II-3. Obstacles au développement d'une concurrence effective
En vertu des articles L. 37-1 et L. 38 du code des postes et des communications électroniques, la mise en oeuvre, par l'Autorité, d'obligations ex ante au niveau des marchés de gros, doit permettre « de lever ou d'atténuer les obstacles au développement d'une concurrence effective », ces obstacles étant identifiés au cours de l'analyse des marchés. Il convient donc de procéder à cet examen en ce qui concerne Orange France.
Ces obstacles sont de trois ordres :
- la capacité d'Orange France à faire obstruction lors des négociations des conventions d'interconnexion avec un opérateur tiers, compte tenu de sa position monopolistique sur le marché ;
- la capacité d'Orange France à faire des discriminations abusives, compte tenu de son intégration verticale sur le marché de la téléphonie mobile et de la téléphonie fixe via son appartenance au groupe France Télécom (partie III) ;
- l'absence de pression concurrentielle sur les prix de terminaison d'appel (partie IV).
III. - CAPACITÉ D'OBSTRUCTION DES NÉGOCIATIONS ET DE DISCRIMINATION ABUSIVE COMPTE TENU DE L'INFLUENCE SIGNIFICATIVE, DE LA POSITION DE MONOPOLE ET DE L'INTÉGRATION VERTICALE D'ORANGE FRANCE
Eu égard à la capacité d'Orange France à faire obstruction, lors des négociations des conventions d'interconnexion (et de leurs avenants successifs) et de mettre en oeuvre des discriminations abusives, compte tenu de l'influence significative de Orange France sur le marché, de sa position de monopole structurel sur le marché de la terminaison d'appel vocal vers son réseau et de son intégration verticale sur le marché du mobile/mobile et du fixe/mobile, l'Autorité estime nécessaire de :
- permettre l'interconnexion et l'accès dans des conditions efficaces (obligation d'accès III-1) ;
- éviter que l'opérateur favorise ses propres services de détail sur la téléphonie mobile ou la société de détail de son groupe qui intervient sur le marché de détail de la téléphonie fixe, ou une société partenaire (obligation de non-discrimination III-2) ;
- donner de la visibilité aux acheteurs sur un élément essentiel de leur plan d'affaires (obligation de transparence III-3) ;
- lever l'aléa lié à la date de sortie du système du bill & keep III-4 ;
- prévenir les risques d'abus de position dominante dans la négociation des conventions d'interconnexion, donner une sécurité juridique, donner effet à la non-discrimination (obligation spécifique de publier une offre de référence III-5, obligation de séparation comptable III-6).
III-1. Prestations d'interconnexion et d'accès au réseau mobile
L'article L. 38 (3°) du CPCE et l'article 12 de la directive « Accès » prévoient que l'ART peut imposer des obligations d'accès à un opérateur disposant d'une influence significative.
L'Autorité avait envisagé lors de sa consultation publique préliminaire trois sous-obligations : l'obligation générale d'accéder à toute demande raisonnable, l'obligation de fournir une prestation minimale d'acheminement et l'obligation de fournir une prestation minimale d'accès aux sites. A la lumière des réponses à cette consultation publique, seule la première est finalement retenue.
Afin de permettre l'interopérabilité des services et des investissements efficaces au titre de l'interconnexion ou de l'accès et compte tenu de la position monopolistique d'Orange France sur le marché, l'Autorité estime nécessaire d'imposer une obligation d'accepter toute demande raisonnable d'interconnexion et d'accès, à des fins de terminer « directement » du trafic vocal à destination des abonnés d'Orange France, conformément à l'article D. 310 (1°) du code des postes et des communications électroniques. Compte tenu de l'impossibilité pour un opérateur souhaitant terminer un appel sur le réseau, de déployer ses propres infrastructures, cette obligation est donc justifiée et proportionnée, notamment au regard de l'objectif visant à « [définir des] conditions d'accès aux réseaux ouverts au public et d'interconnexion de ces réseaux qui garantissent la possibilité pour tous les utilisateurs de communiquer librement et l'égalité des conditions de la concurrence ».
Un règlement de différend récent portant sur les conditions d'accès aux sites d'Orange France met en lumière les difficultés que peuvent rencontrer les parties pour trouver un mode d'accès acceptable pour les deux opérateurs.
L'Autorité note à cet égard que les prestations d'interconnexion et d'accès, proposées aujourd'hui par Orange France, que ce soit pour l'acheminement du trafic de terminaison ou pour l'accès à ses sites, semblent a priori raisonnables puisqu'elles ont été proposées par l'opérateur mobile lui-même. De même, l'opérateur mobile a de lui-même ouvert à l'interconnexion certains sites de commutation ; il semble donc a priori raisonnable que ces points restent ouverts à l'interconnexion. Cette obligation répond donc aux critères imposés par l'article L. 38-IV bis du code susvisé.
Dans le cadre de la présente analyse prospective, l'Autorité estime qu'il n'y a pas lieu d'aller au-delà de l'obligation générale et d'imposer par avance des obligations spécifiques, et en particulier, un ensemble minimal de prestations, dans la mesure où Orange France continue à offrir des services de terminaison d'appel vocal et d'accès aux sites d'interconnexion de qualité ou de caractéristiques au moins équivalentes à celles que l'opérateur proposait jusqu'à présent.
En cas de modification d'une prestation existante par Orange France, l'Autorité sera attentive à ce que l'évolution ne nuise pas à l'efficacité de l'interconnexion ou de l'accès entre opérateurs. Une telle évolution devra en conséquence être communiquée aux opérateurs interconnectés avec des préavis suffisants (cf. III-3).
S'agissant de l'offre actuelle, Orange France propose une offre dont les principales caractéristiques ont été publiées dans la décision n° 2003-1114 de l'Autorité portant sur les tarifs de terminaison d'appel d'Orange France applicables au 1er janvier 2004.
Comme les autres opérateurs mobiles, Orange France offre en particulier deux types de prestations :
Les prestations d'acheminement de trafic : Orange France a organisé son architecture d'interconnexion sur 17 zones arrière qui couvrent la métropole et sur 49 points de raccordement d'interconnexion (PRI). Un opérateur métropolitain s'interconnecte à l'un de ces points et sera facturé un tarif intra-ZA si l'appelant est situé dans la zone arrière et un tarif extra-ZA sinon. Le trafic provenant des DOM et de l'international est pour sa part livré à deux PRI internationaux situés en région parisienne ;
Les prestations d'accès aux sites : Orange indiquait, dans le cadre de la décision sus-citée, que l'offre de colocalisation était l'offre la plus souscrite et qu'il pouvait proposer des prestations complémentaires aux opérateurs en faisant la demande.
Si un opérateur demande à Orange France un nouveau service d'interconnexion ou d'accès non couvert par l'offre d'interconnexion ou d'accès existante de l'opérateur mobile, l'Autorité estime que cette demande relève en premier lieu de la négociation entre les opérateurs.
III-2. Obligation de non-discrimination
L'article L. 38 (2°) du CPCE et l'article 10 de la directive « Accès » prévoient la possibilité d'imposer une obligation de non-discrimination.
Les obligations de non-discrimination font notamment en sorte que les opérateurs appliquent des conditions équivalentes dans des circonstances équivalentes aux autres entreprises fournissant des services équivalents, et qu'ils fournissent aux autres des services et informations dans les mêmes conditions et avec la même qualité que ceux qu'ils assurent pour leurs propres services ou pour ceux de leurs filiales ou partenaires.
Comme le précise le considérant 17 de la directive « Accès », l'application d'une obligation de non-discrimination permet de garantir que les entreprises puissantes sur un marché de gros ne faussent pas la concurrence sur un marché de détail, notamment lorsqu'il s'agit d'entreprises intégrées verticalement qui fournissent des services à des entreprises avec lesquelles elles sont en concurrence sur des marchés en aval.
La grande technicité des prestations d'interconnexion ou d'accès rend aisée pour un opérateur puissant l'offre de conditions techniques et tarifaires différentes pour ses différents clients, ses partenaires et ses propres services.
Des conditions techniques et tarifaires discriminatoires sur le marché de gros seraient préjudiciables à la concurrence sur les marchés de détail, aval des communications fixe vers mobile et des communications mobile vers mobile. Il est donc justifié et proportionné d'introduire une obligation de non-discrimination, d'une part entre clients, et d'autre part entre clients et services internes, notamment au regard de l'objectif visant à garantir « l'exercice au bénéfice des utilisateurs d'une concurrence effective et loyale entre les exploitants de réseau et les fournisseurs de services de communications électroniques » et « l'absence de discrimination, dans des circonstances analogues, dans le traitement des opérateurs ».
Ainsi, un opérateur puissant n'est pas autorisé à pratiquer des conditions différenciées quand la prestation d'interconnexion fournie est la même (3).
Au-delà de l'obligation générale, deux points spécifiques doivent être précisés :
Obligation de non-discrimination et terminaison d'appel provenant de l'international :
L'Autorité avait indiqué lors de sa consultation publique préliminaire qu'à prestation technique équivalente, les tarifs de terminaison devaient être identiques quelle que soit la provenance de l'appel : réseau fixe ou mobile, opérateur métropolitain, d'outre-mer ou étranger, et qu'à moins de raisons particulières, à prestations équivalentes, la modulation horaire doit être la même.
S'agissant des communications provenant de l'international, les charges de terminaison d'appel sur réseaux mobiles ont été historiquement inférieures à celles payées pour terminer les appels nationaux. Afin de limiter les phénomènes de reroutage de trafic par l'international, ces charges ont néanmoins convergé dès 2002 vers un même prix moyen. Les structures tarifaires restant cependant différentes, en raison notamment de l'absence de modulation horaire pour le trafic issu de l'étranger, il pourrait subsister un espace économique pour la réapparition du reroutage.
Plusieurs opérateurs mobiles ont indiqué à l'Autorité qu'il est difficile d'appliquer une modulation horaire pour les appels en provenance de l'étranger, identique à celle pratiquée pour les appels nationaux, car les grilles tarifaires internationales sont déjà très complexes.
L'Autorité prend en compte cet argument et considère qu'Orange France peut continuer à facturer les charges de terminaison d'appel provenant de l'international, sans modulation horaire, à condition d'assurer un prix moyen par minute identique au prix de la prestation nationale équivalente. L'Autorité réexaminera la situation au vu de l'évolution du marché en tant que de besoin.
Obligation de non-discrimination et conséquence sur l'allocation des coûts :
Enfin, l'allocation des coûts communs entre services de détail et de gros de l'opérateur doit être non discriminatoire, comme indiqué dans la partie IV-1.