II. - Les nouvelles possibilités de coopération avec des entreprises ouvertes par la loi du 12 juillet 1999 aux agents de la recherche publique
1o La création par l'agent d'une entreprise
qui valorise ses travaux de recherche
L'article 25-1 ajouté à la loi no 82-610 du 15 juillet 1982 par la loi du 12 juillet 1999 permet à un agent public de participer à la création d'une entreprise destinée à valoriser les travaux de recherche qu'il a réalisés dans l'exercice de ses fonctions. Sous le régime antérieur à la loi du 12 juillet 1999, une telle participation était proscrite par l'article 25 de la loi no 83-634 du 13 juillet 1983 qui interdit aux fonctionnaires de prendre des intérêts de nature à compromettre leur indépendance dans une entreprise en relation avec l'administration à laquelle ils appartiennent. Ce type de collaboration était aussi, dans bien des cas, constitutive du délit de prise illégale d'intérêt défini et réprimé par les articles 432-12 et 432-13 du code pénal.
Etant maintenant prévue par un texte législatif, cette situation perd son caractère punissable au point de vue pénal et disciplinaire si le cadre dressé par la loi a été strictement respecté. Il est organisé de la manière suivante.
a) L'entreprise créée doit valoriser des travaux du fonctionnaire :
L'entreprise doit avoir pour objet de valoriser les travaux de recherche réalisés par l'agent dans l'exercice de ses fonctions. A cet effet un contrat doit être conclu, sitôt l'entreprise créée, avec la personne publique ou l'entreprise publique pour laquelle ont été effectuées les recherches dont l'entreprise assure la valorisation, qui est propriétaire du résultat de ces recherches ou qui dispose du droit d'exploitation de ce résultat. Ceci recouvre à la fois les cas où le titulaire du droit d'exploitation est la personne morale « employeur » de l'agent, et ceux où il n'y a pas identité entre ces deux qualités (à l'exemple d'un chercheur d'un EPST exerçant ses fonctions dans une structure de recherche rattachée à une université, laquelle serait propriétaire du résultat des recherches effectuées dans ce laboratoire).
De même, si la loi prescrit la conclusion d'un contrat avec l'entreprise de valorisation, elle ne se prononce pas sur la nature de ce contrat. Celui-ci a, en effet, pour fonction d'assurer la transparence des relations d'intérêts entre l'entreprise et la personne publique et d'établir le lien entre l'activité de l'entreprise et les recherches de l'agent ; il s'agit donc d'un acte essentiel pour la régularité de la situation de l'agent. Dès lors que la relation contractuelle répond par son contenu à ces objectifs, elle peut revêtir des formes diversifiées (cession ou licence d'exploitation d'un brevet, contrat d'exploitation de résultats non brevetables, contrat de transfert de savoir-faire, convention de coopération, etc.).
L'entreprise de valorisation doit être une entreprise nouvelle : la loi entend instaurer un dispositif d'« essaimage » des personnels de la recherche. Ainsi, même si cela n'est pas explicitement indiqué dans le texte, la constitution d'une société nouvelle, filiale d'une entreprise existante, serait contraire à la loi.
En revanche, la loi laisse libre de choisir la forme juridique de l'entreprise créée qui peut être une société commerciale (ou même civile) ou bien une entreprise individuelle.
L'agent doit être associé ou dirigeant de l'entreprise ; il peut, bien évidemment, cumuler ces deux qualités.
b) L'agent intéressé doit être couvert par une autorisation :
Cette autorisation doit être demandée par l'agent à l'autorité dont il relève, avant la création de l'entreprise et le départ de l'agent auprès de celle-ci. La loi précise que la demande est préalable à l'immatriculation de l'entreprise de valorisation au registre du commerce et des sociétés, et à la négociation du contrat avec la personne publique dont l'entreprise valorise la recherche ;
La décision est prise après avis de la commission instituée par l'article 87 de la loi no 93-122 du 29 janvier 1993 modifiée relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques. Cette commission, appelée usuellement « commission de déontologie », est appelée, par la loi du 29 janvier 1993, à rendre des avis sur la compatibilité avec les principes de probité et de désintéressement des agents publics, des activités privées que se proposent d'exercer les agents lorsqu'ils quittent leurs fonctions. Les compétences de cette commission sont donc élargies aux questions de déontologie posées par les formes de coopération entre personnels de la recherche publique et les entreprises privées organisées par la loi du 12 juillet 1999 ;
L'autorisation ne peut être refusée que pour les motifs limitativement énumérés par la loi (préjudice au fonctionnement normal du service public, atteinte à la dignité des fonctions exercées par l'agent ou risque de compromettre ou mettre en cause l'indépendance ou la neutralité du service, risque d'atteinte aux intérêts matériels ou moraux du service ou de remise en cause de la mission d'expertise exercée par le service auprès des pouvoirs publics) auxquels logiquement s'ajoutent les cas où le projet n'entrerait pas dans les prévisions de la loi (entreprise de valorisation déjà existante, agent concerné n'étant ni associé ni dirigeant de l'entreprise de valorisation, par exemple). L'invocation d'un des motifs énoncés par la loi doit reposer sur des circonstances sérieuses et précises. Ainsi les difficultés temporaires qu'entraîne inévitablement le départ d'un collaborateur ne sauraient, en général, être regardées comme un préjudice porté au fonctionnement normal du service au sens de la loi ;
L'autorisation est donnée pour deux années, cette période est renouvelable deux fois. Le refus de renouvellement et éventuellement le retrait de l'autorisation peuvent être décidés lorsque le fonctionnaire ne respecte pas les conditions posées lors de l'octroi de l'autorisation ou sort du cadre dressé par la loi. Il n'y a pas lieu de saisir la commission en cas de renouvellement de l'autorisation, qui s'effectue sur demande de l'agent, sauf si un changement est intervenu dans l'activité privée exercée par l'agent. En revanche, lorsqu'il est envisagé de retirer l'autorisation, l'intéressé doit être informé par l'autorité des raisons de cette décision et invité à lui présenter ses observations ;
Par ailleurs, la commission, qui est informée des contrats et conventions conclus entre l'entreprise et le service public de la recherche, est habilitée à saisir l'autorité administrative si elle estimait qu'ils font apparaître une atteinte aux intérêts matériels et moraux du service public de la recherche. Cette information est obligatoire tant de la part du service public que de l'agent : si elle n'est pas effectuée, l'agent perd le bénéfice du dispositif législatif.
c) L'agent doit quitter les fonctions exercées dans le service public :
L'agent est placé, à compter de la date d'effet de l'autorisation, en position de détachement dans l'entreprise, ou mis à disposition de celle-ci ou d'un organisme qui concourt à la valorisation de la recherche (ANVAR, par exemple). S'agissant des enseignants-chercheurs, la position statutaire correspondant à la mise à disposition est la délégation. Lors du dépôt de sa demande d'autorisation, l'agent précise la position statutaire dans laquelle il souhaite être placé. Le refus de satisfaire cette demande ne peut être fondé que sur l'une des catégories de motifs énoncés par la loi. En principe, il convient de retenir la position la plus favorable pour l'agent et pour la bonne fin de son projet de création d'entreprise, la loi ayant précisément pour objectif d'inciter les personnels de recherche à s'investir dans un tel projet, en évitant de pénaliser le déroulement de leur carrière et en contribuant au démarrage de l'entreprise de valorisation. En revanche, il convient de s'assurer du respect des règles et conditions propres à la position statutaire choisie. Ainsi, la personne mise à disposition d'une entreprise ne peut recevoir de celle-ci de compléments de rémunération, sauf indemnisation de frais ou sujétions liées aux fonctions ; elle reste soumise à la règle d'exclusivité professionnelle et une convention doit être passée entre l'établissement et l'entreprise sur les modalités d'accueil de l'agent et le remboursement de sa rémunération ;
Dès l'autorisation accordée, l'agent « cesse toute activité au titre du service public dont il relève ». Cette prescription est impérative, et doit être scrupuleusement observée. Elle répond à la double préoccupation de permettre à l'agent de se consacrer exclusivement à la réalisation de son projet de création d'entreprise, et d'éviter tout conflit entre les intérêts de cette entreprise et ceux de la personne publique ou entreprise publique dont les recherches sont valorisées par l'entreprise. A compter de la date d'effet de l'autorisation, les intérêts de l'agent sont présumés être ceux de l'entreprise en voie de création, c'est pourquoi la loi interdit à l'agent de représenter la personne publique ou l'entreprise publique lors de la négociation et, a fortiori, la conclusion du contrat avec l'entreprise pour la valorisation. Mais il peut participer à cette négociation pour le compte de l'entreprise à la création de laquelle il participe ;
La seule dérogation à l'interdiction d'exercer des fonctions dans le service public d'origine de l'agent est la possibilité d'y donner des enseignements dans des conditions fixées par décret. Ce texte est actuellement en cours d'élaboration, et, en son absence, la dérogation ne peut être mise en oeuvre ;
L'agent ne peut reprendre des fonctions dans le service public, au terme de l'autorisation, qu'à la condition de mettre fin à sa collaboration avec l'entreprise de valorisation et de ne conserver directement ou indirectement aucun intérêt dans celle-ci. Il dispose pour cela d'un délai d'un an à compter de sa réintégration dans son corps d'origine. Bien que la loi ne la mentionne pas, la possibilité de demander, à tout moment de la période d'autorisation, d'être réintégré, est ouverte à l'agent, et soumise aux mêmes conditions. Dans les deux cas, l'agent pourra être autorisé à apporter son concours scientifique, participer au capital social de l'entreprise, ou être membre de son conseil d'administration ou de surveillance dans les conditions prévues aux nouveaux articles 25-2 et 25-3 de la loi du 15 juillet 1982 ;
L'agent qui souhaite conserver sa situation dans l'entreprise, une fois épuisée la période d'autorisation, demande soit sa mise en disponibilité, soit sa radiation des cadres. La loi du 12 juillet 1999 dispense alors de la procédure préalable prévue par l'article 87 de la loi du 29 janvier 1993 et faisant intervenir la commission de déontologie. La consultation de cette dernière n'a, en effet, pas paru nécessaire, la commission ayant déjà eu à connaître de la situation de l'agent lors de la délivrance de l'autorisation et, éventuellement, à l'occasion de changement intervenu dans celle-ci, de même qu'elle a dû être informée des contrats et conventions passés entre le service public et l'entreprise ;
Lorsque l'autorisation a été retirée ou que son renouvellement a été refusé, l'agent ne peut conserver sa situation dans l'entreprise qu'en demandant sa radiation des cadres ou sa mise en disponibilité, dans les conditions du droit commun de l'article 87 de la loi du 29 janvier 1993, donc après examen de sa situation par la commission de déontologie. S'il n'y est pas autorisé dans le cadre de cette procédure, il dispose d'un an pour abandonner ses intérêts dans l'entreprise. S'il n'entend pas poursuivre son activité dans l'entreprise, il est réintégré dans son corps d'origine et doit se défaire de ses intérêts dans l'entreprise, dans ce même délai. Il convient d'insister sur le fait, qu'en cas de retrait ou de refus de renouvellement fondé sur l'inobservation par l'agent des conditions de l'autorisation, il encourt des sanctions disciplinaires, sans préjudice des poursuites pénales puisqu'il se serait placé en dehors du dispositif légal.