II-3.1.1. Substituabilité des segments terminaux de liaisons louées
et avec interfaces alternatives
a) Du côté de la demande
Dans le passé, les opérateurs achetaient plutôt des segments terminaux à interface traditionnelle, pour offrir un service de détail voix ou liaison louée traditionnelle, et des segments terminaux à interface alternative plutôt pour offrir un service de détail d'accès à Internet ou de liaison louée à interface alternative. Même dans le second cas, l'opérateur était contraint d'acheter des segments terminaux traditionnels dans les zones où les services à interface alternative n'étaient pas disponibles.
L'évolution des protocoles et l'amélioration de la qualité de service des segments terminaux à interface alternative rend de plus en plus possible l'utilisation de ces derniers pour un usage mixte.
Au final, l'utilisation des différentes interfaces sur le segment terminal suit les tendances suivantes :
Tableau 4 : Evolution de l'utilisation des interfaces traditionnelles et alternatives
Avec l'extension de la couverture du DSL et les progrès de la convergence voix-données, la substituabilité des liaisons louées par les services de capacités avec interfaces alternatives par les opérateurs adressant les marchés de détail est forte sur le marché de gros du segment terminal.
b) Du côté de l'offre
La substituabilité de l'offre sur le segment terminal est équivalente à celle sur le marché de détail des liaisons louées (cf. II-2.1.3.2).
c) Conclusion
Du fait de l'existence d'une forte substituabilité du côté de la demande et de l'offre, les liaisons louées et les services de capacités avec interfaces alternatives sont inclus dans le même marché du segment terminal.
II.-3.1.2. Définition d'un marché global du segment terminal
incluant les services de moins de 10 Mbit/s et ceux de plus de 10 Mbit/s
Le Conseil de la concurrence, dans son avis n° 2006-A-10 du 12 mai 2006 susvisé a invité l'Autorité à renoncer à la distinction entre le marché des services de moins de 10 Mbit/s et le marché des services de plus de 10 Mbit/s du fait de la substituabilité des produits du marché du segment terminal en terme de fonction, indépendamment du débit.
La séparation justifiée par le passage d'un support cuivre à un support fibre risque en effet de devenir rapidement obsolète, comme le fait remarquer le conseil. De plus, conformément à l'analyse de l'Autorité qui précède, la frontière entre ces deux types de service est amenée à évoluer si l'on se place dans une démarche prospective, c'est pourquoi l'Autorité décide en définitive de ne définir qu'un seul marché de gros du segment terminal.
a) Du côté de la demande
Du côté de la demande, en cas de mutualisation des architectures d'interconnexion entre bas et haut débit, la substituabilité est techniquement très forte en théorie (possibilités de mutualiser plusieurs « feuilles » sur un même tronc, que ce soit les LPT sur les LA ou les feuilles TDSL et CE2O sur un même tronc).
Dans les faits, les opérateurs entrants sont encore un peu marqués par leur mode d'entrée sur le marché. Celle-ci a créé une petite discontinuité dans la substituabilité en débits sur le segment terminal avec une polarisation des opérateurs, soit sur des services à moins de 10 Mbit/s, soit sur des services à plus de 10 Mbit/s : les opérateurs ayant déployé des MAN optiques sont restés plutôt concentrés sur des services à plus de 10 Mbit/s, notamment Ethernet, et faiblement actifs sur les services de moins de 10 Mbit/s (notamment les RPV IP). A l'inverse, les opérateurs entrés sur le marché en déployant un réseau national sont eux restés concentrés sur des besoins à moins de 10 Mbit/s, notamment les services de transmissions de données en frame relay ou RPV IP.
Cette situation devrait évoluer avec la disponibilité d'offres de gros dans tous les segments de débits, la volonté des opérateurs de couvrir la totalité des segments de marché, la montée en débits des sites sur le territoire et la généralisation de services de type VPN induisant sur tout le territoire des besoins dans une large gamme de débits de raccordement.
b) Du côté de l'offre
Du côté de l'offre, il existe une rupture relative de la substituabilité vers 10 Mbit/s correspondant au passage du cuivre à la fibre optique.
c) Conclusion
Dans une analyse prospective et respectueuse du principe de neutralité technologique, et afin de prendre en compte l'avis du Conseil de la concurrence précité, l'Autorité estime justifié de ne définir qu'un marché de gros du segment terminal.
II-3.1.3. Exclusion des services support des marchés
Les services support (niveau « 0 ») de gros ne sont pas soumis aux mêmes contraintes concurrentielles.
Les services support au marché de gros du segment terminal se situent en amont de ce marché, et les transactions concernant le support sont courantes (paire de cuivre nue via le dégroupage total ou mise à disposition de fréquences via le dégroupage partiel, location de fibres noires, location de fourreaux).
Lorsque c'est possible, l'achat de support est souvent préféré par les opérateurs à l'achat de services de capacités ; il y a d'ailleurs une demande non satisfaite pour des services supports (notamment la location de fourreaux ou de fibre noire), qui se reporte sur les services de capacité.
L'Autorité considère néanmoins, au titre de la présente analyse, que ces services ne font pas partie du marché du segment terminal (avec une substituabilité avec les services de niveau 1 ou 2) mais plutôt des éléments de l'arbitrage entre faire ou acheter (make or buy).
En revanche, la facilitation de la mise à disposition de services support peut constituer un remède sur les marchés pertinents analysés pour permettre aux opérateurs de construire leur raccordement en propre.
France Télécom indique dans ses réponses aux consultations publiques que, s'agissant des liaisons louées vendues aux opérateurs mobiles, celles-ci sont à analyser dans un marché spécifique incluant les faisceaux hertziens. Il est vrai que les opérateurs mobiles, pour relier les BTS aux BSC, peuvent être amenés à utiliser des liaisons louées à 2 048 kbit/s ou des faisceaux hertziens. Néanmoins, il faut noter que lorsqu'il y a recours au faisceau hertzien, c'est toujours en auto-production, en outre il n'y a pas de réelle substituabilité du côté de la demande, et enfin il n'y pas du tout de substituabilité du côté de l'offre.
Il n'y a pas de réelle substituabilité du côté de la demande. Tout d'abord, il n'y a pas de limitation théorique de la distance d'une liaison louée alors qu'en raison des lois de la physique, les liaisons hertziennes sont limitées en distance. Par ailleurs, la disponibilité théorique des liaisons faisceaux hertziens est inférieure à celle des liaisons louées en raison des limitations inhérentes à la propagation hertzienne (dégradation en cas d'intempérie). D'autre part, l'éligibilité des sites est quasiment totale pour les liaisons louées alors que pour les faisceaux hertziens cette éligibilité est moindre en raison des contraintes environnementales croissantes et des difficultés que peuvent engendrer les installations hertziennes auprès des bailleurs, particulièrement dans les zones urbaines.
Il n'y pas de substituabilité du côté de l'offre. Un opérateur proposant des liaisons louées filaires n'est pas en mesure de proposer rapidement des faisceaux hertziens à ses clients. La technologie des faisceaux hertziens est en effet complètement différente et demande donc d'avoir un nouveau département d'ingénierie. Les opérateurs alternatifs ne proposent aujourd'hui pas de tels services.
II-3.1.4. Absence des services de niveau 3 sur le segment terminal
Sur le marché de gros du segment terminal, les opérateurs n'achètent pas de services de transmission de données. Il n'y a donc pas de question de substituabilité avec les services de capacités à examiner à l'horizon de la présente analyse.
II-3.2. Délimitation géographique
L'analyse est menée sur le marché national des services de capacités du segment terminal définis sur le territoire de la métropole, des DOM et de Mayotte.
S'agissant du segment de marché des services de capacités de moins de 10 Mbit/s, le développement du dégroupage total pour la clientèle professionnelle est encore insuffisant pour distinguer des zones du territoire avec des conditions de concurrence sensiblement différentes du reste du territoire. Même sur les zones de déploiement, on retrouve les obstacles recensés au niveau du marché de détail, et les conclusions précitées du Conseil de la concurrence dans son avis sur l'analyse des marchés du haut débit semblent à nouveau transposable au cas d'espèce.
S'agissant du segment de marché des services de capacités de plus de 10 Mbit/s, quatre opérateurs alternatifs ont déployé des boucles métropolitaines optiques principalement dans les zones de Paris-La Défense - Boulogne et Issy-les-Moulineaux et les centres-villes de Lyon, Lille et Marseille, qui sont les territoires concentrant le plus de sites à forts besoins en débits et de conditions d'offre plus favorables au déploiement.
Il est à noter que certains opérateurs, actifs sur le marché de détail, n'offrent pas de capacités de raccordement sur le marché de gros du segment terminal à leurs concurrents et ne font que des raccordements pour leurs besoins propres ; ainsi, sur les quatre opérateurs entrants présents, deux ne vendent pas à leurs concurrents.
L'enquête quantitative conduite par l'Autorité pour estimer les « parts de marché » dans les différentes zones géographiques a donné les estimations suivantes pour la part de France Télécom sur les parcs de services de plus de 10 Mbit/s en 2002, révélant des conditions relativement homogènes géographiquement sur le marché ainsi que l'absence de concurrence sur une grande partie du territoire.
Parts de marché de France Télécom en parcs
sur le segment des services de capacités de plus de 10 Mbit/s locaux (2002)
France Télécom, dans sa réponse à la première consultation publique, s'étonne de l'ancienneté de ces valeurs et de leur difficile interprétation. Il est à noter que c'est France Télécom qui était à l'origine de la demande de calcul de parts de marché par agglomération et que, pourtant, malgré de très nombreuses relances, il n'a pas été en mesure de fournir des informations plus récentes que 2002.
II-3.3. Conclusion sur le marché de gros du segment terminal
Eu égard à l'ensemble de ces éléments, l'Autorité considère que le marché du segment terminal inclut les interfaces classiques et les interfaces alternatives. Il couvre l'ensemble du territoire d'analyse. Il exclut les services support et les services de transmission de données ainsi que les offres d'accès large bande livrées au niveau régional.
II-4. MARCHÉS DE GROS DU CIRCUIT INTERURBAIN
II-4.1. Délimitation des marchés intra-territoires et inter-territoires
L'Autorité considère qu'il convient de distinguer les prestations inter-territoires des prestations intra-territoires.
Le territoire français sur lequel s'applique le code des postes et des communications électroniques est constitué de 7 territoires géographiquement distincts : la métropole, les départements d'outre-mer, Mayotte et Saint-Pierre-et-Miquelon.
Une prestation de circuit interurbain peut être fournie entre deux équipements de réseau d'un même territoire ou entre des équipements de réseau situés sur deux de ces territoires. Pour être en mesure d'offrir des prestations de circuit interurbain inter-territoires, un opérateur doit disposer de capacité sur des infrastructures reliant les différents territoires, tels des câbles sous-marins. Au contraire, pour être en mesure d'offrir de telles prestations au sein d'un même territoire, un opérateur n'a pas besoin de contrôler de telles infrastructures.
Les relations intra-territoires sont caractérisées par des conditions de concurrence homogènes avec une certaine concurrence sur les routes principales de ces territoires suite au déploiement d'opérateurs entrants en mesure de concurrencer France Télécom (par exemple, en métropole, dans une trentaine d'agglomérations).
En revanche, pour les relations inter-territoires, la formation des prix, les parts de marché et le niveau des marges reposent sur une économie de l'offre (conditions commerciales des câbles sous-marins, intérêts des opérateurs membres du consortium, contrôle de goulots d'étranglement sur le parcours) et de la demande (taille des territoires à relier) différente de celle des marchés intra-territoriaux.
Du fait de conditions concurrentielles spécifiques à ces infrastructures, l'Autorité estime que les prestations de circuit interurbain intra et inter territoires ne sont pas substituables entre elles du côté de l'offre. Ces prestations sont donc incluses dans des marchés de produits distincts.
II-4.2. Délimitation du marché en terme de produits et services
II-4.2.1. Frontière segment terminal - segment interurbain
La frontière du marché de gros du circuit interurbain par rapport au marché de gros du segment terminal est définie par rapport à l'architecture de référence de France Télécom pour la constitution de services de capacités de détail.
Pour le réseau de France Télécom, les noeuds de réseau définissant cette frontière sont l'ensemble des brasseurs (ATM et liaisons louées) soit environ un demi-millier de noeuds sur le territoire métropolitain et quelques noeuds outre-mer utilisés actuellement pour constituer des services de capacités pour compte propre ou dans le cadre de l'interconnexion avec les opérateurs entrants (les brasseurs de liaisons louées et les brasseurs ATM). Ce périmètre est susceptible d'évoluer en fonction des évolutions technologiques.
Pour les opérateurs entrants fixes vendant des services de capacités concurrentes de France Télécom, les noeuds de réseau principaux intervenant dans le circuit interurbain sont leurs points de présence à l'intérieur des agglomérations. Il convient d'ajouter à ces points les noeuds d'échange de trafic où plusieurs opérateurs s'interconnectent facilement par simple aboutement de leurs équipements. Ces noeuds supplémentaires à inclure dans le circuit interurbain sont les carrier hotels et les noeuds d'échange de trafic Internet qui jouent le rôle de « POPs mutualisés ».
II-4.2.2. Les prestations de circuit urbain intra-territoires
Compte tenu des analyses conduites précédemment pour les marchés de gros du segment terminal et le marché de détail, on aboutit à la délimitation suivante du circuit interurbain en termes de services : sont inclus dans le marché tous les services de capacités de transmission (de niveau 1 ou 2), quel que soit leur débit et leurs interfaces entre les brasseurs du réseau de France Télécom (brasseurs ATM et liaisons louées) permettant de constituer des liaisons louées, notamment de détail, en complément des produits du segment terminal. Figurent également dans le marché les services de capacités commercialisés entre points de présence des opérateurs, y compris sur les boucles optiques qu'ils ont déployé à l'intérieur des agglomérations pour raccorder les noeuds du réseau de France Télécom et des autres opérateurs dans le cadre de l'interconnexion.
De même que l'analyse précédemment menée, les services de gros de niveau 3 (et au-dessus) commercialisés sur les mêmes éléments de réseau physique que les services de niveau 1 ou 2 comme les services commutés (voix ou accès à Internet commutés) ou de transit IP ne font pas partie du marché du circuit interurbain.
Enfin, les infrastructures passives support (fibre optique, fourreaux) ne peuvent pas être inclues dans le marché du circuit interurbain pour les mêmes raisons que celles développées pour le segment terminal.
II-4.2.3. Les prestations de circuit urbain inter-territoires
Les prestations de circuit interurbain inter-territorial comprennent, comme celles de circuit interurbain intra-territoires, l'ensemble des capacités de transmission (niveaux 1 et 2) entre un brasseur dans un territoire et un brasseur dans un autre territoire séparé. Aboutés à des produits du segment terminal, ils constituent également des services de capacités de détail. Comme exposé ci-avant, les prestations de circuit interurbain inter-territoires ne sont pas substituables avec les prestations au sein d'un même territoire. Le circuit interurbain inter-territorial exclut également les services de niveau 3 et des services support.
Figure 2 : Câbles sous-marins reliant l'outre-mer
France Télécom précise que le câble ECFS ne relie pas directement la Martinique et la Guadeloupe aux Etats-unis. Il faut transiter via le câble « Taino Caraïbes » à partir de Tortola, puis via un 3e câble sous-marin. En outre, SAT3/WASC/SAFE ne relie pas directement la métropole, il est nécessaire de prolonger le circuit via le câble SMW3 ou via le Portugal.
Compte tenu du tracé des câbles sous-marins existants et des informations transmises, l'Autorité estime que certaines prestations ne doivent pas faire l'objet de marchés spécifiques. En effet, au vu des informations dont elle dispose, il apparaît qu'une prestation de circuit interurbain entre un territoire 1, situé sur l'océan Indien (Réunion ou Mayotte) et un territoire 2, situé de l'autre côté de l'océan Atlantique (Guadeloupe, Martinique, Guyane ou Saint-Pierre-et-Miquelon), se découperait en fait (si elle existe) en une prestation de circuit interurbain entre le territoire 1 et la métropole et une prestation de circuit interurbain entre la métropole et le territoire 2.
De même, il n'existe pas de câble sous-marin desservant Saint-Pierre-et-Miquelon et Mayotte.
Les prestations pertinentes sur le marché de gros du circuit interurbain sont celles qui relient chaque département d'outre-mer à la métropole ainsi que celles qui relient les départements de la zone Antilles-Guyane entre eux.
II-4.3. Conclusion
Le marché du circuit interurbain est composé de deux sous-ensembles : les marchés intraterritoriaux et les marchés interterritoriaux, qui comprennent chacun l'ensemble des capacités de transmission (niveaux 1 et 2) entre noeuds de réseau principaux des opérateurs.
Sont définis les marchés interterritoriaux suivants :
Métropole-Martinique ;
Métropole-Guadeloupe ;
Métropole-Guyane ;
Métropole-Réunion ;
Martinique-Guyane ;
Martinique-Guadeloupe.
L'analyse de la puissance (cf. supra) proposera toutefois un regroupement de ces marchés selon les routes transatlantiques et vers l'océan Indien possédant des caractéristiques concurrentielles suffisamment homogènes pour en permettre une analyse conjointe.
II-4.4. Pertinence des marchés de gros
La recommandation de la Commission européenne concernant les marchés pertinents de produits et services dans le secteur des communications électroniques recense au titre des marchés pertinents les marchés de gros de segments terminaux d'un circuit loué (quelquefois appelés terminaison de ligne ou « local tails » ou encore « segments locaux »), marché 13, et les segments du circuit interurbain, marché 14.
Elle a ainsi estimé qu'il existait sur ces marchés des obstacles à une concurrence effective tels qu'une régulation ex ante pourrait être considérée comme nécessaire.
L'Autorité considère que l'analyse des marchés de gros qui est présentée par la commission dans sa recommandation est pertinente dans le contexte français. En particulier, il existe sur ces marchés de fortes barrières à l'entrée, notamment la présence d'une infrastructure d'accès aux sites difficile à dupliquer de manière économiquement raisonnable et des effets d'échelle importants qui sont susceptibles de conduire un opérateur disposant d'une forte part de marché à exercer une influence significative sur ce marché. Cette situation de concurrence est peu susceptible d'évolution du fait du maintien des barrières à l'entrée structurelle sur la durée de l'analyse des marchés.
Le développement de la concurrence sur l'ensemble de ces marchés de gros est donc progressif et nécessite à l'horizon de la présente analyse une régulation ex ante. En effet, pour l'ensemble de ces marchés, la régulation ex ante dispose d'outils adaptés. Elle est nécessaire pour qu'une concurrence pérenne puisse se développer sur un terme suffisamment long. Ces outils spécifiques à la régulation ex ante sont notamment les obligations de contrôle tarifaire ou encore la mise en place et le suivi d'obligations de séparation comptable. Le seul droit de la concurrence apparaît donc comme insuffisant pour remédier aux problèmes de concurrence existant sur ces marchés.
Enfin, l'Autorité note que la recommandation pour les marchés de gros ne se réfère pas explicitement à une catégorie de circuit loué et permet donc d'inclure les capacités avec interfaces alternatives dans le marché au même titre que les liaisons louées normalisées par l'ETSI.
Ce marché des services de capacités est caractérisé par des barrières à l'entrée fortes (coût économique de déploiement dans le réseau d'accès principalement et présence d'une infrastructure difficile à dupliquer) ; compte tenu de l'état connu de la technologie, ces barrières à l'entrée demeureront sur la période de l'analyse des marchés et constitueront un obstacle durable à l'établissement d'une concurrence effective sur le marché.
Pour ce qui est des marchés du circuit interurbain, l'Autorité a distingué les prestations relevant du circuit interurbain inter territoires de celles relevant du circuit interurbain intra territorial pour tenir compte de la spécificité du territoire français, constitué de 7 territoires géographiquement distincts.
Toutefois, l'ensemble de ces marchés correspond effectivement au marché 14 de la recommandation « marchés pertinents ».
Sur les marchés inter territoires, les barrières à l'entrée sont importantes. En effet, bâtir des offres compétitives sur ces marchés nécessite l'accès à des infrastructures difficiles à dupliquer, si ce n'est impossible à l'horizon de la présente analyse (câbles sous-marins notamment). Il n'est donc pas possible d'envisager une évolution vers une situation de concurrence effective sans intervention d'une régulation ex ante pour les raisons exposées ci-dessus.
En ce qui concerne les marchés intra territorial, l'Autorité estime qu'il existe toujours de nombreuses barrières à l'entrée en raison de la présence sur ce marché d'un opérateur historique disposant d'un réseau très capillaire qui le rend à ce jour encore incontournable.
Pour l'ensemble de ces marchés de gros qui correspondent aux marchés 13 et 14 de la recommandation de la Commission, le 3e critère de cette même recommandation sur l'efficacité du droit général de la concurrence et du droit sectoriel est rempli. En effet, elle est nécessaire afin notamment de mettre en place une gamme d'offre d'accès aux sites (séparation comptable, estimation des coûts, définition précise des conditions d'offre, notamment des paramètres techniques) ainsi que pour imposer un contrôle tarifaire adéquat permettant de contrôler les tarifs de l'opérateur puissant tout en incitant ses concurrents à investir dans leur propre réseau, à travers l'obligation de ne pas pratiquer des tarifs excessifs.
Eu égard à l'ensemble de ces éléments, l'Autorité considère que les marchés tels que définis ci-dessus doivent être déclarés pertinents au titre de la régulation sectorielle des communications électroniques.
II-5. COMMENTAIRES SUR L'ANALYSE DE L'AUTORITÉ
II-5.1. Avis du Conseil de la concurrence
Conformément à l'article L. 37-1 du CPCE, l'Autorité a sollicité l'avis du Conseil de la concurrence, notamment sur la liste des opérateurs réputés exercer une influence significative sur les marchés pertinents qu'elle a identifiés, le 28 mars 2006. Le Conseil de la concurrence a rendu un avis n° 2006-A-10 en date du 12 mai 2006.
Au sujet du marché de détail, le conseil souligne que la régulation des marchés de détail ne peut se justifier que dans des cas exceptionnels.
Toutefois, au cas d'espèce, il considère (§ 73) que « la position particulière que conserve l'opérateur historique ne permet pas d'exclure, à priori, la mise en oeuvre de pratiques d'éviction ou de préemption vis-à-vis de services émergents, notamment si les concurrents se trouvent dans l'impossibilité de proposer des offres équivalentes ». Si le conseil dispose de compétences pour agir en urgence au titre des mesures conservatoires, il constate toutefois que « la multiplicité d'offres au niveau des marchés de détail des services de liaisons louées et services de capacité, dont chacune peut être, au moment de sa mise en place, d'un poids relativement limité dans l'ensemble, peut faire obstacle à l'octroi de mesures conservatoires. Celui-ci nécessite en effet que puissent être démontrées une atteinte grave et immédiate au secteur ou à une entreprise, et l'existence d'un lien de causalité direct et certain entre cette atteinte et la pratique. Ces conditions peuvent se révéler difficiles à satisfaire dès lors qu'il s'agit de se prononcer sur la tarification des services très spécifiques mais présentant des risques de distorsion de concurrence dont les effets pourraient s'avérer non négligeables à moyen terme ».
Le conseil considère également que la régulation des seuls marché de gros ne pourra suffire à garantir les objectifs de régulation de l'article L. 32-1 du CPCE, en ce que la définition de ces offres pour assurer la réplicabilité est particulièrement complexe et leur mise en oeuvre non immédiate. Dans ces conditions, le conseil « partage l'avis de l'ARCEP, selon lequel il serait illusoire d'imaginer délimiter des offres de gros permettant de répliquer de manière exhaustive les offres de détail de l'opérateur historique qui sont le plus souvent des offres "sur mesure ».
En conclusion, le conseil « approuve donc la proposition de l'ARCEP de maintenir les marchés de détail sur la liste des marchés régulables ».
Au sujet des marchés de gros, le conseil formule trois observations. Il approuve tout d'abord la délimitation des marchés entre marché du segment terminal et marché du circuit interurbain.
Il met ensuite en avant la pression concurrentielle que peuvent exercer les offres d'accès large bande (marché n° 12 du « bitstream ») sur les marchés de gros n° 13 du segment terminal et dans une moindre mesure n° 14 du circuit interurbain. Néanmoins, il indique que « plus que sur un besoin de remise en cause des précédentes délimitations de marché avant même que l'ensemble des marchés ait été analysé une première fois, le problème soulevé attire l'attention sur le besoin de cohérence des décisions prises en matière de régulation, qui sont l'enjeu final de l'exercice d'analyse des marchés prévu par le CPCE ».
L'ARCEP entend donc maintenir la délimitation des marchés de gros telle que proposée au conseil, dans la mesure où elle a démontré sa justification et est en outre conforme aux marchés définis par la Commission européenne dans sa recommandation sur les marchés pertinents. Toutefois, elle est effectivement consciente de la frontière ténue entre les marchés de gros objet de la présente analyse et ceux du haut débit analysés en 2005. Elle s'efforce donc comme l'y invite le conseil d'adopter une régulation cohérente entre ces différents marchés.
Par ailleurs, en ce qui concerne la définition du marché du segment terminal en deux sous-marchés selon un seuil en Mbit/s, le conseil souligne que « dans la pratique décisionnelle du conseil, la fonction aux yeux des demandeurs et l'utilisation effective d'un produit constituent les principaux critères à prendre en compte pour apprécier la substituabilité entre plusieurs produits ou services. Des produits, différenciés mais ayant la même fonction ou destinés à la mêmes utilisation, peuvent ainsi être considérés comme substituables du point de vue de la demande. La substituabilité du côté de l'offre n'est examinée que dans un second temps, si elle est nécessaire. [...] De plus, comme le conseil l'a souligné à plusieurs reprises ci dessus, le caractère prospectif de l'analyse des marchés telle que définie par le CPCE et les évolutions technologiques rapides constatées dans le secteur des communications électroniques risquent de rendre rapidement obsolète une délimitation des marchés fondée sur une segmentation trop détaillée et de créer inutilement des effets de seuil aux frontières de ces marchés. Le conseil recommande donc à l'ARCEP de ne pas distinguer les services du segment terminal de plus de 10 Mbit/s par rapport à ceux de moins de 10 Mbits/s ».
L'Autorité a pris en compte cette observation et a modifié en conséquence sa délimitation du marché du segment terminal.
Enfin, d'un point de vue géographique, il indique que « la segmentation entre métropole et outre-mer proposée correspond à celle déjà effectuée par l'ARCEP pour plusieurs marchés précédemment examinés et n'appelle pas de remarques particulières ». En outre, il indique que, concernant la délimitation au sein d'un même territoire, un découpage à priori des zones ne serait pas pertinent en ce qu'il pourrait artificiellement figer le marché et restreindre sa dynamique. Il approuve donc la délimitation géographique proposée par l'Autorité.
II-5.2. Observations de la Commission européenne
Dans ses observations susvisées en date du 24 juillet 2006, la Commission ne formule pas d'observation en ce qui concerne les marchés de gros.
Elle indique qu'en ce qui concerne le marché de détail elle « prend acte que, du côté de la demande, l'existence d'une chaîne de substitution ininterrompue jusqu'à 10 Mbit/s peut être avérée sur le marché français ». En revanche, du côté de l'offre, la substituabilité est limitée « par des charges d'investissements et des délais de migration, bien que cette contrainte soit relativisée par le fait que la fibre optique peut être employée pour fournir des lignes louées avec des débits inférieurs à 10 Mbits/s en raison d'une substituabilité limitée du côté de l'offre, la définition du marché du marché par l'ARCEP pourrait être remise en question comme étant trop large ».
Toutefois, la Commission note que l'ARCEP a démontré que « (i) les ruptures de substitution du côté de la demande et du côté de l'offre décrites ci-dessus pourraient s'atténuer au fur et à mesure que la technologie se développe et (ii) la définition de marchés séparés (en particulier les lignes louées avec interfaces traditionnelles jusqu'à 2Mbit/s et les lignes louées avec interfaces traditionnelles supérieurs à 2Mbit/s) n'aurait pas conduit à des résultats différents s'agissant de l'analyse de PSM ou de la satisfaction du test des trois critères ».
Dans ces conditions, la Commission valide la définition de l'ensemble des marchés proposés par l'ARCEP, y compris le marché de détail.
III. - INFLUENCE SIGNIFICATIVE EXERCÉE PAR FRANCE TÉLÉCOM
En application de l'article 16 de la directive « cadre », le régulateur détermine si les marchés pertinents sont concurrentiels et, le cas échéant, identifie les entreprises qui y sont puissantes.
L'analyse d'un marché pertinent vise à évaluer le niveau de développement de la concurrence et, le cas échéant, à identifier les opérateurs y disposant d'une influence significative, i.e. se trouvant dans une situation équivalente à une position dominante au sens du droit de la concurrence (III-1). L'analyse de l'Autorité porte d'abord sur la situation concurrentielle des marchés de détail (III-2), avant d'examiner celle des marchés de gros (III-3, III-4 et III-5).
III-1. INTRODUCTION SUR L'ANALYSE DE L'INFLUENCE SIGNIFICATIVE
SUR LES MARCHÉS PERTINENTS
Aux termes de l'article L. 37-1 du CPCE : « Est réputé exercer une influence significative sur un marché du secteur des communications électroniques tout opérateur qui, pris individuellement ou conjointement avec d'autres, se trouve dans une position équivalente à une position dominante lui permettant de se comporter de manière indépendante vis-à-vis de ses concurrents, de ses clients et des consommateurs. »
L'analyse des marchés pertinents permet d'identifier les situations d'influence significative. L'observation des parts de marché des acteurs est une étape première et essentielle. La commission propose trois chiffres-clés dans le déroulement de cet exercice :
- au-delà de 40 % de part de marché, il est peu probable qu'une entreprise ne soit pas en situation de puissance significative ;
- une présence supérieure à 50 % du marché « suffit, sauf circonstances exceptionnelles, à établir l'existence d'une position dominante » (29) ;
- une entreprise ayant au contraire moins de 25 % de part de marché est peu susceptible de se révéler puissante, même si cela n'est pas totalement exclu.
L'analyse des parts de marché, bien que prospective, ne suffit toutefois pas à démontrer l'éventuelle influence significative des acteurs présents sur un marché. Pour une analyse complète du développement de la concurrence sur les marchés pertinents, les lignes directrices précitées recommandent en effet de « procéder à une analyse approfondie et exhaustive des caractéristiques économiques du marché pertinent avant de conclure à l'existence d'une puissance sur le marché ». A cet égard, la Commission recommande d'utiliser notamment les critères suivants :
- le contrôle d'une infrastructure qu'il n'est pas facile de dupliquer ;
- les avancées ou la supériorité technologiques ;
- l'absence ou la faible présence de contre-pouvoir des acheteurs ;
- l'accès facile ou privilégié aux marchés des capitaux et aux ressources financières ;
- la diversification des produits et/ou des services ;
- la présence d'économies d'échelle et de gamme ;
- l'intégration verticale ;
- l'existence d'un réseau de distribution et de vente très développé ;
- l'absence de concurrence potentielle ;
- des entraves à l'expansion.
On peut prévoir, le cas échéant, d'observer par ailleurs l'évolution des tarifs de détail ainsi que l'existence d'un effet de levier vertical (situation où un opérateur puissant sur un marché donné peut renforcer son influence sur un autre marché qui lui est étroitement lié).