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Article (CONSEIL CONSTITUTIONNEL Saisine du Conseil constitutionnel en date du 10 octobre 1996, présentée par plus de soixante députés, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, et visée dans la décision no 96-383 DC)

Article (CONSEIL CONSTITUTIONNEL Saisine du Conseil constitutionnel en date du 10 octobre 1996, présentée par plus de soixante députés, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, et visée dans la décision no 96-383 DC)

II. - Sur l'incompétence négative du législateur


Le paragraphe I de l'article 6 de la loi déférée autorise les accords de branche à déroger aux dispositions des articles L. 132-2, L. 132-19 et L.
132-20 du code du travail « dans les conditions fixées ci-après »... mais lesdites conditions ne sont que de procédure (durée des accords, instances de négociation, validation des accords d'entreprise en commission paritaire de branche) : la loi ne limite en rien, sur le fond, le pouvoir dérogatoire ainsi conféré discrétionnairement aux partenaires sociaux... et, pour la première fois, ne conditionne pas l'entrée en vigueur de stipulations dérogatoires à la mise en oeuvre de la procédure d'extension.
Certes, la correction rédactionnelle résultant d'un amendement parlementaire a fait disparaître la rédaction, encore plus significative, du projet de loi, laquelle se bornait à renvoyer aux stipulations de l'accord national interprofessionnel du 31 octobre 1995 : même les parlementaires de la majorité, à commencer par le rapporteur de la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale (en particulier au cours de la première séance du 5 juin 1996), avaient dû protester contre « la rédaction de cet article qui paraît méconnaître la juste répartition des compétences entre le législateur et les partenaires sociaux » ; le rapporteur soulignait tout particulièrement « que cette négociation nie le rôle fondamental du législateur » et suggérait au Gouvernement de veiller plus efficacement à « respecter les compétences de chacun »... cependant que le ministre lui-même avouait « que cette rédaction soulève la question de la répartition des rôles entre la loi et la négociation collective ».
Mais la modification de la lettre de l'article 6 est précisément restée purement rédactionnelle : si la référence générale à l'accord du 31 octobre 1995 a disparu, l'habilitation donnée aux partenaires sociaux, qui ne fait que décalquer le contenu de cet accord, est restée totalement discrétionnaire. La loi ne fixe même pas le seuil d'effectifs en deçà duquel s'appliqueront les procédures dérogatoires dont elle autorise l'institution...
Dès lors, le législateur est loin d'avoir exercé la totalité des compétences qui lui sont non seulement réservées mais assignées, s'agissant non seulement d'un principe fondamental du droit du travail au sens de l'article 34 de la Constitution mais encore et surtout des conditions et des garanties de mise en oeuvre du huitième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946,
conditions et garanties dont le Conseil constitutionnel a déjà jugé qu'il appartenait au seul législateur de les déterminer en édictant l'ensemble des règles fondamentales nécessaires à cet effet (Conseil constitutionnel no 93-328 DC du 16 décembre 1993, Rec. page 547 ; Conseil constitutionnel no 94-348 DC du 3 août 1994, Rec. page 117).
En ne conditionnant pas l'intervention des partenaires sociaux au respect de garanties claires et précises de mise en oeuvre du principe posé par le Préambule, la disposition législative déférée est manifestement entachée d'incompétence négative, c'est-à-dire de violation directe de l'article 34 de la Constitution.