Article (CONSEIL CONSTITUTIONNEL Saisine du Conseil constitutionnel en date du 27 mars 1997, présentée par plus de soixante députés, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, et visée dans la décision no 97-389 DC)
V. - Sur l'article 7 de la loi déférée
Cet article subordonne désormais notamment le renouvellement « de plein droit » de la carte de résident à la condition que la présence de l'étranger sur le sol français « ne constitue pas une menace pour l'ordre public ».
Jusqu'à présent, seuls l'état de polygamie et le départ pendant trois ans du territoire français pouvaient faire obstacle au renouvellement de plein droit de la carte de résident. Ces deux conditions ne donnant lieu à aucune appréciation, le pouvoir conféré à l'autorité administrative était totalement lié par la loi, si bien que le renouvellement était réellement « de plein droit ». Désormais, au contraire, la « menace pour l'ordre public » est librement appréciée par l'autorité administrative, et la condition légale ainsi posée est si vague et sujette à interprétation que le pouvoir octroyé à cette autorité devient quasi discrétionnaire. En ce sens, l'imprécision de la loi prive de garantie légale la liberté individuelle des intéressés, qui pourtant représentent par hypothèse les plus « intégrés » des étrangers résidant sur le sol français puisqu'ils y sont en situation régulière depuis au moins dix ans.
Vainement objecterait-on qu'en 1993 (décision no 93-325 DC du 13 août 1993, vingt-cinquième considérant) le Conseil constitutionnel a admis que l'absence de « menace pour l'ordre public » soit une condition d'octroi de la carte de résident : c'est précisément en relevant qu'à l'époque la carte de résident était renouvelée de plein droit que le Conseil avait estimé que l'atteinte alors portée à la liberté individuelle n'était pas excessive.
Aujourd'hui, un nouveau degré est franchi dans la précarisation du statut des étrangers en situation régulière : la régression de la sécurité juridique est à l'évidence bien plus grave lorsque c'est la stabilité d'un séjour régulier ininterrompu depuis au moins dix ans qui est abandonnée à l'arbitraire administratif (arbitraire d'autant plus réel que tel préfet qui invoque ses convictions religieuses dans l'exercice de son pouvoir de police aura de toute évidence une conception de la « menace pour l'ordre public » fort différente de tel autre plus au fait des dispositions de l'article 1er de la Constitution).
C'est dans ces conditions l'ensemble de l'article 7 de la loi déférée qui appelle la censure.