II-A-2-b. Substituabilité avec les offres de gros
d'accès large bande livrées au niveau régional
Si elle constate actuellement une certaine substituabilité du côté de la demande, entre les offres livrées au niveau national et les offres livrées au niveau régional, l'Autorité considère que cette substituabilité est très partielle. D'une part, la problématique n'est pertinente que pour des opérateurs de réseaux et, d'autre part, seule la substituabilité d'une offre d'accès livrée au niveau national par une offre d'accès livrée au niveau régional est pertinente. Ainsi la substituabilité du côté de la demande des acteurs sur le marché de gros revêt un caractère à la fois partiel et asymétrique.
En effet, si, en Ile-de-France, l'identité des points de collecte entre offres livrées au niveau régional et offres livrées au niveau national conduit les opérateurs à effectuer un simple arbitrage tarifaire entre les deux types d'offres, il convient, pour le reste du territoire national, de distinguer la situation des opérateurs ayant déployé un réseau à l'échelle nationale de celle des fournisseurs d'accès à internet ne disposant pas de réseau.
II-A-2-b (i) Situation des fournisseurs d'accès à internet
Pour ces acteurs, les coûts de migration d'une offre livrée au niveau national vers une offre livrée au niveau régional correspondent aux investissements que doit consentir un opérateur pour déployer un réseau à l'échelle nationale (reliant a minima une vingtaine de points).
Ce déploiement se traduit essentiellement par du génie civil ou de la location de fibre. L'Autorité estime que le montant des investissements correspondants est compris entre 150 et 300 millions d'euros.
L'Autorité en déduit qu'une augmentation faible mais durable du prix des offres de gros livrées au niveau national ne serait pas suffisamment dissuasive pour modifier la stratégie d'un fournisseur d'accès à Internet qui n'aurait jusqu'alors pas déployé son propre réseau. De ce point de vue, les deux offres ne sont donc pas substituables.
II-A-2-b (ii) Situation des opérateurs disposant d'un réseau
suffisamment capillaire : une substituabilité asymétrique
Pour ces acteurs, qui ont déjà déployé un réseau de dimension nationale, les coûts de substitution d'une offre livrée au niveau national par une offre livrée au niveau régional sont peu élevés et le choix entre ces deux offres peut résulter principalement d'un arbitrage tarifaire. Ainsi, depuis le début de l'année 2004, le nombre de substitutions d'une offre livrée au niveau national par une offre livrée au niveau régional croît de manière significative : plusieurs centaines de milliers d'accès qui étaient livrés au niveau national en début d'année ont été concernés.
Cette tendance résulte de la récente amélioration des conditions techniques, tarifaires et opérationnelles de l'offre ADSL Connect ATM de France Télécom et de l'introduction en février 2004 de l'offre IP/ADSL régionale de France Télécom.
Dans la mesure où des offres suffisamment attractives existent sur le marché de gros des offres d'accès large bande livrées au niveau régional, l'Autorité estime que les opérateurs sont fortement incités à avoir recours à ce type d'offres. D'une part, les offres collectées au niveau régional par les opérateurs leur permettent d'utiliser les infrastructures qu'ils détiennent en propre et de rentabiliser ainsi leurs investissements. D'autre part, la collecte au niveau régional est de nature à éviter une concentration du trafic en un unique point national.
A l'inverse, aucun opérateur ne procède à la substitution d'une offre livrée au niveau régional par une offre livrée au niveau national et une telle substitution est peu probable à l'horizon de cette analyse. En effet, un opérateur qui désirerait ne pas utiliser son réseau propre une fois celui-ci déployé et raccordé aux points régionaux de France Télécom supporterait un coût d'opportunité élevé à ne pas l'utiliser et à se fournir à travers l'offre, plus chère, livrée au niveau national d'un autre opérateur, dans la mesure où le coût marginal du mégabit collecté sur un réseau déjà déployé est faible.
L'Autorité relève ainsi que, pour les opérateurs disposant d'un réseau suffisamment capillaire, la substituabilité entre offres livrées au niveau régional et offres livrées au niveau national est asymétrique.
En outre, il convient de souligner que les offres livrées au niveau régional permettent aux opérateurs alternatifs de proposer des offres différenciées, notamment de voix, sur le marché de détail, contrairement aux offres livrées au niveau national, destinées à être revendues par un fournisseur d'accès à Internet.
Ainsi, la substitution observée actuellement entre offres livrées au niveau national et offres livrées au niveau régional est limitée intrinsèquement à une partie des acheteurs de l'offre livrée au niveau national d'une part, et, d'autre part, cette substitution est asymétrique, de l'offre livrée au niveau national vers l'offre livrée au niveau régional. Enfin, les deux types d'offres, livrées aux niveaux national et régional, ne présentent pas les mêmes fonctionnalités pour les opérateurs. L'offre livrée au niveau régional est plus attractive dans la mesure où elle confère aux opérateurs y ayant recours une marge de manoeuvre supérieure dans la formulation d'offres différenciées sur le marché de détail.
L'Autorité en conclut que ces deux types d'offres ne présentent pas un degré de substituabilité suffisant pour être intégrés dans le même marché.
II-A-2-c. Clientèle résidentielle et clientèle professionnelle
Les offres de gros d'accès large bande livrées au niveau national permettant à un fournisseur d'accès à internet de desservir sur le marché de détail la clientèle résidentielle et celles permettant de desservir la clientèle professionnelle sont très proches sur les plans technique et structurel. Les réseaux et les équipements techniques impliqués sont principalement les mêmes, la différenciation s'effectuant au moyen de paramétrages techniques propres aux besoins des clients professionnels : accès symétrique, débit garanti, qualité de service accrue, garantie de temps de rétablissement. S'ils ont un impact à la hausse sur les coûts d'exploitation des accès, ces paramétrages techniques n'induisent pas de fortes dépenses d'investissement de la part de l'opérateur.
La commercialisation d'offres de gros destinées in fine au marché professionnel peut se faire à coût marginal dès lors qu'une offre à destination du marché résidentiel est disponible, et réciproquement. Ces deux prestations bénéficient donc l'une et l'autre d'économies d'envergure substantielles.
Ainsi, du côté de l'offre, il existe une forte substituabilité entre les offres destinées aux clientèles résidentielle et professionnelle.
Du point de vue de la demande sur le marché de détail, il s'établit un continuum de la demande résidentielle vers la demande professionnelle. Les besoins des petites entreprises sont généralement plus proches de ceux des résidentiels que de ceux des très grandes entreprises. Ainsi, les clients résidentiels vont utiliser des offres à débit non garanti de 128 kbit/s à quelques mégabits par seconde avec une garantie de temps de rétablissement (ou GTR) standard de 48 heures, les petites entreprises peuvent se satisfaire de débits similaires mais souhaiter une GTR plus brève, de 4 heures par exemple, alors que les plus grandes entreprises souhaiteront des débits garantis et une GTR de 4 heures. Du point de vue de la demande sur le marché de gros, les opérateurs répercutent ces spécificités auprès de leur fournisseur. Il en résulte donc un même continuum, en termes de débit et en termes de qualité de service, directement dérivé de celui observé sur le marché de détail.
En outre, la collecte par les opérateurs alternatifs des trafics issus des offres professionnelles et résidentielles s'opère à partir des mêmes points de raccordement et sur le même réseau.
Les offres de gros d'accès large bande livrées au niveau national destinées à la clientèle professionnelle et celles destinées à la clientèle résidentielle présentent ainsi un degré de substituabilité élevé du côté de l'offre et un degré de substituabilité significatif du côté de la demande.
L'Autorité considère donc que ces deux offres appartiennent au même marché.
II-A-2-d. Interfaces de livraison
L'Autorité constate qu'il existe à ce jour deux interfaces principalement utilisées pour la livraison d'accès large bande au niveau national. Il s'agit d'une part de la livraison en ATM, qui a initialement été mise en place pour permettre l'élaboration d'offres sur le marché professionnel, et, d'autre part, de la livraison en IP, que ses caractéristiques techniques rendent plutôt adaptée à l'élaboration d'offres sur le marché résidentiel.
Le respect du principe de neutralité technologique est défini comme un objectif de régulation en vertu de l'article L. 32-1-II(13°) du code des postes et des communications électroniques. Les choix technologiques font partie intégrante de l'efficacité des opérateurs, donc de leur capacité à conquérir de nouveaux clients.
Afin de respecter ce principe, il convient d'inclure dans le même marché l'ensemble des offres de gros d'accès large bande livrées au niveau national, quelles que soient les interfaces de livraison mises en oeuvre et, en particulier, les interfaces les plus couramment utilisées à ce jour, à savoir IP et ATM.
II-B. - Délimitation géographique du marché
II-B-1. Principes
Il est rappelé au point 56 des lignes directrices susvisées que, « selon une jurisprudence constante, le marché géographique pertinent peut être défini comme le territoire sur lequel les entreprises concernées sont engagées dans la fourniture ou la demande des produits ou services pertinents, où elles sont exposées à des conditions de concurrence similaires ou suffisamment homogènes et qui se distingue des territoires voisins sur lesquels les conditions de concurrence sont sensiblement différentes ».
La Commission précise au point 59 des lignes directrices susvisées que, dans le secteur des communications électroniques, la portée géographique du marché pertinent est traditionnellement déterminée par référence à deux critères principaux qui permettent de procéder à la délimitation géographique des marchés de communications électroniques : le territoire couvert par les réseaux, d'une part, et l'existence d'instruments de nature juridique conduisant à distinguer telle ou telle zone géographique ou, au contraire, à considérer que le marché est de dimension nationale, d'autre part.
Par ailleurs, cette analyse doit être menée dans une approche prospective. S'agissant des marchés de gros sous-jacents aux services de communications électroniques fixes, le critère de substituabilité du côté de la demande est peu pertinent pour déterminer l'étendue géographique d'un marché : un opérateur cherchant à acheter un produit de gros pour desservir un client donné situé dans une zone géographique donnée ne peut acheter un produit de gros dont l'accès est situé sur une zone géographique distincte. Il choisira plutôt d'acheter une offre de gros à un niveau supérieur, en l'espèce une offre livrée au niveau national si sa demande n'est pas satisfaite pour une livraison au niveau régional dans une zone donnée.
Ainsi, c'est le critère de substituabilité du côté de l'offre qui primera dans l'analyse. Plus précisément, en se référant aux lignes directrices de la Commission, il conviendra de déterminer si des opérateurs qui ne sont pas encore présents sur une zone géographique donnée mais le sont sur une autre zone géographique feront le choix d'y entrer à court terme en cas d'augmentation des prix relatifs. Dans ce cas, la définition du marché doit être étendue à la zone sur laquelle sont présents ces opérateurs.
II-B-2. Cas particulier de Saint-Pierre-et-Miquelon
L'Autorité constate que France Télécom possède et opère un réseau d'accès cuivre en situation de quasi-monopole, détenant plus de 99 % des paires de cuivre en France, et couvrant l'intégralité des territoires de la métropole, des départements d'outre-mer et de Mayotte, à l'exception de Saint-Pierre-et-Miquelon. Ainsi, les conditions de concurrence apparaissent homogènes sur ce marché à l'échelle nationale, à l'exception de Saint-Pierre-et-Miquelon.
Saint-Pierre-et-Miquelon est une collectivité territoriale d'outre-mer de la République française. La réglementation communautaire n'y est pas applicable, mais elle entre dans le périmètre couvert par le code des postes et des communications électroniques.
L'Autorité note que sur le territoire de Saint-Pierre-et-Miquelon, la boucle locale est possédée par SPM Télécom, filiale du groupe France Télécom.
Tenant compte de la jurisprudence communautaire qui se réfère notamment au territoire couvert par un réseau pour délimiter la dimension géographique des marchés pertinents, l'Autorité distingue deux zones géographiques : d'une part, le territoire composé de la Métropole, des départements d'outre-mer et de Mayotte, et, d'autre part, Saint-Pierre-et-Miquelon.
La présente décision traite par défaut de la zone géographique correspondant au territoire métropolitain, aux départements d'outre-mer et à Mayotte. Le cas de Saint-Pierre-et-Miquelon sera traité dans une décision ultérieure de l'Autorité.
II-B-3. Le déploiement et l'extension des réseaux
Si l'on considère le marché des offres de gros d'accès large bande livrées au niveau national, trois ensembles géographiques peuvent être mis en évidence :
- une zone où plusieurs opérateurs sont en mesure de proposer des offres, qui correspond aux zones dégroupées ;
- une zone où seule France Télécom est en mesure de proposer des offres ;
- une zone où aucun opérateur ne propose d'offres DSL.
Chacune de ces zones est très morcelée sur le territoire : une « zone » n'est pas une surface connexe, mais l'union de multiples poches. Pour prendre l'exemple du dégroupage, elle correspond actuellement à environ 130 agglomérations (12).
Dans une approche dynamique, les frontières de ces zones ne sont pas fixes. Pour une agglomération donnée, le déploiement du DSL s'effectue progressivement depuis le centre-ville vers la proche banlieue. De même, de nouvelles agglomérations sont au fur et à mesure ouvertes au DSL, correspondant à de nouvelles zones disjointes des premières.
De manière générale, France Télécom ainsi que les opérateurs alternatifs ayant recours au dégroupage poursuivent une stratégie d'expansion tendant à une couverture maximale du territoire national, même si leurs investissements dans le DSL ne peuvent être que progressifs.
Si on résume les zones respectives de couverture DSL de France Télécom et du dégroupage au pourcentage de la population auquel elles correspondent, leur périmètre sur les quatre dernières années a été le suivant :
Source : communiqués de France Télécom (couverture des offres de gros DSL de France Télécom), estimations ARCEP sur la base d'éléments transmis par les opérateurs alternatifs (couverture du dégroupage).
L'évolution de ces zones dans les mois et les années à venir est encore incertaine.
Concernant tout d'abord la couverture ADSL de France Télécom, cette dernière a annoncé être en mesure de couvrir 90 % de la population fin 2004, 96 % de la population fin 2005 et souhaite équiper en DSL l'ensemble de ses répartiteurs dans le courant de l'année 2006.
Concernant par ailleurs le déploiement du dégroupage, aucune annonce officielle n'a été à ce jour effectuée par les opérateurs.
On peut anticiper que le dégroupage restera limité à une zone moins étendue que le réseau DSL de France Télécom, à horizon de l'analyse. En effet, le dégroupage présente plusieurs années de retard sur le déploiement DSL de France Télécom. En outre, pour étendre le dégroupage, les opérateurs doivent consentir des investissements lourds et nécessairement très progressifs. Enfin, sur les plus petits sites, les effets d'échelle sont trop réduits pour un opérateur alternatif pour assurer la rentabilité des investissements correspondants.
Au-delà de ce constat, la définition d'une frontière précise et pérenne aux zones dégroupées, valable à l'horizon de l'analyse, n'est pas réalisable.
En effet, le dégroupage s'étend progressivement, répartiteur par répartiteur. Le choix que font les opérateurs d'étendre leur couverture à un répartiteur supplémentaire se fonde sur trois principaux facteurs :
- la clientèle potentielle attachée à ce répartiteur, et donc sa taille, en nombre de lignes ;
- le coût de raccordement de ce répartiteur, et donc sa distance au réseau de l'opérateur ;
- le coût d'équipement de ce répartiteur, et donc notamment le niveau des tarifs de l'offre de France Télécom pour les prestations liées au dégroupage.
En parallèle, l'intervention des collectivités territoriales dans le paysage du haut débit pourrait contribuer à moyen terme à soutenir l'expansion du dégroupage, en particulier dans des zones moins denses que celles qui sont naturellement servies dans un premier temps par les opérateurs. Ainsi, le déploiement du dégroupage pourrait donc aussi se faire sur la période d'analyse selon de nouveaux critères, tout un département, par exemple, pouvant être couvert en dégroupage, suite à l'intervention des collectivités locales, et ce sans considération de taille ou de distance des répartiteurs aux réseaux des opérateurs.
Au regard de la multiplicité des facteurs entrant en ligne de compte, le degré de détail de l'analyse géographique menée par chaque opérateur dans sa politique d'extension, la nouveauté représentée par l'intervention des collectivités territoriales, et le caractère morcelé des zones de dégroupage, il n'apparaît pas réaliste d'anticiper d'ores et déjà une frontière du dégroupage, valable et pertinente sur toute la période d'analyse.
Ainsi, le critère de développement des réseaux, du fait de son évolutivité rapide et de la nécessaire approche prospective que doit revêtir la délimitation du marché, ne permet pas de déterminer à ce stade une éventuelle partition du territoire national en deux ou plusieurs sous-marchés distincts, valide à l'horizon de l'analyse pour la régulation ex ante.
L'Autorité estime donc que le périmètre géographique du marché de gros des offres d'accès large bande livrées au niveau national correspond au territoire métropolitain, aux départements d'outre-mer et à Mayotte.