Article (CONSEIL CONSTITUTIONNEL Saisine du Conseil constitutionnel en date du 10 octobre 1996, présentée par plus de soixante députés, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, et visée dans la décision no 96-383 DC)
VI. - Sur la violation du principe constitutionnel
d'égalité devant la loi
L'article 6 de la loi déférée organise de toute évidence, et même systématise, la rupture d'égalité à l'intérieur d'une même branche entre des salariés d'entreprises à effectifs et à spécialités comparables, salariés dont les droits les plus essentiels varieront uniquement en raison de ce que leur entreprise aura ou non pratiqué l' « expérimentation dérogatoire » encouragée par le législateur. Ainsi le code du travail relève-t-il désormais d'une applicabilité à éclipses, cependant que le tissu non seulement social mais, ici, juridico-social se transforme en une peau de léopard...
La rupture d'égalité consiste plus précisément ici en ce que la loi déférée n'encadre pas, on l'a vu, le pouvoir négociateur des parties aux accords de branche et d'entreprise en fixant des critères assez précis pour justifier des différences de traitement - en déterminant par exemple les contreparties pouvant équilibrer telle dérogation à une disposition protectrice du code du travail. Il n'est pas jusqu'au champ d'application même de la nouvelle procédure dérogatoire qui ne reste totalement indéterminé... C'est à nouveau l'imprécision de la loi déférée qui, s'ajoutant à l'incompétence négative dont elle est radicalement entachée, la rend incontestablement discriminatoire.
Vainement objecterait-on que l'existence de ruptures d'égalité devrait s'apprécier par rapport à l'objet de la loi déférée. Même de ce point de vue, au demeurant critiquable en ce qu'il omet l'hypothèse d'une loi dont l'objet même serait inconstitutionnellement discriminatoire, on a vu que l'ouverture d'une possibilité de modulation in pejus du droit social conventionnel est dans son principe même dissuasive. Dans un tel système, les travailleurs et leurs représentants ont tout à perdre à s'engager dans la négociation d'un accord d'entreprise au risque de perdre le bénéfice, au gré d'un rapport de forces devenant défavorable, de dispositions plus protectrices d'un accord de branche. C'est au contraire le maintien de la solidité du « plancher de branche » qui aurait poussé au développement de la négociation collective.
Dès lors, la différence de situations qui déclenche la différence de traitements avalisée par la loi déférée n'est nullement justificative de cette dernière au regard même de l'objet de ladite loi déférée, qu'elle aurait plutôt tendance à contrarier qu'à atteindre...
La discrimination constitutionnelle qui résulte de cette évolution à la fois sélective et aléatoire du droit conventionnel du travail est patente.
C'est pour l'ensemble de ces raisons que les députés soussignés ont l'honneur de vous demander, en application du deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, de déclarer non conforme à celle-ci l'article 6 de la loi qui vous est déférée.
Nous vous prions d'agréer, Monsieur le président, Madame et Messieurs les conseillers, l'expression de notre haute considération.
(Liste des signataires : voir décision no 96-383 DC.)