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Article (CONSEIL CONSTITUTIONNEL Saisine du Conseil constitutionnel en date du 1er avril 1996, présentée par plus de soixante sénateurs, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, et visée dans la décision no 96-375 DC)

Article (CONSEIL CONSTITUTIONNEL Saisine du Conseil constitutionnel en date du 1er avril 1996, présentée par plus de soixante sénateurs, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, et visée dans la décision no 96-375 DC)

A. - Une très grave atteinte au principe

de la séparation des pouvoirs


L'article 87-I porte une atteinte très grave au principe de la séparation des pouvoirs. Non seulement l'intervention du législateur est de nature à entraîner le rejet de la plupart des recours actuellement pendant devant la juridiction judiciaire, mais il interdit aux justiciables qui s'estiment lésés par une mauvaise application, de la part de certains établissements bancaires, des dispositions de l'article 5 de la loi no 79-596 du 13 juillet 1979, de faire valoir utilement leurs droits devant les juridictions compétentes.
Il y a là une atteinte particulièrement grave au principe de la séparation des pouvoirs tel qu'il a été consacré par le Conseil constitutionnel dans ses décisions no 79-104 DC du 23 mai 1979 et no 80-119 DC du 22 juillet 1980. Le Haut Conseil a eu notamment l'occasion, dans cette dernière décision,
d'affirmer que « l'indépendance des juridictions est garantie » et de rappeler qu'« il n'appartient ni au législateur ni au Gouvernement de censurer les décisions des juridictions, d'adresser à celles-ci des injonctions et de se substituer à elles dans le jugement des litiges relevant de leur compétence ».
Or, on se situe pleinement, dans la présente affaire, dans cette hypothèse. Le législateur ne remet pas en cause l'interprétation dégagée par la Cour de cassation. Il impose, en effet, aux prêteurs d'inclure, dans leurs offres de prêt, un échéancier complet des amortissements précisant, pour chaque échéance, la part de l'amortissement du capital par rapport à celle couvrant les intérêts. Mais il ne le fait que pour l'avenir, c'est-à-dire pour les contrats de prêts conclus postérieurement à la jurisprudence de la Cour de cassation, soit à partir du 1er janvier 1995. Pour les périodes antérieures, il infirme totalement les dispositions de la loi du 13 juillet 1979 telles qu'interprétées par la Cour de cassation.
On observera, en outre, que cette validation, prononcée avec un retard de presque deux années, intervient alors que la Cour de cassation ne s'est prononcée que par deux fois sur les dispositions litigieuses. Toutes les questions soulevées par l'application de celles-ci sont loin d'être tranchées. Il est, pour le moins, prématuré de considérer qu'il s'agit d'une jurisprudence définitivement établie et encore moins de conclure qu'elle sera, par nature, systématiquement défavorable aux établissements bancaires. C'est nier totalement la mission du juge qui est d'interpréter et d'appliquer la loi en fonction des circonstances particulières à chaque espèce. On relèvera, à ce propos, en ce qui concerne la déchéance du droit aux intérêts prévue à l'article 31 de la loi du 13 juillet 1979, que le prononcé de cette sanction n'est pas automatique et relève du pouvoir d'appréciation du juge tant dans son principe que dans son quantum. Le juge est ainsi investi par le législateur d'une fonction modératrice dont rien, au vu des jugements ou arrêts rendus à ce jour, ne permet de considérer qu'elle n'est pas remplie correctement. L'intervention du législateur au travers des dispositions de l'article 87-I de la présente loi constitue donc bien une atteinte grave au principe de la séparation des pouvoirs.
On relèvera, au surplus, que l'intervention du législateur est ouvertement contraire aux dispositions des articles 6-1 et 13 de la Convention européenne des droits de l'homme qui disposent que « chaque partie devant avoir des chances égales de présenter sa cause et aucune ne devant bénéficier d'un avantage substantiel sur son adversaire, ... lorsqu'un tribunal est saisi d'un litige qui oppose un individu à l'Etat à propos de droits et d'obligations de caractère civil, le législateur ne peut intervenir pour résoudre ce conflit spécifique et empêcher les tribunaux d'exercer effectivement leurs fonctions ». Or, on se trouve bien devant une mesure de validation législative exerçant directement ses effets sur la détermination de normes dont le juge doit faire application.