IV-1.4.3. Les principes de Ramsey Boiteux appliqués
à la terminaison d'appel sur réseaux mobiles
Au-delà des limites propres à cette allocation, son application au présent marché n'apparaît pas appropriée.
Au regard des réponses des opérateurs, deux questions se posent :
En l'absence de régulation du marché de la terminaison, les opérateurs mobiles sont-ils amenés à fixer leurs prix des appels entrants et sortants selon les principes de Ramsey Boiteux, qui permettraient d'optimiser le bien-être collectif ?
Bouygues Telecom indique que tel est le cas du fait que les opérateurs mobiles se mènent une concurrence globale sur un marché sur lequel ils offrent à leur client, à la fois des communications sortantes et entrantes. Du fait d'une moindre élasticité de leurs clients mobiles aux appels entrants, ils seraient amenés à allouer plus de coûts sur les appels entrants et donc à atteindre un optimum en suivant les principes de Ramsey Boiteux.
L'ART conteste ce raisonnement. En effet, dès lors que la tarification de Ramsey Boiteux au sens strict vise à maximiser le bien-être collectif sous contrainte budgétaire, le fait que cette contrainte soit absente en l'espèce ne peut conduire qu'à un résultat différent du point de vue du bien-être. Par exemple, s'il n'existait qu'un opérateur mobile en monopole, celui-ci pratiquerait, à la fois pour les appels entrants et les appels sortants, des prix de monopole. Ces prix, tenant compte des (éventuelles) différences d'élasticités entre appels entrants et sortants, présenteraient alors des mark-up respectant le schéma de tarification Ramsey Boiteux. Pourtant, cette situation serait extrêmement négative pour le bien-être collectif et surtout pour le consommateur.
Or, en l'absence de régulation, chaque opérateur mobile aurait bien tendance, en premier lieu, à pratiquer un prix de monopole sur sa terminaison d'appel. En second lieu, rien ne permet de conclure à l'existence d'un mécanisme par le biais duquel la rente de terminaison serait, en l'absence de régulation, reversée aux abonnés mobiles par le biais de prix bas sur le trafic sortant. En effet, si, en théorie, la présence de surprofits dans un secteur induit l'entrée de nouveaux acteurs, un tel mécanisme de marché ne peut être considéré comme étant à l'oeuvre dans le secteur de la téléphonie mobile eu égard à l'importance des barrières à l'entrée (notamment du fait de la rareté des ressources en fréquences).
Aussi, quand bien même la tarification qui serait adoptée par les opérateurs mobiles en l'absence de régulation rendrait compte de différences d'élasticités, cela ne signifierait aucunement que l'équilibre atteint optimiserait l'optimum collectif.
Dans le cas d'un contrôle tarifaire, une allocation selon les principes de Ramsey Boiteux répond-elle aux objectifs poursuivis par l'ART ?
La concurrence dans le secteur des communications électroniques rend nécessaire l'interconnexion entre opérateurs et il convient alors de mettre en place des systèmes de rémunération de l'usage des réseaux tiers qui ne fausse pas le jeu d'une concurrence loyale entre opérateurs.
Plusieurs systèmes peuvent être envisagés : les coûts de terminaison d'appel peuvent en fait être facturés à l'appelé (« receiving party pays ») ou à l'appelant (« calling party pays »).
Le second système, retenu en France comme dans le reste de l'Europe, présente certains avantages mais crée une distorsion liée au fait que l'opérateur qui fixe le prix de terminaison ne le facture pas à son propre client mais à celui d'un autre opérateur. Une telle distorsion crée un risque important de concurrence déloyale.
Le fait de retenir les principes de Ramsey Boiteux, au lieu d'un système EPMU, tout en gardant un système de « calling party pays », nécessiterait en fait d'adopter un système complexe (9). Il nécessiterait en particulier de disposer d'un ensemble complet d'informations permettant de connaître le comportement et les élasticités des clients des opérateurs fixes et mobiles, de procéder à des évaluations robustes des élasticités. Cela se traduirait in fine par un système dynamique complexe qui ne garantit pas, selon l'ART, des conditions de concurrence loyale au vu de l'incertitude pesant sur la mesure dynamique d'élasticité.
Cela pourrait enfin nécessiter de réguler l'ensemble des prix des opérateurs mobiles, de détail et de gros car il conviendrait alors que l'ART s'assure qu'une allocation supérieure des coûts communs aux appels entrants se traduirait bien par une diminution du prix des appels sortants et non par une augmentation de la marge de l'opérateur. Ceci conduirait à une régulation trop intrusive au regard des objectifs définis dans le nouveau cadre réglementaire.
En outre, une régulation globale du secteur pourrait, a priori, conduire à établir, pour chaque prestation (par exemple, un appel fixe vers mobile), un prix fonction des utilités dégagées par chacun des agents concernés (l'appelant fixe et l'appelé mobile) et non plus fonction de la seule utilité de l'agent payant le service (l'appelant fixe). Or, rien n'indique que l'utilité dégagée sur un appel entrant serait nécessairement plus élevée que celle dégagée sur un appel sortant, notamment sur un appel mobile vers mobile. Au bilan, l'allocation des coûts communs entre trafics entrant et sortant ne serait pas nécessairement discriminatoire.
En conclusion, l'Autorité ne peut retenir une allocation des coûts communs selon les principes de Ramsey Boiteux, telle que préconisée par les opérateurs, dans le cas de la terminaison d'appel sur les réseaux mobiles.