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Article (Décision n° 2006-0593 du 27 juillet 2006 portant sur la définition des marchés pertinents de gros de la terminaison d'appel SMS sur les réseaux mobiles en métropole, la désignation d'opérateur disposant d'influence significative sur ces marchés et les obligations imposées à ce titre)

Article (Décision n° 2006-0593 du 27 juillet 2006 portant sur la définition des marchés pertinents de gros de la terminaison d'appel SMS sur les réseaux mobiles en métropole, la désignation d'opérateur disposant d'influence significative sur ces marchés et les obligations imposées à ce titre)


4.1. Introduction


Si l'analyse du niveau de développement de la concurrence conclut qu'un marché n'est pas effectivement concurrentiel, l'Autorité impose aux entreprises identifiées comme puissantes les obligations spécifiques appropriées, conformément à l'article L. 38 du CPCE. L'imposition de ces obligations doit être établie en tenant compte de la nature des obstacles au développement d'une concurrence effective et proportionnée à la réalisation des objectifs mentionnés à l'article L. 32-1 du CPCE.
Les objectifs de la régulation mentionnés au II de l'article L. 32-1 du même code sont de veiller :
« 1° A la fourniture et au financement de l'ensemble des composantes du service public des communications électroniques ;
2° A l'exercice au bénéfice des utilisateurs d'une concurrence effective et loyale entre les exploitants de réseau et les fournisseurs de services de communications électroniques ;
3° Au développement de l'emploi, de l'investissement efficace dans les infrastructures, de l'innovation et de la compétitivité dans le secteur des communications électroniques ;
4° A la définition de conditions d'accès aux réseaux ouverts au public et d'interconnexion de ces réseaux qui garantissent la possibilité pour tous les utilisateurs de communiquer librement et l'égalité des conditions de la concurrence ;
5° Au respect par les opérateurs de communications électroniques du secret des correspondances et du principe de neutralité au regard du contenu des messages transmis, ainsi que de la protection des données à caractère personnel ;
6° Au respect, par les exploitants de réseau et les fournisseurs de services de communications électroniques de l'ordre public et des obligations de défense et de sécurité publique ;
7° A la prise en compte de l'intérêt des territoires et des utilisateurs, notamment handicapés, dans l'accès aux services et aux équipements ;
8° Au développement de l'utilisation partagée entre opérateurs des installations mentionnées aux articles L. 47 et L. 48 ;
9° A l'absence de discrimination, dans des circonstances analogues, dans le traitement des opérateurs ;
10° A la mise en place et au développement de réseaux et de services et à l'interopérabilité des services au niveau européen ;
11° A l'utilisation et à la gestion efficaces des fréquences radioélectriques et des ressources de numérotation ;
12° A un niveau élevé de protection des consommateurs, grâce notamment à la fourniture d'informations claires, notamment par la transparence des tarifs et des conditions d'utilisation des services de communications électroniques accessibles au public ;
13° Au respect de la plus grande neutralité possible, d'un point de vue technologique, des mesures qu'ils prennent ;
14° A l'intégrité et la sécurité des réseaux de communications électroniques ouverts au public. »
En vertu de l'article L. 38 du code des postes et des communications électroniques (CPCE) :
« I. - Les opérateurs réputés exercer une influence significative sur un marché du secteur des communications électroniques peuvent se voir imposer, en matière d'interconnexion et d'accès, une ou plusieurs des obligations suivantes, proportionnées à la réalisation des objectifs mentionnés à l'article L. 32-1 :
1° Rendre publiques des informations concernant l'interconnexion ou l'accès, notamment publier une offre technique et tarifaire détaillée d'interconnexion ou d'accès lorsqu'ils sont soumis à des obligations de non-discrimination ; l'Autorité de régulation des télécommunications peut imposer, à tout moment, des modifications à une telle offre pour la mettre en conformité avec les dispositions du présent code. L'opérateur communique à cette fin à l'Autorité de régulation des télécommunications toute information nécessaire ;
2° Fournir des prestations d'interconnexion ou d'accès dans des conditions non discriminatoires ;
3° Faire droit aux demandes raisonnables d'accès à des éléments de réseau ou à des moyens qui y sont associés ;
4° Ne pas pratiquer de tarifs excessifs ou d'éviction sur le marché en cause et pratiquer des tarifs reflétant les coûts correspondants ;
5° Isoler sur le plan comptable certaines activités en matière d'interconnexion ou d'accès, ou tenir une comptabilité des services et des activités qui permette de vérifier le respect des obligations imposées au titre du présent article ; le respect de ces prescriptions est vérifié, aux frais de l'opérateur, par un organisme indépendant désigné par l'Autorité ;
6° Le cas échéant, dans des circonstances exceptionnelles, respecter toutes autres obligations définies, après accord de la Commission européenne, en vue de lever ou d'atténuer les obstacles au développement d'une concurrence effective identifiés lors de l'analyse du marché prévue à l'article L. 37-1.
(...)
V. - Dans son appréciation du caractère proportionné des obligations d'accès qu'elle est susceptible d'imposer en application du 3° du I, l'Autorité prend notamment en considération les éléments suivants :
a) La viabilité technique et économique de l'utilisation ou de la mise en place de ressources concurrentes, compte tenu du rythme auquel le marché évolue et de la nature et du type d'interconnexion et d'accès concernés ;
b) Le degré de faisabilité de la fourniture d'accès proposée, compte tenu de la capacité disponible ;
c) L'investissement initial réalisé par le propriétaire des ressources, sans négliger les risques inhérents à l'investissement ;
d) La nécessité de préserver la concurrence à long terme ;
e) Le cas échéant, les éventuels droits de propriété intellectuelle pertinents ;
f) La fourniture de services paneuropéens. »
S'agissant de l'accès, l'Autorité peut imposer à un opérateur réputé exercer une influence significative de faire droit aux demandes raisonnables notamment lorsqu'elle considère qu'un refus ou des propositions déraisonnables empêcheraient l'émergence d'un marché de détail concurrentiel durable ou risqueraient d'être préjudiciables aux utilisateurs finaux.
Dans ce cadre, l'Autorité peut préciser les contours de l'obligation de faire droit aux demandes raisonnables d'accès en imposant certains des mécanismes spécifiques qui figurent notamment à l'article D. 310 du code des postes et des communications électroniques.


4.1.1. Identification des problèmes concurrentiels
et pertinence des marchés


Conformément à l'article L. 37-1 du CPCE, il appartient à l'Autorité de déterminer les marchés pertinents « au regard notamment des obstacles au développement d'une concurrence effective ». Les obligations prévues à l'article L. 38 sont par ailleurs « établies, maintenues ou supprimées, compte tenu de l'analyse du marché prévue à l'article L. 37-1 ».


4.1.1.1. Problèmes concurrentiels sur le marché de gros
4.1.1.1.1. Vis-à-vis des opérateurs mobiles en fonction de la taille de leur parc de clients


La TA SMS d'un opérateur mobile A constitue un coût variable pour l'opérateur mobile B souhaitant acheminer un SMS off net à destination d'une ligne de l'opérateur A. A contrario, lorsque l'opérateur B achemine un SMS on net, il supporte uniquement des coûts propres, notamment ses coûts de réseau pour la prestation de terminaison du SMS. Lorsque la TA SMS est significativement plus élevée que les coûts correspondants, les opérateurs mobiles supportent donc des coûts variables significativement différents entre un SMS on net et un SMS off net. Or, au vu des éléments en sa possession (cf. annexe C), l'Autorité constate que la TA SMS (5,336 c, puis 4,3 c par SMS depuis novembre 2005) actuellement pratiquée par les trois opérateurs de métropole est nettement plus élevée que les coûts correspondants, tenant compte des coûts de réseau liés à l'usage des SMS ainsi qu'une juste contribution aux coûts communs, estimés en annexe C de la présente décision.


Conséquence sur les coûts supportés par les opérateurs mobiles
pour la fourniture du service SMS au détail


Statistiquement, les SMS envoyés par un utilisateur se répartissent suivant les réseaux mobiles de destination en fonction des parts de marché en parc de chaque réseau (c'est-à-dire que la probabilité qu'un correspondant soit client d'un opérateur A est égale à la part de marché de A en parc). En particulier, si x désigne la part de marché de l'opérateur B, la proportion des SMS sortants on net sera, théoriquement, de x, et de (1 - x) pour les SMS sortants off net (62). Si c désigne le coût d'une terminaison SMS (on net), t le niveau de TA SMS des autres opérateurs, le coût moyen de terminaison supporté par B pour un SMS sortant s'établit alors à : x * c + (1 - x) * t = c + (1 - x) * (t - c). Ce coût s'avère alors d'autant plus élevé que la part de marché de l'opérateur est faible et que le niveau de la TA SMS est élevé par rapport aux coûts.
En considérant pour fixer les idées c = 3 c pour tous les opérateurs de métropole, et avec t = 5,336 c ainsi que des parts de marché SMS de 47,1 % pour Orange France, 35,7 % pour SFR et 17,2 % pour Bouygues Telecom (63), le coût moyen de terminaison d'un SMS s'établit à 4,2 cEUR pour Orange France, 4,5 cEUR pour SFR et 4,9 cEUR pour Bouygues Telecom. En particulier, le coût moyen de terminaison de Bouygues Telecom apparaît plus de 15 % plus élevé que celui d'Orange France.
Le niveau élevé de la TA SMS accroît donc mécaniquement les coûts des opérateurs dont le parc est plus modeste, sans que cela résulte de leur moindre efficacité.
Il pourrait néanmoins être objecté que, dans l'hypothèse où les clients des différents opérateurs mobiles ont une consommation moyenne identique de SMS sortants, les trafics entrants et sortants des différents opérateurs s'équilibrent : si N est le nombre de SMS mobile vers mobile envoyés sur un mois, x la part de marché de l'opérateur A et y la part de marché de l'opérateur B, alors le trafic A vers B est égal, en théorie, à N * x * y et le trafic B vers A à N * y * x. D'après les éléments dont dispose l'Autorité, cette identité est d'ailleurs respectée à plus ou moins 5 % dans la réalité (au moins jusqu'en 2003). Dans la mesure où la TA SMS est identique pour les trois opérateurs, il en résulte que les flux de facturation entrant et sortant se compensent globalement. Au final, le niveau de la TA SMS semble neutre sur l'économie globale des SMS (entrants et sortants) de chaque opérateur.
Cet argument se heurte néanmoins au fait qu'un opérateur, à supposer qu'il appréhende effectivement son activité SMS de manière globale, c'est-à-dire à la fois sur le trafic entrant et le trafic sortant, n'adoptera pas une telle approche sur l'ensemble de l'activité SMS, mais bien davantage offre de détail par offre de détail.
En effet, une des particularités liée aux SMS réside dans la distribution très inégale des clients en fonction de leur consommation de SMS effective. Ainsi, d'après les opérateurs mobiles, environ 40 % des clients mobiles n'envoient jamais de SMS (mais ils en reçoivent), tandis que 5 % des clients génèrent environ 50 % du trafic et 66 % des revenus (y compris SMS + et Vote +). Cette dernière catégorie de clients fortement consommatrice de SMS (en sus des services vocaux) constitue une cible très prisée par les opérateurs, mais elle est source de déséquilibres potentiels importants surtout pour le plus petit opérateur, qui, d'une part, ne dispose pas d'une part de marché SMS suffisante pour faire jouer les « effets club » (lui permettant pour une partie importante du trafic sortant de supporter ses coûts propres plutôt que les charges d'interconnexion fixées par les autres opérateurs) et, d'autre part, ne peut pas adresser les très gros consommateurs de SMS sans risquer de mettre en péril ses équilibres financiers, notamment compte tenu des charges d'interconnexion que l'opérateur doit payer au titre du trafic de SMS sortants émis par ces consommateurs à destination des autres réseaux mobiles.
En effet, si les trafics entrant et sortant restent, d'un point de vue macroéconomique, globalement équilibrés, il n'en demeure pas moins que, d'un point de vue microéconomique, il existe des déséquilibres importants selon la catégorie de consommateurs considérée. Ainsi, un client n'envoyant jamais de SMS peut recevoir de l'ordre d'une dizaine de SMS par mois, ce qui se traduit pour l'opérateur mobile hôte par un solde d'interconnexion positif. Réciproquement, un très gros consommateur envoyant plus d'une centaine de SMS par mois enverra, selon les ratios communiqués par [SDA] et [SDA] dans le cadre de la présente procédure, 15 à 35 % fois plus de SMS qu'il n'en recevra, ce qui se traduit pour l'opérateur hôte par un solde d'interconnexion négatif.
En observant les offres existantes, on peut effectivement constater que les tarifs de détail SMS sont généralement plus avantageux pour les clients qui les consomment en quantité importante (cf. annexe B). Le trafic sortant moyen d'un client, et donc son trafic sortant off net est ainsi très différent d'une offre à l'autre. A contrario, le trafic entrant moyen d'un client est une donnée plus homogène sur l'ensemble de la clientèle, même si un client envoyant de nombreux SMS aura également tendance à en recevoir beaucoup. Il en résulte que, lorsque la TA SMS est élevée par rapport aux coûts, le coût net de terminaison (incluant les coûts et revenus liés à la terminaison) est d'autant plus grand que la consommation des clients sur l'offre est importante. Ce différentiel est par ailleurs d'autant plus important que la part de marché de l'opérateur est faible.

Ceci n'incite pas les opérateurs à développer le marché puisque les clients qui consomment peu apparaissent artificiellement plus rentables. Autrement dit, en adoptant une stratégie agressive à destination des clients ayant une forte consommation, un opérateur s'exposerait au risque de voir se détériorer son solde de trafic SMS entrant/sortant. Ceci pénalise doublement le plus petit opérateur qui, non seulement supporte le différentiel de coût le plus important, mais encore tend généralement à se positionner sur les clients ayant une forte consommation en tant que dernier entrant.
Aussi la TA SMS apparaît-elle bien comme un coût du trafic sortant, particulièrement pour les offres présentant un tarif de détail plus avantageux. A l'extrême, en proposant un tarif off net inférieur à la TA SMS, un opérateur mobile s'exposerait d'ailleurs au risque de voir certains acteurs développer des solutions de type « hérisson », c'est-à-dire des solutions techniques de contournement de la TA SMS par le biais de prestations SMS de bout en bout. Enfin, l'existence de pratiques de différenciation tarifaire on net/off net (cf. ci-dessous) peut rendre compte de l'existence de différences de coûts entre l'acheminement d'un SMS on net et d'un SMS off net.