Article (CONSEIL CONSTITUTIONNEL Décision no 96-383 DC du 6 novembre 1996)
Sur les I à IV de l'article 6 de la loi :
Considérant que le I de l'article 6 de la loi déférée permet la conclusion, dans certaines conditions, d'accords de branche, négociés en commission composée des représentants des organisations syndicales d'employés et de salariés représentatives, pouvant déroger aux dispositions des articles L.
132-2, L. 132-19 et L. 132-20 du code du travail qui réservent aux organisations syndicales de salariés représentatives le droit de participer à la négociation de conventions ou d'accords collectifs de travail ; que ces accords de branche pourront ainsi prévoir, en vertu du II de l'article 6,
pour certains thèmes qu'ils fixeront, qu'en l'absence de délégués syndicaux dans l'entreprise, ou de délégués du personnel faisant fonction de délégué syndical dans les entreprises de moins de cinquante salariés, les représentants élus du personnel négocient la mise en oeuvre des mesures dont l'application est légalement subordonnée à un accord collectif ; qu'en application des dispositions du III de l'article 6, les accords de branche pourront également prévoir que, dans ces entreprises, des accords collectifs soient conclus par un ou plusieurs salariés expressément mandatés, pour une négociation déterminée, par une ou plusieurs organisations syndicales représentatives ; que les accords de branche préciseront alors les modalités de protection de ces salariés ; qu'en vertu du IV, les accords de branche prévus aux I à III détermineront également les seuils d'effectifs en deçà desquels les formes dérogatoires de négociation qu'ils prévoient seront applicables ;
Considérant qu'à titre liminaire les députés, auteurs de la première saisine, soulignent que font « partie intégrante de l'ordre constitutionnel français le principe de la négociation collective des conditions de travail et celui de la représentation des travailleurs par l'intermédiaire de leurs délégués » et soutiennent que le principe de représentativité et un principe qu'ils intitulent « principe de faveur » sont des « principes fondateurs de la démocratie sociale » ; que le premier principe garantirait la participation des organisations syndicales reconnues représentatives à la négociation collective entre les partenaires sociaux et qu'en vertu du second, une convention collective ou un accord collectif de travail ne pourraient qu'améliorer la situation des travailleurs par rapport aux dispositions prévues par la loi et les règlements ou aux stipulations de portée plus large ; que, pour leur part, les sénateurs auteurs de la seconde saisine se prévalent également de la valeur constitutionnelle de ces principes ; qu'ils soutiennent notamment à cette fin que le principe dit « principe de faveur » aurait le caractère d'un principe fondamental reconnu par les lois de la République ;
Considérant, en premier lieu, que les députés et les sénateurs, auteurs respectivement de la première et de la seconde saisines, font valoir qu'il appartient au législateur de déterminer les conditions et garanties de la mise en oeuvre du principe constitutionnel qu'est le droit à la participation des salariés par l'intermédiaire de leurs délégués à la détermination collective des conditions de travail, posé par le huitième alinéa du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 ; qu'ils soutiennent, d'une part, qu'en ne soumettant pas l'intervention des partenaires sociaux au respect de garanties claires et précises assurant la mise en oeuvre dudit principe, le législateur n'a pas exercé la totalité des compétences qu'il tient de l'article 34 de la Constitution ; que, selon les députés requérants, le législateur aurait en particulier dû fixer le seuil d'effectifs en deçà duquel les procédures dérogatoires au droit commun de la négociation collective instaurées par la loi déférée seront applicables ; que les députés et les sénateurs auteurs des saisines font valoir, d'autre part, que le III de l'article 6 de la loi déférée, en laissant toute latitude aux partenaires sociaux, dans le cadre des accords de branche, pour faire ou non bénéficier du régime protecteur de l'autorisation administrative de licenciement ou de garanties équivalentes les salariés mandatés pour conclure dans les conditions fixées par la loi des accords collectifs, méconnaît l'article 34 de la Constitution, alors que l'existence d'un tel statut constitue une garantie fondamentale de la mise en oeuvre du droit proclamé par le huitième alinéa du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 ; que les sénateurs soulignent que la représentativité des délégués ne pourrait être garantie que par leur indépendance à l'égard de l'employeur ; qu'en outre, selon eux, par cette délégation faite aux accords de branche, le législateur aurait méconnu le principe d'égalité devant la loi, en permettant la mise en place de régimes de protection différents selon les entreprises ;
Considérant, en deuxième lieu, que les auteurs des saisines soutiennent que l'article 6 porte atteinte au principe dit de « faveur » ; que selon eux les dérogations susceptibles d'être apportées à ce principe doivent en tout état de cause demeurer exceptionnelles et être encadrées strictement par la loi, à laquelle il appartient de déterminer les principes fondamentaux du droit du travail et du droit syndical ; qu'ils font ainsi valoir que la loi devait en particulier déterminer avec précision l'objet et les modalités des dérogations à ce principe ; qu'ils estiment que ces exigences ne sont pas satisfaites en raison de l'absence de précision des domaines où pourront être conclus des accords dérogeant aux règles légales, dans un sens moins favorable aux salariés ;
Considérant, en outre, que, selon les députés et sénateurs auteurs des requtes, les dispositions contestées seraient contraires au principe constitutionnel d'égalité devant la loi ; qu'en effet elles entraîneraient des ruptures d'égalité à l'intérieur d'une même branche d'activité, en faisant dépendre l'étendue des droits des salariés au sein des entreprises de la conclusion d'accords collectifs dérogatoires au droit commun de la négociation collective, le législateur n'encadrant pas le pouvoir de négociation des parties aux accords de branche et d'entreprise par la fixation de critères précis susceptibles de justifier des différences de traitement ;
Considérant, enfin, que les députés auteurs de la première saisine font valoir que, de manière générale, le législateur ne pourrait porter atteinte à des droits sociaux qu'il aurait précédemment garantis ;