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Article (Décision n° 2005-0834 du 15 décembre 2005 définissant la méthode de valorisation des actifs de la boucle locale cuivre ainsi que la méthode de comptabilisation des coûts applicable au dégroupage total)

Article (Décision n° 2005-0834 du 15 décembre 2005 définissant la méthode de valorisation des actifs de la boucle locale cuivre ainsi que la méthode de comptabilisation des coûts applicable au dégroupage total)


I. - Contexte


Dans l'ancien cadre réglementaire, le code des postes et des télécommunications (articles D. 99-23 et suivants) imposait à France Télécom de faire droit aux demandes raisonnables d'accès à la boucle locale. Les tarifs de cet accès devaient être orientés vers les coûts et l'article D. 99-24 imposait des prescriptions en ce qui concerne les principes tarifaires applicables. Sur le fondement de ce même article, l'Autorité a été amenée à préciser la méthode retenue de calcul des coûts moyens incrémentaux de long terme relatifs à l'accès à la boucle locale par une décision n° 2000-1171 du 30 octobre 2000 modifiée le 24 mars 2005.
Le nouveau cadre juridique mis en place par la loi du 9 juillet 2004 susvisée impose à l'Autorité de mener une analyse des marchés pertinents du secteur des communications électroniques afin de constater l'existence ou non d'opérateur disposant d'une influence significative et d'imposer les obligations proportionnées aux objectifs de régulation répondant aux problèmes de concurrence constatés. Enfin, le décret n° 2004-1301 du 26 novembre 2004 a abrogé notamment les dispositions du code des postes et des télécommunications précitées relatives au dégroupage.

Conformément à ce nouveau dispositif réglementaire, l'Autorité a mené l'analyse du marché de gros des offres d'accès dégroupé à la boucle locale cuivre et à la sous-boucle locale cuivre. France Télécom a été déclarée opérateur disposant d'une influence significative sur ce marché et l'Autorité a, par sa décision n° 2005-0277 susvisée, imposé un ensemble d'obligations afin de remédier aux problèmes de concurrence constatés. Les obligations ainsi imposées le sont en vertu de l'article 11 de cette décision jusqu'au 1er mai 2008 sans préjudice d'un éventuel réexamen anticipé dans les conditions fixées à l'article D. 303 du code des postes et des communications électroniques.
L'Autorité a notamment prescrit une obligation de contrôle tarifaire. Ainsi, l'article 9 de cette décision dispose que :
« France Télécom doit offrir les prestations d'accès dégroupé à la boucle locale cuivre et à la sous-boucle locale cuivre ainsi que les prestations associées à des tarifs reflétant les coûts correspondants, en respectant en particulier les principes d'efficacité, de non-discrimination et de concurrence effective et loyale.
Le tarif d'un accès partagé doit correspondre aux coûts incrémentaux de l'accès partagé, c'est-à-dire à ses coûts spécifiques.
S'agissant du tarif du dégroupage total, cette obligation fera l'objet d'une décision complémentaire ultérieure. »
Dans le respect des principes édictés par cette dernière décision, l'objet de la présente décision est de définir, d'une part, la méthode d'évaluation des coûts en capital de la boucle locale cuivre et, d'autre part, la méthode de comptabilisation des coûts utilisée pour le calcul du tarif du dégroupage total.
Cette décision indique le cadre conceptuel retenu, les modalités d'application, incluant le mode de calcul et la nomenclature des coûts pertinents, et le cas échéant les valeurs de certains paramètres.
Les éléments constitutifs de la sous-boucle locale cuivre, qui relèvent par définition d'un sous-ensemble de la boucle locale, sont également visés par la méthode de valorisation des actifs retenue par la présente décision.
Afin d'établir cette méthode de manière transparente et conformément au cadre en vigueur, en particulier l'article L. 32-1-III du code des postes et des communications électroniques (CPCE), l'Autorité a lancé un processus de consultation des acteurs du secteur.
Quatre réunions multilatérales se sont tenues le 1er avril 2005, le 15 avril 2005, le 13 mai 2005 et le 5 juillet 2005, afin de permettre aux acteurs du secteur de débattre de la question. La troisième réunion a été l'occasion d'échanges avec des experts du monde académique et des consultants spécialisés.
L'Autorité a publié le 14 avril 2005, sur son site Internet, et annoncé par voie de communiqué de presse, une consultation publique sur les méthodes de valorisation de la boucle locale cuivre. Elle a annoncé à cette occasion une décision relative au choix de la méthode de valorisation du coût en capital de la paire de cuivre pour l'automne 2005.
Quinze réponses à cette consultation ont été reçues le 7 juin 2005, donnant lieu à une synthèse réalisée par l'Autorité et publiée le 7 juillet 2005 sur son site Internet.
La présente décision a été soumise à consultation publique du 30 septembre au 31 octobre 2005. L'Autorité a reçu quatre contributions qui l'ont amenée à modifier ou clarifier certains aspects du projet de décision, qui a donc été amendé en ce sens. Elle a également été notifiée à la Commission européenne et aux autres autorités réglementaires nationales. La Commission a étudié le projet de décision et n'a pas formulé d'observations. Aucun commentaire n'a été reçu de la part d'autres autorités réglementaires nationales.


II. - Cadre juridique relatif à la méthode de valorisation des coûts


L'article L. 32-1 du CPCE définit les objectifs de régulation qui dirigent l'action de l'Autorité. Il dispose que l'Autorité doit veiller notamment :
« [...]
« 2° A l'exercice au bénéfice des utilisateurs d'une concurrence effective et loyale entre les exploitants de réseau et les fournisseurs de services de communications électroniques ;
« 3° Au développement de l'emploi, de l'investissement efficace dans les infrastructures, de l'innovation et de la compétitivité dans le secteur des communications électroniques ;
« 4° A la définition de conditions d'accès aux réseaux ouverts au public et d'interconnexion de ces réseaux qui garantissent la possibilité pour tous les utilisateurs de communiquer librement et l'égalité des conditions de la concurrence ;
« [...]
« 10° A la mise en place et au développement de réseaux et de services et à l'interopérabilité des services au niveau européen ; »
Par ailleurs, l'article D. 311 du même code précise les principes qu'il convient de respecter notamment lors de la définition d'une méthode de valorisation des coûts. Il dispose en effet que :
« II. - Pour la mise en oeuvre des obligations prévues au 4° de l'article L. 38, l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes précise, en tant que de besoin, les mécanismes de recouvrement des coûts, les méthodes de tarification et les méthodes de comptabilisation des coûts, qui peuvent être distinctes de celles appliquées par l'opérateur.
Elle peut également prendre en compte les prix en vigueur sur les marchés comparables en France ou à l'étranger.
L'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes veille à ce que les méthodes retenues promeuvent l'efficacité économique, favorisent une concurrence durable et optimisent les avantages pour le consommateur. »
Enfin, l'article D. 312, bien que s'appliquant plus particulièrement à la mise en oeuvre des obligations de séparation comptable, établit des principes de comptabilisation des coûts qui apparaissent pertinents quels que soient les actifs de réseaux considérés. Il dispose que :
« IV. - Les méthodes de valorisation et d'allocation des coûts utilisées pour l'application du présent article satisfont aux principes :
- d'efficacité : les coûts pris en compte doivent tendre à accroître l'efficacité économique à long terme. L'Autorité peut à ce titre se fonder notamment sur l'utilisation des meilleures technologies industriellement disponibles et sur une utilisation optimale des ressources ;
- de non-discrimination : la méthode d'évaluation des coûts utilisée par l'opérateur pour ses prestations d'interconnexion ou d'accès est la même que celle au regard de laquelle les tarifs des autres services sont évalués ;
- de pertinence : les coûts pris en compte doivent être pertinents, c'est-à-dire liés par une forme de causalité, directe ou indirecte, aux services rendus. »


III. - Le choix de la méthode
III-1. Les principes guidant l'Autorité pour la définition de la méthode
de valorisation des coûts de la boucle locale cuivre


Dans l'ancien cadre réglementaire, l'Autorité était tenue de suivre une méthode fondée sur la notion de CMILT (coût moyen incrémental de long terme). Si cette exigence n'a pas été maintenue dans le nouveau cadre réglementaire, l'Autorité considère néanmoins que les principes sous-jacents à une valorisation au travers des coûts moyens incrémentaux de long terme restent pertinents. Ils impliquent notamment que seuls les coûts directement reliés à l'activité doivent être pris en considération dans la valorisation. Ils impliquent également la prise en compte des coûts d'investissements futurs, afin de traduire la perspective de long terme de maintien d'une capacité productive. Enfin, une telle démarche tournée vers l'avenir rend nécessaire une prise en compte adéquate des évolutions de prix.
Dans sa décision susvisée n° 2005-0277 imposant à France Télécom des obligations sur le marché du dégroupage, l'Autorité a précisé que, pour répondre aux objectifs de régulation qu'elle se fixait, elle s'attacherait dans l'exercice d'évaluation des coûts de la boucle locale cuivre à ce que la méthode retenue :
- respecte le principe de non-discrimination, et ainsi établisse en particulier une cohérence tarifaire entre les différentes offres de France Télécom ;
- incite France Télécom à investir de manière efficace dans la boucle locale cuivre afin de la maintenir en bon état et d'assurer le renouvellement des actifs quand il est nécessaire ;
- incite les opérateurs alternatifs à entreprendre des investissements efficaces.
Ces principes visent à favoriser le développement d'une concurrence effective et loyale, conformément à l'article L. 32-1-II (2°) du CPCE.


Non-discrimination


Le principe de non discrimination implique que les prix des prestations d'accès, lorsqu'elles font l'objet d'une cession interne à l'entreprise verticalement intégrée, soient équivalents aux prix de ces prestations lorsqu'elles font l'objet d'une cession externe, c'est-à-dire vis-à-vis d'opérateurs tiers. Il vise notamment à ce que les conditions concurrentielles sur les marchés aval de l'opérateur titulaire de l'infrastructure et ceux des opérateurs tiers sur ces mêmes marchés soient équivalentes.
Ce principe impose une cohérence entre les méthodes de comptabilisation des coûts des offres de gros et de détail de France Télécom reposant sur l'usage de la paire de cuivre. La cohérence tarifaire entre offres de gros et de détail requiert l'utilisation de la même méthode de valorisation de la boucle locale cuivre, autrement dit d'un même référentiel, pour toutes ces offres.
Ce principe s'applique quelle que soit la méthode de valorisation de la paire de cuivre retenue : il n'en disqualifie aucune d'emblée.


Incitation à l'investissement de France Télécom


La méthode de valorisation retenue doit autoriser et inciter France Télécom à investir de manière efficace dans la boucle locale cuivre afin de maintenir ce réseau en bon état. France Télécom doit donc bénéficier de revenus suffisants afin d'assurer le nécessaire renouvellement des actifs.
Ces investissements doivent être efficaces : ils doivent être alignés sur les meilleures pratiques du moment, et seuls les investissements nécessaires doivent être engagés.
Plusieurs propriétés doivent donc être vérifiées par la méthode retenue :
- pour ne pas les décourager, la méthode doit permettre le recouvrement des investissements. En effet, un investisseur qui anticiperait un risque d'expropriation totale ou partielle choisirait de ne pas investir ou exigerait en contrepartie une prime de risque élevée. La méthode de valorisation doit donc garantir à l'investisseur que sa dépense initiale sera recouvrée sur la durée retenue, dès lors que l'investissement considéré est réputé pertinent.
- le principe de pertinence consiste en particulier à s'assurer que l'investissement considéré répond aux exigences réglementaires de causalité et d'efficacité. La causalité permet d'écarter les investissements qui ne seraient pas liés directement ou indirectement avec la prestation dont le coût est recherché. Le principe de pertinence engage au recours à une chronique d'investissements réels de France Télécom, plutôt qu'à une chronique purement théorique.
- enfin, la méthode de valorisation retenue doit être prospective, au sens où elle doit permettre à l'entreprise d'anticiper le renouvellement de ses actifs en établissant des signaux de coûts (dépréciation ou redevance) cohérents avant et après leur déclassement et leur remplacement. Cette propriété se traduit en pratique par la faculté de la méthode de prendre en compte les évolutions de prix, qu'il s'agisse d'inflation ou de progrès technique réel.


Incitation à l'investissement des opérateurs alternatifs


L'objectif de l'Autorité est de favoriser le développement d'une concurrence efficace, en incitant les opérateurs alternatifs à déployer progressivement leurs investissements. Aujourd'hui, à l'horizon de l'analyse, cela se traduit par l'encouragement à l'utilisation du dégroupage, et donc au développement de réseaux de collecte, plutôt qu'à la duplication de la boucle locale cuivre ou à l'investissement massif dans des infrastructures d'accès alternatives dans le but qu'elles s'y substituent.
En effet, la boucle locale cuivre doit être considérée aujourd'hui comme une infrastructure essentielle, conformément à l'analyse qu'en a fait le Conseil de la concurrence dans ses avis n° 04-A-01 du 8 janvier 2004 relatif à une demande d'avis de l'AFORS sur les principes généraux des relations contractuelles entre les utilisateurs et les différents acteurs du dégroupage et n° 05-A-03 du 31 janvier 2005 susvisé. Ce caractère découle en particulier du fait que :
- d'une part, la duplication à l'identique de la boucle locale cuivre serait d'un coût démesuré ;
- et que, d'autre part, les technologies alternatives aujourd'hui théoriquement envisageables ne rendraient que des services plus restreints ou seraient d'un coût de déploiement généralisé excessif.

La méthode de valorisation retenue ne doit donc pas chercher à encourager cette duplication, mais bien plutôt le recours au dégroupage, en tant qu'offre de gros émanant d'une entreprise en position de monopole de fait, et dont l'achat est strictement nécessaire aux opérateurs alternatifs pour l'exercice d'une activité concurrente sur des marchés aval ou complémentaires.
Enfin, la méthode retenue doit offrir la visibilité nécessaire aux opérateurs alternatifs qui exercent leur activité sur des marchés aval ou complémentaires de l'accès et qui, pour une part d'entre eux, doivent procéder à des investissements de long terme dans les réseaux de collecte. Elle doit donc, dans la mesure du possible, être stable dans le temps et éviter les variations liées aux cycles d'investissement dans les infrastructures d'accès. Dans ce cadre, l'Autorité s'attachera également à offrir aux acteurs la meilleure visibilité sur les évolutions du secteur afin de leur permettre d'engager leurs investissements dans un environnement favorable.


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L'Autorité estime que le respect de ces principes devrait permettre de favoriser une concurrence durable au bénéfice du consommateur, en respectant un arbitrage entre les intérêts de court et moyen terme de celui-ci : une tarification compatible avec le développement d'une concurrence sur les marchés aval et qui permette le maintien dans de bonnes conditions de l'infrastructure d'accès existante.


III-2. Les méthodes en consultation
Les méthodes proposées par l'Autorité dans le document de consultation


Lors du processus de consultation publique mené par l'Autorité du 14 avril au 7 juin 2005, quatre méthodes ont été détaillées et examinées :
La méthode des coûts historiques. Elle repose entièrement sur la comptabilité de France Télécom. La dépréciation est ainsi égale à l'amortissement comptable du réseau de boucle locale cuivre, et le coût du capital immobilisé est calculé à partir de la valeur nette comptable.
La méthode des coûts courants. En comparaison de la méthode précédente, l'amortissement et le coût du capital sont modifiés pour intégrer les évolutions de prix des actifs, c'est-à-dire à la fois l'inflation et le progrès technique. Le profil des annuités totales et les parts respectives de l'amortissement et du coût du capital, infléchis en conséquence, sont ainsi ajustés pour permettre à l'opérateur de financer régulièrement les renouvellements nécessaires de son réseau.
La méthode des annuités économiques. Elle s'inscrit dans la logique précédente de prise en compte des évolutions de prix, mais elle procure en outre un lissage des annuités totales au cours du temps, qui deviennent ainsi moins dépendantes des cycles d'investissements. Elle répond dès lors à la fois aux impératifs de financement de l'opérateur et à la volonté du régulateur de limiter l'impact des cycles d'investissements.
Enfin, les coûts de remplacement en filière reposent sur le principe du « make or buy » : cette méthode vise à rendre neutre pour les opérateurs clients la décision de louer l'infrastructure ou de la reconstruire. Elle repose donc sur les coûts de reconstruction à neuf d'un réseau de boucle locale cuivre, et est actuellement en vigueur pour la boucle locale cuivre. Elle est proche de la méthode des annuités économiques dans ses fondements ; toutefois, à la différence de celle-ci, elle ne s'applique pas à la chronique des investissements réalisés, mais s'appuie sur une chronique théorique, déduite de la valeur à neuf du réseau.


Les méthodes proposées au cours de la consultation


Au cours du processus de consultation, deux autres méthodes ont été évoquées, l'une par un économiste et l'autre par un cabinet de conseil : un price-cap global sur le secteur, et une méthode d'infrastructure renewals accounting fondée sur le coût de maintien en état d'une infrastructure mâture. Dans les deux cas, ces méthodes ne semblent pas adaptées.
- le price-cap global : le price-cap a été développé historiquement dans le cadre du contrôle d'entreprises en situation de monopole ; il substitue à un contrôle détaillé de chaque tarif au regard des coûts un contrôle portant sur l'évolution du prix d'un panier de services. L'entreprise est libre de fixer ses tarifs individuels dès lors que le prix du panier de services respecte la contrainte qui est fixée, en principe de façon non révisable, sur une période de plusieurs années. Ce dispositif assure une forme de protection des consommateurs et incite l'entreprise à l'efficacité : elle conserve les gains de productivité qu'elle peut dégager sur la période. Ainsi le price-cap proprement dit relève plus d'un mode de régulation des tarifs que d'une méthode de valorisation. Il a été écarté des choix ouverts.
La méthode d'infrastructure renewals accounting : cette méthode a été développée au Royaume-Uni dans le secteur de l'eau. Si ses objectifs ne sont pas incohérents avec ceux recherchés par l'Autorité, elle a été écartée d'emblée en raison du caractère trop théorique de son postulat de départ, à savoir que l'infrastructure est constituée d'un actif unique dont la durée de vie est infinie. Cette méthode n'est du reste pas utilisée au Royaume Uni pour la boucle locale cuivre.


III-3. Les méthodes analysées comme inadéquates au regard des principes


Deux méthodes, parmi celles proposées en consultation, ne peuvent être retenues au regard des principes qui sous-tendent le choix de l'Autorité.


La méthode des coûts de remplacement en filière


Pour être conforme aux principes exposés ci-avant, la méthode de valorisation retenue doit être cohérente avec le contexte de marché et les évolutions qui sont anticipées pour les actifs visés. La méthode des coûts de remplacement en filière est une méthode make or buy. Elle vise à rendre neutre, pour les opérateurs clients sur le marché de l'accès, la décision de louer l'infrastructure ou de la reconstruire. Dans un contexte d'accès à une infrastructure réplicable, cette approche peut être compatible avec les anticipations sur ce marché. Mais une méthode reposant sur cet arbitrage n'est pas adaptée à la tarification d'une infrastructure essentielle, puisque la reconstruction de l'infrastructure ne saurait être envisagée. La logique dans laquelle il convient de se placer est au contraire une logique buy, s'appuyant sur une évaluation des coûts d'investissement prospectifs que l'opérateur propriétaire de l'investissement s'apprête effectivement à consentir.
Ainsi, la vision aujourd'hui partagée selon laquelle la boucle locale cuivre est une infrastructure essentielle impose d'écarter la méthode des coûts de remplacement en filière actuellement en vigueur.
L'Autorité relève avec les acteurs que les conditions d'une concurrence effective, loyale et durable doivent être mises en place. En théorie, ces conditions peuvent être réunies dans le cadre de deux paradigmes :
- une concurrence par les services, favorisant l'usage des ressources déjà en place ;
- une concurrence par les infrastructures, favorisant l'émergence de ressources alternatives.
Loin de s'opposer, ces deux approches se complètent.
Elle se complètent dans le temps : la concurrence par les services permet aux opérateurs dans un premier temps d'acquérir les effets d'échelle et de gamme nécessaires afin de légitimer la construction d'infrastructures en propre. Cette approche permet ainsi de respecter la progressivité du déploiement des opérateurs.
La concurrence par les services permet également aux opérateurs l'acquisition d'une base de clientèle, le développement de services propres à destination de ces clients, qui sont des conditions préalables au déploiement d'infrastructures en propre, et ce d'autant plus que les investissements dans les infrastructures sont élevés.
Elles peuvent également être complémentaires selon les segments de réseau considérés : la théorie économique montre qu'il est inefficace de dupliquer certaines infrastructures, comme les facilités essentielles, tandis qu'il est économiquement rationnel d'encourager la duplication de certaines autres.
L'Autorité relève que la qualification d'infrastructure essentielle de la boucle locale cuivre n'a pas été remise en cause dans les commentaires reçus.
Sur la période d'analyse, contrainte par le cadre réglementaire des analyses de marchés, cette qualification d'infrastructure essentielle, comme le déploiement observé de la plupart des opérateurs, ne sont pas compatibles avec un signal économique favorable à la duplication de l'infrastructure de boucle locale cuivre de France Télécom.
L'Autorité pourrait néanmoins être amenée à réexaminer ce point lors d'une prochaine analyse de marché.


La méthode des coûts historiques


La méthode des coûts historiques ne saurait être retenue, principalement parce qu'elle ne sait pas prendre en compte l'évolution des prix et qu'à ce titre, elle ne peut être qualifiée de prospective.
L'Autorité relève par ailleurs que cette méthode ne permettrait pas de modérer l'impact tarifaire de variations marquées du taux d'investissement, notamment la reprise d'investissements importants. Or, une telle reprise est envisageable à moyen terme, dans la mesure où les investissements consentis sur la boucle locale au cours des dernières années sont historiquement bas.


III-4. Les méthodes de coûts courants
La méthode des coûts courants avec amortissement comptable


Le contexte inflationniste des années 70-80 a été à l'origine d'une remise en cause forte de la méthode des coûts historiques et a induit le développement de méthodes mieux adaptées au nécessaire renouvellement des actifs productifs dans un contexte de hausse significative de leurs prix.
L'enjeu principal de la méthode est de garantir la pérennité de l'activité de l'entreprise en laissant dans l'entreprise des montants équivalents, dotation après dotation, au coût de remplacement des actifs. La méthode des coûts courants permet la prise en compte de l'évolution des prix dans les charges d'amortissement et dans la valeur nette rémunérée.
La méthode des coûts courants, comparativement à la méthode des coûts historiques, se traduit ainsi par un infléchissement du profil des amortissements et plus généralement des annuités totales. Les parts respectives des amortissements et de la rémunération du capital sont également modifiées.
Dans son acception stricte, la méthode des coûts courants connaît deux variantes, la méthode OCM et la méthode FCM.


La méthode des annuités économiques ou « coûts courants économiques »


La gestion de l'impact des évolutions de prix est un souci commun au régulateur et aux entrepreneurs. Les méthodes de coûts courants apparaissent séduisantes pour le régulateur du fait de leurs vertus dans l'incitation à amortir convenablement pour les investisseurs.
Toutefois, une préoccupation supplémentaire est celle de garantir que les prix de l'infrastructure essentielle ne soient pas influencés par les choix de court terme d'investissement de l'opérateur. En d'autres termes, un lissage par rapport aux cycles d'investissement est souhaitable. Idéalement, le prix de mise à disposition de l'infrastructure ne devrait évoluer qu'avec le prix des actifs.
La méthode des annuités économiques est précisément fondée sur ce principe. Elle s'apparente donc à la méthode de coûts courants par la prise en compte des évolutions de prix, tout en intégrant cette objectif supplémentaire de lissage.
Aussi, c'est en s'écartant délibérément de la logique comptable pure et en incorporant des concepts fondamentaux en économie (durées de vie, progrès technique, cycles notamment) que la méthode des annuités économiques ou « coûts courants économiques » peut donner de bons signaux aux investisseurs et à l'ensemble des acteurs du marché. Martin Cave (1) ne parvient pas à des conclusions différentes lorsqu'il écrit : « l'incorporation d'un amortissement économique dans les coûts courants a l'avantage de rapprocher la trajectoire des coûts de celle de prix concurrentiels ».