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Article (CONSEIL CONSTITUTIONNEL Saisine du Conseil constitutionnel en date du 28 décembre 1994, présentée par soixante députés, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, et visée dans la décision no 94-358 DC)

Article (CONSEIL CONSTITUTIONNEL Saisine du Conseil constitutionnel en date du 28 décembre 1994, présentée par soixante députés, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, et visée dans la décision no 94-358 DC)

II. - Sur les différents articles déférés

A. - Sur l'article 4


Cet article introduit dans le code de l'urbanisme la notion de « directive territoriale d'aménagement ».
Or, en premier lieu, ces directives qui sont approuvées par décret en Conseil d'Etat ne sont évidemment pas opposables aux lois antérieures régissant d'importantes parties du territoire français, qu'il s'agisse de la « loi littoral », de la « loi montagne », de la loi relative à la collectivité territoriale de Corse ou encore du régime législatif applicable à la région Ile-de-France. Il en résulte, on l'a dit, que deux régimes vont coexister sur le territoire français: celui que l'on peut difficilement considérer comme un nouveau droit commun (vu le nombre et l'importance des « exceptions », en termes de populations et de territoires, les deux ensembles sont comparables), dans lequel le Gouvernement disposera d'un pouvoir réglementaire essentiel, et celui des zones à statut législatif spécial dans lequel ce pouvoir est exclu par principe... alors même que les raisons qui fondent son institution y sont tout aussi présentes qu'ailleurs, voire davantage, c'est-à-dire qu'aucune différence de situation n'est réellement justificative de cette différence de traitement. La violation des principes d'égalité devant la loi et d'indivisibilité de la République est certaine.
En deuxième lieu, la discussion parlementaire et, singulièrement, les débats en commission (voir par exemple le débat en commission spéciale lors de la deuxième lecture par l'Assemblée nationale, document no 1724, pages 57-58) ont fait apparaître l'extrême incertitude qui règne sur l'insertion réelle de ces directives dans la hiérarchie des normes.
Certes, le Sénat (en première lecture) a repéré l'évidente inconstitutionnalité de la disposition du projet de loi qui prévoyait que les directives territoriales pourraient apporter des « adaptations mineures » aux lois d'aménagement et d'urbanisme, c'est-à-dire que non seulement il était dérogé à la loi par décret mais qu'en ce qui concerne les lois postérieures à 1958 les dispositions du second alinéa de l'article 37 de la Constitution étaient incontestablement méconnues.
Mais à l'inconstitutionnalité affichée s'est substitué un flou tout aussi dangereux pour la sécurité juridique: nul ne peut savoir avec certitude quelle norme l'emportera, d'une directive territoriale d'aménagement ou d'un décret (également pris en Conseil d'Etat) d'application d'une loi d'aménagement et d'urbanisme; de manière très caractéristique, aux interrogations des membres de la commission spéciale de l'Assemblée nationale le rapporteur s'est contenté de répondre que les directives « couvriraient certaines parties du territoire seulement », semblant considérer ainsi qu'à la hiérarchie des normes un Etat de droit unitaire pouvait substituer une sorte de juxtaposition horizontale des normes sans heurter l'indivisibilité de la République...
Pis encore, l'institution par l'article déféré d'un système normatif dans lequel chaque norme n'est soumise qu'à une obligation de compatibilité avec la norme immédiatement supérieure mais non avec les autres (normes supérieures) organise littéralement la désagrégation de toute hiérarchie des normes lisible et intelligible par le citoyen. Il ne s'agit plus ici seulement de « balkanisation » mais aussi d'une sorte de mille-feuille normatif dont les étages sont bornés par des solutions de continuité... à emplacements hiérarchiques variables selon les zones et selon les régimes spécifiques.
Enfin, l'article déféré persiste à autoriser les auteurs des directives territoriales d'aménagement à « préciser pour les territoires concernés les modalités d'application des lois d'aménagement et d'urbanisme adaptées aux particularités géographiques locales ».
On peut se demander si cette nouvelle rédaction, moins franchement inconstitutionnelle que celle du projet de loi gommée par le Sénat, ne laisse pas subsister par le flou soigneusement pesé de sa rédaction un pouvoir réglementaire de dérogation pour motif de spécificités territoriales aux lois en question.
Mais, en tout état de cause, il est certain que les directives pourront au moins moduler le cadre législatif en fonction de ces spécificités. Ce faisant, lesdites modulations porteront nécessairement sur la définition des délits réprimés par les articles L. 160-1 et L. 480-4 du code de l'urbanisme, c'est-à-dire modifieront les éléments constitutifs de délits correctionnels. Or il s'agit là d'une compétence exclusivement législative (Conseil constitutionnel no 69-55 L du 26 juin 1969, considérants 1 à 3, Rec. page 27), si bien que l'article déféré est entaché d'incompétence négative.