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Article (Décision n° 2002-461 DC du 29 août 2002)

Article (Décision n° 2002-461 DC du 29 août 2002)


LOI D'ORIENTATION
ET DE PROGRAMMATION POUR LA JUSTICE


Le Conseil constitutionnel a été saisi, dans les conditions prévues à l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, de la loi d'orientation et de programmation pour la justice,
le 5 août 2002, par M. Jean-Marc Ayrault, Mme Patricia Adam, M. Damien Alary, Mme Sylvie Andrieux-Bacquet, MM. Jean-Marie Aubron, Jean-Paul Bacquet, Jean-Pierre Balligand, Gérard Bapt, Claude Bartolone, Jacques Bascou, Christian Bataille, Jean-Claude Bateux, Jean-Claude Beauchaud, Eric Besson, Jean-Louis Bianco, Jean-Pierre Blazy, Serge Blisko, Patrick Bloche, Jean-Claude Bois, Daniel Boisserie, Maxime Bono, Augustin Bonrepaux, Jean-Michel Boucheron, Pierre Bourguignon, Mme Danielle Bousquet, MM. François Brottes, Jean-Christophe Cambadélis, Thierry Carcenac, Christophe Caresche, Mme Martine Carillon-Couvreur, MM. Laurent Cathala, Jean-Paul Chanteguet, Michel Charzat, Alain Claeys, Mme Marie-Françoise Clergeau, MM. Gilles Cocquempot, Pierre Cohen, Mme Claude Darciaux, M. Michel Dasseux, Mme Martine David, MM. Marcel Dehoux, Michel Delebarre, Jean Delobel, Bernard Derosier, Michel Destot, Marc Dolez, François Dosé, René Dosière, Julien Dray, Tony Dreyfus, Pierre Ducout, Jean-Pierre Dufau, Jean-Louis Dumont, Jean-Paul Dupré, Yves Durand, Henri Emmanuelli, Claude Evin, Laurent Fabius, Albert Facon, Jacques Floch, Pierre Forgues, Michel Françaix, Jean Gaubert, Mmes Nathalie Gautier, Catherine Génisson, MM. Jean Glavany, Gaétan Gorce, Alain Gouriou, Mmes Elisabeth Guigou, Paulette Guinchard-Kunstler, M. David Habib, Mme Danièle Hoffman-Rispal, MM. François Hollande, Jean-Louis Idiart, Mme Françoise Imbert, MM. Serge Janquin, Armand Jung, Jean-Pierre Kucheida, Mme Conchita Lacuey, MM. Jérôme Lambert, François Lamy, Jack Lang, Jean Launay, Jean-Yves Le Bouillonnec, Mme Marylise Lebranchu, MM. Gilbert Le Bris, Jean-Yves Le Déaut, Jean-Yves Le Drian, Michel Lefait, Jean Le Garrec, Jean-Marie Le Guen, Patrick Lemasle, Mme Annick Lepetit, MM. Bruno Le Roux, Jean-Claude Leroy, Michel Liebgott, Mme Martine Lignières-Cassou, MM. François Loncle, Victorin Lurel, Bernard Madrelle, Louis-Joseph Manscour, Philippe Martin, Christophe Masse, Didier Mathus, Kléber Mesquida, Jean Michel, Didier Migaud, Mme Hélène Mignon, MM. Arnaud Montebourg, Henri Nayrou, Alain Néri, Mme Marie-Renée Oget, MM. Michel Pajon, Christian Paul, Christophe Payet, Germinal Peiro, Jean-Claude Perez, Mmes Marie-Françoise Pérol-Dumont, Geneviève Perrin-Gaillard, MM. Jean-Jack Queyranne, Paul Quilès, Alain Rodet, Bernard Roman, René Rouquet, Patrick Roy, Mme Ségolène Royal, M. Michel Sainte-Marie, Mme Odile Saugues, MM. Henri Sicre, Dominique Strauss-Kahn, Pascal Terrasse, Philippe Tourtelier, Daniel Vaillant, André Vallini, Manuel Valls, Michel Vergnier, Alain Vidalies, Jean-Claude Viollet, Philippe Vuilque et Guy Lengagne, députés,
et, le 6 août 2002, par MM. Claude Estier, Jean-Claude Frécon, Bernard Frimat, Charles Gautier, Jean-Pierre Godefroy, Jean-Noël Guérini, Mme Odette Herviaux, MM. Serge Lagauche, Roger Lagorsse, Mme Michèle André, MM. Bernard Angels, Bertrand Auban, Robert Badinter, Jean-Pierre Bel, Jacques Bellanger, Mme Maryse Bergé-Lavigne, M. Jean Besson, Mme Marie-Christine Blandin, M. Didier Boulaud, Mme Claire-Lise Campion, M. Jean-Louis Carrère, Mme Monique Cerisier-ben Guiga, MM. Gilbert Chabroux, Michel Charasse, Roland Courteau, Yves Dauge, Jean-Pierre Demerliat, Michel Dreyfus-Schmidt, Mme Josette Durrieu, MM. Louis Le Pensec, André Lejeune, Philippe Madrelle, Jacques Mahéas, Jean-Yves Mano, François Marc, Jean-Pierre Masseret, Marc Massion, Louis Mermaz, Gérard Miquel, Michel Moreigne, Jean-Claude Peyronnet, Jean-François Picheral, Jean-Pierre Plancade, Mmes Danièle Pourtaud, Gisèle Printz, MM. Daniel Raoul, Paul Raoult, Daniel Reiner, Gérard Roujas, André Rouvière, Claude Saunier, Michel Sergent, Jean-Pierre Sueur, Simon Sutour, Michel Teston, Jean-Marc Todeschini, André Vantomme, André Vézinhet, Marcel Vidal, Henri Weber, Mme Nicole Borvo, M. Guy Fischer, Mme Danielle Bidard, MM. Robert Bret, Yves Coquelle, Mmes Annie David, Michelle Demessine, Evelyne Didier, MM. Thierry Foucaud, Gérard Lecam, Mmes Hélène Luc, Josiane Mathon, MM. Roland Muzeau, Jack Ralite, Ivan Renar et Mme Odette Terrade, sénateurs ;
Le Conseil constitutionnel,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment le chapitre II du titre II de ladite ordonnance ;
Vu l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances ;
Vu la loi du 12 avril 1906 modifiant les articles 66, 67 du code pénal, 340 du code d'instruction criminelle et fixant la majorité pénale à l'âge de dix-huit ans ;
Vu la loi du 22 juillet 1912 sur les tribunaux pour enfants et adolescents et sur la liberté surveillée ;
Vu l'ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante ;
Vu la loi n° 85-704 du 12 juillet 1985 relative à la maîtrise d'ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d'oeuvre privée ;
Vu la loi n° 87-432 du 22 juin 1987 relative au service public pénitentiaire ;
Vu le code de procédure pénale ;
Vu le code de la route ;
Vu le code des marchés publics ;
Vu le code de l'organisation judiciaire ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu le code pénal ;
Vu les observations du Gouvernement, enregistrées le 24 août 2002 ;
Vu les observations en réplique présentées par les requérants, enregistrées le 27 août 2002 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant que les auteurs des deux saisines défèrent au Conseil constitutionnel la loi d'orientation et de programmation pour la justice ; qu'ils contestent notamment la conformité à la Constitution de ses articles 3, 7 à 13, 16 à 20, 22, 23, 37, 38, 42 et 49 ;
Sur l'article 3 :
2. Considérant que l'article 3 de la loi déférée modifie l'article 2 de la loi du 22 juin 1987 susvisée relative au service public pénitentiaire ; que, par dérogation aux articles 7 et 18 de la loi du 12 juillet 1985 susvisée, il autorise l'Etat à passer avec une personne ou un groupement de personnes, de droit public ou de droit privé, un marché unique « portant à la fois sur la conception, la construction et l'aménagement d'établissements pénitentiaires » ; qu'il soumet la passation de ce marché aux procédures prévues par le code des marchés publics ; qu'il permet toutefois à l'Etat, en cas d'allotissement, de choisir son contractant en portant sur les offres concernant plusieurs lots un « jugement global » et non lot par lot, comme l'exige l'article 10 du code des marchés publics ; qu'enfin il dispose que, dans les établissements pénitentiaires : « Les fonctions autres que celles de direction, de greffe et de surveillance peuvent être confiées à des personnes de droit public ou de droit privé habilitées, dans des conditions définies par un décret en Conseil d'Etat. Ces personnes peuvent être choisies dans le cadre des marchés prévus au deuxième alinéa » ;
3. Considérant que, selon les requérants, ces dispositions seraient par elles-mêmes contraires au principe d'égalité d'accès à la commande publique, lequel « implique la libre concurrence » ; qu'elles auraient en outre pour effet de défavoriser les petites et moyennes entreprises dans l'accès à la commande publique ; que l'article 3 serait au surplus entaché d'incompétence négative, car, « modifiant le régime de ces marchés particuliers qui touchent à des fonctions régaliennes et à la liberté individuelle des personnes détenues, le législateur devait prévoir toutes les garanties nécessaires » ;
4. Considérant, en premier lieu, qu'aucune règle ni aucun principe de valeur constitutionnelle n'impose de confier à des personnes distinctes la conception, la construction et l'aménagement d'un ouvrage public ; qu'aucun principe ou règle de valeur constitutionnelle n'interdit non plus qu'en cas d'allotissement les offres portant simultanément sur plusieurs lots fassent l'objet d'un jugement commun, en vue de déterminer l'offre la plus satisfaisante du point de vue de son équilibre global ;
5. Considérant que les dispositions critiquées, qui ont pour objet de faciliter et d'accélérer la construction des établissements pénitentiaires, ne portent pas atteinte, par elles-mêmes, au principe d'égalité d'accès à la commande publique ; qu'au demeurant l'article 3 de la loi déférée prévoit la possibilité, pour les petites et moyennes entreprises, de se grouper pour présenter une offre commune ; qu'il n'écarte pas la faculté pour l'Etat, maître d'ouvrage, d'allotir le marché ; que, ne privant pas le titulaire du marché du droit de recourir à la sous-traitance, il permet aux petites et moyennes entreprises d'accéder par cette voie à la commande publique ;
6. Considérant que, dans ces conditions, en dérogeant, pour les marchés en cause, aux articles 7 et 18 de la loi du 12 juillet 1985 et à l'article 10 du code des marchés publics, le législateur n'a porté atteinte à aucune règle ni à aucun principe de valeur constitutionnelle ;
7. Considérant, en second lieu, s'agissant de la conception, de la construction et de l'aménagement des établissements pénitentiaires, que le législateur n'est pas resté en deçà de ses compétences en renvoyant aux procédures prévues par le code des marchés publics l'exécution de la mission confiée au titulaire du marché ; que les exigences propres au service public pénitentiaire seront précisées au titulaire dans le cadre des procédures prévues par ce code ;
8. Considérant que, s'agissant des fonctions mentionnées au dernier alinéa de l'article contesté, dont sont expressément exclues les tâches inhérentes à l'exercice par l'Etat de ses missions de souveraineté, leur délégation fera l'objet d'une habilitation dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat ; que le respect des exigences propres au service public pénitentiaire sera dès lors imposé au titulaire dans le cadre de cette habilitation ;
9. Considérant que doit être par suite rejeté le moyen tiré de ce que le législateur n'aurait pas épuisé les compétences que lui confie l'article 34 de la Constitution en ne définissant pas lui-même les obligations de service public que devront respecter les titulaires des marchés auxquels se réfère la disposition contestée ;
Sur le titre II relatif à la justice de proximité :
10. Considérant que le titre II de la loi déférée regroupe les articles 7 à 10 ; que l'article 7 complète le livre III du code de l'organisation judiciaire par un titre III intitulé « La juridiction de proximité » et comprenant les articles L. 331-1 à L. 331-9 ; que l'article L. 331-1 institue, dans le ressort de chaque cour d'appel, des juridictions de première instance dénommées « juridictions de proximité » ; que l'article L. 331-2 définit la compétence attribuée en matière civile à la juridiction de proximité, qui connaîtra, jusqu'à la valeur de 1 500 euros, des actions personnelles et mobilières engagées par les personnes physiques pour les besoins de leur vie non professionnelle ainsi que des procédures d'injonction de payer et de faire ; que les articles L. 331-3 et L. 331-4 déterminent les règles de procédure applicables devant cette juridiction en matière civile ; que l'article 706-72, inséré dans le code de procédure pénale par l'article 10 de la loi déférée, attribue à la juridiction de proximité compétence pour juger des contraventions de police dont la liste sera fixée par décret en Conseil d'Etat ; que le même article permet au président du tribunal de grande instance de lui déléguer le pouvoir de valider les mesures de composition pénale prévues aux articles 41-2 et 41-3 du même code ; que l'article 20 de la loi déférée complète l'article 21 de l'ordonnance du 2 février 1945 susvisée pour conférer à la juridiction de proximité les compétences du tribunal de police à l'égard des mineurs pour ce qui concerne les contraventions des quatre premières classes ; que les autres dispositions du titre II règlent notamment l'organisation des juridictions de proximité ;
En ce qui concerne la création d'un nouvel ordre de juridiction :
11. Considérant que les auteurs des deux saisines reprochent au législateur d'avoir méconnu la compétence qu'il tient de l'article 34 de la Constitution en créant un nouvel ordre de juridiction sans déterminer les conditions du recrutement et le statut des juges appelés à y siéger ; qu'en outre le transfert à des juges non professionnels, dont les garanties statutaires d'indépendance ne sont pas définies, de compétences retirées à des magistrats de carrière serait, selon eux, contraire à l'article 64 de la Constitution ; qu'il serait enfin porté atteinte à l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, dès lors que se trouverait mis en cause « le droit pour chacun de voir sa cause entendue par un juge indépendant et impartial » ;
12. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 34 de la Constitution : « La loi fixe les règles concernant... la création de nouveaux ordres de juridiction » ; qu'au nombre de ces règles figurent celles relatives au mode de désignation des personnes appelées à y siéger ainsi que celles qui fixent la durée de leurs fonctions, toutes règles qui sont des garanties de l'indépendance et de la capacité de ces juges ;
13. Considérant que les dispositions précitées n'obligent pas le législateur, lorsqu'il crée un nouvel ordre de juridiction, à adopter dans un même texte législatif, d'une part, les règles d'organisation et de fonctionnement de cet ordre de juridiction et, d'autre part, les règles statutaires applicables aux juges qui le composeront ; qu'il peut adopter les premières de ces règles avant les secondes ; qu'en pareil cas, toutefois, les premières ne pourront recevoir application que lorsque les secondes auront été promulguées ;
14. Considérant que le dernier alinéa de l'article 2 de la loi déférée prévoit « le recrutement sur crédits de vacation de juges de proximité et d'assistants de justice pour un équivalent à temps plein de 580 emplois » ; qu'en outre il résulte tant des déclarations faites par le ministre de la justice devant le Parlement que des débats parlementaires ayant abouti à l'adoption de la loi déférée et du rapport annexé à cette loi que le législateur, par les dispositions critiquées, a entendu créer, pour connaître des litiges de la vie quotidienne et des infractions mineures, un nouvel ordre de juridiction au sein duquel siégeront des juges non professionnels ; que ces juges seront appelés à exercer leurs fonctions juridictionnelles de façon temporaire, dans le seul cadre des juridictions de proximité, et tout en poursuivant, le cas échéant, une activité professionnelle ;
15. Considérant que, à la date à laquelle le Conseil constitutionnel se prononce sur la loi déférée, le législateur n'a adopté aucune disposition relative au statut des membres des juridictions de proximité ; que, par suite, dans le silence de la loi sur l'entrée en vigueur de son titre II, les juridictions de proximité ne pourront être mises en place qu'une fois promulguée une loi fixant les conditions de désignation et le statut de leurs membres ; que cette loi devra comporter des garanties appropriées permettant de satisfaire au principe d'indépendance, indissociable de l'exercice de fonctions juridictionnelles, et aux exigences de capacité qui découlent de l'article 6 de la Déclaration de 1789 ; que, sous cette double réserve, doit être rejeté le moyen tiré de ce que le législateur n'aurait pas épuisé sa compétence en créant ce nouvel ordre de juridiction ;
16. Considérant, en deuxième lieu, que l'article 64 de la Constitution n'interdit pas, par lui-même, la création des juridictions de proximité dont les membres ne sont pas des magistrats de carrière, dès lors que ces juges exercent une part limitée des compétences dévolues aux tribunaux d'instance et aux tribunaux de police ;
17. Considérant, enfin, que sont étendues à la juridiction de proximité les règles de procédure antérieurement applicables devant les juridictions dont les compétences lui sont en partie transférées ; que ces dispositions ne sont pas contraires aux exigences de l'article 16 de la Déclaration de 1789 ;
En ce qui concerne les compétences de la juridiction de proximité en matière pénale :
18. Considérant que, selon les requérants, l'attribution à la juridiction de proximité de compétences pénales serait contraire à l'article 66 de la Constitution qui, en cette matière, réserverait aux magistrats de carrière « l'exclusivité de la compétence de juger » ; qu'en outre ils reprochent au législateur d'être resté en deçà de sa compétence en renvoyant au pouvoir réglementaire le soin de fixer la liste des infractions ressortissant à la compétence de la juridiction de proximité ;
19. Considérant, en premier lieu, que l'article 66 de la Constitution, aux termes duquel : « Nul ne peut être arbitrairement détenu. - L'autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi », ne s'oppose pas à ce que soient dévolues à la juridiction de proximité des compétences en matière pénale dès lors que ne lui est pas confié le pouvoir de prononcer des mesures privatives de liberté ; qu'en n'attribuant à cette juridiction que le jugement de contraventions de police, le législateur a satisfait à cette condition ;
20. Considérant, en second lieu, que le législateur n'a pas méconnu l'étendue de sa compétence en confiant à un décret en Conseil d'Etat le soin de préciser celles de ces contraventions qui seront transférées à la juridiction de proximité ;
En ce qui concerne la faculté ouverte au juge de proximité de renvoyer au tribunal d'instance certaines affaires :
21. Considérant que le nouvel article L. 331-4 du code de l'organisation judiciaire offre au juge de proximité, lorsque celui-ci se heurte, en matière civile, « à une difficulté juridique sérieuse portant sur l'application d'une règle de droit ou sur l'interprétation du contrat liant les parties », la faculté de renvoyer l'affaire au tribunal d'instance, à la demande d'une partie ou d'office, « après avoir recueilli l'avis, selon le cas, de l'autre ou des deux parties » ;
22. Considérant que les auteurs des deux saisines dénoncent la rupture de l'égalité devant la justice qui résulterait de la faculté ainsi ouverte au juge de proximité ;
23. Considérant que, si le législateur peut prévoir des règles de procédure différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s'appliquent, c'est à la condition que ces différences ne procèdent pas de discriminations injustifiées et que soient assurées aux justiciables des garanties égales, notamment quant au respect du principe des droits de la défense, qui implique en particulier l'existence d'une procédure juste et équitable ;
24. Considérant que le législateur a instauré cette faculté de renvoi au tribunal d'instance, eu égard à la nature particulière de la juridiction de proximité et dans un souci de bonne administration de la justice ; que cette procédure, qui constitue une garantie supplémentaire pour le justiciable, ne porte pas atteinte, en l'espèce, à l'égalité devant la justice ;
Sur le titre III portant réforme du droit pénal des mineurs :
25. Considérant que le titre III de la loi déférée comprend les articles 11 à 32 ; que ces articles modifient l'ordonnance susvisée du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante ;
En ce qui concerne les principes constitutionnels applicables aux dispositions du titre III :
26. Considérant que l'atténuation de la responsabilité pénale des mineurs en fonction de l'âge, comme la nécessité de rechercher le relèvement éducatif et moral des enfants délinquants par des mesures adaptées à leur âge et à leur personnalité, prononcées par une juridiction spécialisée ou selon des procédures appropriées, ont été constamment reconnues par les lois de la République depuis le début du xxe siècle ; que ces principes trouvent notamment leur expression dans la loi du 12 avril 1906 sur la majorité pénale des mineurs, la loi du 22 juillet 1912 sur les tribunaux pour enfants et l'ordonnance du 2 février 1945 sur l'enfance délinquante ; que, toutefois, la législation républicaine antérieure à l'entrée en vigueur de la Constitution de 1946 ne consacre pas de règle selon laquelle les mesures contraignantes ou les sanctions devraient toujours être évitées au profit de mesures purement éducatives ; qu'en particulier, les dispositions originelles de l'ordonnance du 2 février 1945 n'écartaient pas la responsabilité pénale des mineurs et n'excluaient pas, en cas de nécessité, que fussent prononcées à leur égard des mesures telles que le placement, la surveillance, la retenue ou, pour les mineurs de plus de treize ans, la détention ; que telle est la portée du principe fondamental reconnu par les lois de la République en matière de justice des mineurs ;
27. Considérant, par ailleurs, qu'il résulte des articles 8 et 9 de la Déclaration de 1789 que doivent être respectés, à l'égard des mineurs comme des majeurs, le principe de la présomption d'innocence, celui de la nécessité et de la proportionnalité des peines et celui des droits de la défense ; que doit être respectée également la règle énoncée à l'article 66 de la Constitution, selon laquelle : « Nul ne peut être arbitrairement détenu. - L'autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi » ;
28. Considérant, enfin, que, lorsqu'il fixe les règles relatives au droit pénal des mineurs, le législateur doit veiller à concilier les exigences constitutionnelles énoncées ci-dessus avec la nécessité de rechercher les auteurs d'infractions et de prévenir les atteintes à l'ordre public, et notamment à la sécurité des personnes et des biens, qui sont nécessaires à la sauvegarde de droits de valeur constitutionnelle ;
29. Considérant que c'est à la lumière de tout ce qui précède que doivent être examinés les moyens présentés par les deux saisines ;
En ce qui concerne les articles 11, 12 et 13 :
30. Considérant que l'article 11 de la loi déférée, qui modifie l'article 122-8 du code pénal, prévoit le principe de « sanctions éducatives » à l'égard des mineurs de plus de dix ans, compte tenu de l'atténuation de responsabilité dont ils bénéficient en raison de leur âge ; que l'article 12 ajoute la mention des sanctions éducatives à l'article 2 de l'ordonnance du 2 février 1945 susvisée ; que l'article 13 insère dans la même ordonnance un article 15-1 dressant la liste de ces sanctions éducatives ; que cette liste comprend : 1° la confiscation de l'objet ayant servi à commettre l'infraction ou qui en est le produit, 2° l'interdiction de paraître, pendant une durée qui ne saurait excéder un an, dans le ou les lieux dans lesquels l'infraction a été commise, à l'exception des lieux où le mineur réside habituellement, 3° l'interdiction, pour une durée qui ne saurait excéder un an, de rencontrer ou de recevoir la victime de l'infraction ou d'entrer en relation avec elle, 4° l'interdiction, pendant une durée qui ne saurait excéder un an, de rencontrer ou de recevoir le ou les coauteurs ou complices éventuels ou d'entrer en relation avec eux, 5° des mesures d'aide ou de réparation, 6° l'obligation de suivre un stage de formation civique d'une durée qui ne peut excéder un mois, ayant pour objet de rappeler au mineur les obligations résultant de la loi ;
31. Considérant que les deux saisines reprochent à ces dispositions de méconnaître un principe fondamental reconnu par les lois de la République qui exclurait la responsabilité pénale des enfants et consacrerait « le primat de l'éducatif sur le répressif » ;
32. Considérant que les principes constitutionnels propres à la justice des mineurs ne s'opposent pas à ce que leur soient infligées des sanctions telles que celles énumérées ci-dessus, lesquelles ont toutes, au demeurant, une finalité éducative ; qu'en particulier, en application du principe de proportionnalité des peines, ces sanctions prendront naturellement en compte les obligations familiales et scolaires des intéressés ;
En ce qui concerne l'article 16 :
33. Considérant que cet article modifie sur trois points le I de l'article 4 de l'ordonnance de 1945 relatif à la retenue des mineurs de dix à treize ans ; qu'il abaisse de sept à cinq ans la durée de la peine d'emprisonnement encourue à partir de laquelle la retenue est possible pour les nécessités de l'enquête ; qu'il porte de dix à douze heures la durée maximale de la retenue ; qu'enfin, il substitue à la condition relative aux « indices graves et concordants laissant présumer que le mineur a commis ou tenté de commettre un crime ou un délit » une condition identique mais mentionnant des « indices graves ou concordants » ;
34. Considérant que, selon les auteurs des saisines, ces modifications méconnaissent, par leur rigueur, les principes énoncés par les articles 8 et 9 de la Déclaration de 1789 ;
35. Considérant que, si le législateur peut prévoir une procédure appropriée permettant de retenir les enfants âgés de dix à treize ans pour les nécessités d'une enquête, il ne peut être recouru à une telle mesure que dans des cas exceptionnels et s'agissant d'infractions graves ; que la mise en oeuvre de cette procédure, qui doit être subordonnée à la décision et soumise au contrôle d'un magistrat spécialisé dans la protection de l'enfance, nécessite des garanties particulières ;
36. Considérant que l'article 4 de l'ordonnance du 2 février 1945, dans sa rédaction issue de l'article 16 de la loi déférée, interdit le placement en garde à vue du mineur de treize ans et organise, à titre exceptionnel, une procédure de retenue pour le mineur de dix à treize ans ; que la mise en oeuvre de cette procédure est liée à la gravité des infractions commises ; que ce texte subordonne cette mise en oeuvre à l'accord préalable et au contrôle d'un magistrat spécialisé dans la protection de l'enfance ;
37. Considérant, en outre, qu'en prévoyant une durée maximale de rétention de douze heures, qui ne peut qu'exceptionnellement être prolongée pour la même durée, et des garanties relatives à son déroulement, notamment l'assistance d'un avocat dès le début de la retenue, cet article n'a pas méconnu les exigences ci-dessus rappelées ;
38. Considérant, par suite, que n'est pas contraire à la Constitution l'article 16 de la loi déférée, qui n'apporte aux dispositions antérieures que des modifications relevant du pouvoir d'appréciation du législateur ;
En ce qui concerne les articles 17 et 18 :
39. Considérant que l'article 17 de la loi déférée insère dans l'ordonnance du 2 février 1945 un article 10-2 relatif au contrôle judiciaire des mineurs ; que le III du nouvel article 10-2 prévoit qu'en matière correctionnelle les mineurs de treize à seize ans ne pourront être placés sous contrôle judiciaire que dans un « centre éducatif fermé » défini par l'article 33 nouveau de cette ordonnance ; qu'en vertu de l'article 11 de la même ordonnance, tel que modifié par l'article 18 de la loi déférée, la détention provisoire de ces mineurs sera possible s'ils se soustraient aux obligations du contrôle judiciaire, par exemple en cas de fugue ;
40. Considérant que, selon les deux saisines, ces dispositions méconnaîtraient les articles 8 et 9 de la Déclaration de 1789, violeraient les principes constitutionnels propres à la justice des mineurs et, rétablissant la possibilité de placer en détention provisoire des mineurs âgés de moins de seize ans qui avait été abrogée par la loi n° 87-1062 du 30 décembre 1987, priveraient la protection pénale des mineurs d'une garantie sans la remplacer par une garantie équivalente ;
41. Considérant, en premier lieu, qu'il ressort des dispositions contestées que le contrôle judiciaire des mineurs de treize à seize ans n'est possible que si la peine encourue est d'au moins cinq ans d'emprisonnement et si l'intéressé a déjà fait l'objet d'une condamnation ou d'une mesure de placement ; que le placement sous contrôle judiciaire ne peut être décidé qu'après débat contradictoire au cours duquel le juge entend les observations du mineur, celles de son avocat et, le cas échéant, celles du responsable du service qui suit le mineur ; que les conditions de fond et les règles de procédure prévues par le code de procédure pénale en matière de contrôle judiciaire sont en outre applicables ; que le magistrat qui décide le contrôle judiciaire doit motiver son ordonnance, notifier à l'intéressé en présence de son avocat et de ses représentants légaux les obligations qui lui sont imparties et l'informer des conséquences du non-respect des obligations du contrôle judiciaire ; qu'il résulte de l'ensemble de ces dispositions que le contrôle judiciaire du mineur âgé de treize à seize ans ne sera prononcé que lorsque le justifieront les circonstances, la gravité de l'infraction, les nécessités de l'enquête et la personnalité du mineur ;
42. Considérant, en second lieu, qu'il est loisible au législateur de modifier ou d'abroger les dispositions antérieures sous réserve de ne pas priver de garanties des exigences de valeur constitutionnelle ; que les dispositions antérieures à la loi déférée prévoyaient déjà en matière criminelle la possibilité de placer en détention provisoire les mineurs de treize à seize ans ; qu'en rétablissant à leur égard une possibilité de détention provisoire en matière correctionnelle s'ils méconnaissent les obligations du contrôle judiciaire, les dispositions critiquées n'ont privé de garantie aucune exigence de valeur constitutionnelle, compte tenu des conditions de procédure et de fond auxquelles reste subordonnée la détention provisoire ;
43. Considérant qu'il y a lieu de relever à cet égard que la détention provisoire n'est possible que si la mesure est indispensable ou s'il est impossible d'en prendre une autre ; que les règles posées par les articles 137 à 137-4, 144 et 145 du code de procédure pénale doivent être respectées ; que la détention doit être effectuée soit dans un établissement pénitentiaire spécialisé, soit dans un établissement garantissant la séparation entre détenus mineurs et majeurs ; que les dispositions contestées prévoient de plus la présence d'éducateurs dans des conditions à fixer par décret en Conseil d'Etat et un accompagnement éducatif en fin de détention ; qu'enfin, la durée de détention est limitée, selon la peine encourue, à quinze jours ou un mois, renouvelable une fois ;
44. Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède que les articles 17 et 18 ne sont contraires à aucune exigence constitutionnelle ;
En ce qui concerne l'article 19 :
45. Considérant que cet article insère dans l'ordonnance du 2 février 1945 un article 14-2 instituant une procédure de « jugement à délai rapproché » ;
46. Considérant que les saisines reprochent à cette procédure de méconnaître les principes constitutionnels propres à la justice des mineurs, ainsi que les articles 8 et 9 de la Déclaration de 1789 ;
47. Considérant que les dispositions contestées ne prévoient le jugement à délai rapproché que si le mineur encourt une peine d'emprisonnement au moins égale à trois ans en cas de flagrance et à cinq ans dans les autres cas ; que la procédure ne peut être engagée que si des investigations sur les faits ne sont pas nécessaires et si une enquête de personnalité a été réalisée à l'occasion d'une procédure antérieure d'un an au plus ; que le procureur de la République doit notifier au mineur les faits qui lui sont reprochés en présence d'un avocat ; que, dès sa désignation, l'avocat peut consulter le dossier et communiquer librement avec le mineur ; que l'audience de jugement doit se tenir dans un délai compris entre dix jours et un mois ; que, s'il considère que l'affaire n'est pas en état d'être jugée, le tribunal pour enfants ne peut renvoyer l'audience à plus d'un mois ; que, si le tribunal estime des investigations nécessaires compte tenu de la gravité et de la complexité de l'affaire, il renvoie le dossier au procureur ; que, pour les mineurs de plus de seize ans, la détention provisoire précédant l'audience ne peut se prolonger au-delà d'un mois à compter de la première comparution devant le tribunal ; que les mineurs de treize à seize ans, pour leur part, ne peuvent faire l'objet, avant l'audience, que d'une mesure de contrôle judiciaire ; qu'en outre, le jugement à délai rapproché répond à la situation particulière des mineurs en raison de l'évolution rapide de leur personnalité ;
48. Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède que l'article 19 de la loi déférée ne méconnaît ni les droits de la défense, ni la présomption d'innocence, ni le principe de nécessité des peines, ni l'article 66 de la Constitution, ni les principes constitutionnels propres à la justice des mineurs ;
En ce qui concerne l'article 20 :
49. Considérant que l'article 20 de la loi déférée ajoute à l'article 21 de l'ordonnance du 2 février 1945 un alinéa ainsi rédigé : « Pour les contraventions de police des quatre premières classes relevant de l'article 706-72 du code de procédure pénale, le juge de proximité exerce les attributions du tribunal de police dans les conditions prévues au présent article » ;
50. Considérant que, selon les requérants, en confiant à un magistrat non professionnel le jugement d'infractions commises par les mineurs, cet article méconnaît les principes constitutionnels propres à la justice des mineurs ;
51. Considérant que le jugement des contraventions des quatre premières classes commises par des mineurs relevait, depuis l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 2 février 1945, du tribunal de police ; que, pour les contraventions prévues par le décret mentionné au nouvel article 706-72 du code de procédure pénale, le juge de proximité se substituera au tribunal de police en appliquant les mêmes règles de procédure et de fond ; qu'en particulier, conformément aux dispositions inchangées sur ce point de l'article 21 de l'ordonnance du 2 février 1945, les mineurs de treize ans ne seront passibles que d'une admonestation ; que, de même, la publicité des débats sera soumise aux restrictions prévues par l'article 14 de la même ordonnance ; que, par suite, les dispositions critiquées ne portent pas atteinte aux principes constitutionnels propres à la justice des mineurs ;
En ce qui concerne l'article 22 :
52. Considérant que l'article 22 de la loi déférée insère dans l'ordonnance du 2 février 1945 un article 33 relatif aux « centres éducatifs fermés » ;
53. Considérant que, selon les requérants, le nouvel article 33 « est entaché d'incompétence négative et viole la liberté individuelle et la présomption d'innocence telles que garanties par les articles 4 et 9 de la Déclaration de 1789 » ; qu'ils lui reprochent en outre de « s'affranchir des règles protectrices en matière de justice des mineurs et des garanties constitutionnelles lui étant attachées » ;
54. Considérant, en premier lieu, que l'article 33 précise les conditions du placement dans un centre éducatif fermé ; qu'il définit ces centres comme « des établissements publics ou des établissements privés habilités dans des conditions prévues par décret en Conseil d'Etat », dans lesquels « les mineurs sont placés en application d'un contrôle judiciaire ou d'un sursis avec mise à l'épreuve » et font l'objet « de mesures de surveillance et de contrôle permettant d'assurer un suivi éducatif et pédagogique renforcé et adapté à leur personnalité » ; qu'enfin, ainsi qu'il ressort de l'ensemble des dispositions nouvelles et que le confirment les travaux parlementaires, la dénomination de « centres fermés » traduit seulement le fait que la violation des obligations auxquelles est astreint le mineur, et notamment sa sortie non autorisée du centre, est susceptible de conduire à son incarcération par révocation du contrôle judiciaire ou du sursis avec mise à l'épreuve ;
55. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que doit être rejeté le moyen tiré de ce que le législateur n'aurait pas épuisé sa compétence ;
56. Considérant, en second lieu, que le placement dans un centre éducatif fermé sera ordonné par l'autorité judiciaire ; que sa durée sera limitée à six mois renouvelable une fois pour le contrôle judiciaire, et à la durée de la peine d'emprisonnement pour le sursis avec mise à l'épreuve ; que, pour les mineurs condamnés, il constitue une alternative à l'incarcération ; qu'un suivi éducatif et pédagogique renforcé, adapté à la personnalité du mineur, y est prévu ;
57. Considérant que, dans ces conditions, l'article contesté n'est contraire ni aux articles 4, 8 et 9 de la Déclaration de 1789, ni aux principes constitutionnels propres à la justice des mineurs ;
En ce qui concerne l'article 23 :
58. Considérant que les saisines font grief à cet article de « punir » par la suspension des allocations familiales les parents du mineur placé dans un centre éducatif fermé ; que l'article 33-1, inséré dans l'ordonnance du 2 février 1945 par l'article 23 de la loi déférée, violerait dès lors, selon les requérants, le principe constitutionnel selon lequel « nul n'est punissable que de son propre fait » ;
59. Considérant que l'article 23 n'institue pas une sanction à l'égard des parents du mineur placé dans un centre éducatif fermé ; qu'ainsi qu'il ressort en effet des articles L. 513-1 et L. 521-2 du code de la sécurité sociale, les allocations familiales sont servies aux seules personnes ayant la charge effective de l'enfant, afin de concourir à la couverture des besoins matériels et moraux de cet enfant ; qu'au demeurant, en vertu de l'article L. 512-2 du code de la sécurité sociale et de l'article 40 de l'ordonnance du 2 février 1945, la part des allocations familiales due pour un enfant placé en vertu des articles 15, 16, 16 bis et 28 de l'ordonnance du 2 février 1945 est versée au service d'accueil, sauf demande du juge des enfants lorsque la famille « participe à la prise en charge morale ou matérielle de l'enfant ou en vue de faciliter le retour de l'enfant dans son foyer » ; que le nouvel article 33-1 de l'ordonnance du 2 février 1945 se borne à appliquer cette règle au cas particulier du placement dans un centre éducatif fermé ;
60. Considérant que la disposition critiquée ne méconnaît pas le principe d'égalité devant la loi en matière de prestations familiales ; qu'en effet, les allocations suspendues concerneront la seule part représentée, dans les allocations familiales, par l'enfant placé ; que la durée de la suspension n'excédera pas celle du placement ; qu'enfin, le juge pourra maintenir le versement des allocations familiales à la famille dans les cas ci-dessus énoncés ;
61. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'article 23 n'est contraire à aucune exigence constitutionnelle ;
Sur le titre IV relatif à la procédure pénale :
62. Considérant que le titre IV de la loi déférée comporte des « dispositions tendant à simplifier la procédure pénale et à en accroître l'efficacité » ; qu'à cet effet, il modifie sur divers points le code de procédure pénale ;
En ce qui concerne l'article 37 :
63. Considérant que l'article 37 de la loi soumise à l'examen du Conseil constitutionnel modifie plusieurs articles du code de procédure pénale relatifs à la détention provisoire ; qu'en particulier, il oblige le juge d'instruction à motiver l'ordonnance par laquelle il décide de ne pas suivre les réquisitions du procureur de la République tendant au placement d'une personne en détention provisoire ; qu'il fixe désormais à trois ans, quels que soient la nature de l'infraction et l'état de récidive, le quantum de la peine correctionnelle encourue à partir duquel la détention provisoire est possible ; qu'il autorise la prolongation de la détention provisoire lorsqu'il est nécessaire de mettre fin à un « trouble exceptionnel et persistant à l'ordre public », y compris lorsque la peine correctionnelle encourue est inférieure à dix ans d'emprisonnement ; qu'enfin, il permet, à titre exceptionnel, la prolongation de la détention provisoire par la chambre de l'instruction au-delà des durées maximales fixées par les articles 145-1 et 145-2 du code de procédure pénale, pour une période de quatre mois, renouvelable une fois en matière criminelle, « lorsque les investigations du juge d'instruction doivent être poursuivies et que la mise en liberté de la personne mise en examen causerait à la sécurité des personnes et des biens un risque d'une particulière gravité » ;
64. Considérant que les auteurs des saisines soutiennent, d'une part, que l'obligation faite à un magistrat du siège de « motiver sa volonté de laisser libre un individu ne peut être constitutionnellement admise » ; que, d'autre part, en abaissant différents seuils permettant le placement en détention provisoire, le législateur opère un « recul par rapport aux garanties que la loi du 15 juin 2000 avait apportées au principe de présomption d'innocence qui ne pourra qu'être censuré au bénéfice de l'application de l'effet cliquet » ;
65. Considérant, en premier lieu, que ne se heurte à aucune exigence constitutionnelle l'obligation faite au juge d'instruction de motiver l'ordonnance par laquelle il refuse de suivre les réquisitions du procureur de la République tendant au placement en détention provisoire ;
66. Considérant, en second lieu, que le principe de présomption d'innocence, proclamé par l'article 9 de la Déclaration de 1789, ne fait pas obstacle à ce que l'autorité judiciaire soumette à des mesures restrictives ou privatives de liberté, avant toute déclaration de culpabilité, une personne à l'encontre de laquelle existent des indices suffisants quant à sa participation à la commission d'un délit ou d'un crime ; que c'est toutefois à la condition que ces mesures soient prononcées selon une procédure respectueuse des droits de la défense et apparaissent nécessaires à la manifestation de la vérité, au maintien de ladite personne à la disposition de la justice, à sa protection, à la protection des tiers ou à la sauvegarde de l'ordre public ;
67. Considérant, en outre, qu'il est à tout moment loisible au législateur, dans le domaine de sa compétence, d'adopter, pour la réalisation ou la conciliation d'objectifs de nature constitutionnelle, des modalités nouvelles dont il lui appartient d'apprécier l'opportunité ; que l'exercice de ce pouvoir ne doit cependant pas aboutir à priver de garanties légales des exigences de valeur constitutionnelle ;
68. Considérant qu'en apportant les modifications contestées au code de procédure pénale, le législateur n'a ni rompu l'équilibre entre les différentes exigences constitutionnelles en cause, ni manifesté une rigueur qui ne serait pas nécessaire au regard de l'article 9 de la Déclaration de 1789 ;
En ce qui concerne l'article 38 :
69. Considérant que les articles 148-1-1 et 187-3 du code de procédure pénale, dans la rédaction que leur donne l'article 38 de la loi déférée, instituent une procédure de « référé-détention » ; qu'ils donnent au procureur de la République un délai de quatre heures, à compter de la notification d'une ordonnance de mise en liberté rendue contrairement à ses réquisitions, pour interjeter appel devant le président de la chambre de l'instruction et saisir le premier président de la cour d'appel afin de déclarer cet appel suspensif ; que cette dernière saisine suspend les effets de l'ordonnance pendant un délai maximal de deux jours ouvrables ;
70. Considérant que les requérants font valoir que la disposition critiquée serait contraire à l'article 66 de la Constitution ; qu'en effet, selon eux, dès lors qu'un juge du siège a décidé qu'une personne ne devait plus être privée de liberté, la privation de liberté devrait cesser immédiatement ; qu'ils estiment en outre que l'article 38 porte atteinte à la présomption d'innocence ; qu'ils soutiennent enfin que ce même article rompt « l'égalité des armes » entre le parquet et la personne détenue, en raison des différences que présente la procédure contestée avec celle de demande de mise en liberté prévue à l'article 187-1 du code de procédure pénale ;
71. Considérant, en premier lieu, que les différences entre ces deux procédures sont conformes à leurs objets respectifs et n'affectent pas la garantie d'une procédure juste et équitable ;
72. Considérant, en second lieu, qu'aux termes de l'article 66 de la Constitution : « Nul ne peut être arbitrairement détenu. - L'autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi » ; que l'article 9 de la Déclaration de 1789 proclame : « Tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi » ;
73. Considérant qu'en principe il résulte de ces dispositions que, lorsqu'un magistrat du siège a, dans la plénitude des pouvoirs que lui confère l'article 66 de la Constitution en tant que gardien de la liberté individuelle, décidé par une décision juridictionnelle qu'une personne doit être mise en liberté, il ne peut être fait obstacle à cette décision, fût-ce dans l'attente, le cas échéant, de celle du juge d'appel ;
74. Considérant, toutefois, que l'autorité judiciaire comprend à la fois les magistrats du siège et ceux du parquet ; que l'exercice du pouvoir conféré par l'article 38 au procureur de la République de suspendre la décision de mise en liberté ne peut produire d'effets au-delà du délai de deux jours ouvrables accordé au premier président de la cour d'appel pour statuer sur la demande de suspension ; qu'à l'expiration de ce délai, la détention ne peut se poursuivre qu'en vertu d'une décision d'un magistrat du siège et seulement si sont réunies au moins deux des conditions exigées par les dispositions de l'article 144 du code de procédure pénale en matière de détention provisoire ; que c'est à ces conditions que devront également se référer les réquisitions du parquet ; que, compte tenu de l'ensemble des conditions fixées par le législateur, l'article 38 de la loi déférée n'est pas contraire à la Constitution ;
En ce qui concerne l'article 42 :
75. Considérant qu'en ajoutant au code de procédure pénale les articles 495 à 495-6, l'article 42 de la loi déférée permet au tribunal correctionnel de juger certains délits prévus par le code de la route selon une procédure simplifiée ; que l'article 495-1 confie au président du tribunal correctionnel, à l'initiative du ministère public, le soin de statuer par ordonnance sans débat préalable ; que les articles 495-2 et 495-3 fixent les formes que doit respecter ladite ordonnance ainsi que les délais et voies de recours ouverts contre elle ;
76. Considérant que les auteurs des deux saisines reprochent à ces dispositions d'être contraires au principe d'égalité devant la justice dès lors que le choix de la procédure simplifiée reposerait sur un pouvoir discrétionnaire à la fois du ministère public et du président du tribunal ;
77. Considérant que, si le législateur peut prévoir des règles de procédure différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s'appliquent, c'est à la condition que ces différences ne procèdent pas de discriminations injustifiées et que soient assurées aux justiciables des garanties égales, notamment quant au respect du principe des droits de la défense, qui implique en particulier l'existence d'une procédure juste et équitable ;
78. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 495 du code de procédure pénale, le ministère public ne peut recourir à la procédure simplifiée que « lorsqu'il résulte de l'enquête de police judiciaire que les faits reprochés au prévenu sont établis et que les renseignements concernant la personnalité de celui-ci, et notamment ses charges et ses ressources, sont suffisants pour permettre la détermination de la peine » ;
79. Considérant, en deuxième lieu, que, si l'article 495-1 du même code donne au ministère public le pouvoir de choisir la procédure simplifiée, dans le respect des conditions fixées par l'article 495, c'est en raison du fait que la charge de la poursuite et de la preuve lui incombe ;
80. Considérant, en troisième lieu, que, si le président du tribunal estime qu'un débat contradictoire est utile ou qu'une peine d'emprisonnement devrait être prononcée, il doit renvoyer le dossier au ministère public ;
81. Considérant, en dernier lieu, que les dispositions des nouveaux articles 495 à 495-6 du code de procédure pénale apportent à la personne qui fait l'objet d'une ordonnance pénale, quant au respect des droits de la défense, des garanties équivalentes à celles dont elle aurait bénéficié si l'affaire avait été directement portée devant le tribunal correctionnel ; qu'en effet, l'ordonnance doit être motivée ; que le prévenu dispose d'un délai de quarante-cinq jours à compter de la notification de l'ordonnance pour former opposition ; que, dans cette hypothèse, l'affaire fait l'objet devant le tribunal correctionnel d'un débat contradictoire et public au cours duquel l'intéressé a droit à l'assistance d'un avocat ; qu'il doit être informé de ces règles ; que l'ensemble de ces dispositions garantit de façon suffisante l'existence d'un procès juste et équitable ;
82. Considérant que, par suite, l'article 42 de la loi déférée n'est pas contraire au principe d'égalité devant la justice ;
En ce qui concerne l'article 49 :
83. Considérant que l'article 49 de la loi déférée a pour objet de permettre le placement sous surveillance électronique d'une personne mise en examen dans le cadre d'un contrôle judiciaire ; qu'il autorise en outre la mise en oeuvre de ce dispositif technique par une personne de droit privé habilitée dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat ;
84. Considérant que les requérants estiment que ces dispositions portent une atteinte d'une excessive rigueur à la liberté individuelle et à la vie privée et qu'elles violent par conséquent les articles 2, 4, 8 et 9 de la Déclaration de 1789 ; que, dans la mesure où elles s'appliquent aux mineurs, elles seraient en outre contraires à la dignité de l'enfant ; qu'enfin, en permettant que la mise en oeuvre du dispositif soit confiée à une personne de droit privé, elles organiseraient, selon eux, « une sorte de privatisation de la procédure pénale qui n'est pas compatible avec les principes de notre droit » ;
85. Considérant, en premier lieu, que les mesures de contrôle judiciaire imposant à la personne concernée, en application du 2° de l'article 138 du code de procédure pénale, de « ne s'absenter de son domicile ou de la résidence fixée par le juge d'instruction qu'aux conditions et pour les motifs déterminés par ce magistrat » ont nécessairement pour effet de restreindre la liberté individuelle ; que le placement sous surveillance électronique dont pourra être assortie une telle mesure, en vertu de l'article 49 de la loi déférée, ne pourra être mis en oeuvre qu'avec l'accord exprès de l'intéressé ; que, dans certaines circonstances, il permettra d'éviter sa détention provisoire ; qu'ainsi, la mesure critiquée ne peut être regardée comme présentant une rigueur qui ne serait pas nécessaire au regard de l'article 9 de la Déclaration de 1789 ;
86. Considérant, en deuxième lieu, que les mineurs de treize ans ne peuvent en aucun cas relever des dispositions contestées ; qu'il résulte du nouvel article 10-2 de l'ordonnance du 2 février 1945 que les mineurs de treize à seize ans faisant l'objet de poursuites correctionnelles ne sauraient davantage être soumis à cette mesure ; que, par suite, le moyen manque en fait en ce qui concerne les mineurs susmentionnés ; que, s'agissant des autres mineurs, le moyen n'est pas fondé compte tenu soit du caractère criminel des faits, soit de l'âge des intéressés ;
87. Considérant, en dernier lieu, que la loi déférée ne permet de confier à des personnes de droit privé, en matière de surveillance électronique, que des prestations techniques détachables des fonctions de souveraineté ;
88. Considérant que, par suite, l'article 49 n'est pas contraire à la Constitution ;
Sur le rapport approuvé par l'article 1er :
89. Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi déférée : « Les orientations et la programmation des moyens de la justice pour les années 2003 à 2007 figurant dans le rapport annexé à la présente loi sont approuvées » ;
90. Considérant que, si la programmation des moyens de la justice pour les années 2003 à 2007 figurant à l'article 2 de la loi déférée et dans le rapport annexé à cette loi a la valeur normative qui s'attache aux lois de programme prévues à l'article 1er de l'ordonnance du 2 janvier 1959 susvisée, les « orientations » présentées dans le même rapport ne relèvent en revanche d'aucune des catégories de textes législatifs prévues par la Constitution et ne sont dès lors pas revêtues de la valeur normative qui s'attache à la loi ; que les mesures législatives ou réglementaires qui, le cas échéant, mettront en oeuvre ces orientations pour leur attacher des effets juridiques pourront, selon le cas, faire l'objet de saisines du Conseil constitutionnel ou de recours devant la juridiction administrative ;
Sur l'article 6 :
91. Considérant qu'en vertu du premier alinéa de l'article 47 de la Constitution : « Le Parlement vote les projets de loi de finances dans les conditions prévues par une loi organique » ; que l'ordonnance du 2 janvier 1959 susvisée, portant loi organique relative aux lois de finances, réserve aux lois de finances, dans son article 1er, les « dispositions législatives destinées à organiser l'information et le contrôle du Parlement sur la gestion des finances publiques » ;
92. Considérant que le premier alinéa de l'article 6 de la loi déférée dispose : « A compter de 2004, le Gouvernement déposera chaque année sur le bureau de l'Assemblée nationale et sur celui du Sénat, à l'occasion de la présentation du projet de loi de règlement afférent à l'année précédente, un rapport ayant pour objet, d'une part, de retracer l'exécution de la présente loi, d'autre part, d'évaluer les résultats obtenus au regard des objectifs fixés dans son rapport annexé et des moyens affectés à la réalisation de ces objectifs. Ce rapport sera préparé par une instance extérieure aux services concernés » ; que les autres alinéas du même article sont relatifs aux sujets sur lesquels portera l'évaluation ainsi prévue ;
93. Considérant que de telles dispositions, qui sont destinées à organiser l'information et le contrôle du Parlement sur la gestion des finances publiques dans le domaine de la justice, ne peuvent trouver place dans une loi ordinaire ; qu'elles doivent être donc déclarées contraires à la Constitution ;
94. Considérant qu'il n'y a lieu, pour le Conseil constitutionnel, de soulever d'office aucune autre question de conformité à la Constitution,
Décide :