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Article (CONSEIL CONSTITUTIONNEL Saisine du Conseil constitutionnel en date du 25 février 1997 présentée par plus de soixante sénateurs, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, et visée dans la décision no 97-388 DC)

Article (CONSEIL CONSTITUTIONNEL Saisine du Conseil constitutionnel en date du 25 février 1997 présentée par plus de soixante sénateurs, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, et visée dans la décision no 97-388 DC)

XII. - Les multiples atteintes au principe de l'égalité

1. Les atteintes liées à la date de création de l'entreprise (art. 1er,
alinéa 2).
Le deuxième alinéa de l'article 1er de la loi prévoit qu'au terme d'un délai d'un an à compter de la promulgation de la loi les salariés qui ne bénéficient pas d'une proposition de plan d'épargne retraite au titre d'un accord collectif ou d'une décision unilatérale de leur employeur pourront adhérer individuellement à un plan d'épargne retraite.
Ces dispositions s'appliquent aux entreprises qui existent à la date de promulgation de la loi ou qui vont se créer avant l'expiration du délai d'un an qui suivra sa promulgation. Par contre, les salariés des entreprises qui se créeront après ce délai d'un an pourront, sans délai, adhérer individuellement à un plan d'épargne retraite.
Cette différence de traitement ne repose sur aucune justification tirée de l'intérêt général. Parmi les salariés qui souhaiteront adhérer à un plan d'épargne retraite, elle aura pour effet de priver ceux qui, aujourd'hui,
travaillent dans des entreprises qui existaient de se constituer pendant un an un droit à retraite alors que ceux qui seront embauchés par les entreprises qui se créeront dans un an pourront, dès leur embauche, commencer à cotiser à un fonds d'épargne retraite.
En raison de l'atteinte au principe de l'égalité qu'il comporte, le délai d'un an applicable aux seuls salariés des entreprises existantes ou qui se créeront dans un délai d'un an à compter de la promulgation de la loi est contraire à la Constitution.
2. La différence de traitement entre les Français établis en France et les Français de l'étranger (art. 2).
Le législateur a introduit une différence de traitement entre les Français établis en France et ceux qui sont établis à l'étranger. Alors que l'article 1er de la loi réserve le bénéfice des fonds d'épargne retraite aux seuls salariés de droit privé affiliés à la fois à un régime de base de sécurité sociale et à un régime de retraite complémentaire, l'article 2 ouvre à l'ensemble des Français établis à l'étranger la possibilité d'adhérer à un plan d'épargne retraite. Sont donc, notamment, visés les fonctionnaires ou agents publics, les non-salariés et les conjoints qui, en France, n'ont pas la possibilité d'adhérer à un plan d'épargne retraite. Cette différence de traitement ne repose sur aucune justification. Ou bien l'adhésion à un plan d'épargne retraite est ouverte à tout citoyen, qu'il soit établi en France ou à l'étranger, ou bien elle est limitée aux personnes qui remplissent les conditions posées à l'article 1er de la loi et alors ces conditions doivent également s'appliquer aux Français établis à l'étranger.
3. Les atteintes relatives au contenu des plans proposés (art. 5, alinéa 2). Le Parlement a interdit aux fonds d'épargne retraite de mettre en oeuvre des régimes de retraite à prestations définies.
On entend, habituellement, par régimes de retraite à prestations définies des régimes dont les droits sont exprimés en fonction du salaire. Par exemple, des régimes souvent qualifiés de régimes « chapeau » qui offrent aux salariés une garantie en pourcentage d'un dernier salaire d'activité ; le régime des pensions civiles et militaires fonctionne ainsi. Devraient également être visés les régimes relevant du chapitre Ier du titre IV du livre IV du code des assurances et, plus généralement, beaucoup de régimes existants qui sont, en fait, à prestations définies.
L'exclusion des régimes à prestations définies porte atteinte au principe de l'égalité et au principe de la libre détermination de leurs garanties sociales par les salariés. Elle n'est, en aucune manière, justifiée par des motifs tirés de l'intérêt général.
Le principal argument invoqué pour écarter les régimes à prestations définies tient au fait que ces régimes ne permettraient pas aux gestionnaires des fonds d'épargne retraite d'investir majoritairement les actifs qu'ils détiennent en actions (Rapport no 124, première lecture, Sénat, p. 44-45).
Cet argument ne repose sur aucune base technique sérieuse. Le fait que la prestation soit déterminée à l'avance permet, au contraire, au gestionnaire du fonds d'épargne retraite d'investir davantage en actions. Si le souci du législateur était d'écarter les régimes qui conduisent à trop investir en produits de taux (obligations, etc.), ce sont les régimes à cotisations définies dont les droits sont exprimés en francs qu'il aurait fallu interdire. Pour libérer les gestionnaires financiers du court terme qui les oblige à être prudents afin d'afficher, chaque année, des résultats « corrects », il faut leur offrir un horizon à très long terme qui est,
notamment, permis par les régimes à prestations définies.
L'argument invoqué manquant en fait, l'article 5, alinéa 2, est contraire au principe constitutionnel de l'égalité et donc à la Constitution.
4. La différence de traitement entre les adhérents d'un même plan selon qu'ils restent ou quittent ce plan (art. 7).

A l'article 7, en cas de rupture du contrat de travail, l'adhérent peut demander le maintien intégral des droits qu'il a acquis au titre du plan auquel il adhérait. La formulation retenue par le législateur donne à penser que si l'adhérent n'effectue pas cette demande, ses droits ne seront pas nécessairement maintenus. Mais, au-delà de cette maladresse rédactionnelle,
la formulation retenue signifie que ces droits sont cristallisés au niveau qu'ils avaient atteint à la date de rupture du contrat de travail. Or la gestion des actifs représentatifs de ces droits génère des produits financiers ; ces produits financiers, qualifiés de participations aux bénéfices, doivent être affectés aux assurés dans une proportion de 85 % (art. L. 331-3 et A. 331-4 du code des assurances). Il en va de même pour les bénéfices techniques (évolution de la démographie du groupe assuré). Tel qu'il est rédigé, l'article 7 autorise l'assureur à ne plus faire bénéficier l'épargne constituée par les adhérents ayant quitté le fonds de ces bénéfices techniques et financiers alors que les personnes qui continuent d'adhérer au fonds pourront en bénéficier. Il y a donc atteinte à l'égalité entre les ressortissants d'un même plan d'épargne retraite.
5. Les atteintes relatives aux différences de traitement entre adhérents individuels et adhérents collectifs en matière de surveillance et d'information (art. 14, 16, 21 et 22).
L'article 14 de la loi prévoit la mise en place de comités de surveillance à l'initiative du seul souscripteur, c'est-à-dire de l'employeur. En conséquence, les salariés qui, ainsi que le prévoit la loi, pourront adhérer individuellement à un plan d'épargne retraite ne seront pas représentés au travers de ces comités de surveillance. L'exigence de constitution d'un comité de surveillance par entreprise composé, pour moitié, de représentants élus, est dépourvue de signification dans les petites entreprises. En conséquence, seuls les adhérents à des plans mis en place dans des grandes entreprises et, sans doute, dans un certain nombre d'entreprises de taille moyenne disposeront effectivement de comités de surveillance.
L'article 21 comporte une discrimination comparable entre adhérents collectifs et adhérents individuels. Seuls les adhérents à un plan mis en place par une entreprise recevront une notice d'information sur le contenu du plan. Cette notice est, en effet, remise par le souscripteur, c'est-à-dire l'entreprise, à chaque adhérent. Il n'est nulle part prévu que le fonds d'épargne retraite remette une notice similaire aux adhérents individuels. La notice devant constituer un document clair et précis, facilement accessible à chaque assuré, les adhérents individuels sont privés par le législateur d'une garantie fondamentale.
La même différence de traitement se retrouve dans les informations communiquées par le fonds qui ne s'adressent qu'aux souscripteurs,
c'est-à-dire aux employeurs, les adhérents à titre individuel n'étant destinataires d'aucune information sur le plan auquel ils ont adhéré (art.
21, alinéa 3). Il en va également de même en ce qui concerne les informations susceptibles d'être demandées aux commissaires aux comptes ou actuaires du fonds (art. 22) et de l'expertise de minorité (art. 16) dont les adhérents individuels sont totalement écartés faute de pouvoir être représentés dans un comité de surveillance.
Pour l'ensemble de ces raisons, les articles 14, 16, 21 et 22 sont contraires au principe constitutionnel de l'égalité.
Les sénateurs soussignés ont l'honneur de déférer au Conseil constitutionnel l'ensemble des dispositions de la loi relative à l'épargne retraite. Le texte adopté par le Parlement est en effet contraire à certaines des garanties les plus fondamentales inscrites dans la Constitution. Les assurés sont, dans ces conditions, en droit d'attendre du législateur qu'il définisse un cadre juridique rigoureux qui leur assure la sécurité et la confiance nécessaires à des opérations qui s'inscrivent dans une durée très longue.
(Liste des signataires : voir décision no 97-388 DC.)