Article (CONSEIL CONSTITUTIONNEL Décision no 94-352 DC du 18 janvier 1995)
Sur l'article 10:
Considérant que les auteurs des saisines font grief à cet article, qui fixe un régime d'autorisation et d'utilisation des installations de systèmes de vidéosurveillance, de méconnaître l'exercice de plusieurs libertés et droits fondamentaux constitutionnellement protégés; qu'au nombre de ceux-ci figureraient, selon eux, la liberté individuelle dont l'autorité judiciaire doit assurer la garantie en vertu de l'article 66 de la Constitution, la liberté d'aller et venir sans surveillance arbitraire et généralisée et le droit au respect de la vie privée qui impliquerait un droit à l'anonymat;
qu'à cette fin ils font valoir, outre la méconnaissance de principes de nécessité et de proportionnalité propres aux mesures de police, que n'auraient pas été instituées des garanties suffisantes quant à l'exercice des libertés publiques, en ce qui concerne les autorités compétentes et les circonstances requises pour délivrer les autorisations, l'usage des images et leur enregistrement ainsi que l'exercice des contrôles et recours dont doivent disposer les personnes filmées; qu'ils soutiennent que le législateur aurait ainsi méconnu la compétence qu'il tient de l'article 34 de la Constitution en matière de garantie des libertés publiques;
Considérant que la prévention d'atteintes à l'ordre public, notamment d'atteintes à la sécurité des personnes et des biens, et la recherche des auteurs d'infractions sont nécessaires à la sauvegarde de principes et droits à valeur constitutionnelle; qu'il appartient au législateur d'assurer la conciliation entre ces objectifs de valeur constitutionnelle et l'exercice des libertés publiques constitutionnellement garanties au nombre desquelles figurent la liberté individuelle et la liberté d'aller et venir ainsi que l'inviolabilité du domicile; que la méconnaissance du droit au respect de la vie privée peut être de nature à porter atteinte à la liberté individuelle;
Considérant que pour répondre aux objectifs de valeur constitutionnelle de préservation de l'ordre public, le législateur pouvait habiliter le représentant de l'Etat dans le département et, à Paris, le préfet de police à autoriser l'installation de systèmes de vidéosurveillance assurant la transmission et l'enregistrement d'images prises sur la voie publique mis en oeuvre par les autorités publiques compétentes aux fins « d'assurer la protection des bâtiments et installations publiques et de leurs abords, la sauvegarde des installations utiles à la défense nationale, la régulation du trafic routier, la constatation des infractions aux règles de la circulation ou la prévention des atteintes à la sécurité des personnes et des biens dans des lieux particulièrement exposés aux risques d'agression ou de vol »;
qu'il pouvait également habiliter ces autorités à autoriser de telles opérations de vidéosurveillance dans des lieux et établissements ouverts au public particulièrement exposés à des dangers d'agression ou de vol afin d'y assurer la sécurité des personnes et des biens; que toutefois la mise en oeuvre de tels systèmes de surveillance doit être assortie de garanties de nature à sauvegarder l'exercice des libertés individuelles ci-dessus mentionnées;
Considérant en premier lieu que le législateur a imposé que le public soit informé de manière claire et permanente de l'existence du système de vidéosurveillance ou de l'autorité et de la personne responsable; qu'il a interdit que soient visualisées les images de l'intérieur des immeubles ainsi que de façon spécifique leurs entrées;
Considérant en deuxième lieu qu'il a assorti, sauf en matière de défense nationale, les autorisations préfectorales de l'avis d'une commission départementale présidée par un magistrat du siège ou un magistrat honoraire; qu'eu égard au rôle assigné à cette commission, sa composition doit comporter des garanties d'indépendance;
Considérant en troisième lieu qu'il a exigé que l'autorisation préfectorale prescrive toutes les précautions utiles, en particulier quant à la qualité des personnes chargées de l'exploitation du système de vidéosurveillance ou visionnant les images et quant aux mesures à prendre pour assurer le respect des dispositions de la loi;
Considérant en quatrième lieu qu'il a ouvert à toute personne intéressée le droit de s'adresser au responsable d'un système de vidéosurveillance afin d'obtenir un accès aux enregistrements qui la concernent ou d'en vérifier la destruction dans un délai maximum d'un mois; qu'il a précisé que cet accès est de droit sous réserve que soient opposés des motifs « tenant à la sûreté de l'Etat, à la défense, à la sécurité publique, au déroulement de procédures engagées devant les juridictions ou d'opérations préliminaires à de telles procédures, ou au droit des tiers »; que la référence au « droit des tiers » doit être regardée comme ne visant que le cas où une telle communication serait de nature à porter atteinte au secret de leur vie privée;
Considérant en cinquième lieu que le législateur a en outre garanti à toute personne intéressée la possibilité de saisir la commission départementale ci-dessus mentionnée de toute difficulté tenant au fonctionnement d'un système de vidéosurveillance; qu'eu égard au caractère général de sa formulation, ce droit doit s'entendre comme ménageant la possibilité de saisir la commission de toute difficulté d'accès à des enregistrements concernant les intéressés ou tenant à la vérification de la destruction de ces enregistrements; que le législateur a au surplus rappelé que cette procédure administrative ne saurait faire obstacle au droit de la personne intéressée de saisir la juridiction compétente, au besoin en la forme du référé;
Considérant en sixième lieu qu'en prévoyant que les enregistrements doivent être détruits dans un délai maximum d'un mois, hormis le cas d'une enquête de flagrant délit, d'une enquête préliminaire ou d'une information judiciaire,
le législateur doit être regardé comme ayant d'une part prévu qu'il soit justifié de leur destruction et d'autre part interdit toute reproduction ou manipulation de ces derniers, hors le cas prévu par le I de l'article en cause où les enregistrements de vidéosurveillance seraient utilisés pour la constitution de fichiers nominatifs conformément aux garanties prévues par la législation relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés;
Considérant en septième lieu que pour assurer le respect de ces prescriptions, le législateur a prévu des sanctions pénales punissant « le fait de procéder à des enregistrements de vidéosurveillance sans autorisation, de ne pas les détruire dans le délai prévu, de les falsifier,
d'entraver l'action de la commision départementale, de faire accéder des personnes non habilitées aux images ou d'utiliser ces images à d'autres fins que celles pour lesquelles elles sont autorisées... sans préjudice des dispositions des articles 226-1 du code pénal et L. 120-2, L. 121-8 et L.
432-2-1 du code du travail »;
Considérant toutefois que, s'agissant des demandes d'autorisation requises, le législateur a prévu que « l'autorisation sollicitée est réputée acquise à défaut de réponse dans un délai de quatre mois »; qu'il peut déroger au principe général selon lequel le silence de l'administration pendant un délai déterminé vaut rejet d'une demande; que toutefois compte tenu des risques que peut comporter pour la liberté individuelle l'installation de systèmes de vidéosurveillance, il ne peut subordonner à la diligence de l'autorité administrative l'autorisation d'installer de tels systèmes sans priver alors de garanties légales les principes constitutionnels ci-dessus rappelés;
Considérant que les autres dispositions susanalysées sous les réserves d'interprétation ci-dessus énoncées doivent être regardées comme séparables de cette dernière disposition;