Article (CONSEIL CONSTITUTIONNEL Saisine du Conseil constitutionnel en date du 25 février 1997 présentée par plus de soixante sénateurs, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, et visée dans la décision no 97-388 DC)
VII. - L'atteinte au principe constitutionnel de la participation des
assurés à la gestion de leur plan d'épargne retraite (art. 14)
L'alinéa 8 du Préambule de 1946 affirme que « tout travailleur participe,
par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises ». L'article 34 de la Constitution range dans le domaine de la loi la détermination des principes fondamentaux du droit du travail, du droit syndical et du droit de la sécurité sociale. Ainsi que le Conseil constitutionnel l'a jugé dans sa décision no 94-348 DC du 3 août 1994 pour les opérations de retraite supplémentaire d'entreprise, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect de cette disposition à valeur constitutionnelle, les conditions et garanties de sa mise en oeuvre.
Le législateur a méconnu le principe posé à l'alinéa 8 du Préambule de 1946 en prévoyant la mise en place de comités de surveillance qui, dans de nombreux cas, ne pourront pas être constitués, qui ne disposent pas de réelles attributions pour pouvoir assurer la participation des assurés à la gestion du plan d'épargne retraite et qui visent à écarter les partenaires sociaux de la gestion des plans.
On rappellera, tout d'abord, que les plans d'épargne retraite seront très largement financés par les salariés. Ceux-ci devront effectuer des versements, ce qui implique une périodicité mensuelle ou trimestrielle des sommes versées alors que les employeurs ne verseront que des abondements ou des contributions complémentaires qui ne présentent aucun caractère obligatoire ou même d'automaticité. Le financement des plans par les salariés dans des proportions sans doute importantes en pratique fonde le droit des adhérents à participer à la gestion du plan. C'est particulièrement vrai pour les adhérents individuels qui seront les seuls financeurs de leurs plans.
Comme on l'a vu précédemment, le dispositif retenu par le législateur ne permettra pas, pour les adhérents individuels et dans les entreprises de faible dimension, la constitution de conseils de surveillance. A supposer que les adhérents individuels puissent être représentés au sein de comités de surveillance qui leur seraient réservés, on ne voit pas pourquoi ils ne pourraient disposer que de la moitié des sièges ; si l'autre moitié est composée, en totalité ou en partie, de représentants du fonds, c'est-à-dire de l'assureur, il y a atteinte à l'indépendance des comités de surveillance qui ne pourront exercer pleinement leur rôle. On ajoutera que le législateur a prévu à l'article 14 de la loi la représentation des seuls adhérents,
écartant ainsi les bénéficiaires de rentes. Or un système de retraite forme un tout indivisible entre des salariés actifs cotisants et des retraités,
bénéficiaires de prestations. On rappellera que l'article L. 911-1 du code de la sécurité sociale qui traite des garanties collectives dans le domaine des couvertures sociales complémentaires vise les salariés, anciens salariés et ayants droit. La composition même des comités de surveillance porte atteinte au principe constitutionnel de l'égalité.
Les conseils de surveillance ne disposent pas de réelles attributions.
Associer les assurés à la gestion de leur plan, c'est leur donner les moyens de décider du pilotage de leur plan, c'est-à-dire, par exemple, pour des régimes relevant du chapitre Ier du titre IV du livre IV du code des assurances, fixer les paramètres du régime ; c'est ainsi que fonctionnent,
pour des personnes situées hors du champ de cette loi, la PREFON et FONPEL ; de même, il appartient aux adhérents de déterminer, en fonction des possibilités du régime, les modalités de revalorisation des rentes servies ; en demeurant totalement silencieux sur ces différents points, le législateur laisse aux fonds d'épargne retraite, c'est-à-dire aux assureurs, le soin de piloter les plans ; or seuls les assurés ont la légitimité nécessaire, les fonds d'épargne retraite n'étant que de simples contractants.
Comme on l'a déjà souligné, le comité de surveillance émet des avis à destination des adhérents au plan (art. 21, alinéa 3) et non à destination des responsables du fonds qui gère le plan ; ceux-ci ne sont pas tenus de répondre aux questions du comité sauf lorsque celui-ci fait usage de la procédure particulièrement lourde prévue à l'article 16 de la loi qui suppose une demande d'un tiers des membres du comité et, en l'absence de réponse des responsables du fonds, la nomination, par un juge, d'un ou plusieurs experts. Ces dispositions visent à écarter les partenaires sociaux de la gestion des plans d'épargne retraite. Elles sont contraires à la décision no 94-348 du 3 août 1994 du Conseil constitutionnel dans laquelle celui-ci a estimé, pour des opérations de retraite supplémentaire, analogues à celles relatives aux plans d'épargne retraite, que la présence des partenaires sociaux, soit comme souscripteurs, soit comme gestionnaires directs d'organismes d'assurance,
permettait d'« assurer une meilleure protection sociale des salariés ». On rappellera que, seul, l'employeur est souscripteur des plans d'épargne retraite (art. 6 bis, premier alinéa).
Pour l'ensemble de ces raisons, le législateur n'a pas assuré les conditions et garanties, à l'article 14 de la loi, de l'alinéa 8 du Préambule de 1946.