b) Evaluation quantitative via la prise en compte
des volumes de production interne
L'Autorité estime que les volumes de production interne d'une entreprise doivent être pris en compte dans l'analyse de la puissance éventuelle d'un opérateur sur le marché, et qu'ils constituent une « mesure » des économies d'échelle dont peut jouir cette entreprise.
En premier lieu, il convient de préciser que l'on entend par production interne des prestations intermédiaires produites à des fins de fourniture d'un service à des tiers.
L'économie du marché des communications électroniques se caractérise par l'importance des coûts fixes communs encourus par tout opérateur. Parce qu'ils participent à la couverture de ces coûts, les volumes de production interne structurent fortement l'ampleur des économies d'échelle que connaît l'opérateur, et doivent donc, d'une manière ou d'une autre, être quantifiés au stade de l'analyse de la puissance éventuelle d'un acteur du marché.
L'Autorité considère en effet que ces économies d'échelle confèrent aux opérateurs intégrés ayant une forte production interne un avantage substantiel en termes de coûts par rapport à ceux de leurs concurrents qui ne sont pas intégrés ou dont la production interne est moins importante.
Par conséquent, et même si les parts de marché d'un opérateur renseignent également sur sa capacité à se comporter indépendamment ou non de son environnement de marché, il est nécessaire de compléter l'information qu'elles apportent par le calcul de parts de marché « fictives » corrigées des volumes de production interne des opérateurs.
La Commission européenne, dans ses « lignes directrices » du 13 octobre 2000 sur les restrictions verticales, confirme l'importance concurrentielle des volumes de production interne, rappelant que « La production interne, c'est-à-dire la fabrication par une entreprise d'un bien intermédiaire aux fins de sa propre production, peut revêtir une très grande importance dans une analyse de la concurrence en tant que contrainte concurrentielle ou en tant que facteur qui renforce la position d'une entreprise sur le marché. »
Dans ces conditions, et comme le rappelle le Conseil de la concurrence dans son avis n° 2005-A-05 susvisé, il convient de prendre en compte la production interne pour apprécier les avantages dont bénéficient les opérateurs en matière d'économies d'échelle.
En l'occurrence, l'évaluation de ces parts de marché porte à 67 % et 67,5 % la part de France Télécom, respectivement en 2004 et 2005 S1, ce qui traduit les importantes économies d'échelle dont jouit cet opérateur sur le marché, et mises en exergue ci-dessus.
II-3.2.5. Concurrence potentielle limitée et barrières à l'entrée
Comme cela a été indiqué lors de la délimitation du marché du transit, deux éléments limitent la concurrence potentielle des offres des opérateurs alternatifs sur ce marché :
- du point de vue de la capacité des acheteurs à opter pour d'autres fournisseurs que France Télécom, seuls des opérateurs qui échangent un volume de trafic suffisant seront susceptibles d'établir et de rentabiliser un raccordement direct entre leur réseau et celui de l'opérateur vendeur du transit.
Cette situation limite le nombre des acheteurs pouvant effectivement accéder à des offres de transit concurrentes de celles de France Télécom. Ceci est particulièrement le cas pour les petits opérateurs de boucle locale qui doivent, pour accéder à ces offres alternatives, supporter le coût d'un raccordement supplémentaire au raccordement initial au réseau de France Télécom.
Par ailleurs, les difficultés actuelles, liées à l'acheminement des communications vers les numéros ayant fait l'objet de la portabilité au départ du réseau de France Télécom vers des opérateurs de boucle locale tiers, limitent les possibilités dont disposent les autres opérateurs de transit de proposer des prestations de transit entrant à ces opérateurs de boucle locale tiers. Cette limitation renforce la difficulté à rentabiliser les liens de raccordement éventuels vers d'autres fournisseurs ;
- du côté des offreurs, les opérateurs alternatifs ne peuvent proposer de prestations de transit effectivement substituables à celles de France Télécom que lorsque les volumes en jeu permettent de rentabiliser les investissements correspondants.
A titre d'illustration, un seul opérateur alternatif raccorde aujourd'hui les 550 commutateurs d'abonnés de France Télécom en métropole, alors qu'une douzaine d'opérateurs raccordent aujourd'hui au moins 18 commutateurs de transit afin d'acheter des prestations de transit intermédiaires à France Télécom. De surcroît, seule France Télécom est aujourd'hui interconnectée à l'ensemble des commutateurs de raccordement d'abonnés (ou équipements équivalents) de l'ensemble des opérateurs de boucle locale. Elle est ainsi la seule à être en mesure de proposer des offres de connectivité généralisée avec l'intégralité des réseaux français, sans avoir recours à une offre complémentaire d'un tiers.
A l'opposé, et compte tenu des éléments précédents, la quasi-totalité des offres de transit fournies aujourd'hui par des opérateurs alternatifs reposent elles-mêmes sur l'achat, pour une large partie, de prestations intermédiaires de transit à France Télécom.
Cette situation traduit le fait qu'il subsiste d'importantes barrières économiques à l'entrée sur le marché du transit, tout particulièrement sur la fourniture de prestations de transit nécessitant le raccordement des CA de France Télécom et des CA des autres opérateurs de boucle locale.
L'importance de ces barrières à l'entrée est renforcée par l'importance des coûts irréversibles (sunk costs) liés à l'investissement dans le déploiement des réseaux, et notamment au raccordement des CA des opérateurs de boucle locale, qui fait peser un risque significatif lié à l'entrée sur ce marché. A titre illustratif, il convient de noter que les investissements initiaux en réseau général (46) (transmission et commutation) et en génie civil consentis par France Télécom s'élèvent, respectivement, à 9,02 milliards d'euros et 4,68 milliards d'euros (47). Ces investissements représentent des coûts annuels (amortissement et coûts de maintenance et exploitation) respectifs de 1,71 milliard d'euros et 0,58 milliard d'euros.