II-2. Evolution des offres de gros
L'Autorité a identifié au cours de son analyse des marchés de la téléphonie fixe certaines difficultés limitant les possibilités de développement d'une concurrence effective, loyale et durable à travers le seul mécanisme de sélection du transporteur.
L'impossibilité pour les opérateurs alternatifs de proposer une facture unique à leurs abonnés présélectionnés constitue ainsi pour eux un premier obstacle significatif à une bonne compétitivité sur les marchés des communications. Par ailleurs, la position prééminente de France Télécom sur les marchés de l'accès au service téléphonique lui permet de bénéficier par un effet de levier horizontal d'avantages concurrentiels importants sur les marchés des communications. En particulier, France Télécom, en assurant la vente de l'abonnement téléphonique, dispose par le biais de ses données de facturation de sérieux avantages commerciaux sur les marchés de détail, tel l'accès privilégié aux profils de consommation de ses clients. Il lui est ainsi possible de mener une démarche commerciale adaptée à l'évolution desdits profils par l'envoi en même temps que la facture d'abonnement d'éléments publicitaires et informatifs, par exemple, sur certaines de ses offres qui pourraient être désormais plus adaptées.
Afin de supprimer ces freins concurrentiels et de donner la possibilité aux opérateurs alternatifs de proposer à leurs clients des offres couplant accès et communications, l'Autorité a imposé à France Télécom de développer une offre de vente en gros de l'accès au service téléphonique (VGAST). Cette offre de gros est disponible depuis le 1er avril 2006 pour les accès analogiques et depuis le 1er juillet 2006 pour les groupements d'accès analogiques ainsi que pour les accès numériques de base. Un comité de suivi de la VGAST a été mis en place afin de suivre l'évolution de l'offre et pallier d'éventuelles difficultés.
La VGAST sur les accès analogiques, avec un standard de qualité de service adapté au segment résidentiel, est à l'heure actuelle pleinement opérationnelle. Les services d'accès et de communications commercialisés par les opérateurs alternatifs sur les marchés résidentiels à partir de la VGAST croissent fortement, depuis l'été 2006 dans les DOM et depuis le début de l'année en métropole. S'agissant des marchés professionnels, l'Autorité ne dispose pas encore de recul sur l'offre de VGAST en qualité renforcée.
Cette offre de gros permet de couper le lien contractuel et facturier préexistant entre les clients de France Télécom et celle-ci. Elle limite ainsi les possibles effets de levier dont peut user France Télécom sur les marchés des communications du fait de sa position sur les marchés de l'accès et supprime ainsi un frein notable au développement d'une concurrence effective et loyale sur les marchés résidentiels des communications.
La VGAST donne ainsi la possibilité aux opérateurs alternatifs de proposer des offres couplant accès et communications. Il apparaît dès lors raisonnable d'autoriser France Télécom à produire aussi de telles offres de couplage. L'offre de VGAST permet ainsi de placer dans un même jeu concurrentiel les opérateurs alternatifs et France Télécom sur les marchés résidentiels, au bénéfice du consommateur final, qui peut dès lors disposer d'offres innovantes telles que les forfaits de communications illimitées ou bien encore d'offres couplant abonnement et communications.
Plusieurs opérateurs alternatifs soulignent dans leurs réponses à la consultation publique le manque de recul sur l'impact des remèdes imposés sur les marchés de gros.
En réponse, l'Autorité rappelle que cette offre est effective et opérationnelle et qu'elle peut être librement contractée auprès de France Télécom dans des conditions permettant la réplicabilité des offres de détail de celle-ci sur les marchés des services téléphoniques bas débit. L'Autorité précise à cet égard qu'un opérateur a commercialisé dans les DOM des offres reposant sur la VGAST dès avril 2006. De plus, l'analyse de la disponibilité et de l'effectivité de cette offre doit se faire à la lumière des choix d'investissements des opérateurs alternatifs ; le recours significatif aux technologies IP ne remet pas en question le caractère opérationnel de l'offre de VGAST.
En réponse à la consultation publique, les opérateurs alternatifs ont également émis un certain nombre de critiques sur la VGAST, soulignant en particulier qu'elle ne donne pas la possibilité d'offrir des services différenciés et innovants aux clients, du fait par exemple de l'impossibilité de router le trafic entrant selon les spécifications du client. Par ailleurs, plusieurs critiques ont porté sur le processus de commercialisation de l'offre (qualité des échanges informatiques, degré d'engagement sur la livraison des services, etc.) : parmi les opérateurs alternatifs s'étant exprimés, certains opérateurs demandent à l'Autorité de veiller à l'amélioration de ces processus. Enfin, la réplicabilité économique de la VGAST est mise en cause par plusieurs opérateurs, ces derniers soulignant que le prix de cette offre de gros devrait être inférieur à celui du dégroupage, qui permet de commercialiser plus de services innovants. Un opérateur alternatif précise qu'il devient impossible dans les zones non dégroupées, compte tenu des conditions actuellement en vigueur sur la VGAST mais aussi sur l'offre de bitstream, de concurrencer France Télécom sur les marchés de la téléphonie fixe.
Un autre opérateur alternatif regrette également l'absence d'analyse de la part de l'Autorité des offres de gros haut débit alors que l'Autorité indique que la pression concurrentielle provient surtout de la voix sur large bande. Trois opérateurs déplorent aussi le fait que les appels vers les numéros du type 087B et 09AB soient exclus du périmètre de la sélection du transporteur. Enfin, les opérateurs alternatifs soulignent leurs inquiétudes face à l'émergence potentielle d'offres de convergence fixe-mobile non réplicables, France Télécom étant présente sur ces deux marchés.
Concernant les différents problèmes soulevés par les opérateurs alternatifs sur la VGAST, l'Autorité rappelle qu'il existe une offre de gros de joignabilité permettant aux acteurs de maitriser le trafic entrant sur le marché de l'accès, et qu'un groupe de travail veille à l'amélioration des processus liés à la commercialisation de l'offre VGAST.
S'agissant de la réplicabilité économique de l'offre de gros de VGAST, l'Autorité souligne que, pour en apprécier sa réplicabilité, il est nécessaire de prendre à la fois en compte les accès et les communications, la VGAST ayant été conçue comme une offre complète de service téléphonique. L'Autorité précise également, en ce qui concerne la comparaison effectuée par les acteurs entre les tarifs de la VGAST et du dégroupage que ces deux offres de gros sont orientées vers les coûts et que le périmètre de coût de la VGAST est plus large que celui du dégroupage. Sont ainsi intégrés dans le calcul du coût de la VGAST, en sus de celui de l'infrastructure commune de la paire de cuivre, des éléments de gestion du trafic bande basse de l'abonné qui n'interviennent pas dans le cadre du dégroupage. Le tarif de la VGAST ne saurait donc être inférieur au tarif du dégroupage.
L'Autorité s'étonne de la critique portant sur l'impossibilité de concurrencer l'opérateur historique dans les zones non dégroupées. En effet, sur le marché de l'accès de la téléphonie fixe, la VGAST constitue bien une offre de gros disponible au niveau national tarifée à un prix unique. En conséquence, que ce soit en zone dégroupée ou non dégroupée, les opérateurs alternatifs peuvent bien s'appuyer sur cette offre de gros pour fournir des services téléphoniques. Cette offre est par ailleurs un mieux-disant par rapport à la seule sélection du transporteur.
S'agissant du fait que l'Autorité n'analyse pas dans la consultation publique les offres de gros haut débit, elle rappelle que l'allégement porte sur les accès bas débit et qu'en conséquence l'analyse est centrée sur l'offre de gros sous-jacente.
Pour ce qui est de l'exclusion du périmètre de la sélection du transporteur des appels vers les numéros du type 087B et 09AB, l'Autorité rappelle que, dans la VGAST, offre visant à améliorer et compléter les offres de gros en place sur les marchés de la téléphonie fixe, les communications vers les numéros du type 087B et 09AB sont disponibles et orientées vers les coûts. Les opérateurs alternatifs sont donc en mesure de commercialiser une offre complète de service téléphonique incluant les appels vers les numéros du type 087B et 09AB. De plus, l'Autorité précise que cette problématique semble peu pertinente dans le cadre d'un réexamen des obligations de détail opposables à France Télécom sur le marché de détail de l'accès résidentiel.
Sans écarter la possibilité que soient introduites par différents acteurs des offres de convergence fixe-mobile susceptibles de poser des problèmes concurrentiels, l'Autorité tient à rappeler que, d'une part, le Conseil de la concurrence est en mesure d'intervenir pour sanctionner toute pratique anticoncurrentielle et, d'autre part, elle a la capacité d'ouvrir une nouvelle analyse de marché y compris, le cas échéant, au travers d'une procédure d'urgence, afin notamment de mettre en place des obligations ad hoc. L'ARCEP rappelle aux opérateurs qu'ils ont la possibilité de faire valoir le droit commun de la concurrence auprès des autorités de concurrence, qui ont démontré leur rapidité de réaction lors de plusieurs affaires récentes.
III. - Modification des obligations
imposées à France Télécom
Les évolutions des marchés de gros et de détail de la téléphonie fixe depuis l'analyse qu'elle en a faite en 2005 et en 2006 amènent l'Autorité à revoir les remèdes qu'elle avait mis en place et à adapter des obligations portant sur le marché des accès résidentiels (III-1). A ce titre, parmi les modifications des obligations imposées à France Télécom sur les marchés de détail de la téléphonie fixe, peuvent être distinguées celles relatives à la proscription de certaines pratiques (III-2) et celles visant à prévenir et à identifier ces pratiques (III-3).
III-1. Les marchés concernés par la modification des remèdes
Les évolutions de la situation concurrentielle sur les marchés de la téléphonie fixe rendent pertinent un allégement de la régulation des marchés de détail, qui n'est justifiée que lorsque l'intervention sur les marchés de gros ne suffit pas à rendre les marchés de détail effectivement concurrentiels.
S'il est envisageable, à un horizon raisonnable, de supprimer toute régulation des marchés de détail de la téléphonie fixe et d'appuyer l'action réglementaire sur la seule régulation des marchés de gros, la situation actuelle ne permet pas d'opérer à ce jour cette évolution. L'Autorité considère ainsi qu'une partie des justifications apportées dans sa décision n° 2005-0571 demeurent pertinentes et valables ; elles ne sont pas encore mises en cause par une évolution suffisamment satisfaisante et pérenne de la situation concurrentielle sur les marchés de détail, et notamment sur les marchés professionnels, qui se caractérisent par une forte dépendance à la qualité de service. L'Autorité estime devoir d'abord mener une analyse de l'adéquation du niveau de qualité de service de l'ensemble des offres de gros sous-jacentes de France Télécom aux offres de détail (VGAST, dégroupage, services de capacité, etc.) avec les besoins des professionnels.
L'Autorité rappelle qu'une première phase d'allégement des obligations imposées à France Télécom a été engagée dans sa décision n° 2006-0840 en date du 28 septembre 2006, par laquelle l'Autorité estimait justifié d'alléger la régulation des marchés résidentiels des communications téléphoniques eu égard à l'évolution de la situation concurrentielle et du fonctionnement de ce marché.
Un réexamen complémentaire des remèdes imposés à France Télécom sur les prestations des marchés résidentiels est aujourd'hui entrepris par l'Autorité, qui considère en effet qu'un deuxième allégement des obligations est pertinent sur le marché de l'accès résidentiel, ce marché présentant une relative transparence et bénéficiant désormais d'une offre VGAST analogique - avec une qualité de service adaptée au segment résidentiel - opérationnelle et industrialisée. Le premier bilan mené sur cette offre est satisfaisant même si des points d'amélioration ont d'ores et déjà été identifiés, pour lesquels l'Autorité veillera à ce qu'ils soient effectivement pris en compte dans les évolutions à venir des caractéristiques de la VGAST.
Cette revue des obligations imposées à France Télécom diffère de celle qui avait été annoncée en juillet 2006 par l'Autorité en cela qu'elle ne concerne que les marchés résidentiels et ne conduit pas à lever les remèdes actuellement en vigueur sur les marchés des accès et des communications analogiques professionnels. L'Autorité estime en effet ne pas disposer d'un recul suffisant sur les offres de gros disponibles sur les marchés professionnels, et notamment sur l'offre de VGAST.
Cet examen de la possibilité d'une nouvelle phase d'allégement des obligations de détail imposées à France Télécom pourra être menée ultérieurement et en anticipation de la fin de validité de la décision actuelle d'analyse de marché n° 2005-0571.
III-2. Evolution des obligations relatives
à la proscription de certaines pratiques
III-2.1. La proscription de pratiques discriminatoires
L'Autorité rappelle dans sa décision n° 2005-0571 qu'il existe un risque de pratiques discriminatoires sur les marchés des communications fixes, où l'opérateur historique a détenu initialement une position de monopole. En effet, la position de l'opérateur historique sur le marché peut être menacée tout d'abord par les actions des concurrents, qui ciblent les clients les plus rentables et/ou les plus disponibles pour changer d'opérateur. En réponse, l'opérateur puissant pourrait alors recourir à des pratiques discriminatoires pour exercer une politique de fidélisation de sa clientèle, particulièrement ciblée sur la frange concurrentielle de ce marché, et de la même manière avoir une politique particulièrement ciblée de reconquête des clients perdus.
Malgré la forte croissance des offres couplant accès et communications et commercialisées à partir de la VGAST, il demeure un risque important que de telles pratiques discriminatoires soient exercées par France Télécom dans la mesure où le nombre de clients en sélection du transporteur s'élève encore, fin 2006, à 6,9 millions (6).
L'Autorité estime justifié et proportionné à ce stade de maintenir l'obligation de non-discrimination sur les marchés résidentiels de détail des accès résidentiels.
La pertinence du maintien de cette obligation sera néanmoins réexaminée.
Dans leurs contributions à la consultation publique que l'Autorité a menée, les opérateurs alternatifs se sont accordés sur la pertinence du maintien de cette obligation.