Article (CONSEIL CONSTITUTIONNEL Saisine du Conseil constitutionnel en date du 25 février 1997 présentée par plus de soixante sénateurs, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, et visée dans la décision no 97-388 DC)
III. - L'atteinte au principe de l'application de l'avantage plus favorable en cas de concours entre accords collectifs ou entre une décision unilatérale de l'employeur et un accord collectif (art. 4)
La souscription, par les entreprises, des plans d'épargne retraite pourra résulter de la conclusion d'accords collectifs. Le législateur ayant expressément prévu que ces accords puissent être conclus dans l'entreprise,
la branche professionnelle ou le domaine interprofessionnel, le développement de négociations collectives consacrées à la mise en place de plans d'épargne retraite posera la question de l'application simultanée d'accords conclus à des niveaux différents de négociation. Jusqu'à présent et exception faite des accords dérogatoires qui ne sont pas, ici, envisagés, en cas de concours d'accords collectifs, le principe de l'avantage le plus favorable s'appliquait au salarié. En écartant l'application des dispositions du second alinéa de l'article L. 132-13 et du second alinéa de l'article L. 132-23 du code du travail, le législateur met en cause ce principe dans le domaine des plans d'épargne retraite.
L'article L. 132-13 du code du travail traite du concours d'accords collectifs dans un même secteur professionnel. L'article 4, alinéa 2, de la loi permettra de faire prévaloir, entre deux accords dont le champ est différent, celui dont les dispositions sont les moins favorables.
L'article L. 132-23, alinéa 2, du code du travail prévoit que dans le cas où l'accord de branche vient à s'appliquer postérieurement à la conclusion de l'accord d'entreprise, les dispositions de ce dernier sont adaptées en conséquence. Il s'agit d'une forte incitation à renégocier l'accord d'entreprise afin de procéder à son adaptation. Lorsque tel n'est pas le cas, l'application des dispositions conjointes de l'accord de branche et de l'accord d'entreprise doit se résoudre par l'application de la disposition la plus favorable.
Pour prendre un exemple simple, supposons qu'un accord de branche prévoit que les employeurs relevant du champ d'application de la branche consacrent 2 % du salaire au titre de l'abondement de l'employeur aux plans d'épargne retraite susceptibles d'être souscrits par leurs salariés et qu'une entreprise ait conclu antérieurement un accord dans lequel l'abondement de l'employeur représentait 1 % du salaire. L'article 4, alinéa 2, de la loi relative à l'épargne retraite autorise donc cet employeur à maintenir son abondement à ce niveau. Le salarié va donc, au titre de l'abondement de l'employeur, acquérir deux fois moins de droits que ses collègues travaillant dans des entreprises qui n'avaient pas mis en place de plan d'épargne retraite. Cet exemple fait clairement apparaître l'atteinte à l'égalité susceptible de résulter de l'application des dispositions de l'article 4,
alinéa 2, de la loi.
Enfin, il en ira de même en cas de décision unilatérale de l'employeur. En effet, le dernier alinéa de l'article 4 soumet l'adhésion des salariés, en cas de décision unilatérale de l'employeur, aux mêmes conditions qu'en cas d'accord collectif. Il faut donc considérer que la décision unilatérale de l'employeur n'aura pas à être adaptée en cas de conclusion postérieure d'un accord de branche plus favorable.
L'adoption, par le législateur, de cette règle de conflit entre accords collectifs concurrents ou entre un accord collectif de branche et une décision unilatérale de l'employeur est contraire au principe selon lequel c'est la disposition la plus favorable au salarié qui doit prévaloir.
Ce principe, qui repose sur l'actuel article L. 132-4 du code du travail selon lequel « la convention et l'accord collectif de travail peuvent comporter des dispositions plus favorables aux salariés que celles des lois et règlements en vigueur », a été introduit dans le droit positif par la loi du 24 juin 1936 modifiant et complétant le chapitre IV bis du titre II du livre Ier du code du travail : « De la convention collective du travail » (dernier alinéa de l'ancien art. 31 VC du code du travail).
Il a d'abord été explicité par le Conseil d'Etat dans l'avis qu'il a rendu le 22 mars 1973 (Droit social 1973, p. 514). La Haute Assemblée a rappelé que les dispositions législatives et réglementaires prises dans le domaine du droit du travail présentent un caractère d'ordre public en ce qu'elles garantissent aux travailleurs des avantages minimaux qui ne peuvent être réduits ni supprimés par voie de convention ou d'accord collectif.
Plus récemment, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, et la Cour de cassation ont affirmé le principe de l'application, en cas de concours entre conventions ou accords collectifs, de la règle la plus favorable. Dans un arrêt du 8 juillet 1994, le Conseil d'Etat a estimé que, conformément aux dispositions de l'article L. 132-4 du code du travail, « le pouvoir réglementaire ne peut, sauf habilitation législative expresse, prévoir des conventions collectives comportant des stipulations moins favorables aux travailleurs que les dispositions qu'il a lui-même édictées » (RJS 12/94, p. 840). De même, la Cour de cassation, dans plusieurs arrêts rendus le 17 juillet 1996, a affirmé dans les visas qui précèdent son arrêt « le principe fondamental en droit du travail, selon lequel, en cas de conflit de normes,
c'est la plus favorable qui doit recevoir application » (Chambre sociale,
Droit social no 12, p. 1053, note J. Savatier). La cour a réaffirmé ce principe dans une autre affaire jugée le 8 octobre 1996 (Droit social no 12, p. 1048).
En conséquence, le principe, en droit du travail, selon lequel, en cas de conflit de normes, c'est la plus favorable qui doit recevoir application,
doit être qualifié de principe fondamental reconnu par les lois de la République auquel le législateur ne peut déroger.
On observera, enfin, que les dispositions de l'article 4, alinéa 2, de la loi ne sont entourées d'aucune garantie :
- comme on le verra plus bas, une très large place est faite à la décision unilatérale de l'employeur, la négociation collective ne pouvant se dérouler librement ;
- à supposer que la disposition moins favorable puisse recevoir application, aucune contrepartie n'est envisagée, ce qui interdit tout accord « donnant-donnant » ;
- les organisations syndicales, dans l'entreprise où la disposition la moins favorable serait appliquée, ne peuvent exercer un quelconque droit d'opposition.