin ou une concubine, puissent échapper à toute poursuite s'ils aident effectivement un criminel et le soustraient à la justice, tandis qu'ils s'exposeraient à des condamnations sévères s'ils secourent, ou tentent de secourir, même indirectement, leur parent étranger en situation irrégulière.
Au demeurant, il est significatif qu'aucune justification n'ait été donnée - et pour cause sans doute - d'un choix aussi aberrant dans les débats, les auteurs du texte se bornant à considérer qu'il leur paraissait « correspondre davantage à la matière » (Sénat, séance du 15 mai 1996, J.O.S., p. 2605).
Pour avoir ainsi laissé subsister une peine ne répondant pas aux exigences de la Déclaration de 1789, l'article 25 ne pourra manquer d'être déclaré contraire à la Constitution, comme doit l'être, ainsi qu'il a été démontré,
l'ensemble de l'article 21 de l'ordonnance de 1945 qu'il complète.
Enfin, il vous restera à apprécier si ne sont pas entachées de disproportion manifeste les sanctions prévues par le chapitre II de la loi déférée.
Nous vous prions d'agréer, Monsieur le président, Madame et Messieurs les conseillers, l'expression de notre haute considération.
(Liste des signataires : voir décision no 96-377 DC.)