Article (Saisines du Conseil constitutionnel en date du 20 décembre 1995 et du 21 décembre 1995 présentées par plus de soixante députés et plus de soixante sénateurs, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, et visées dans la décision no 95-370 DC)
1. Le statut juridique de la dette
Si le statut de la dette accumulée postérieurement au 1er janvier 1994 ne pose guère de problème de définition, il n'en va pas de même de la dette antérieure, qui a déjà fait l'objet d'une série de dispositions législatives aux conséquences fiscales, budgétaires et juridiques importantes.
Sans entrer dans trop de détails, il convient à ce sujet de rappeler trois étapes essentielles.
La première a été franchie à l'occasion de la loi de finances rectificative pour 1993 (loi no 93-859 du 22 juin 1993). L'article 42 de celle-ci a, entre autres mesures, porté de 1,1 p. 100 à 2,4 p. 100, à compter du 1er juillet 1993, le taux de la contribution sociale généralisée (C.S.G.).
Lorsque cela fut fait, et que vous eûtes rendu votre décision sur ce texte,
le Parlement adopta la loi no 93-936 du 22 juillet 1993 relative aux pensions de retraite et à la sauvegarde de la protection sociale. Son article 1er créait le Fonds de solidarité vieillesse (F.S.V.), établissement public de l'Etat à caractère administratif.
Celui-ci recevait mission, à titre exceptionnel, d'assurer le remboursement échelonné à l'Etat des sommes nécessaires à la prise en charge par celui-ci des avances accordées à l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (A.C.O.S.S.), telles qu'elles seraient arrêtées à la date du 31 décembre 1993.
C'est essentiellement afin de financer ce remboursement, en capital et en intérêt, que la même loi affectait au F.S.V. le produit de l'augmentation de la C.S.G. opérée par la loi de finances rectificative précitée, promulguée le jour même où a commencé l'examen du second texte devant le Sénat, première assemblée saisie.
Dès lors qu'avaient ainsi été mis en place le financement - par la hausse de la C.S.G. - et l'opérateur - par la création du F.S.V. - qui allaient permettre la reprise de la dette, il ne restait plus, dans la troisième étape de ce processus à tous égards unique, qu'à organiser celle-ci.
Ce fut l'objet de l'article 105 de la loi de finances pour 1994 (loi no 93-1352 du 30 décembre 1993). Constatant que la dette de l'A.C.O.S.S. à l'égard de la Caisse des dépôts et consignations s'élevait à 110 milliards de francs ; il en transféra la charge à l'Etat, à compter du 1er janvier 1994.
Les conditions pour le moins singulières dans lesquelles cette dernière mesure a été prise, sans jamais apparaître dans le budget, nous avaient déjà conduits à vous en saisir, ce qui vous avait amenés à considérer qu'il ne s'agissait ni d'une consolidation des avances faites par l'Etat, ni d'un prêt au F.S.V., mais, simplement, d'une « opération de trésorerie de l'Etat effectuée conformément aux articles 6 et 15 de l'ordonnance organique » relative aux lois de finances (décision 93-330 DC du 29 décembre 1993). A cette occasion, vous aviez relevé que « la loi de finances n'établit aucun lien juridique entre le règlement par l'Etat de la dette de l'agence et le prélèvement mis à la charge de l'établissement public "fonds de solidarité vieillesse" selon l'état A annexé à la loi de finances ».
Toutefois, même si vous avez considéré que cela ne suffisait pas à attester l'existence d'un lien juridique, l'exposé des motifs de ce qui allait devenir l'article 105 de la loi de finances pour 1994 d'une part précisait explicitement que la charge pesant ainsi sur l'Etat serait compensée par un versement du F.S.V. à hauteur de 6 787 millions de francs en 1994, d'autre part fixait un échéancier prévoyant des versements du F.S.V. à l'Etat, de la même somme en 1995, puis d'un montant annuel de 12 549,3 millions de francs jusqu'à 2008.
Ainsi, au terme du processus :
- l'Etat aurait repris, par une opération de trésorerie, les 110 milliards de francs de dettes de l'A.C.O.S.S. constatés au 31 décembre 1993 ;
- le F.S.V., grâce à l'augmentation de la C.S.G. dont la fraction supplémentaire lui a été attribuée, aurait effectué des versements à l'Etat à hauteur de 177 milliards de francs, dont 67 milliards de francs au titre des intérêts.
La question s'est posée de savoir s'il y avait lieu, du point de vue des principes budgétaires régissant les recettes de l'Etat, de distinguer, au sein des versements opérés à son profit par le F.S.V., entre l'amortissement du capital (ressource de trésorerie) et le remboursement des intérêts (recette budgétaire).
Mais une telle distinction, quoique usuellement faite, y compris par la Cour des comptes, aurait juridiquement impliqué la présence d'un prêt ou d'une avance consentis par l'Etat, ce que précisément votre décision précitée du 29 décembre 1993 a exclu.
En conséquence, la dette sociale arrêtée au 31 décembre 1993 s'analyse juridiquement comme une dette de l'Etat, bénéficiant de la contrepartie économique que constituent les versements du F.S.V., eux-mêmes financés par l'augmentation de la C.S.G. à compter du 1er juillet 1993.