I. - PUISSANCE DE MARCHÉ DE SFR
L'analyse de l'influence significative sur un marché se fonde sur des principes généraux (I-1), l'étude du comportement des acheteurs et des consommateurs (I-2), l'analyse du comportement tarifaire des opérateurs mobiles (I-3) et l'évolution prévisible du marché (I-4). L'analyse de l'Autorité prend en compte l'avis du Conseil de la concurrence (I-5) et les observations des autres autorités réglementaires nationales et de la Commission européenne (I-6). Il est conclu que SFR est réputé exercer une influence significative sur le marché considéré (I-7).
I-1. Principes de la détermination
d'une influence significative sur un marché
I-1.1. Principes généraux
Aux termes de l'article L. 37-1 du code des postes et des communications électroniques (CPCE), « est réputé exercer une influence significative sur un marché du secteur des communications électroniques tout opérateur qui, pris individuellement ou conjointement avec d'autres, se trouve dans une position équivalente à une position dominante lui permettant de se comporter de manière indépendante vis-à-vis de ses concurrents, de ses clients et des consommateurs ».
En application des principes issus de la jurisprudence, tels que rappelés dans les lignes directrices susvisées, la part de marché d'une entreprise constitue un critère essentiel, bien que non exclusif. En effet, la jurisprudence considère que la présence de parts de marchés élevées - supérieures à 50 % - permet, sauf circonstances exceptionnelles, d'établir l'existence d'une position dominante. Par ailleurs, l'évolution des parts de marchés respectives de l'entreprise et de ses concurrents, sur une période de temps appropriée, constitue un facteur complémentaire.
Les parts de marché peuvent être évaluées sur la base des volumes ou des chiffres d'affaires, l'indicateur le plus pertinent devant être défini en fonction des caractéristiques de chaque marché.
Le critère de la part de marché ne saurait toutefois suffire à établir l'existence d'une position dominante. En application de la jurisprudence et des lignes directrices de la Commission sur l'analyse du marché, d'autres indices de nature plus qualitative sont à prendre en compte dans l'analyse, tels que, notamment :
- la taille de l'entreprise ;
- le contrôle d'une infrastructure qu'il n'est pas facile de dupliquer ;
- l'avancée ou la supériorité technologique ;
- l'absence ou la faible présence de contre-pouvoir des acheteurs ;
- la diversification des produits ou des services ;
- l'intégration verticale de l'entreprise ;
- l'existence d'un réseau de distribution et de vente très développé ;
- l'absence de concurrence potentielle ;
- l'existence d'une concurrence par les prix ;
- d'autres critères tels que l'accès privilégié aux marchés des capitaux ou la présence d'économies de gamme ou d'échelle.
L'Autorité s'est efforcée de mettre en oeuvre, parmi ces critères, ceux apparaissant comme les plus appropriés à la désignation des opérateurs disposant d'une influence significative dans le cadre du marché concerné par la présente analyse.
I-1.2. Application des principes généraux aux marchés
de gros de la terminaison d'appel
Dans la décision « définition de marché » susvisée, il a été indiqué que le marché pertinent considéré était le marché des prestations de terminaison d'appel vocal sur chaque réseau individuel à destination des clients de l'opérateur mobile, quelle que soit l'origine de l'appel (fixe ou mobile, nationale ou internationale) et quelle que soit la technologie utilisée pour produire cette prestation (GSM ou UMTS). Les appels par le biais de hérissons utilisant une carte SIM de cet opérateur, à destination de cet opérateur, ont été inclus dans le marché. L'Autorité examine l'existence d'une éventuelle influence significative individuelle de chaque opérateur sur ce marché de la terminaison vocale ainsi défini.
Chaque opérateur dispose de 100 % de parts de marché sur le marché de la terminaison vocale sur son propre réseau. En effet, les opérateurs de départ ont à leur disposition uniquement deux types de prestations, toutes deux offertes directement par l'opérateur mobile de terminaison (offre d'interconnexion et hérissons).
Outre le fait que chaque opérateur dispose de 100 % de parts de marché, il est techniquement impossible pour un nouvel entrant de rentrer sur l'un de ces marchés (un opérateur ne peut pas proposer d'offre concurrente à celle de l'opérateur mobile pour terminer du trafic vocal sur le réseau de cet opérateur mobile). Ces deux éléments sont soulignés par les lignes directrices de la Commission européenne comme des indicateurs importants d'une présomption d'influence significative sur le marché.
Il n'en reste pas moins qu'une part de marché de 100 % et une absence de concurrence potentielle déjà évoquées précédemment ne sauraient être suffisantes pour qualifier le degré d'influence significative. Il est nécessaire, conformément aux lignes directrices, de procéder à une analyse approfondie des caractéristiques économiques du marché pertinent.
L'évaluation du pouvoir d'achat compensateur dont pourrait bénéficier l'opérateur acheteur ou le consommateur est un élément important qui permet de caractériser le degré d'influence significative de l'opérateur et de comprendre si ce dernier peut effectivement agir indépendamment de la demande et des concurrents. Cette capacité d'agir indépendamment des autres peut être confirmée par l'examen des prix pratiqués par le passé, et notamment, par la possibilité de s'écarter durablement de prix correspondant à une rentabilité raisonnable.
I-2. Comportement des acheteurs et des consommateurs
Outre la circonstance que SFR dispose d'une part de marché de 100 % sur un marché où la concurrence potentielle est a priori nulle, comme l'a montré l'analyse précédente, il est nécessaire d'analyser si cet opérateur peut agir indépendamment des acheteurs de terminaison d'appel.
Il convient d'examiner, en premier lieu, s'il peut exister un pouvoir d'achat compensateur de la part des clients sur le marché de gros. Les principaux clients de SFR en parts de marché sont France Télécom, Orange France et Bouygues Telecom. On note en effet qu'en 2002, 43 % du volume vendu de terminaison d'appel vocal en France a été acheté par des opérateurs fixes français et 52 % par des opérateurs mobiles français (source : ART/Enquête annuelle 2002). Or, à la même date, d'une part, France Télécom détenait plus de 70 % de parts de marché des appels fixe vers mobile en France (et le second opérateur, moins de 10 %) et, d'autre part, Orange France détenait 50 % du parc mobile et Bouygues Telecom, 15 %.
Dans le cadre de la décision « définition de marché », il a été montré que ces opérateurs n'ont pas de substitut lorsqu'ils doivent terminer l'appel vers un client mobile et sont tenus de fait sur le plan commercial d'acheminer toutes les communications vocales interpersonnelles.
Le contre-pouvoir s'évalue, d'une part, par la capacité et l'intérêt qu'ont les acheteurs de terminaison sur le marché de gros à s'opposer à une hausse de la charge de terminaison d'appel et, d'autre part, par l'influence du comportement des consommateurs.
S'agissant du trafic de détail fixe-mobile, France Télécom dispose de la plus grande part de marché (plus de 70 % en volume en 2003). Cette position prépondérante est confirmée par le fait que, par le passé, la non-utilisation à grande échelle des hérissons par France Télécom a vraisemblablement conduit à ce que les opérateurs mobiles n'aient pas diminué leur charges de terminaison d'appel malgré les pertes de chiffre d'affaires liées au développement des hérissons.
Malgré cette position prépondérante, France Télécom a un pouvoir de négociation limité car il est tenu réglementairement, de par sa qualité d'opérateur de service universel, d'acheminer les appels vers tous les réseaux téléphoniques et de plus, d'un point de vue commercial, les abonnés des opérateurs mobiles concernés représentent un parc tellement important que l'opérateur fixe ne peut pas se permettre de ne pas offrir à ses clients fixes la possibilité d'appeler les abonnés des réseaux mobiles.
S'agissant du trafic mobile vers mobile tiers, les opérateurs mobiles de départ sont aussi tenus de fait d'acheminer les appels, ce qui les place dans une position d'acheteur forcé.
L'analyse des évolutions des tarifs métropolitains ne permet pas de démontrer l'existence ou l'absence d'un pouvoir d'achat compensateur des opérateurs mobiles puisque jusqu'à aujourd'hui les opérateurs mobiles sont en bill & keep. Néanmoins, on observe que dans les autres pays européens, où les opérateurs mobiles se facturent entre eux la terminaison d'appel, aucun pouvoir d'achat compensateur d'un opérateur mobile n'a été mis en évidence.
Le pouvoir d'achat compensateur des acheteurs de terminaison d'appel apparaît donc réduit, ce qui est cohérent avec l'observation des évolutions passées des charges de terminaison d'appel. Les opérateurs régulés ont maintenu des prix élevés et respecté strictement les contraintes de plafonnement imposées par l'ART sans jamais proposer de diminuer leurs prix en deçà de ces contraintes. Cette évolution des prix est analysée dans les parties suivantes.
Cet éventuel pouvoir d'achat compensateur aurait pu être renforcé par d'éventuels effets de substitution sur les marchés de détail sous-jacents. Si les clients des appels fixe vers mobile ou mobile vers mobile avaient pu utiliser des services de substitution en réponse à une hausse des prix, une hausse de la terminaison d'appel ne se serait pas alors traduite nécessairement par une rentabilité accrue pour l'opérateur mobile concerné. L'analyse de la substituabilité des produits effectuée lors de la définition du marché a montré que l'effet d'une telle substitution était limité et que les opérateurs mobiles n'étaient pas incités à pratiquer des tarifs modérés.
I-3. Comportement tarifaire des opérateurs mobiles
I-3.1. Evolutions des tarifs en métropole
Les prix moyens présentés dans cette partie sont les prix calculés à partir des tarifs des opérateurs mobiles et de la statistique d'appels définie dans les décisions n°s 2001-970 et 2001-971 de l'Autorité portant sur le niveau de la charge de terminaison d'appel sur le réseau d'Orange France et de SFR.
Les coûts présentés sont des coûts retraités par l'Autorité à partir des données fournies par Orange France et SFR dans le cadre des rapports comptables soumis à l'Autorité conformément aux lignes directrices de la décision n° 2001-458. Ils sont conformes aux coûts de référence définis en IV-1 et ne comprennent aucun coût commercial.
Figure 1
Figure 2
Les graphiques comprenant, outre les prix moyens, les coûts de SFR sont soumis au secret des affaires et sont donc présentés en annexe E, qui ne sera pas rendue publique.
I-3.2. Une évolution des prix confirmant l'absence
de pouvoir d'achat compensateur
Depuis la décision n° 1999-823 de l'Autorité, en date du 30 septembre 1999, Orange France et SFR doivent orienter leurs tarifs d'interconnexion vers les coûts. Pourtant aucune baisse constatée depuis lors n'a été spontanément mise en oeuvre :
- les baisses de 20 % à l'automne 1999 sont dues à une « table ronde » organisée par l'ART ;
- les baisses de 20 % en 2000-2001 découlent d'un règlement de différend initié par MFS-Worldcom (décision n° 2001-1092) ;
- les baisses de 2002, 2003 et 2004 sont la conséquence du price cap fixé par l'Autorité (décisions n°s 2001-970 et 2001-971).
L'Autorité avait indiqué dans sa consultation publique que, sur cette période, les deux opérateurs mobiles se sont contentés de respecter les plafonds fixés par l'ART et n'ont pas effectué de baisse supplémentaire, malgré le développement des hérissons et bien que des marges réelles de baisse existaient.
Orange France et SFR contestent qu'il y ait eu des marges réelles de baisse et indiquent que l'ART a reconnu dans ses décisions n°s 2001-458, 2001-970 et 2001-971 précitées qu'une contribution partielle des revenus des appels entrants au recouvrement des coûts commerciaux restait nécessaire sur la période 2002-2004 afin de ne pas induire de changements trop brutaux pour les opérateurs mobiles.
L'Autorité a en effet reconnu en 2001 que l'existence d'une telle contribution pour la période 2002-2004 était justifiée afin de ne pas déstabiliser le développement du secteur. Cependant, même si les plafonds du price cap imposés par l'Autorité autorisaient une telle contribution pour éviter les changements brutaux, d'une part, la marge qui existait entre les prix de terminaison et les coûts de référence définis en IV-1, ainsi que, d'autre part, le développement non anticipé en 2001 des hérissons (1), auraient pu conduire les opérateurs mobiles à proposer des baisses, même partielles, au-delà de celles demandées par l'Autorité.
Au vu des informations de coûts fournies pour la période 1999-2002 par SFR, les prix de terminaison pratiqués par cet opérateur restent en effet sensiblement supérieurs aux coûts de réseau.
L'ART considère qu'en l'absence de régulation de la charge de terminaison d'appel, SFR est en mesure d'agir indépendamment des acheteurs sur le marché de la terminaison d'appel vocal sur son réseau. Le système dans lequel le client de détail de SFR n'est pas facturé pour les appels qu'il reçoit n'introduit quasiment aucune pression concurrentielle sur le prix de la terminaison d'appel vocal facturé par SFR à un opérateur tiers.